Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la politique de l'aménagement du territoire guyanais, le développement économique, l'emploi et la lutte contre l'insécurité, à la préfecture de Cayenne le 11 avril 1996.

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Circonstance : Déplacement dans les départements français d'Amérique (Martinique, Guadeloupe, Guyane) du 11 au 15 avril 1996

Texte intégral

Madame et Messieurs les parlementaires,
Messieurs les présidents des conseils régional et général,
Messieurs les maires,
Mesdames et Messieurs les représentants des services administratifs et des autorités judiciaires, militaires et consulaires,
Mesdames, Messieurs,
C'est ici à la préfecture, dans cette maison de la République en Guyane, que j'ai choisi ce soir de m'adresser à vous.
Nous célébrons cette année, vous le savez, le 50ème anniversaire de la départementalisation. Réforme historique, dont le Général de Gaulle a jeté les bases dans le célèbre discours de Brazzaville. Des personnalités éminentes de la Guyane ont contribué à son aboutissement, témoignant ainsi de la clairvoyance du fondateur de la Ve République. Vous comprendrez qu'il me soit particulièrement agréable que ce soit notre Président de la République, Jacques CHIRAC, porteurs des idéaux gaullistes, qui ait pu célébrer cet anniversaire le 19 mars dernier.
Je tiens à cet égard à être, auprès de vous, le messager du Chef de l'Etat qui, à plusieurs reprises, m'a fait part de son attachement à votre département et qui a toujours été sensible aux témoignages de fidélité que les Guyanais ne lui ont jamais ménagés.
Formés de populations d'origines très diverses, les Guyanais aspirent à conserver leur identité, à valoriser ce qui constitue leur originalité au sein de l'ensemble national et européen.
Cette volonté doit être comprise, respectée et soutenue. Les traditions culturelles propres à votre département, loin de faire obstacle à notre culture nationale, contribuent au contraire à l'enrichir.
Le Président de la République, vous le savez, s'est engagé pendant sa campagne présidentielle, à mener à son terme le processus d'égalité sociale qu'implique le statut départemental. Sous son impulsion, mon Gouvernement a pris, en quelques mois, l'ensemble des décisions qui font que, depuis le 1er janvier dernier, chaque guyanais se trouve enfin mis sur un pied d'égalité en matière de prestations avec ses concitoyens de métropole. C'est une profonde satisfaction, pour moi, d'avoir fait disparaître le fossé qui empêchait les guyanais, comme nos compatriotes des Antilles, d'accéder a une pleine et entière citoyenneté française. Notre conception commune des valeurs de la République, symbolisées par sa devise, ne pouvait s'accommoder de la situation passée. La France des Amériques ne doit, en rien, être une France "décalée".
Si l'égalité sociale est acquise, je voudrais vous dire comment je conçois, de manière plus générale, la dynamique de l'égalité. En ouvrant devant certains d'entre vous à Paris les assises du développement, j'ai souligné que l'égalité ne signifie pas l'uniformité. Le Président de la République l'a affirmé avec force, "le temps de l'assimilation est achevé" et c'est "à l'épanouissement de votre identité que nous devons désormais nous attacher". Je ne vois pas où les spécificités des besoins et des attentes pourraient mieux apparaître qu'ici, sur cette terre contrastée de Guyane dont la géographie, la population, les problèmes spécifiques appellent des réponses adaptées. Telle est l'ambition de mon Gouvernement.
Telle est l'action menée par M. Jean-Jacques de PERETTI, ministre délégué à l'Outre-Mer, à qui j'adresse toute ma reconnaissance.
Beaucoup de vos préoccupations me sont certes déjà familières et se sont traduites par des engagements gouvernementaux, mais c'est pour mieux les comprendre que j'ai tenu à vous rencontrer.
Je voudrais, dans cet esprit, vous faire connaître les ambitions du Gouvernement pour l'avenir de la Guyane.
Votre département est le plus vaste de tous les départements français. L'aménagement du territoire est donc, à cet égard, un enjeu prioritaire.
Aussi ai-je tenu à rencontrer élus, responsables consulaires et chefs d'entreprises à l'occasion d'une table ronde, très riche d'enseignements, pour évoquer les différents axes d'une politique durable d'aménagement et de développement.
La répartition actuelle des richesses, des activités économiques, des équipements ou des services publics n'est pas satisfaisante. J'aurai l'occasion demain à Saint Laurent du Maroni d'évoquer les problèmes particuliers du développement de l'ouest guyanais.
Mais pour l'ensemble de la Guyane, il nous faut définir, dans le cadre d'un partenariat étroit entre toutes les collectivités publiques concernées, les équipements et les infrastructures qui permettront d'assurer le rééquilibrage souhaité par chacun.
