Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les enseignements de l'épizootie de fièvre aphteuse et de la crise de la vache folle et sur la situation de la filière laitière, Laval le 4 juillet 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée générale de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) à Laval le 4 juillet 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le représentant de la Commission européenne,
Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaite tout d'abord vous dire que je tenais particulièrement à être là aujourd'hui, aux côtés des producteurs et de nombreux autres acteurs de la filière laitière, à Laval. Je sais que ces derniers mois ont été particulièrement éprouvants pour vous tous et, plus particulièrement, pour ceux qui travaillent dans ce département et dans tous les périmètres qui ont connu les restrictions les plus sévères liées aux mesures sanitaires de lutte contre la fièvre aphteuse.
Je veux en premier lieu m'arrêter quelques instants sur le difficile épisode des crises, pour vous dire combien je suis conscient des efforts qui ont été faits, sur le terrain, pour que le virus de la fièvre aphteuse reste circonscrit dans les deux zones touchées. Tous les maillons de la filière lait se sont impliqués et ont "joué le jeu" en acceptant les mesures de restriction, en réorganisant la collecte ou en mettant en place un double traitement thermique. Je tiens à saluer ici la capacité montrée par la filière lait à s'organiser collectivement pour s'adapter aux mesures prises.
Grâce aux efforts de tous, et, en particulier, d'abord et avant tout par les professionnels de la Mayenne et de l'Orne auxquels je veux rendre un hommage particulier depuis le 23 juin, la France a retrouvé son statut de pays "indemne de fièvre aphteuse sans vaccination", conformément aux dispositions du code de l'Office International des Épizooties.
Je sais que les éleveurs et les industriels concernés sont impatients de voir aboutir maintenant le dossier des " indemnisations " et d'obtenir une compensation de l'ensemble des pertes. Je veux préciser d'emblée qu'il n'a jamais été dans l'intention du gouvernement, que ce soit dans cette crise ou à l'occasion d'autres crises, d'indemniser toutes les pertes au franc le franc. Aucun gouvernement ne pourrait d'ailleurs s'engager dans cette voie, qui serait insupportable pour le contribuable ou pour les autres catégories sociales qui verraient diminuer drastiquement les interventions de l'Etat en leur faveur. Notre approche se résume en 2 volets :
- aide d'urgence pour répondre aux difficultés de sortie des animaux hors des exploitations ;
- solidarité active en faveur des éleveurs et des opérateurs les plus touchés, et plus particulièrement lorsque leur pérennité serait menacée.
Une première enveloppe d'urgence de 30 MF a ainsi été dégagée en faveur de l'Orne et la Mayenne dès que ces deux départements ont été mis sous embargo. Le rôle de bouclier tenu, malgré eux, par ces deux départements et qui avait un impact lourd sur leur économie, justifiait en effet une mobilisation particulière de l'Etat en leur faveur. Depuis, d'autres mesures ont été prises, notamment pour les producteurs de lait cru, de lait biologique, de "laits spéciaux" ou de produits fermiers des cinq départements touchés, qui ont fait l'objet d'une circulaire spécifique il y a deux semaines. Pour les entreprises de l'aval des filières animales, qui reste je le reconnais, le maillon faible de notre dispositif, le gouvernement met en place une procédure d'examen au cas par cas, dont les conditions seront précisées cette semaine.
A ces mesures s'ajoute une série d'adaptations pour prendre en compte la crise de la fièvre aphteuse :
- à la demande de la France, la Commission européenne vient de décider de prolonger l'abattement de 20 % appliqué sur le chargement réel pour l'obtention des aides animales,
- la date limite de cessation d'activité laitière pour les éleveurs qui avaient échangés leur quotas avec d'autres droits à produire a été reportée à la sortie des mesures de restrictions (elle tombait le 1er avril)
- les arrêtés de fin de campagne laitière ont visé à limiter les pénalités dues par les éleveurs qui avaient dépassé leur quantité de référence, avec un effort particulier pour les éleveurs en-dessous de 100 000 l/an. Cela représente un équivalent /subvention significatif.
Au-delà de cette crise ponctuelle, nous devrons cependant nous interroger sur nos moyens de lutte contre la fièvre aphteuse ; l'abattage de nombreux animaux est-il nécessaire ? Devons-nous vacciner ? Ces questions ne doivent pas être des tabous et nous devons les examiner de façon sereine, avec à la fois les Etats membres de l'UE et les pays tiers qui sont nos partenaires. Nous ne pourrons revoir l'approche, celle que nous avons pratiqué cette année, en faisant abstraction des échanges d'animaux et de produits animaux avec les autres pays.
