Déclaration de M. Manuel Valls, Premier ministre, sur la sauvegarde des valeurs démocratiques, la coexistence entre les lois de la guerre et les justices pénales et le rôle de la diplomatie dans l'élaboration d'une stratégie antiterroriste mondiale, à Paris le 29 avril 2015.

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Circonstance : Clôture des rencontres internationales des magistrats antiterroristes à l'Institut des hautes études de la sécurité et de la justice (IHESJ), à l'Ecole militaire à Paris le 29 avril 2015

Texte intégral

Madame la Garde des sceaux,
Monsieur le ministre de l'Intérieur,
Monsieur le ministre de la Défense,
Monsieur le coordonnateur du terrorisme pour l'Union européenne [Gilles de KERCHOVE],
Madame la Présidente d'Eurojust, récemment réélue, bravo ! [Michèle CONINSX],
Madame la Présidente d'Interpol [Mireille BALESTRAZZI],
Mesdames, messieurs les procureurs généraux, procureurs, juges et directeurs qui représentez aujourd'hui trente-quatre Etats …
… aux côtés de vos collègues magistrats français, présents ici en nombre et que j'ai plaisir à saluer :
Monsieur le Premier président de la Cour de cassation,
Monsieur le Procureur général de Paris,
Monsieur le Procureur de la République de Paris,
Mesdames, messieurs les présidents, juges, procureurs généraux et procureurs de la République, magistrats,
Monsieur le secrétaire général,
Monsieur l'inspecteur général,
Mesdames, messieurs les directeurs et directrices des administrations et services centraux des ministères,
Monsieur le directeur de l'Institut national des hautes études sur la sécurité et la justice ;
Mesdames, messieurs ;
Je pense avoir ici accompli la partie la plus délicate de mon discours !
Au mois d'octobre dernier, j'étais déjà dans ce même amphithéâtre, pour le séminaire de rentrée des Instituts des Hautes Etudes pour la Défense Nationale et pour la Sécurité et la Justice.
Ce fut l'occasion de dire, une fois de plus, combien les enjeux nationaux et internationaux de sécurité, de défense et de justice étaient « une très grande responsabilité et une très grande exigence ».
De dire, aussi, combien « la réflexion sur l'anticipation de la menace, sur sa caractérisation, revêtait une importance stratégique ».
De dire, enfin, que lutter contre le terrorisme nécessitait du sang-froid, de la détermination, et de la méthode. En aucun cas, à aucun moment, nous ne devons renoncer à nos traditions juridiques, ni rompre l'équilibre entre les principes constitutionnels de l'ordre public et de préservation de nos libertés individuelles. Nous devons être implacables dans la lutte contre le terrorisme et implacables dans la sauvegarde des libertés qui fondent nos démocraties. Ces deux combats vont de pair.
Les démocraties – c'est leur grandeur – se battent en s'appuyant toujours sur la force du droit.
Depuis ce séminaire de rentrée d'octobre, la France a été frappée au coeur, les 7, 8 et 9 janvier.
En s'attaquant à un journal, en tuant des journalistes, on s'en est pris à la liberté d'expression.
En tuant deux policiers, les terroristes ont également contesté l'Etat de droit.
En tuant des Juifs parce qu'ils étaient juifs, ils ont voulu, enfin, tirer un trait catégorique sur cet idéal de tolérance et de respect qui est au coeur de nos sociétés démocratiques.
La France a traversé une des épreuves les plus redoutables de ces dernières décennies.
Et la France s'est levée. Elle n'était pas seule : 70 chefs d'Etat et de gouvernement, 120 pays et organisations sont venus marcher avec des millions de Français pour affirmer haut et fort les valeurs universelles qui nous rassemblent, et que nous devons défendre.
En somme, les mots que j'employais, ici, en octobre, dans ce même amphithéâtre valent plus encore aujourd'hui : responsabilité, méthode, détermination pour combattre le terrorisme, sur tous les continents. Sur tous les continents, et, c'est une certitude, pour de longues années. Nul doute : ce sera un combat de longue haleine.
Mesdames, messieurs les hauts magistrats,
Mesdames, messieurs,
Je tiens à vous remercier – vous tous qui, dans vos pays, dans vos domaines respectifs, exercez de si hautes responsabilités – d'être venus jusqu'ici, en France, à l'invitation de Christiane TAUBIRA.
