Déclaration de Mme Eisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le bilan de la mise en place et de la gestion de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), à l'Assemblée nationale le 26 juin 2001.

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Circonstance : Présentation en troisième lecture du projet de loi réformant l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), à l'Assemblée nationale le 26 juin 2001

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les députés,
Lors de la présentation de ce projet de loi, ici même, à l'Assemblée Nationale, je vous ai lu des lettres poignantes de personnes âgées, le plus souvent en situation de perte d'autonomie, de familles désorientées devant la charge que représente un père ou une mère âgée ne pouvant subvenir, seule, aux contraintes du quotidien. Je vous ai fait part des situations personnelles souvent dramatiques de ces personnes, pour lesquelles nos dispositifs d'aide sociale ne correspondent plus aux besoins d'aide et de soutien mais, au-delà, aux besoins de reconnaissance et de dignité que celles-ci sont en droit d'attendre de nous tous et de la société.
Depuis le début de ce débat parlementaire, avec Paulette Guinchard Kunstler, ensemble ou séparément, nous avons rencontré sur le terrain des personnes âgées, nous avons dialogué avec elles, celles vivant à leur domicile comme celles hébergées dans un établissement spécialisé ; nous avons écouté les associations, les directeurs d'établissements et les équipes médico-sociales.
Nous leur avons présenté les principaux objectifs du projet de loi et les conséquences sur la vie quotidienne que les personnes pouvaient en attendre.
Le constat et les enseignements que nous en dégageons convergent tous.
1. Premier constat : La prestation spécifique dépendance n'a pas été à la hauteur des attentes.
Insuffisante dans ces montants et restrictive dans ces conditions d'accès
- Au-dessus de 6000 F par mois de ressources, les personnes âgées voient leur droit considérablement diminuer pour s'éteindre au-delà de 10800 F par mois de revenus, environ.
Au 31 mars 2000, 123000 personnes, seulement, en bénéficiaient.
Le montant moyen de la prestation pour les personnes qui résident à domicile est d'environ 3400 F et de 1800 F en établissement, montant théorique moyen qui ne tient pas compte de la modulation en fonction des ressources qui joue pour plus de 20 % des bénéficiaires.
Inégalitaire sur tout le territoire national
- le montant moyen de la PSD versée pour une personne âgée à son domicile varie de 1374 F à 6414 F par mois, soit un rapport de 1 à 4,7.
Dans ces conditions, l'essentiel de l'effort de prise en charge repose sur les familles qui doivent subvenir financièrement aux dépenses provoquées par la perte d'autonomie et s'épuisent parfois physiquement et nerveusement lorsque la perte d'autonomie d'un de leur proche devient sévère.
Ce sont ces observations qui ont amené le gouvernement à changer fondamentalement les orientations de la PSD et à vous proposer de rompre avec une logique d'aide sociale et de faire intervenir la solidarité nationale pour la prise en charge de la perte d'autonomie.
2. Deuxième constat : La prestation d'autonomie personnalisée est nécessaire ; elle est souhaitée ; sa mise en uvre est attendue rapidement :
Les raisons en sont simples :
*Ce projet de loi crée un nouveau droit : le droit à l'autonomie, - le droit de pouvoir choisir à un certain âge, malgré la perte d'autonomie, la vie que l'on entend mener.
*Ce droit est universel, - il touche toutes les personnes âgées dont la perte d'autonomie le justifie.
*Ce droit est égal et objectif sur tout le territoire national.
*Ce droit est personnalisé, en fonction de la situation de chaque personne âgée.
Partageant les orientations fondamentales que je viens de rappeler, dépassant souvent les clivages partisans, vous avez apporté, mesdames et messieurs les députés, des améliorations notables au projet initial déposé par le gouvernement.
Je ne reviendrai pas, si ce n'est pour le déplorer, sur le vote de la question préalable des sénateurs en deuxième lecture. Cela est d'autant plus regrettable que des contacts directs s'étaient noués, qu'une volonté de dialogue avait pu être perçue par chacun, que de nouvelles propositions venaient d'être faites pour améliorer encore ce projet de loi.