De nombreuses communes ou villages restent encore trop enclavés, faute d'infrastructures routières ou de pistes d'atterrissage. J'ai bien perçu combien vous souhaitiez l'accélération de certains programmes : je pense tout particulièrement à l'achèvement de la route nationale n°2 entre Régina et Saint Georges de l'Oyapock.
Les financements prévus par le contrat de plan permettent cet achèvement en 2004, mais il faut faire plus vite. Cette route devra être achevée pour l'an 2000. Je suis heureux de vous annoncer aujourd'hui que, dès cette année, les crédits de l'Etat affectés à cette réalisation seront doublés. Je souhaite poursuivre cet effort l'an prochain.
D'autres axes routiers doivent être achevés ou programmés. Evitons cependant qu'ils ne perturbent des équilibres écologiques toujours fragiles.
Plus généralement, vous savez que je suis favorable à ce que soit défini pour les départements d'outre-mer un cadre adapté pour l'aménagement et le développement du territoire. La loi du 4 février 1995 pour l'aménagement du territoire s'applique par principe, partout de façon uniforme, mais j'ai demandé aux ministres concernés de réfléchir à une reconnaissance du caractère de "zone prioritaire ultrapériphérique" aux départements d'outre-mer afin de prendre en compte leurs contraintes naturelles.
Par ailleurs, il est anormal que, dans un département aussi vaste, les problèmes fonciers demeurent un obstacle au développement d'un habitat adapté.
Tout prochainement sera publié le décret relatif à l'établissement public d'aménagement foncier institué par la "loi Perben". Mis en place dans de très brefs délais, cet établissement disposera dès cette année d'un volume de fonds propres suffisants lui permettant d'appeler des fonds européens et de recourir à des emprunts : cela se traduira par l'affectation en 1996 d'une subvention de 5MF au titre du FIDOM, ce qui correspond à la part de l'Etat dans le contrat de plan pour la réalisation du fonds régional d'aménagement foncier et urbain. Je souhaite naturellement que les autres collectivités, notamment la région et le département, puissent dans la mesure de leurs moyens, accompagner cet effort.
L'enjeu est double : il concerne beaucoup de guyanais qui sont à la recherche d' un habitat de qualité, mais il intéresse également les entreprises du bâtiment dont certaines sont aujourd'hui en difficulté.
Le logement intermédiaire doit aussi être encouragé. Le Gouvernement a proposé au Parlement, qui l'a adoptée, une extension de la "loi Pons" à ce type de constructions ; elle est en vigueur depuis le 1er avril ; les textes d'application seront prêts très rapidement.
Je suis en outre disposé, si la région et les autres partenaires y sont favorables, à réexaminer certaines modalités du contrat de plan pour redéployer les moyens vers les opérations les plus prioritaires dont le démarrage peut s'effectuer très vite, permettant ainsi d'élargir le carnet de commandes des entreprises du bâtiment et des travaux publics.
J'ai voulu également, vous le savez, que les dispositions du pacte de relance de la ville s'appliquent intégralement dans les départements d'outre-mer pour lesquels 31 Zones Urbaines Sensibles ont été retenues en étroite liaison avec les responsables locaux.
Elles permettront notamment la création "d'emplois de ville" pour les jeunes de 18 à 25 ans, l'affectation d'appelés au service des quartiers et des actions spécifiques en faveur de l'école. Dans le périmètre de ces 31 zones, le choix des Zones de Redynamisation Urbaine fait l'objet d'une concertation approfondie avec les élus locaux. Enfin, chaque département d'outre-mer verra la création d'une zone franche urbaine destinée à favoriser l'implantation de commerces de proximité et d'entreprises artisanales, là où la situation locale est la plus difficile. J'ai personnellement voulu que l'outre-mer bénéficie immédiatement d'un dispositif national novateur.
Je souhaiterai maintenant exposer devant vous les enjeux du développement économique et de l'emploi.
La consolidation des principales filières de l'économie guyanaise constitue un objectif prioritaire.
La pêche, dont les produits sont de très grande qualité, reconnus et appréciés sur les marchés antillais et européens, est le premier secteur exportateur de Guyane. Le Gouvernement a participé à sa restructuration pour renforcer sa compétitivité.
Pourtant, il subsiste des incertitudes notamment à propos de la modernisation de la flottille de pêche. Le Gouvernement proposera donc à la commission européenne d'examiner le principe d'un sous-segment par département d'outre-mer dans le cadre du programme d'orientation pluriannuel des flottilles, le P.O.P.

