Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la situation économique et le bilan de la politique gouvernementale, Paris le 7 janvier 1994.

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Circonstance : Présentation des voeux à la presse, le 7 janvier 1994

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je souhaite présenter mes voeux les meilleurs pour 1994, pour vous, pour les vôtres, pour tous ceux qui vous sont chers.
Je voudrais aussi vous remercier d'être ici aujourd'hui. Vous exercez un métier difficile, vous avez le devoir de rechercher l'information, de l'analyser, de la commenter; d'une certaine manière, comme les hommes portiques, vous êtes soumis au feu et à la critique du public. Comme eux, vous cherchez à comprendre et à interpréter les événements.
Aujourd'hui l'année 1993 est achevée. Ce fut une année faite de contrastes, avec des satisfactions mais aussi des déceptions :
- satisfaction politique d'abord pour la majorité qui a connu un grand succès, jetant ainsi les bases d'une nouvelle cohabitation qui, jusqu'à aujourd'hui s'est bien déroulée ;
- réconfort, parce que nous avons réussi à enrayer la récession économique, ce qui est la condition indispensable à notre redémarrage ;
- réconfort, parce que nous avons réussi à engager le processus de maîtrise des finances publiques : voté à 317 Mds F, le collectif budgétaire a été exécuté à 317 Mds F ;
- réconfort, parce que les Français tout au long de cette année nous ont fait confiance, et que cette confiance, lis l'ont manifestée en particulier en faisant de l'emprunt du mois de juillet, le plus grand succès de l'histoire financière française ;
- réconfort, parce que nous avons jeté les bases de la politique qui permettra le sauvetage de la protection sociale à la française : je rappelle à cette occasion que pour la première fois depuis de très longues années, un gouvernement a osé s'attaquer aux problèmes de nos retraites.
- réconfort enfin, devant les succès diplomatiques de notre pays :
- l'adoption par la Communauté et la reconnaissance par les Etats-Unis de l'importance de la proposition française de Pacte de stabilité pour le continent européen ;
- la sauvegarde du Système Monétaire Européen alors que beaucoup doutait que cela fût possible ;
- le succès des thèses françaises dans les très longues et très difficiles (et j'allais dire mai engagées). négociations du GATT.
Mais ce fut une année contrastée. Elle a également eu son lot de déceptions :
- déception d'abord de constater que la crise économique était plus profonde encore que nous ne le croyions à notre arrivée ;
- déception d'une reprise plus lente que prévue ;
- déception de constater, en particulier. avec quelle rapidité le déficit de l'assurance malade se creusait ;
- déception enfin, de constater que le chômage, même si nous sommes parvenus au deuxième semestre à ralentir sa progression par rapport au rythme que nous avions hérité au premier semestre, continuait de progresser.
Cependant, un sentiment domine : celui que l'autorité de l'État a été restaurée, que le gouvernement s'est attaché au redressement sans se laisser aller à aucune autre préoccupation, et qu'il travaille exclusivement pour le bien public et dans l'intérêt de tous les Français sans exception.
L'année 1994 s'ouvre devant nous. Je l'aborde ancré et renforcé dans un certain nombre de convictions :
- conviction, d'abord, de l'importance pour notre pays d'une politique de réforme. Dès avril 1993 la volonté de réforme a inspiré toute l'action du gouvernement que ce soit en matière de sécurité, de contrôle de l'immigration, de protection sociale, d'adaptation de notre Constitution, de fiscalité, d'économie. C'est la volonté de trouver des remèdes aux maux dont souffre notre société qui a été la nôtre. Cette politique de réformes, elle a été conduite avec résolution, avec hardiesse, et je crois pouvoir le dire, sans faiblesse. Elle continuera à inspirer notre action en 1994, dans des domaines tels que la famille, la protection sociale, l'emploi, la formation, l'aménagement du territoire, la modernisation de notre défense.
Mais si je suis renforcé dans ma conviction qu'il faut à la France des réformes, je suis également renforcé dans le serment que le rythme et la manière dont sont préparées et présentées ces réformes sont essentiels.
Je ne ferai rien qui puisse fragiliser davantage le tissu social de la France. Je suis attaché à un certain équilibre et je pense que l'adhésion du plus grand nombre doit toujours être recherchée. C'est dans l'intérêt de tous que nous agissons, spécialement des plus faibles et de plus vulnérables.