Permettez-moi d'y voir comme un élan de solidarité supplémentaire, après cette grande manifestation du 11 janvier 2015.
Merci à vous, aussi, madame la Garde des sceaux, chère Christiane, de cette initiative. Elle était utile. Indispensable.
Merci à vous, enfin, monsieur le directeur de l'INHESJ. Je sais combien vous oeuvrez pour que la dimension judiciaire soit présente au sein de votre institut. Cette démarche contribue à renforcer l'efficacité et la cohérence de nos réponses sécuritaires.
Le terrorisme, vous et moi le savons bien, constitue une menace sans précédent. Une menace qui n'est bien sûr pas nouvelle.
Au cours des décennies passées, la France a souvent été visée, tout comme beaucoup d'autres nations en Europe, ou dans le monde.
L'attaque du 11 septembre 2001, par ses aspects logistiques, par son ampleur, a toutefois marqué un changement d'époque.
Le terrorisme a frappé à nouveau, sur le sol français, en mars 2012, avec les tueries de Mohammed MERAH, à Montauban et Toulouse (7 morts, 6 blessés).
En avril 2013, il y a eu l'attentat en plein marathon de Boston.
En mai 2014, c'est la Belgique qui a subi l'assaut meurtrier de Mehdi NEMMOUCHE au musée juif de Bruxelles.
Plus récemment l'Australie, le Canada, le Danemark, la Tunisie ont été frappées.
Mais, n'oublions pas l'attaque du 16 décembre 2014, à Peshawar, au Pakistan et ce carnage au cours duquel les talibans ont massacrés 150 personnes dont 134 enfants dans leur école. N'oublions pas non plus celle du 20 mars 2015, où 142 personnes ont été assassinées dans les mosquées chiites de Sanaa et Saada, au Yémen ; celle du 2 avril 2015, où les islamistes somaliens shebab ont assassiné 148 étudiants à Garissa au Kenya. Je pourrais encore citer ici les attentats de mars et avril au Mali.
En tout, depuis le début de l'année, ce sont plus de 30 attentats suicide perpétrés, partout dans le monde, et notamment en Afrique et au Levant, au nom d'une idéologie totalitaire s'appuyant sur une vision dévoyée de l'Islam. Parmi ceux-ci, sept Français sont morts en Syrie ou en Irak.
L'attentat déjoué dans la banlieue de Paris, il y a une semaine, montre que la menace terroriste est constante. Je veux d'ailleurs avoir, ici, une pensée pour la jeune femme qui a vraisemblablement été assassinée par l'individu impliqué dans ce projet terroriste. L'enquête judiciaire permettra de l'établir avec certitude. Cette affaire a souligné aussi, une fois de plus, combien les notions d'ennemis extérieur et intérieur se confondent. Car ce sont des Français qui font le choix du djihadisme en Irak et en Syrie avant de revenir combattre leur propre pays.
1 605 Français ou résidents en France sont actuellement recensés pour leur implication dans ces filières terroristes. Parmi ceux-ci, on estime que 445 se trouvent actuellement en Syrie. 99 y sont morts.
Jamais notre pays n'a eu à affronter un tel défi numérique en matière de terrorisme. C'est également le cas pour beaucoup de nos partenaires occidentaux. Pour y faire face, la réponse est bien évidemment judiciaire mais il est aussi indispensable d'agir en amont et de prévenir les phénomènes d'endoctrinement.
Depuis plus d'un an, la France met en oeuvre un plan de lutte contre la radicalisation, notamment en accompagnant les familles concernées. Mieux détecter les individus sans repères – en particulier les plus jeunes –, grâce à des dispositifs adaptés – plateforme téléphonique, sites internet dédié –, prendre en charge et réinsérer les individus radicalisés, lutter contre la diffusion de cette idéologie violente : tels sont nos objectifs.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Depuis un an, grâce à nos initiatives, près de 1900 signalements ont été reçus dont un quart concerne des mineurs et – fait notable – plus de 40% de jeunes femmes.
Ces individus jeunes qui sont signalés doivent faire l'objet d'un suivi. Nous devons aussi apprendre à mieux détecter les signes avant-coureurs de ces ruptures. Dans le cadre du plan de lutte contre la radicalisation, 2500 fonctionnaires de différents ministères sur tout le territoire ont d'ores et déjà été formés.
