Interview de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique, à France Info le 20 novembre 2014, sur le débat au sujet de l'auto-radicalisation de jeunes Français candidats au djihad, la réforme de la carte des régions, la fonction publique et le futur congrès du PS.

Prononcé le

Média : France Info

Texte intégral

FABIENNE SINTES
Votre invitée, Jean-François ACHILLI, est ministre de la Fonction publique et de la Décentralisation.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Marylise LEBRANCHU.
MARYLISE LEBRANCHU
Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et bienvenue. J'ai envie de poser une question à l'ancienne garde des Sceaux de Lionel JOSPIN, que vous avez été. Un deuxième Français, donc, de 22 ans seulement, figure parmi les bourreaux de l'organisation terroriste Daesh. Marylise LEBRANCHU, qu'est-ce qui pousse ces jeunes à plonger dans une telle folie ? Qu'est-ce que cela renseigne sur l'état de notre société ?
MARYLISE LEBRANCHU
Je crois qu'il faut être conscient et en particulier les adultes, les parents, tous ceux qui peuvent côtoyer les jeunes, que nous sommes dans une société de repli sur soi, et que, surtout d'ailleurs en période de difficultés, souvent on fait attention à ses propres enfants, pas à ceux des autres, il y a moins de débats sur l'avenir de la société, sur le collectif, il y a moins de sens du collectif, l'espace privé devient souvent l'espace privé des jeunes, que ce soit en bas d'immeubles ou dans des communes rurales, ou ailleurs, et comme il y a moins de repères collectifs, il y a dérive possible, et j'ajoute que, attention aussi à ne pas dresser des Français les uns contre les autres, parce que, quand tout jeune on entend parler de l'autre qui n'est pas bien, qui n'est pas comme on voudrait qu'il soit, petit à petit on peut être attiré par des réseaux où justement on va tuer ceux qui ne sont pas comme on souhaiterait qu'ils soient. Attention à cette perte de repères.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
A votre place, l'UMP, Valérie PECRESSE, à ce micro, proposait la création de centres pour le retour des djihadistes, c'est une idée ?
MARYLISE LEBRANCHU
Moi je pense que pour le retour, toutes les idées doivent être débattues. Je l'ai entendu, effectivement, ça m'a paru être une idée à regarder. Le problème c'est que moi j'aimerais qu'ils ne partent pas, là on est sur le curatif, c'est-à-dire le retour. Comment ça se fait, comment se fait-il qu'ils soient partis, comment on peut mieux écouter des parents, qui ont parfois des doutes, je ne suis pas certaine qu'on sache encore repérer tous les signaux. Bref, qu'ils ne partent pas, et puis s'ils reviennent, effectivement, qu'on essaie de les prendre en charge collectivement. Mais sans vouloir donner de leçons à qui que ce soit, attention, dans cette société, aux phrases qu'on utilise, au fait que souvent on fait des raccourcis, que nos commentaires de l'actualité se résument à des tweets et que sans doute le débat, le débat sur l'état du monde, sur le rôle de la France, en Europe, et sur le rôle de la France face à la grande question du Moyen-Orient, face à la question du Maghreb, est-ce qu'on est certain d'en parler suffisamment, y compris à nos jeunes ?
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, Marylise LEBRANCHU, l'Assemblée nationale a voté dans la nuit, en deuxième lecture, la carte à 13 régions inscrites dans la réforme territoriale. Alors, je l'ai, cette carte, sous les yeux, je vous la brandis, je vous la soumets. C'est marrant, pas de changement, une évidence quand on regarde ladite carte, eh bien les Alsaciens ont été mariés de force avec Champagne-Ardenne et Lorraine et pas vous, pas les Bretons.
MARYLISE LEBRANCHU
Pas les Bretons, il y avait plusieurs thèses, vous savez, mais le Parlement a tranché. Je pense maintenant…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce que je rappelle, quand même, que vous étiez, vous, pour la fusion avec Pays-de-la-Loire.
