Interview de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, à RMC le 17 avril 2014, sur l'annonce du maintien du gel du point d'indice des fonctionnaires, les mesures de préservation du modèle social et la préparation de la réforme territoriale.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Marylise LEBRANCHU, bonjour.
MARYLISE LEBRANCHU
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ministre de la Décentralisation, de la réforme de l'Etat et de la Fonction publique. Alors, vous savez ce que je vais faire ?
MARYLISE LEBRANCHU
Non, je ne sais pas, mais vous allez me le dire…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh bien, vous allez le découvrir. Vous étiez mon invitée le 16 janvier dernier, et vous vous engagiez ce jour-là à stopper le gel du salaire des fonctionnaires, on va vous écouter.
MARYLISE LEBRANCHU
Je vais m'écouter, ah, j'adore.
/// Archives ///
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sur les traitements des fonctionnaires, un mot, ils vont continuer à être gelés ou pas ?
MARYLISE LEBRANCHU
Ils ne sont pas gelés jusqu'à la fin de la mandature, si je vous disais ça, je ferais une erreur…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ils ne sont pas gelés jusqu'à 2017 ?
MARYLISE LEBRANCHU
Jusqu'à la fin de la mandature. Non, ceci étant, le Premier ministre lui-même et seul pourra prendre cette décision. Voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Voilà…
MARYLISE LEBRANCHU
Donc c'est clair.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc le 16 janvier, ils n'étaient pas gelés, et maintenant, ils le sont, quoi !
MARYLISE LEBRANCHU
Le Premier ministre, et lui seul, pourra prendre cette décision, le Premier ministre a eu des propos extrêmement clairs hier, mais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais le Premier ministre a changé quand même entre-temps…
MARYLISE LEBRANCHU
Oui, mais je vous rappelle que, entre-temps aussi, et j'espère que vous l'avez noté, depuis donc le mois de février, nous avons augmenté les catégories C. je vous avais expliqué, vous me l'aviez permis, le point d'indice, cette augmentation au pourcentage pour tout le monde, augmenter les catégories C, c'était répondre à un devoir de solidarité envers la Fonction publique, on retrouve d'ailleurs le parallélisme avec la solidarité que le Premier ministre a demandée, on gèle les prestations sociales sauf les minima sociaux, c'est-à-dire sauf celles des plus défavorisés, solidarité du fonctionnement de l'Etat, bien sûr, on avait diminué de 30% les salaires des ministres, du président, du Premier ministre, et moi, je vais appeler à un geste de solidarité des plus hauts salaires, par exemple les fonctionnaires.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire ?
MARYLISE LEBRANCHU
Ceux qui gagnent plus qu'un ministre, pourquoi pas, pourraient peut-être faire un geste, pour que les catégories C, ceux qui s'occupent de…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est ce que vous annoncez ce matin, vous allez demander aux fonctionnaires les mieux payés de faire un geste qui serait quel geste ? Quel geste par exemple ?
MARYLISE LEBRANCHU
Alors, attendez, on ne fait pas ça comme ça, autour d'une table de radio, vous imaginez bien…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais non, non, mais je suis d'accord, mais…
MARYLISE LEBRANCHU
Mais c'est vrai que nous avons au mois de mai une négociation, on en avait longuement débattu aussi, vous pourriez reprendre les mots, je maintiens ce que j'avais dit, sur les traitements, les parcours professionnels, les mobilités, l'allongement des carrières, puisque vous savez qu'on a allongé les carrières, il faut qu'elles soient donc plus intéressantes, il faut que nos fonctionnaires soient motivés, le Premier ministre d'ailleurs a tenu à leur rendre hommage. Donc tout ça va être discuté au mois de mai, nonobstant ce qu'a dit le Premier ministre hier, mais j'entends aussi bien sûr parler beaucoup du point d'indice, comme vous venez de le faire, on oublie les 60.000 postes qui sont quand même maintenus, c'est-à-dire que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans l'Education nationale, oui…
MARYLISE LEBRANCHU
On continue à créer des postes dans l'Education et dans la sécurité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La police ?
MARYLISE LEBRANCHU
Police, justice…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Gendarmerie, justice ?
MARYLISE LEBRANCHU
Voilà, partout…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et administration pénitentiaire.
MARYLISE LEBRANCHU
Partout, et administration pénitentiaire, partout où les fonctionnaires sont en difficulté d'une part, l'administration pénitentiaire en particulier, mais partout où les citoyens français nous demandent des créations de postes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais un mot encore, un mot quand même sur le pouvoir d'achat des fonctionnaires, parce que je regardais les chiffres de l'INSEE, salaire net moyen des fonctionnaires a progressé entre 2011 et 2012 de 1,1%, mais avec l'inflation, ça fait moins 0,8%. Donc il n'a pas progressé ce pouvoir d'achat. Pour les fonctionnaires territoriaux, c'est moins 0,5 avec l'inflation, et pour la Fonction hospitalière, moins 0,6 en moyenne, avec l'inflation.