Toute action de déradicalisation doit s'inscrire dans une logique de proximité, au plus près du terrain. C'est la mission confiée aux préfets et aux procureurs qui, dans leur zone de compétence, sont chargés de coordonner l'action de l'ensemble des services concernés. Une priorité se dégage : accompagner les familles qui sont souvent démunies pour protéger leurs enfants et surtout les extraire des processus de radicalisation dans lesquels, de manière plus ou moins visibles, ils sont enfermés.
Mais nous devons aller encore plus loin et explorer de nouvelles pistes. C'est pourquoi, à la suite d'une proposition formulée par le ministre de l'Intérieur, une structure sera créée d'ici la fin de l'année afin de prendre en charge, sur la base du volontariat, des jeunes de retour de zones de conflit et ne faisant pas l'objet de poursuites judiciaires. Par un accompagnement individualisé, une prise en charge psychologique et un encadrement renforcé, ces jeunes devraient retrouver toute leur place dans notre société.
Le terrorisme c'est un défi ancien, mais un défi sans cesse renouvelé.
Notre monde change, et va continuer à changer de plus en plus vite. Internet et le développement fulgurant des réseaux sociaux, le déploiement massif des nouvelles technologies du numérique, l'explosion des moyens de communication et de transport, la dimension de plus en plus prégnante de la logique horizontale des réseaux par rapport à celle, verticale, des Etats, ont profondément modifié notre géographie sociale et politique.
Notre monde est, je le crois, à la croisée des chemins. Les responsables politiques sont en effet confrontés à un choix de modèle de gouvernance mondiale.
D'un côté : la mondialisation, qui pose comme préalable, la reconnaissance de la légitimité des systèmes de références politiques, juridiques, culturelles, incarnés généralement par les Etats. De l'autre : la globalisation, qui écrase et uniformise ces systèmes de références au profit d'un modèle dans lequel les relations sont fondées sur le seul calcul d'intérêt. A la logique verticale de l'Etat, se substitue de plus en plus la logique horizontale du réseau.
Ceci appelle notre vigilance, car la remise en cause de l'autorité et de l'idée même de l'Etat provoque l'émergence de nouvelles structures de pouvoir, fondées sur l'allégeance, où chacun recherche la protection du plus fort et l'adhésion des moins forts. Surtout, elle fait peser un risque : susciter le retour de puissants mouvements de ré-identification religieuse, ethnique, nationaliste ou régionaliste.
Nous sommes donc face à un choix lourd de conséquences qui, disons-le – pour employer des mots savants – touche à la structure anthropologique du pouvoir et des sociétés.
Cette transformation des modes d'exercice du pouvoir transforme aussi, bien évidemment – je dirais même mécaniquement – ses modes de contestation, et donc, parmi eux, les plus violents, les plus radicaux : le terrorisme.
En témoignent les deux idéaux-types du terroriste du 21ème siècle : le « cyber djihadiste nomade » et le « combattant étranger ». Le premier agit en empruntant les chemins tortueux de l'internet et des réseaux sociaux, usant même parfois de passages secrets difficilement repérables (TOR). Le second, parfois le même d'ailleurs, combat sur un terrain bien réel, mais étranger à son propre Etat, auquel il dénie, par ailleurs, toute légitimité. Ces deux types de terroristes se retrouvent toutefois dans une même appartenance à un ordre féodal et prétendument religieux, au sein de nébuleuses régionales que viennent alimenter les rangs toujours plus fournis des filières djihadistes.
Notre monde est donc touché par une nouvelle forme de terrorisme, globalisé, nomade, disposant d'une grande maîtrise technologique et fondé sur une stratégie guerrière visant à instaurer un nouvel ordre mondial « religieux ».
Jamais la coopération internationale, jamais la nécessité de partager nos intelligences, nos savoir-faire, n'ont été aussi cruciales.
Nous devons nous préparer – je le disais – à des combats longs et difficiles.
1) Premier combat : pour les valeurs démocratiques
Le premier, c'est bien entendu la sauvegarde des valeurs démocratiques, et notamment des libertés. L'institution judiciaire et plus largement l'Etat de droit sont donc en première ligne.
Je sais que vous avez abordé cette question lors de vos sept tables rondes. Je veux, ici, insister sur trois points.
Tout d'abord, la protection accrue des citoyens.