Monsieur le Président, vous m'avez également interpellé sur la crise des marchés de la viande bovine. Vous savez que le Gouvernement s'est fortement mobilisé pour l'adoption et la mise en uvre de mesures de gestion de marché. Je citerai pour exemple :
- la mise en œuvre, dès le début de la crise, et à la demande de la France, d'une mesure de stockage privé des viandes de vaches,
- l'adoption de mesures dérogatoires pour l'intervention publique sur les jeunes bovins,
- la large application du retrait-destruction, avec un barème d'indemnisation relativement favorable aux vaches laitières de moindre qualité bouchère, ce qui répondait à une demande de la profession laitière.
Sur ce dernier dispositif, vous parlez de " dysfonctionnements ". Le terme me paraît fort. La réalité est que toutes les capacités disponibles au niveau des équarrisseurs ont été utilisées, et les outils de congélation et stockage auquel nous aurions pu recourir ont finalement été mobilisés en priorité pour traiter les adjudications obtenues sur les broutards et jeunes bovins dans le cadre de l'intervention publique, cela d'ailleurs en accord avec les professionnels. Je crois au contraire que c'est dans le cas où nous aurions méconnu les contraintes pratiques qui s'imposaient à nous, si nous avions abattu des animaux pour des mesures de retrait de marché sans être en mesure de les traiter, qu'il aurait été possible de parler de dysfonctionnement. Au bilan, la France a fait entrer plus de 180 000 bovins dans le dispositif de retrait-destruction et quand je compare à ce qui s'est fait ailleurs, en Europe, nous n'avons pas à rougir de sa mise en œuvre.
Toujours en ce qui concerne la gestion des marchés, le Conseil des ministres vient d'adopter une série de mesures dont la principale est à mon avis l'augmentation du plafond pour l'intervention publique. Les autres mesures, qui visent à la maîtrise de la production, ne m'avaient pas réellement convaincu, mais il s'agissait, comme vous le savez, d'un paquet global, à prendre ou à laisser. Pour être clair : si, à ce Conseil je ne suis pas là pour soutenir la Commission et sa proposition de prolongement de l'intervention publique, il n'y avait pas de majorité. J'ai néanmoins obtenu que la baisse du plafond de chargement pour l'attribution des aides bovins soit progressive, avec une étape à 1,9 UGB/ha pour l'année prochaine. Je sais que la mesure qui vous intéresse tous, et dont l'efficacité est flagrante, serait un retrait des jeunes veaux. Malheureusement, en dépit de son efficacité évidente, cette mesure rencontre une forte opposition de la Commission et de plusieurs Etats membres, pour des raisons d'ordre éthique, qui sont peut-être discutables, mais qui existent et que nous ne pouvons ignorer.
En ce qui concerne les aides aux éleveurs, je rappelle que le gouvernement a mis en place dès novembre 2000 un plan d'urgence avec des aides à la trésorerie. Puis en février 2001, en l'absence dispositif de soutien communautaire, le gouvernement a décidé, comme il s'y était engagé, la mise en œuvre d'un dispositif national, incluant notamment une enveloppe de 1 milliards de francs d'aides directes pour les éleveurs bovins, au titre de la solidarité nationale. Vous regrettez bien sûr que les éleveurs spécialisés laitiers n'aient pas été favorisés par les modalités de répartition de ces aides définies au plan national. Je souhaite simplement rappeler que cette enveloppe, importante mais néanmoins limitée, devait être ciblée vers les éleveurs les plus touchés, les plus fragiles. Les éleveurs laitiers spécialisés, sans être exclus a priori, n'étaient donc pas en l'espèce dans notre " cœur de cible ". La gestion départementale a cependant permis des adaptations, prenant en compte les avis des professionnels, et je crois savoir que dans de nombreux départements, la marge de manœuvre a été largement utilisée pour pouvoir aider les éleveurs laitiers.
Pour boucler mon tour d'horizon sur les crises, je me dois bien sûr d'évoquer l'abattage total. Je souhaite aller dans le sens d'un assouplissement, mais cela doit être simple, compréhensible par tous, facile à contrôler sur le terrain, et donc basé sur un avis clair en terme d'évaluation des risques. Mes services procèdent actuellement à un examen approfondi des différentes options envisageables en fonction de l'avis de l'AFSSA et de leur faisabilité, en concertation avec les autres ministres concernés (vous savez que nous travaillons à 3), mais aussi avec les professionnels - vous serez bien sûr associés à cette réflexion - et, bien entendu, avec les consommateurs. Cette affaire apparaît d'ores et déjà bien plus compliquée que certains le disent. En tout état de cause, la décision du gouvernement ne saurait se traduire par un affaiblissement de la protection du consommateur, qui reste la priorité guidant nos actions.