MARYLISE LEBRANCHU
C'est exact.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc le pouvoir d'achat des fonctionnaires baisse, Marylise LEBRANCHU.
MARYLISE LEBRANCHU
Quand vous prenez le total de la masse salariale, mais je vous rappelle que, 1.870.000 d'entre eux, depuis le mois de février de cette année, ou mars, avec un rappel, ont été augmentés, et sont augmentés sur deux ans, parce que moi, j'ai estimé, comme le Premier ministre pour le Smic, il annonce une baisse des cotisations pour augmenter de 500 euros par an le Smic, j'ai estimé, en accord avec le Premier ministre, que c'étaient les catégories C, c'est-à-dire les gens qui sont payés à peine plus que le Smic, qui avaient besoin de nous, pourquoi ? Parce qu'ils ont des métiers difficiles, ce sont les assistantes maternelles dans les écoles, mais ce sont les personnes âgées qui sont à prendre en charge nuit et jour, et etc., ce sont des gens qui ont des métiers difficiles, qui ont des métiers essentiels au service public, donc à nos citoyens, et qui sont très mal payés. Donc on a fait ce choix, ce n'est pas au pourcentage pour tout le monde, c'est d'abord ceux qui ont le plus petit salaire, et qui sont indispensables au fonctionnement de notre service public.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, Marylise LEBRANCHU, est-ce que le délai de carence dans la Fonction publique sera rétabli ?
MARYLISE LEBRANCHU
Le jour de carence ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un jour de carence, oui, le jour de délai de carence…
MARYLISE LEBRANCHU
Je vous ai déjà dit, je vous le redis, si dans la négociation, je reviens sur ce jour de carence, je vais avoir des syndicats qui, en responsabilité, vont me demander d'aligner la situation des salariés publics, sur les salariés du privé. 77% des salariés du privé dans les groupes en particulier ont une caisse de prévoyance qui leur permet de couvrir ce jour de carence, ils n'ont pas de jour de carence, 48 ou 9% maintenant dans les petites entreprises, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que si on veut aligner absolument les fonctionnaires sur les salariés du privé pour le jour de carence, il faudra que je commence la négociation d'une caisse de prévoyance, et je peux vous dire que financièrement, ce n'est pas plus intéressant, peut-être beaucoup moins. Et les fonctionnaires commencent effectivement à poser la question, parce qu'on ne dit jamais que les fonctionnaires n'ont pas de complémentaire santé, que les fonctionnaires n'ont pas de régime de prévoyance, et que leur retraite n'est calculée que sur leur traitement de base…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc pas de rétablissement du jour de carence aujourd'hui, en l'état ?
MARYLISE LEBRANCHU
Je ne vois pas comment…
JEAN-JACQUES BOURDIN
En ce moment ?
MARYLISE LEBRANCHU
Je ne vois pas comment je leur demanderais de payer, eux, une cotisation à une caisse de prévoyance, parce que je ne veux pas qu'on dise…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si vous ne les augmentez pas, remarquez, oui, ça, c'est sûr…
MARYLISE LEBRANCHU
On ne les augmente pas, ils participent à la solidarité, et je ne veux pas qu'on dise en plus que les fonctionnaires profitent d'une situation, parce que ce n'est pas vrai, ce sont des gens qui font fonctionner nos services publics, la route, le train, l'école, tout ça a besoin d'infrastructures…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on ne touche pas…
MARYLISE LEBRANCHU
Et de services.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, on est bien d'accord, pas de rétablissement de cette journée de carence. Je l'ai compris. Marylise LEBRANCHU, simplement, j'avais Christian PAUL…
MARYLISE LEBRANCHU
Mais un geste de solidarité. Oui ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'avais Christian PAUL tout à l'heure, qui est député socialiste, qui disait : en l'état, c'est inacceptable pour nous, députés, ce n'est pas pour cela que nous avons… ce n'est pas pour cette politique-là que nous avons été élus en 2012. Qu'est-ce que vous lui répondez ce matin ?
MARYLISE LEBRANCHU
Christian PAUL, je le connais bien, et je sais que ce qui a dû, pour lui, faire déclic négatif, c'est le gel des prestations sociales pendant une année, le report…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, une année et demie !
MARYLISE LEBRANCHU
Une année et demie…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Octobre 2015.
MARYLISE LEBRANCHU
Le report du RSA. Et c'est vrai que moi, je peux comprendre ça, le problème qu'on a, la question du gouvernement, c'est de dire : est-ce que je donne le coup de pied au fond de la piscine et je redémarre et je fais fonctionner ce pays en sauvant son modèle social, parce que nous voulons sauver un modèle social, le modèle social, c'est quoi ? Ce sont des retraites, c'est une assurance-chômage, c'est une Sécurité sociale, c'est l'école gratuite, etc. C'est ça notre modèle. Pour ça, il faut tirer un petit peu cette année, et c'est vrai que sur les prestations sociales, ça va être reporté… enfin, l'indexation, pardonnez-moi, va être reportée de quelques mois, avec une inflation qui est très basse quand même, et je pense que, il faut prendre ça en compte. Ce qu'a voulu le Premier ministre, c'est un plan…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais ça fait moins de pouvoir d'achat, pardon, quand même !