L'or est un secteur prometteur : nous voyons avec satisfaction de grandes entreprises internationales s'intéresser aux ressources aurifères de la Guyane, mais nous considérons qu'il doit aussi y avoir place pour des entreprises locales, même de moindre dimension. L'or ne bénéficiera à la Guyane qu'à trois conditions :
- qu'il puisse créer des emplois pour les Guyanais, ce qui suppose une formation adaptée et des zones de vie de qualité sur les sites d'extraction,
- que l'environnement naturel et culturel soit respecté, ce qui n'a pas toujours été le cas,
- que les collectivités territoriales de Guyane en tirent un produit financier : le Gouvernement est favorable à une taxation sur l'or produit et cette question fera prochainement l'objet d'un examen entre les ministères de l'Outre-mer, du Budget et de l'Industrie.

Tout cela ne sera possible que si nous disposons d'un droit minier adapté à la Guyane. Aussi, après de nombreuses concertations, le Gouvernement va prochainement déposer au Parlement un projet de loi pour réformer le code minier dans les départements d'Outre-mer.
Je n'oublie pas le tourisme, qui est un autre secteur prometteur mais qui n'est pas suffisamment développé en dépit de toutes les richesses naturelles et humaines que compte votre département.
- J'invite l'ensemble des partenaires à s'unir plus efficacement pour favoriser ce secteur. Il nous faut atteindre trois objectifs complémentaires : une desserte aérienne compétitive et de qualité, une offre hôtelière adaptée, une politique de promotion donnant à ce département l'image qu'il mérite, celle d'une nature incomparable et d'un patrimoine culturel diversifié.

Le projet de parc national, dont est venue vous parler récemment Mme Corinne LEPAGE, ministre de l'Environnement, est un précieux atout pour développer l'image de votre département.
Il est bien d'autres secteurs tels que l'exploitation forestière, l'agriculture ou les industries agro-alimentaires. L'objectif de mon Gouvernement est de faire bénéficier les entreprises des départements d'Outre-mer de conditions leur assurant une compétitivité satisfaisante. Je souhaite, par exemple, que davantage d'entreprises guyanaises profitent des dispositions de la loi PERBEN relatives aux charges sociales.
Par ailleurs, si le contrat d'accès à l'emploi a connu un bon début d'application en 1995, je ne doute pas, M. le Préfet, que l'objectif de 900 contrats, qui vous est assigné, sera largement atteint voire dépassé en 1996. Enfin, les agences départementales d'insertion récemment mises en place pourront avoir recours au contrat d'insertion par l'activité, instrument qui me paraît bien adapté : 870 contrats de ce type sont prévus pour 1996.
J'ai, à de nombreuses reprises, indiqué que l'emploi était ma priorité absolue, ici comme ailleurs. Je serai très vigilant quant à la réalisation des objectifs fixés. Je demande également à tous les partenaires locaux, en liaison avec l'Etat, de poursuivre leur mobilisation pour faire aboutir, rapidement et concrètement, toutes les réflexions menées lors des assises du développement. Par ailleurs, je puis vous assurer que je porte aux conditions de financement des entreprises, et notamment au coût du crédit, une attention particulière : les disparités avec la métropole ne me satisfont pas et constituent, de toute évidence, un frein à l'investissement. Sur ce sujet, une expertise est en cours et elle me sera remise prochainement.