Enfin pour finir, j'aborde la crise climatique, qui s'est ajoutée dans certaines zones à la crise de l'ESB et à celles de la fièvre aphteuse. J'ai demandé à la Commission européenne un assouplissement des règles relatives aux jachères pour répondre aux difficultés d'approvisionnement en fourrage. La Commission a autorisé que les terres déclarées en jachère puissent être utilisées à cette fin, dans les cas dûment justifiés, pour les exploitations dont 27 % au moins des superficies fourragères ont été inondées. Je sais que vous demandez une mesure plus large, mais il s'agit néanmoins d'un assouplissement appréciable.
J'en viens au secteur laitier proprement dit.
Sur le prix du lait. Cette année, tout le monde s'accorde pour dire que la conjoncture est bonne. Nous ne pouvons que nous en réjouir collectivement. En outre, les perspectives de marché sont positives à moyen terme. Il me semble donc qu'il faut éviter de sombrer dans le pessimisme et que nous devons considérer que le contexte laitier est favorable. Même s'il faut rester vigilant sur l'évolution des prix, l'accord interprofessionnel sur le prix du lait fonctionne bien, ce qui me paraît un gage de solidité pour l'avenir. J'ai d'ailleurs constaté que c'est l'interprofession laitière dans son ensemble qui fonctionne bien, dans un esprit de responsabilité et de solidarité et je m'en réjouis. Je crois savoir, Monsieur le Président, que vous y êtes peut-être pour quelque chose.
La gestion des quotas : l'importante sous-réalisation enregistrée lors de la campagne 2000/2001 me préoccupe, comme vous, même si certains la considère comme plutôt conjoncturelle (mauvaises conditions climatiques, problèmes d'alimentation des animaux gardés dans les élevages). J'ai demandé à l'ONILAIT de réactiver le groupe de travail "gestion des quotas laitiers" pour examiner cette question ; j'espère qu'il pourra apporter quelques éclairages sur le caractère structurel ou conjoncturel des sous-réalisations passées, ainsi que sur les mesures qu'il conviendrait de prendre. Je compte sur votre contribution à ce travail.
Sur les GAEC partiels, je me suis engagé à un aboutissement rapide de ce dossier, lors de votre dernière assemblée générale. Nous avons avancé, puisqu'un projet de décret a été rédigé en concertation avec les professionnels et présenté au Conseil de direction de l'ONILAIT. Je dois reconnaître que des difficultés juridiques ont cependant entraîné un retard dans la suite de la procédure. Je ferais tout mon possible pour que ces difficultés soient très prochainement levées, afin que nous puissions aboutir rapidement sur ce dossier, avec un dispositif applicable pour la prochaine campagne.
Sur les échanges de droits à produire : conformément à votre demande initiale, et avec l'accord de la Commission européenne, une expérience pilote d'échanges de quotas laitiers contre PMTVA avait été lancée sur quelques départements, en 1999-2000, dans le respect des règles liées aux OCM, et pour faciliter la spécialisation des élevages. L'initiative s'étant révélée positive, elle a été généralisée à tous les départements français dès la campagne 2000-01. Ce système d'échanges paraît apprécié du secteur et efficace sur le terrain. Pour autant, un accès des producteurs spécialisés à ce système nécessite un accord préalable de la Commission. Des contacts ont été pris avec la Commission à cette fin. Par ailleurs nous faisons actuellement le bilan de la campagne 2000-01, afin de préparer le dispositif 2002. Nous verrons à la rentrée s'il est possible d'envisager une évolution du dispositif.
Sur le lait cru : les services du ministère m'ont effectivement informé qu'une position unie des professionnels semblent émerger sur la définition du " lait cru ". Il s'agit de savoir si le lait qui a subi une microfiltration pourra se faire appeler " lait cru ", sachant que ce traitement n'est pas thermique mais a un effet sur la flore. Petit sujet en apparence, mais au fond un enjeu majeur pour la filière laitière française, à la fois sur le plan sanitaire et pour la spécificité des fromages au lait cru liés à un terroir. Une position unie des professionnels sera un atout pour défendre et promouvoir une position française, notamment au niveau du Codex alimentarius.