De ces débats et des votes successifs intervenus à l'Assemblée Nationale, se dégagent trois apports importants :
- le financement,
- la gestion,
- la part entre solidarité nationale et action sociale.
1. En matière de financement :
Deux périodes restent bien individualisées : une période dite transitoire, celle de la montée en charge le l'APA (au cours des années 2002 et 2003, et une période dite de croisière dont le début a été estimé au 1er janvier 2004.
Après les débats en première lecture et les rencontres de concertation avec les élus (députés, sénateurs, présidents de conseils généraux), le gouvernement a précisé les modalités de mise en uvre des concours versés aux départements par le fonds de financement de l'APA :
- l'instauration d'une procédure de compensation par l'institution d'une clause de sauvegarde spécifique pour les départements qui seraient confrontés à une montée en charge nettement plus rapide que la moyenne des dépense nationales d'APA.
- l'abaissement d'un tiers du plafonnement de l'effort maximal à la charge des départements
- la réaffirmation, dans cet article de la loi, d'une clause de rendez-vous avant la fin des deux premiers exercices , articulée avec le processus d'évaluation globale. Pour préparer ce rendez-vous au mois de juin 2003, nous avons décidé que, dès la première année, nous pouvons, l'Etat et les départements, suivre et analyser régulièrement la montée en charge de l'APA. Cette concertation, préparatoire au rendez-vous fixé par la loi, sera précisée dans les décrets.
- Le gouvernement avait enfin déposé au sénat un amendement inscrivant dans la loi la pondération entre les critères socio-démographiques, le potentiel fiscal et le nombre de bénéficiaires du RMI.
- Si les sénateurs n'ont pas permis l'adoption de cet amendement, je vous confirme que cette pondération sera inscrite dans les décrets d'application.
Elle sera de :
- 70 % pour le poids des personnes âgées de plus de 75 ans ;
- 25 % pour le potentiel fiscal ;
- 5 % pour le poids des bénéficiaires du RMI.
Cette pondération permet une réelle péréquation en faveur des départements à forte population âgée et à potentiel fiscal faible. Les différentes simulations réalisées dans un cadre interministériel ont été présentées et discutées avec les représentants des départements de France.
Trois amendements ont enrichi le texte initial et améliorent la transparence en matière de financement :
La création d'un chapitre individualisé du budget du département retraçant les dépenses relatives à l'allocation personnalisée d'autonomie.
L'institution d'un conseil de surveillance du fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie où siègeront des représentants des deux assemblées, des départements, des usagers et des personnes qualifiées.
Le troisième amendement prévoit la transmission par le gouvernement d'un rapport au parlement chaque année. Le parlement disposera ainsi de toutes les informations nécessaires pour l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et pour le projet de loi des finances.
3. Deuxième apport important après les débats parlementaires. Il concerne plus particulièrement la gestion de l'APA.
La composition de la commission départementale instituée auprès du président du conseil général a été modifiée puisque n'y figure plus le représentant de l'Etat.
Après avoir entendu les représentants de l'association des départements de France, nous préciserons, dans les décrets, que cette commission présidée par le président du conseil général, sera majoritairement composée de représentants des conseils généraux.
Nous avions, par ailleurs, déposé au sénat un amendement visant à remplacer les mots " sur proposition " dans la phrase " l'allocation personnalisée d'autonomie est accordée par décision du conseil général et servie par le département sur proposition d'une commission " par les mots " après avis ", voulant par-là même, réaffirmer le caractère exclusivement consultatif de la commission. Les intentions du gouvernement sont sans équivoque.
Cela n'a pas pu être réalisé du fait de la procédure adoptée par les sénateurs.
C'est pourquoi je vous confirme que les décrets inscriront, dans la pratique, cette volonté.