Je n'oublie pas, bien évidemment, Mesdames et Messieurs, le rôle économique très important du Centre Spatial de Kourou. Nous somme tous légitimement très fiers de cette réussite technologique et industrielle. Il est très positif, pour la Guyane, d'y être intimement associée.
Cet objectif me paraît essentiel et je suis très satisfait qu'un avenant au contrat de plan ait été signé en 1994 pour définir le cadre des interventions du Centre Spatial dans les projets de développement du département.
Au vu de ces mesures nous pourrons mieux agir en faveur de la cohésion sociale et désamorcer tous les phénomènes offrant un terrain propice à la précarité et à ses conséquences : la délinquance et l'insécurité.

La lutte contre l'insécurité implique une forte mobilisation de l'Etat.
La délinquance a connu dans ce département un changement de nature alors même que le total des faits constatés est resté stable. On observe, en effet, une augmentation intolérable des agressions violentes.
Tous les services de l'Etat ont été mobilisés : police, douane, gendarmerie, ainsi que l'armée. Des moyens supplémentaires ont été progressivement déployés.
L'effort de l'Etat a été substantiel : la construction de la nouvelle prison, dont l'ouverture est prévue pour le printemps 1997 sur la commune de Rémire-Montjoly, représente un investissement de 250 MF. En outre l'ouverture du nouveau centre de rétention de Rochambeau permettra dès cette année d'accueillir les étrangers en situation irrégulière et en instance de reconduite.

Mais la situation appelle un effort supplémentaire. Ainsi, dès cette année, la police nationale verra ses effectifs notablement renforcés, principalement à Cayenne, en sécurité publique.
Des moyens matériels adaptés vont également être mis en place.
Enfin j'aurai l'occasion demain, à Saint Laurent du Maroni, d'évoquer plus en détail ce qui doit être fait pour protéger la Guyane des flux migratoires incontrôlés qui menacent son équilibre social.
Les moyens dont dispose l'institution judiciaire doivent également être renforcés. La réflexion pour la création d'une seconde chambre au Tribunal de Cayenne, est d'ores et déjà ouverte et des créations de postes vont intervenir.
Je tiens à ce que nous ayons, sur toutes ces questions touchant à la sécurité des personnes, une approche globale. C'est en étant présent sur tous les fronts que nous pourrons enregistrer des résultats positifs. Je redis à cette occasion tout le prix que j'attache à la bonne conduite de la politique de la ville et de la résorption de l'habitat insalubre.
Voilà Mesdames et Messieurs, quelle est l'action du Gouvernement en Guyane dans ce domaine si sensible. Je le répète, la loi républicaine doit être respectée partout et par tous.
C'est un enjeu essentiel pour la cohésion sociale et le développement économique de ce département.
Mesdames et Messieurs, je vous prie de me croire quand j'affirme nettement mon optimisme pour l'avenir de la Guyane et quand je vous demande d'avoir confiance, en vous et en l'Etat. Nous pouvons ensemble surmonter les difficultés.

Les atouts du département sont nombreux et il nous appartient de mieux les valoriser.
J'espère vous avoir montré que le Gouvernement avait une vision cohérente des actions qu'il mène ou qu'il favorise en Guyane. Mais l'Etat ne peut pas et ne doit pas agir seul. J'ai déjà constaté ici qu'il pouvait compter sur la détermination des collectivités territoriales et sur le dynamisme des acteurs économiques.
C'est ainsi que nous pourrons relever les grands défis des années à venir. La Guyane n'échappe ni aux grandes mutations mondiales, ni à sa propre destinée qui lui impose de promouvoir un équilibre, sans doute unique au monde, entre une civilisation urbaine en plein développement, des sociétés amérindiennes traditionnelles et un centre spatial d'où l'on a lancé, en 1995, plus de la moitié des satellites civils mondiaux.

Avec vous tous, avec la France, avec le concours de l'Union européenne, cet équilibre est à notre portée.
Ayez donc confiance dans votre avenir et celui de vos enfants. Vous vous inscriviez déjà dans l'Histoire lorsque, conduits par le maire de Cayenne M. SOPHIE, vous, Guyanais, manifestiez votre patriotisme en rejoignant la France libre pour la libération du continent européen et la liberté du monde.
Ne cédez pas aujourd'hui à la tentation du scepticisme, l'heure est à l'effort et au courage.
"TCHIMBÉ RÉD, PAS MOLI", ce qui signifie, je crois, "Tenez bon, ne faiblissez pas".Vive la Guyane, vive la République, vive la France.