MARYLISE LEBRANCHU
C'est un plan…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Moins d'Allocations familiales, moins d'allocations logement, ça fait moins de pouvoir d'achat !
MARYLISE LEBRANCHU
Alors, ce n'est pas moins, c'est une indexation reportée de quelques mois, celle-ci…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais enfin, ça fait moins, puisque…
MARYLISE LEBRANCHU
D'accord, comme ça, nous n'allons pas tourner autour…
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'inflation progresse, pardon, Marylise LEBRANCHU…
MARYLISE LEBRANCHU
L'inflation est très faible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non, mais d'accord, mais même si elle est très faible.
MARYLISE LEBRANCHU
Quand même ! Nous avons à sauver un modèle social, on ne fait pas des économies pour faire mal à la France, on fait des économies pour que, une France grande soit une France juste, et nous voulons garder ce modèle social. D'autres pays ont commencé à toucher à leur modèle social, et il était déjà inférieur au nôtre ; donc ne laissons personne sur le bord du chemin, regarder les minima sociaux, c'est-à-dire ceux qui ont le plus besoin de nous tous, de notre solidarité, ceux-là seront épargnés. Le Smic verra une cotisation salariale baisser pour qu'il augmente de 500 euros sur une année. Personne sur le bord du chemin, un effort partagé, mais un effort juste, et je pense que cette recherche de justice effectivement, elle est au rendez-vous, même si je le reconnais, je le dis, et le Premier ministre l'a dit lui-même, c'est difficile, mais on va y arriver ! Et la France va se redresser.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Marylise LEBRANCHU, les collectivités locales, vous avez en charge ce dossier-là…
MARYLISE LEBRANCHU
Oui, avec plaisir…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça va être lourd, là, avec la réforme, la réforme, on divise par deux…
MARYLISE LEBRANCHU
Moi, je ne trouve pas très lourd…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non ? Vous ne trouvez pas ça… on divise… non, parce que je vois les oppositions déjà, vous les entendez de tous les côtés…
MARYLISE LEBRANCHU
Oui, mais moi, je vois les enthousiasmes aussi, je ne vois pas que les oppositions…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon, bon, d'accord, eh bien…
MARYLISE LEBRANCHU
On a une lecture différente du monde tous les deux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais moi, j'entends les oppositions dans votre camp, et notamment tous les présidents de régions, pas tous, mais certains.
MARYLISE LEBRANCHU
Certains, oui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Certains qui ne veulent pas de rapprochement, de fusion, de diminution du nombre de régions. J'ai vu que vous aviez la volonté de renforcer l'intercommunalité, est-ce vrai ?
MARYLISE LEBRANCHU
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et est-il vrai que les dotations versées par l'Etat ne seront versées qu'aux intercommunalités ?
MARYLISE LEBRANCHU
Alors, ce débat n'est pas tranché, mais il est très intéressant, parce que nos citoyens ne savent pas qu'aujourd'hui, l'Etat, c'est-à-dire eux, verse la dotation aux communes, et les communes se répartissent les dotations en fonction…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Voilà, l'Etat donne l'argent aux communes, et les communes répartissent cet argent en fonction des besoins.
MARYLISE LEBRANCHU
Voilà, l'interco, après, alors, bon, on se redistribue… c'est très compliqué…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Très compliqué, oui…
MARYLISE LEBRANCHU
Un système très compliqué…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, et de l'argent, enfin, pas disparaît, mais il y a du gaspillage…
MARYLISE LEBRANCHU
Ce qu'a dit le Premier ministre et ce qui est intéressant, c'est qu'il faut que nous regardions, nous, la vie de chaque citoyen français, c'est-à-dire son bassin de vie, je disais l'autre jour, je le redis encore, une personne qui est partie ce matin, qui est ce matin dans sa voiture, a déposé son enfant à la crèche dans une commune, son autre enfant qui est plus grand va aller au collège dans une autre interco, et peut-être qu'elle travaille dans une troisième intercommunalité. Nous n'avons pas adapté la structure territoriale de notre pays à la vie de nos concitoyens. Nous devons le faire, logement, transport, service, école doit être traité dans un même bassin de vie, pour qu'on ait une meilleure organisation, moins de gens dans les bouchons, moins de gens en recherche…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc ce sont les intercommunalités qui auront le cordon de la bourse ?
MARYLISE LEBRANCHU
Nous allons petit à petit réorganiser cela, pour que, effectivement, on puisse avoir des politiques cohérentes sur nos intercommunalités. Quand on regarde de très près ce qui se passe aujourd'hui, eh bien, presque 80% de l'investissement est confié à une intercommunalité, donc soyons précis, soyons méthodiques, on va effectivement monter ces intercommunalités, et faire en sorte que le citoyen soit mieux servi puisque le rôle d'une collectivité, c'est bien le service public.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Marylise LEBRANCHU d'être venue nous voir ce matin.
MARYLISE LEBRANCHU
C'est moi.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 avril 2014