Sur le Contrat territorial d'exploitation : vous avez travaillé, avec mes services et ceux de l'ONILAIT, à un projet de CTE laitier collectif type. Je me réjouis que la filière se soit ainsi rassemblée pour contribuer à l'élaboration de ce projet. Le document final devrait pouvoir être diffusé courant juillet, après quelques améliorations visant à prendre en compte certaines remarques émises sur la version présentée en Conseil de direction de l'ONILAIT.
Je passe maintenant au sujet qui fait beaucoup parler et qui est naturellement au cœur de vos préoccupations : l'avenir des quotas laitiers. Vous savez tous que le prochain rendez-vous européen aura lieu en 2003, date de la clause de révision à mi-parcours, telle que prévue par Agenda 2000. Les dernières déclarations du Commissaire Fischler semblent laisser à penser que nous pourrions être amenés à discuter de l'avenir des quotas dès 2002. L'échéance est proche ! Néanmoins, j'ai le sentiment que la Commission n'est aujourd'hui plus aussi allante qu'il y a quelques mois sur cette question. L'impact financier des deux récentes crises sanitaires, ainsi que l'incertitude des positions des délégations (absence d'une majorité qualifiée au Conseil à ce jour), laissent à penser qu'une anticipation de l'échéance de 2008 devient très incertaine. Il faut cependant se préparer à affronter les thèses très libérales de certains partenaires européens, qui souhaitent un démantèlement rapide du régime des quotas laitiers. Le groupe de réflexion sur l'avenir des quotas, qui se réunira au sein de l'ONILAIT à la rentrée, aura pour mandat d'expertiser différents scénarios et de fournir une analyse des avantages et inconvénients de chacun d'eux. Ainsi, nous serons prêts lorsque débuteront les discussions au Conseil. Au niveau français, le bilan des quotas laitiers apparaît positif, à bien des égards : résorption des stocks de 1984, équilibre du marché, à moindre coût, soutien des revenus des producteurs, dynamisme de la filière, y compris à l'exportation, et enfin, contribution importante à l'aménagement du territoire, avec le maintien d'exploitations agricoles nombreuses et sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones difficiles ou intermédiaires. Bien entendu, la France a fait valoir ces éléments d'appréciation auprès de la Commission, qui réalise une évaluation de l'OCM lait et du régime des quotas laitiers.
Pour ma part, je plaiderai pour la continuité de ce régime, au-delà de 2008, tout en restant ouvert à d'éventuels aménagements ou assouplissements. Plaider pour la continuité pour l'OCM lait, c'est une manière de vous répondre, Monsieur le Président : je ne suis pas pour une rupture de la PAC et en particulier pas pour une destruction de son premier pilier comme le proposent les libéraux. S'agissant de l'élargissement aux PECOS, qui est en fait la première échéance concrète qui nous attend, puisque les négociations doivent être achevées au plus tard fin 2002, je ne souhaite pas un " élargissement au rabais ", avec un nivellement par le bas, tant au plan quantitatif que qualitatif. Je resterai vigilant sur la reprise effective de l'acquis communautaire par les PECOS, d'ici à leur adhésion.
Pour finir je veux dire un mot sur la communication. Je sais que vous avez discuté hier de la nécessité d'une communication visant à promouvoir le métier d'éleveur. Je suis sensible à cet objectif. Il est en effet indéniable que d'une part, un certain écart s'est instauré entre la vie au quotidien dans une exploitation agricole aujourd'hui et l'image (d'Epinal, si j'ose dire) que s'en font beaucoup de nos concitoyens, et d'autre part que les installations de jeunes agriculteurs ont diminué, ce qui manifeste un manque d'attirance pour le métier d'agriculteur parmi les jeunes générations. Je vous rejoins donc sur cette démarche. Une enveloppe de 4,5 MF a d'ailleurs été réservée, sur le budget de l'ONILAIT à des actions de promotion du métier d'éleveur laitier.
En ce qui concerne le fonds de communication prévu par la loi d'orientation agricole, je vous réponds clairement : lors de notre prochain rendez-vous, qui est fixé en juillet je crois, nous en parlerons et j'écouterai l'ensemble de vos propositions.
Pour conclure, Monsieur le Président, l'année laitière 2000/2001 a fait apparaître un bilan globalement positif. L'avenir exige que nous portions nos efforts tant sur la réflexion que sur l'action. Nous devons préparer des échéances importantes telles que l'élargissement, les discussions à mi-parcours sur l'OCM, la défense de notre modèle laitier, tant au sein de l'Union européenne à quinze et plus globalement, au plan international, en particulier à l'OMC. Sur tous ces chantiers, je sais pouvoir compter sur la collaboration de votre fédération et des producteurs qui la composent.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 5 juillet 2001)