Nous connaissons tous, ici, la violence de certains sites ou de certains messages sur internet, autant que les processus d'auto-radicalisation qu'ils favorisent. La liberté d'expression, au coeur de nos systèmes démocratiques, ne doit jamais être confondue avec le fait de diffuser des messages appelant au terrorisme ou en faisant l'apologie. La liberté d'expression, ce n'est pas celle de tout dire impunément.
Aussi, je crois fermement, qu'au-delà des dispositions pénales ou administratives, nous devons en appeler à la responsabilité des partenaires privés de l'internet, pour mieux empêcher, mieux détecter, et mieux prévenir. C'est le sens de l'action conduite par la France. Elle a initié un partenariat appelé à se prolonger au niveau multilatéral. La réunion du G7 de juin prochain, en Allemagne, doit permettre à l'initiative du ministre de l'Intérieur, Bernard CAZENEUVE, d'avancer efficacement.
L'exercice de la liberté de circulation doit aussi être interrogé. La commissaire européenne à la Justice Vera JOUROVA évalue à 6000 le nombre d'Européens présents en Syrie et craint que le nombre de combattants étrangers n'atteignent le seuil de 10000 individus avant la fin de l'année. Ces combattants sont partis pour mener la lutte, pour tuer, mais ils reviennent aussi parfois, avec la ferme intention de frapper leur propre pays. Ce sont souvent de très jeunes adultes, parfois même des mineurs.
Certes, un tel phénomène doit nous inciter à nous poser les bonnes questions, à regarder en face l'état de nos jeunesses, à mieux répondre à une forme de désarroi. Mais, nous devons surtout, et avant tout, réfléchir – comme nous l'avons fait en France – à prendre chacun, au sein de notre législation nationale, toutes les dispositions utiles pour empêcher ces départs.
De même, il nous appartient désormais de surveiller les comportements suspects, les parcours révélateurs de risques lors de déplacements internationaux. Dans ce cadre, il est indispensable qu'un dispositif tel que le PNR, dont l'efficacité a été prouvée ailleurs, soit déployé en Europe le plus rapidement possible.
Le deuxième point, c'est de construire des pratiques permettant d'agir au plus près de l'intention criminelle, avant tout passage à l'acte.
Cette tâche exigeante revient avant tout à nos services de renseignement.
La loi sur le renseignement, actuellement débattue au Parlement français, s'attache à préserver un juste équilibre entre la protection des personnes vis-à-vis notamment de la menace terroriste, et la protection les libertés garanties par la Constitution. Les services de renseignement doivent donc pouvoir recourir à certaines techniques intrusives – géolocalisation des personnes en temps réel, intrusion informatique, sonorisation … – mais à la condition, bien entendu, de prévoir un encadrement juridique clair, un contrôle juridictionnel rigoureux, une intervention du juge pénal dès que c'est nécessaire.
Déceler l'intention criminelle est une tâche qui incombe également à la justice.
En France, depuis la loi anti-terroriste du 13 novembre 2014, une personne isolée projetant de commettre un crime terroriste peut être appréhendée dès lors qu'elle est détectée, avant le passage à l'acte. Cette loi crée en effet le délit d'entreprise individuelle terroriste. C'était une avancée souhaitée par de nombreux praticiens de la justice pénale. Ils ont d'ailleurs aidé à la construction de cette nouvelle infraction en veillant au respect des principes fondamentaux du droit pénal.
Faisons leur confiance, désormais, pour étudier à quelles conditions un renseignement peut devenir une preuve admissible. Confiance, également, pour articuler les méthodes du renseignement avec celles de l'enquête judiciaire, tout en protégeant les garanties de la procédure pénale : principe du contradictoire – toutes les parties doivent être entendues, droits de la défense, présomption d'innocence. Je sais que vous en avez débattu et je serai très attentif à vos conclusions.
Le troisième point, c'est d'empêcher les réseaux de crime organisé et les réseaux terroristes de s'unir contre les sociétés démocratiques.
Le schéma actuel est simple : les premiers organisent des trafics – d'êtres humains, d'armes, d'hydrocarbures, de stupéfiants, … – dont les deuxièmes profitent. Internet a dans ce domaine démultiplié les possibilités.
La faiblesse des Etats, parfois même leur effondrement, la porosité des frontières et l'absence de contrôle font le lit des trafics mafieux et du terrorisme djihadiste autant que de leurs ententes criminelles.
Vos débats d'hier après-midi témoignent de votre détermination à intégrer cette dimension essentielle de la lutte contre le terrorisme. Beaucoup a d'ailleurs été fait depuis l'adoption de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme par l'Assemblée générale des Nations unies, le 9 décembre 1999.