Ils intégreront les propositions de Paulette Guinchard-Kunstler présentées lors de la deuxième lecture au sénat, sur les modalités de fonctionnement de cette commission : " Porter un regard collégial notamment sur les décisions individuelles sensibles, les révisions ou les suspensions de droits, ou celles pour lesquelles l'équipe médico-sociale aurait besoin d'une instance d'interprétation ".
Cette commission, en outre, permettra du fait de la participation de représentants des organismes de sécurité sociale, d'étudier, lorsque cela sera nécessaire, l'adjonction au plan d'aide individuel d'une aide relevant de l'action sociale des caisses.
Je ne reviendrai pas, si ce n'est pour m'en féliciter, sur l'amendement adopté prévoyant la mise en place d'un comité scientifique pour améliorer la grille sur laquelle repose l'évaluation de la perte d'autonomie. Ces travaux devraient nous amener à mettre en uvre une réflexion approfondie pour favoriser la convergence nécessaire des dispositifs de prise en charge des personnes en fonction du degré de perte d'autonomie, quelles qu'en soient les causes.
Je tiens à rappeler l'adoption, sur votre proposition, d'un amendement ouvrant la possibilité d'expérimenter le versement de l'APA sous forme de dotation globale pour les départements qui le souhaitent avec les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes, volontaires.
En matière de solidarité nationale
Lors du discours de présentation de la loi, j'avais invité la représentation nationale à débattre de cette question difficile du rôle respectif et du partage entre la solidarité familiale, qu'il faut maintenir, bien sûr, et la solidarité nationale.
Ce débat a eu lieu.
Vous avez décidé de supprimer le recouvrement des sommes servies au titre de l'APA sur les successions du bénéficiaire, sur le légataire ou sur le donataire.
Votre choix montre bien que cette allocation doit sortir d'une logique d'aide sociale pour entrer dans une logique de solidarité nationale.
En déposant ce projet de loi, le gouvernement a voulu apporter une réponse à la perte d'autonomie des personnes âgées en terme de risque social, en rupture avec la logique de la PSD. C'est pourquoi je m'en suis référée, alors, à la sagesse de votre assemblée, pour l'adoption de cet amendement.
Par contre, s'il est légitime, eu égard à cette suppression de ces recouvrements, de comptabiliser le patrimoine dans le calcul des ressources prises en compte pour l'allocation personnalisée d'autonomie, il importait, néanmoins, tant pour la prise en charge à domicile qu'en établissement, de ne pas pénaliser les solidarités familiales, comme les concours financiers apportés par les enfants pour les prises en charge nécessitées par la perte d'autonomie de leurs parents. De même, ne doivent pas entrer en compte, dans le calcul de la valeur du tiers payant à la charge de la personne âgée, certaines prestations sociales (prestations d'assurance maladie, allocation logement par exemple).
Ces deux amendements complémentaires, comme l'ensemble des modifications à partir desquelles nous avons, collectivement, enrichi ce projet de loi, concrétisent les choix gouvernementaux pour la mise en uvre des politiques sociales, celui de dynamiser le développement social au sein des politiques publiques par la mise en jeu équilibrée des différentes solidarités nationale, territoriale et familiale.
Venons en maintenant à l'échéancier qui va nous conduire au premier versement de l'allocation personnalisée d'autonomie, dès le premier trimestre de l'année 2002.
Tout au long de ce discours, je vous ai fait part du contenu des décrets, ainsi que je m'y étais engagée, au moins pour ce qui est de l'essentiel, comme pour le financement du fonds ou pour le mode de fonctionnement de la commission départementale.
Ces textes réglementaires sont de deux sortes :
- Celui qui fera état des financements de l'APA. Ce décret sera transmis au conseil d'Etat après l'avis du comité des finances locales et de la caisse nationale d'assurance vieillesse. Il sera publié dès l'avis rendu par le conseil d'Etat, au plus tard au cours du mois d'octobre 2001.