MARYLISE LEBRANCHU
Oui, dans la mesure où le président de la République avait proposé la fusion Alsace – Lorraine – Champagne-Ardenne, au cours d'une discussion, grande, et très documentée, effectivement j'estimais qu'il fallait faire un geste aussi de l'autre côté. Ceci étant, les parlementaires ont vraiment pris la main sur la carte des régions. Le rôle du Parlement a été important, maintenant on verra la discussion en commission mixte paritaire entre le Sénat et l'Assemblée, mais voilà, c'est la carte. Prenons-là pour un instrument important de redressement du pays, par pour une discussion d'identité seulement.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On va en dire deux mots, mais c'est quand même Jean-Yves LE DRIAN qui a gagné, le ministre de la Défense, qui est l'ancien président de la Bretagne, qui lui ne voulait pas de mariage, alors que vous, vous étiez pour le mariage.
MARYLISE LEBRANCHU
Oui, mais moi ça ne me dérange pas que la thèse de Jean-Yves LE DRIAN ait gagné. Moi j'étais effectivement sur…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est sa proximité avec François HOLLANDE qui a joué, quand même, parce que…
MARYLISE LEBRANCHU
Peut-être, peut-être, mais aussi les parlementaires, puisque vous voyez que les parlementaires l'ont suivi. Non, j'étais sur une thèse différente, de dire : rassemblons la Bretagne historique, si c'est dans un ensemble plus grand, ce n'est pas un problème, la Bretagne historique est forte. On l'a fait pour l'Alsace et la Lorraine, voilà.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il n'y aura pas Nantes dans la Bretagne, il n'y aura pas la capitale de la Bretagne, dans la Bretagne.
MARYLISE LEBRANCHU
Ce que je souhaite maintenant, c'est surtout que nos régions, qui vont avoir à gérer, par exemple, avant la fin de l'année, à signer les programmes des fonds structurels européens, surtout qu'on se mette vite au travail, pour le développement de l'emploi, c'est ce dont on a le plus besoin.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Juste une précision, on va passer à ça, justement, mais vous allez vous présenter, vous, aux élections régionales, l'an prochain ? Parce que Jean-Yves LE DRIAN est candidat aussi à sa propre succession en Bretagne.
MARYLISE LEBRANCHU
Mais, je n'ai pas entendu que Jean-Yves LE DRIAN était candidat, je veux dire, il y a plusieurs…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il ne l'a pas encore dit.
MARYLISE LEBRANCHU
Il y a plusieurs candidats potentiels, on verra à l'heure. Essayons de faire de la politique, jour après jour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On repousse le problème plus loin, c'est ça, hein.
MARYLISE LEBRANCHU
Mais ce n'est pas un problème, c'est une interrogation.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bon, Nicolas SARKOZY, hier, en meeting à Mulhouse hier soir, a promis de défaire cette carte de la réforme territoriale, s'il était réélu président, bien sûr. Est-ce que c'est possible, ça, en cas d'alternance, de retricoter une nouvelle carte ?
MARYLISE LEBRANCHU
Alors, en droit, c'est parfaitement possible. Ce que l'on a en face de nous, c'est des régions moins nombreuses, plus fortes, avec des compétences plus claires, plus simples. La négociation avec l'Europe, sur des fonds, pour investir dans nos régions françaises, pour développer de l'emploi, je pense que le mieux, maintenant que cette carte existe, c'est, laissons travailler nos élus avec l'ensemble de leurs partenaires, les agglomérations, les métropoles, les communes rurales, les Chambres de commerce et d'industrie, que je voyais hier soir, les chambres de métiers, etc., laissons-les travailler. Je pense que si on change trop souvent, on passera notre temps à discuter de la meilleure carte possible, mais pendant ce temps-là, peut-être qu'on perdra un peu de temps sur l'efficacité des politiques publiques.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce que dans… ce sont… c'est votre registre, les compétences, dans le qui fait quoi, c'est un peu compliqué aussi, parce qu'on va maintenir des départements ruraux, il y aura de l'intercommunalité, dont les pouvoirs seront accrus, c'est quand même usine à gaz, tout ça, Marylise LEBRANCHU.