Mais nous devons aller plus loin. Car, si des mouvements comme Al-Qaïda ou Boko Haram ouvraient déjà la voie, jamais un mouvement n'avait disposé d'autant de moyens financiers et militaires que Daech aujourd'hui.
Nous devons aller plus loin, car on estime que 500 000 migrants seront bientôt rassemblés sur les plages libyennes pour fuir la guerre – ils seront aux mains des trafiquants d'êtres humains et potentiellement infiltrés par des terroristes. Le drame de la semaine dernière en Méditerranée – devenue en quelques instants le tombeau de plus de 700 hommes, femmes et enfants – a révélé le cynisme de ces trafiquants et l'horreur qu'ils monnayent.
Ces réseaux criminels de passeurs vont amplifier leurs activités, dans des conditions de plus en plus périlleuses pour la survie même des migrants. Nous devons l'empêcher et nous devons l'empêcher maintenant.
La France s'inscrit donc pleinement dans les orientations arrêtées par le Conseil européen extraordinaire du 24 avril dernier. Nous allons notamment renforcer notre présence en mer en triplant les fonds alloués à Frontex pour les opérations Triton et Poséidon en 2015 et 2016.
Pour lutter plus durement contre les trafiquants, nous allons également accroître l'échange d'informations opérationnelles en coopération avec les agences, notamment Frontex, Europol et Eurojust. Nous allons aussi renforcer la coopération avec les pays tiers en matière d'information et d'action policière. Il s'agit désormais de priver les trafiquants des moyens de se livrer à leurs activités, et donc d'identifier et détruire les embarcations servant au trafic de migrants. Les modalités d'une éventuelle opération de sécurité et de défense communes sont à l'étude – et devront naturellement respecter le droit international.
Nous devons enfin prévenir les flux migratoires illégaux. Cela suppose de renforcer les liens avec les pays d'origine et de transit, tant pour les aider à contrôler leurs frontières que pour soutenir leurs projets de développement. Ce sera l'enjeu d'une réunion entre l'Union européenne et l'Union Africaine qui se tiendra d'ici l'été, à Malte, et qui permettra d'agir ensemble – pour répondre aux urgences, mais aussi pour élaborer des solutions durables.
Cette action est nécessaire et urgente – même si bien sûr, elle ne clôt pas la question de la Libye et de la disparition de son Etat.
2) Le combat pour la paix
Ce risque d'effondrement des Etats est accru par l'affaiblissement des normes internationales et de la gouvernance mondiale. Et pourtant, nous devons mener la guerre contre le terrorisme. Partout dans le monde.
C'est le second combat que je voulais évoquer avec vous aujourd'hui : le long combat pour la paix qui passe, parfois, nous le savons, par la guerre.
La France a pris ses responsabilités et mène des opérations militaires de contre-terrorisme sur plusieurs théâtres. Nos forces armées sont engagées en Irak, au Sahel, en Centrafrique … Et je veux témoigner ici de notre reconnaissance envers tous les soldats engagés pour défendre les valeurs de la démocratie et de la République.
Nous ne pouvons lutter contre le terrorisme qu'à une échelle internationale. Tous les pays concernés, les organisations régionales et l'ensemble de la communauté internationale doivent se mobiliser.
Il sera pour cela nécessaire de continuer à définir des modes de coopération entre les lois de la guerre et nos justices pénales – cette coopération est au demeurant déjà satisfaisante avec la justice pénale internationale. Pour cela, des rencontres telles que celle qui nous réunit aujourd'hui sont nécessaires et elles nous permettent d'avancer, d'élaborer des principes communs. Les armées, par exemple, doivent bien entendu concourir à l'enquête judiciaire – mais gardons à l'esprit que nos soldats sont d'abord des soldats.
Je voudrais d'ailleurs revenir sur un point précis – je sais que vous en avez débattu ce matin : en situation de conflit armé, le terroriste a le statut de délinquant, mais aussi celui de combattant. Il a donc dès lors accepté le risque de mourir.
3) Le combat pour la diplomatie
Enfin, le troisième combat que nous devons mener, c'est celui de la diplomatie. Celui de la coopération des Etats face à l'émergence de ces menaces non-étatiques, transfrontalières, qui touchent tous les continents.