- Celui qui organisera la gestion de l'APA et la mise en uvre du dispositif général. Ce décret simple sera signé au cours du mois de septembre pour permettre à tous les conseils généraux de prendre les dispositions nécessaires à l'élaboration des plans d'aide, aux propositions de la commission et à la décision du président du conseil général de verser l'APA, dès le 1er janvier 2002.
- Ces deux décrets seront soumis, très rapidement, à la concertation des professionnels et vous seront transmis avant leur adoption par le gouvernement. Deux groupes de travail vont se mettre au travail dès cette semaine :
Celui sur les petites structures hébergeant des personnes âgées dont certaines en perte d'autonomie. Mme Paulette Guinchard Kunstler en a confié la présidence à monsieur Jean-Marie PALACH, inspecteur général des affaires sociales. Il est composé des représentants des responsables d'établissements, des élus et des associations de maintien à domicile. Ce groupe devra très rapidement donner son avis sur les seuils proposés en matière d'obligation de convention tripartite et de tarification. Il terminera ces travaux sur l'élaboration d'un cahier des charges nécessaire à la délivrance de prestations de qualité au sein de ces petites structures, au mois d'octobre 2001.
Celui sur les systèmes d'information à destination des conseils généraux, sur les documents nécessaires à la constitution d'un dossier pour une demande de l'APA. Ce groupe de travail, piloté par la direction générale de l'action sociale, comprendra des représentants des services des conseils généraux et des DDASS. Il sera techniquement épaulé par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, du ministère de l'Emploi et de la Solidarité.
Après le vote de la loi, les trois prochains mois vont permettre de terminer l'écriture des différents textes réglementaires et la concertation nécessaire à leur adoption.
Ceci permettra aux personnes âgées, dès le 1er décembre de cette année, d'avoir la possibilité de remplir leur dossier de demande d'obtention de l'APA, afin d'obtenir la prise en charge de leur plan d'aide au début de l'année prochaine.
Mesdames, messieurs les députés,
Nous arrivons au terme de ce débat parlementaire.
Une première étape, essentielle, va se terminer : celle de l'adoption d'un projet de loi signant une très grande avancée sociale.
L'enjeu est d'importance.
Aussi avons-nous décidé, Paulette Guinchard Kunstler et moi-même d'engager un véritable tour de France, dès le 1er octobre et pendant deux mois. Nous nous rendrons dans 11 inter-régions.
Nous organiserons une séance de travail avec les conseils généraux et les services de l'Etat, comme celle que je viens de tenir avec le conseil général du Vaucluse ou celle que nous tiendrons avec Paulette Guinchard-Kunstler, le 6 juillet, à Nîmes.
Ce tour de France sera consacré à la présentation de l'allocation personnalisée d'autonomie dans le champ plus vaste de la politique en faveur des personnes âgées que le gouvernement mène. Nous nous adresserons aux chefs d'établissements hébergeant des personnes âgées, aux associations gestionnaires et aux associations de maintien à domicile, aux équipes de gérontologie et de gériatrie, aux travailleurs sociaux et à leurs représentants.
Les personnes âgées, nous avons déjà eu l'occasion de le dire, veulent exercer librement leur mode de vie. Elles veulent participer pleinement à l'élaboration et à la prise de décision dans tous les champs les concernant.
Elles aspirent à une autonomie la plus large possible, c'est-à-dire à la capacité de vivre librement, à vivre selon leurs choix, à assumer elles-mêmes les modalités de leur existence.
Mais, au-delà de ces aspirations fondamentales, je vous engage, Mesdames et Messieurs les députés, à entendre les paroles de Simone de Beauvoir lorsque, dans son traité sur la vieillesse, elle nous exhorte ainsi :
" Cessons de tricher ; le sens de notre vie est en question dans l'avenir qui nous attend ; nous ne savons pas qui nous sommes, si nous ignorons qui nous serons : ce vieil homme, cette vieille femme, reconnaissons-nous, en eux.
Il le faut si nous voulons assumer dans sa totalité, notre condition humaine. "


(source http://www.social.gouv.fr, le 4 juillet 2001)