MARYLISE LEBRANCHU
Il faut prendre à l'envers.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est super usine à gaz, hein.
MARYLISE LEBRANCHU
Prenons les choses à l'envers, c'est pas qui fait quoi, c'est qui va arrêter de faire quoi. C'est-à-dire que pour l'instant, tout le monde s'occupe à peu près de tous les sujets, il n'y a pas beaucoup d'argent public…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est précis, ça, vous savez ou pas ? Parce qu'on n'a pas le temps de tout détailler, c'est très complexe.
MARYLISE LEBRANCHU
En particulier, c'est précis pour le rapport entre les régions et les autres collectivités territoriales. Les régions ont un rôle déterminant, de cohérence, en termes de politique économique, d'enseignement supérieur, de recherche, de développement. Elles vont le faire avec les villes, avec les communautés de communes rurales. Moi j'ai reconnu, à travers ma voix, le gouvernement, pardon, a reconnu la diversité des territoires, on va les obliger, nos élus, à travailler ensemble. Moi je leur fais confiance, parce qu'il y a une urgence, le redressement c'est l'urgence. Donc moins de compétences, mais plus de forces.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Pardon pour la simplicité de la question, est-ce que vous avez un chiffre de ce que cela peut représenter, en milliards, d'éviter les doublons, à terme ?
MARYLISE LEBRANCHU
Jamais je ne vous donnerais un chiffre comme ça.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il n'y a pas de chiffre, parce qu'il n'y en a pas en fait.
MARYLISE LEBRANCHU
Parce que, aujourd'hui, moi, ce que je cherche c'est l'efficacité, créations d'emploi, nouvelles entreprises, petites entreprises qui émergent, des PME mieux aidées par exemple. Seules les régions pourront faire des aides directes à nos PME, elles n'auront qu'une porte d'entrée pour se développer, voilà qui annonce peut-être des lendemains économiques qui chantent un peu plus.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bon, vous reviendrez quand ça sera mis en place, hein, tout ça.
MARYLISE LEBRANCHU
Si vous voulez.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Marylise LEBRANCHU, vous êtes la ministre des Fonctionnaires, Bruxelles nous demande de plus d'efforts, est-ce que vous allez réduire, oui ou non, la masse salariale des fonctionnaires dans ce pays ?
MARYLISE LEBRANCHU
On ne l'augmente plus du tout, elle est gelée. Demandez aux fonctionnaires qui sont proches du smic, s'ils sont des privilégiés, sûrement pas. Et ce que je voudrais dire, c'est quelque chose d'important, parce qu'on dit toujours « il y a beaucoup plus de fonctionnaires en France, par exemple, qu'en Suède ».
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Est-ce que vous allez réduire le nombre des fonctionnaires ?
MARYLISE LEBRANCHU
Non. Le nombre des fonctionnaires, le président de la République a été très clair, on reste à la même masse. Pourquoi ? On est en dessous de 90 pour 1 000, on doit être à 82, 83 fonctionnaires pour 1 000 habitants. La Suède paie 140 équivalents temps plein, pour 1 000 habitants, et nous sommes donc moins entourés de fonctionnaires qu'on ne le dit tous les jours, cette espèce de clichés qu'il faut casser, et je vous dis…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc on ne touche à rien. C'est ça la réponse ?
MARYLISE LEBRANCHU
Ce n'est pas ça. C'est pas ça. On essaie, on va réussir, on essaie de mettre des postes là où on en a le plus besoin : l'école, j'entendais tout à l'heure sur votre chaine, qu'il manque des emplois, la justice, la police…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui, les 500 postes qui vont être créés en Seine-Saint-Denis, mais c'est contesté encore, parce qu'il n'y en aurait pas assez. Bon.