Cette coopération est d'abord européenne. L'UE dispose de moyens d'action solides : ce sont notamment le système d'information Schengen et le mandat d'arrêt européen. Nous devons aller encore plus loin, mettre en oeuvre de nouveaux outils à la disposition de nos services – comme le PNR européen que j'évoquais précédemment.
Les Etats membres de l'ONU et le Conseil de sécurité agissent quant à eux depuis 2006 dans le cadre de la stratégie antiterroriste mondiale. Ils ont pris des mesures concrètes pour sanctionner les terroristes et entraver leurs activités : gel des avoirs, interdiction de voyager, interdiction de toute transaction commerciale avec Daech et Al-Qaida…
En complément de ces mesures répressives incontournables, nous devons apporter une réponse inclusive et durable. Le 17 mars dernier, la France a pris l'initiative de réunir les ministres de l'Education des Etats membres de l'Union européenne, afin de rappeler à quel point il est important de former la jeunesse pour lutter contre l'obscurantisme et le terrorisme. Et la semaine dernière encore, un débat était organisé à l'Assemblée générale des Nations unies sur la recherche de solutions pacifiques pour lutter contre l'extrémisme violent.
Mesdames, messieurs,
Je voudrais profiter de cette occasion pour saluer l'engagement de la juridiction anti-terroriste parisienne, du parquet jusqu'aux juges d'application des peines en passant par les juges d'instruction, les juges des libertés et de la détention, les magistrats du siège et tous les fonctionnaires. Notre modèle d'organisation judiciaire, centralisé, spécialisé et intégré, fait ses preuves depuis 1986. Et chacun a reconnu l'investissement de notre magistrature pour faire face à la tragédie de janvier 2015.
Alors oui, la menace est là. Mais nos forces de sécurité et la justice sont là aussi. Elles font face.
Leur vigilance et leur professionnalisme ont prouvé leur efficacité encore la semaine dernière, avec l'arrestation de Sid Ahmed GHLAM.
Je voudrais saluer également l'action inlassable des organisations internationales, celle d'EUROJUST, du CODEXTER, du coordonnateur européen, de l'ONU bien sûr qui, résolution après résolution, organise le bouclier juridique de l'Etat de droit.
Je connais aussi votre engagement à tous dans la coopération internationale, et je voudrais saluer votre inventivité et votre souci constant d'efficacité. La création d'un groupe de coopération judiciaire quadripartite, ou d'une plate-forme d'entraide judiciaire au Sahel, en témoignent – vous en avez parlé hier. Et ce ne sont que des exemples parmi d'autres.
Alors, ne cédons pas à la peur. Nous savons traverser les épreuves car nous savons rester unis.
Votre présence pendant trois jours en France, mesdames et messieurs, représentants de la magistrature, des forces de sécurité et de défense nationales, témoigne de la capacité de nos démocraties à organiser une résistance – malgré les tentations extrémistes, malgré les différences de nos systèmes juridiques, politiques et culturels – pour préserver partout l'Etat de droit.
Car le droit continental et la common law dont vous avez parlé avant-hier sont les deux branches d'une même tradition juridique occidentale fondée sur la distinction entre le droit et la théologie.
Ce combat pour l'Etat de droit a été un combat de longue haleine … Et il doit se poursuivre aujourd'hui. Car comme le souligne un de nos grands juristes français, Alain SUPIOT, professeur au collège de France, « l'Etat de droit et le gouvernement par les lois n'ont rien d'intemporel ni d'universel et ont déjà subi de sévères attaques en occident même ».
Alors, mesdames et messieurs, notre quatrième combat, après celui pour les libertés, pour la paix, pour la diplomatie, c'est le combat pour la pensée, une pensée capable d'éclairer les enjeux auxquels notre monde est confronté, une pensée capable de répondre aux interrogations de nos concitoyens, une pensée en action, vigilante et alerte ! C'est le travail des chercheurs, dont vous souligniez l'importance en ouvrant ce séminaire. Et c'est notre travail, notre responsabilité à tous.
C'est donc avec un vif intérêt que je prendrai connaissance des conclusions de vos travaux.
Et vous pouvez compter sur mon engagement pour que ces échanges se poursuivent l'année prochaine, dans une autre partie du monde, avec un autre pays ami. Mais toujours au service d'une pensée judiciaire de combat !
Je vous remercie.
Source http://www.inhesj.fr, le 21 mai 2015