Je suis également renforcé dans ma conviction que l'action du gouvernement doit être placée sous le signe de la tolérance : notre pays, nos concitoyens sont confrontés à de très nombreuses difficultés personnelles, familiales, sociales ou économiques. Il n'est pas utile, je crois, d'y surajouter, dans un but dont on s'aperçoit trop souvent qu'il est politique, de fausses querelles. Certes, le rôle de l'opposition est de s'opposer, mais gardons-nous collectivement de vouloir rallumer des combats dont notre pays sortirait affaibli.
J'ai voulu, parce que c'était juste, j'ai voulu que soit réformée la loi FALLOUX, une loi vieille de plus de cent quarante quatre années. Cette réforme doit permettre aux collectivités locales, lorsqu'elles l'estiment nécessaire, d'apporter leur aide aux associations (dont je rappelle naturellement qu'elles sont à but non lucratif !) qui gèrent des écoles libres sous contrat. C'était chose faite depuis le début du siècle pour l'enseignement professionnel, c'était chose faite plus récemment pour l'enseignement agricole. II convenait de compléter le dispositif et de mettre fin à une bizarrerie du système juridique français qui permettrait aux collectivités locales de subventionner toutes sortes d'associations, de toutes natures à l'exception de celles qui concourent à la formation de la jeunesse.
Mais naturellement et je rejoins là l'esprit de tolérance, il ne fait pas que cette possibilité d'aider les écoles libres puisse nuire à l'enseignement public. J'ai donc décidé la mise en place d'une Commission, présidée par M. SCHLERET, Député de la Meurthe et Moselle et ancien Président d'une fédération de parents d'élèves de l'enseignement public. Cette Commission établira l'état des besoins du secteur public et privé, en matière de sécurité, établira la liste des priorités et donnera un avis sur l'attribution des aides pour les établissements publics en faveur desquels, j'ai décidé que seront engagés 500 millions de francs par an, pendant cinq ans.
En somme, ne pas ressusciter d'affrontements inutiles ne signifie pas qu'il faille se résigner à l'inaction ou à l'injustice. N'utilisons pas l'école, qui est le bien de tous, et en premier lieu celui de nos enfants, comme une arme d'un combat idéologique dépassé. L'esprit de laïcité, c'est-à-dire de tolérance, c'est cela : le respect des légitimes aspirations de chacun.
Je suis également renforcé dans ma conviction de la nécessité de l'effort. Cet effort, il sera peut être plus dur et plus long que nous ne le pensions :
- il nous faut, et c'est l'une des priorités du gouvernement, rétablir les comptes sociaux et, en particulier, ceux de l'assurance maladie dont l'équilibre est gravement compromis.
Je suis personnellement attaché à la Sécurité sociale ; je suis convaincu que sans elle, notre tissu social ne résisterait pas un instant au choc de la crise. Je suis donc décidé à prendre toutes les mesures mêmes les plus difficiles, qui seront nécessaires à garantir sa pérennité.
- Des efforts également pour s'attaquer avec une vigueur renouvelée aux problèmes du chômage. Sur ses conséquences sociales dramatiques, tout a été dit. Quel objectif peut, en la matière, se fixer le gouvernement pour 1994 ? Naturellement pas la fin rapide du chômage ; j'ai fondé mon action sur la vérité. Mais je l'ai aussi fondée sur le refus de la résignation ; le chômage n'est pas inéluctable. Notre objectif pour 1994 est de tout faire pour en stopper le développement.
L'effort n'est pas incompatible avec l'espérance. Je crois pour ma part qu'il est possible et raisonnable de renouer avec l'espoir. Le rôle international de la France n'est plus contesté par personne ; l'unité de l'Europe est, grâce à elle , reconstituée ; l'économie de notre pays n'est plus, depuis quelques semaines, en récession ; l'année 1994 doit être celle où les Français reprennent confiance en eux et en leur pays et retrouvent foi dans l'avenir. Mon message est un message de conviction, d'effort et d'espérance.
Vous me permettrez une conclusion personnelle : je n'ignore pas que 1994 sera suivi de 1995 et qu'en 1995 iI y aura, pour la France, un rendez-vous très important, les élections présidentielles.