MARYLISE LEBRANCHU
Est-ce que, aussi, nos carrières sont suffisamment attirantes ? Vous savez que moi j'ai décidé de discuter avec les syndicats, de l'ensemble des carrières, des rémunérations, des parcours professionnels des fonctionnaires. Tout ça est à faire, parce que la Fonction publique est indispensable pour l'impartialité, la loyauté et la laïcité et peut-être que par rapport à votre premier sujet, le service public c'est aussi une question qui peut aider la France à échapper au pire.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, Marylise LEBRANCHU, vous êtes une proche de Martine AUBRY, est-ce qu'elle manque aujourd'hui au débat public ? Ses interventions sont si rares.
MARYLISE LEBRANCHU
Mais, elle ne manque pas au débat public, puisqu'elle a déposé une contribution et que j'entends qu'elle est très commentée depuis longtemps. Donc, son rôle, c'est effectivement de bien gérer Lille, ce qu'elle réussit, et c'est aussi, après une contribution, de participer à ce qui va s'ouvrir maintenant, c'est une période de congrès. Moi je veux un congrès sur le fond, je veux un congrès qui nous permette de façon très ouverte…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On en est encore là. On en est encore là dans le quinquennat, savoir ce que va penser, ce que va faire le PS, ce n'est pas en place tout ça, vous n'êtes pas d'accord en fait, vous êtes dans un gouvernement, vous êtes pas forcément avec le bon ADN, c'est ça ?
MARYLISE LEBRANCHU
Quand on est dans un gouvernement, il est important que le parti politique majoritaire, mais les autres qui nous accompagnent, au bout de deux ans se posent aussi des questions de fond, dans la mesure où on sent bien, moi je peux vous dire, j'ai un scoop, il y a 100 % des Français ne sont pas satisfaits aujourd'hui, voyez vous ?
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ça c'est un scoop.
MARYLISE LEBRANCHU
Donc, à partir de ce moment-là, moi je pense que ce congrès peut nous permettre, avec les militants et les sympathisants, peut nous permettre de faire d'autres propositions sur quelle société nous voulons. Et je reviens toujours au même sujet…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et ce n'est pas la bonne.
MARYLISE LEBRANCHU
… que le premier sujet que vous avez abordé, il y a trop de repli sur soi, il n'y a pas assez de collectif et il n'y a pas passe de confiance, entre les acteurs de ce pays.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Marylise LEBRANCHU, on la bien compris. Thierry MANDON, vous êtes d'accord avec lui ? Il dit qu'il faut absolument une primaire à gauche pour 2017. Vous êtes d'accord avec ça ? Est-ce que si le président sortant, François HOLLANDE, se représente, il doit passer par la primaire ? C'est une vraie question.
MARYLISE LEBRANCHU
Moi, très honnêtement, je dis que dans la situation d'aujourd'hui, le candidat c'est François HOLLANDE. Parce que si on commence, deux ans, avant, à déstabiliser un président de la République en disant qu'il est déjà candidat dans une… alors ça ne fonctionnera pas, rappelez-vous à chaque fois, et y compris d'ailleurs l'ancien président de la République, a eu à gérer le passage de président à candidat. François HOLLANDE est président, point…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il y a président et candidat et il y a…
MARYLISE LEBRANCHU
Il est président jusqu'en 2017 et je ne vois pas comment on pourrait faire autrement, que d'avoir François HOLLANDE candidat.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Un petit mot rapide. Si lui, dit, par exemple, demain ou après demain, surtout après demain, d'après ce que vous pensez « je suis candidat », pas de primaire, c'était pas question, primaire ou pas de primaire ?
MARYLISE LEBRANCHU
Moi je n'imagine pas aujourd'hui, je vous le dis franchement, comment on bâtit des primaires, sauf sur le point que disait Thierry MANDON, qui est de dire : il faut qu'il y ait des primaires, non pas au sein du Parti socialiste, mais avec la gauche, pour qu'il n'y ait pas trois ou quatre candidats de gauche au premier tour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci Marylise LEBRANCHU.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 novembre 2014