Que personne n'en doute : quelles que soient les contraintes que font peser sur l'action du gouvernement les échéances électorales, j'ai bien l'intention d'exercer mes fonctions dans leur plénitude et d'assumer mes responsabilités de chef du gouvernement.
Responsabilité quant à la sécurité de nos concitoyens. Celle-ci sera assurée sur le plan intérieur, comme sur le plan extérieur, avec toute la rigueur nécessaire.
Toujours l'intérêt national l'inspirera comme il l'a inspiré dans l'année qui vient de s'écouler. Je pense aux décisions que nous avons prises sur la proposition du Ministre de l'Intérieur, qu'il s'agisse des mesures prises contre certaines organisations terroristes ou, plus récemment, d'expulsion.
Responsabilité quant aux objectifs que j'ai moi-même fixés, je veux parler de remploi. C'est une bataille que j'entends mener personnellement, quel qu'en soit le risque. C'est la raison pour laquelle je réunirai un Comité de politique économique le 18 janvier 1994, puis un Comité spécialement consacré à l'emploi le 25 janvier 1994.
La société française ne sera pas réformée sans la consultation et la coopération de tous. C'est mon intime conviction depuis bien longtemps. C'est pourquoi, j'ai tenu à réunir les organisations syndicales et patronales à deux reprises pour un très large tour d'horizon au mois d'avril, dès ma prise de fonctions, et au mois de septembre. Ce dialogue social est indispensable à la bonne marche de la France. C'est ce dialogue qui a permis de régler des questions aussi difficiles et sensibles que l'UNEDIC ou l'ASF.
Avant la fin février, je réunirai à nouveau les organisations patronales et syndicales d'une part pour faire le point de la situation de notre pays et d'autre part pour vérifier l'application de la loi quinquennale sur l'emploi dont la mise en oeuvre d'une dizaine d'articles prévoit justement une négociation préalable.
Les principaux d'entre eux concernent la modulation annuelle de la durée du travail, le financement du temps réduit indemnisé de longue durée, la négociation sur les systèmes de formation des jeunes en alternance.
Je souhaite donc, que très vite, les partenaires sociaux se mettent au travail.
J'ai signé, dès hier, une lettre à l'ensemble des organisations pour les informer de ce calendrier.
Responsabilité s'agissant d'un débat aussi sensible, aussi complexe. aussi difficile que celui de la bioéthique. Comme il aurait été commode pour le gouvernement d'attendre quelques mois pour s'abstenir de légiférer dans ce domine où se rencontrent la morale et les progrès de la science ! Je ne l'ai pas voulu, car c'est maintenant qu'il convenait de préciser ce que l'on peut faire et ce qui n'est pas acceptable au regard de la dignité humaine.
Responsabilité enfin sur le plan politique : la France a besoin de rassemblement sans exclusive pour croire en l'avenir. Le gouvernement a besoin de sérénité pour travailler au redressement du pays, la majorité a besoin d'union pour répondre à l'attente de nos compatriotes.
Rassemblement, sérénité, union : voilà ma réponse à tous ceux qui voudraient entraîner notre pays dans des querelles politiciennes. Ma seule tâche, en 1994, c'est d'assurer le redressement de la France.
C'est dans cet esprit que je souhaite que la majorité se retrouve sur une liste commune pour les élections européennes, liste à laquelle, à la réflexion, il me semble qu'il est préférable que les membres du gouvernement ne participent pas.
C'est également dans cet esprit que j'ai demandé à chacun ou gouvernement de s'abstenir d'évoquer, d'ici la fin de l'année, en termes de choix des personnes les prochaines élections présidentielles.
C'est toujours dans le même esprit que je souhaite que les différents responsables de la majorité fassent preuve de la même retenue. La France vit une période difficile de son histoire ; elle a besoin de calme, de cohésion et d'effort.
Mesdames et Messieurs, j'ai profondément confiance dans la capacité qu'a notre pays à se redresser. C'est avec toute la force de ma conviction cire je mène la politique approuvée par une très large majorité du Parlement que je remercie de son soutien. Je commence cette année 1994 avec résolution et sérénité.
A tous Bonne Année.