Déclaration de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, sur le projet de loi de modernisation sociale, notamment les licenciements économiques, le renforcement de la protection sociale et la validation des acquis de l'expérience professionnelle, Sénat le 26 juin 2001.

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Circonstance : Deuxième lecture du projet de loi de modernisation sociale au Sénat le 26 juin 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame et messieurs les rapporteurs,
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
Depuis la première lecture de ce projet de loi de " modernisation sociale " devant votre assemblée, il est indéniable que ce texte a gagné en considération. Souvent traité de " fourre-tout " sans contenu politique majeur, le voilà à présent sous les feux de l'actualité en particulier pour les dispositions relatives à la prévention des licenciements économiques.
Ce sujet important avait déjà fait l'objet, dès la première lecture, de débats très riches et de propositions essentielles sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants. Mais les graves questions soulevées depuis lors par l'annonce concomitante de nombreux plans de restructuration entraînant des projets de licenciements massifs, ont mis en avant le souhait du Parlement et du Gouvernement de compléter encore notre législation.
C'est précisément ce que ma collègue Élisabeth GUIGOU avait entrepris lors de la première lecture au Sénat à partir du 25 avril, après avoir été auditionnée par la commission des affaires sociales de 1'Assemblée nationale. C'est également la raison pour laquelle le Gouvernement a levé l'urgence qui avait été déclarée sur ce texte lors de la première lecture, afin de permettre un débat approfondi et constructif. C'est enfin la motivation du délai de deux semaines accordé à l'Assemblée nationale pour adopter, après une seconde délibération constructive, ce texte en deuxième lecture.
Le Gouvernement n'a donc pas ménagé ses efforts pour que ce texte soit débattu dans les meilleures conditions possibles, même si le volume constitué par les articles restant encore en discussion est impressionnant. Il a également démontré détermination pour que ce texte réponde le plus fidèlement possible aux objectifs qui lui étaient assignés en voulant faire uvre de " modernisation sociale ".
C'est ainsi que ce projet de loi comporte de nombreuses réponses aux attentes des Français, dans le domaine de la protection de leur santé, dans le renforcement de la solidarité à l'égard des plus fragiles d'entre eux, dans l'amélioration des relations de travail et des conditions de travail.
Je pense bien entendu aux acquis considérables déjà débattus et votés lors des
précédentes lectures :
- l'abrogation de la loi Thomas sur les fonds de pension, pour préserver la place de notre régime de retraites par répartition,
- la reconnaissance et la définition de moyens de prévention du harcèlement moral au travail,
- la lutte contre le recours abusif au travail précaire,
- la validation des acquis de l'expérience professionnelle pour permettre à un grand nombre de salariés d'enrichir leur parcours professionnel,
- la création d'un statut des accueillants familiaux, pour mieux contrôler l'accueil des personnes âgées ou handicapées et pour améliorer les droits sociaux des familles accueillantes,
- la réforme des études médicales pour renforcer la place de la médecine générale, qui deviendra une spécialité à part entière soumise au même régime de formation que les autres spécialités,
- le renforcement de la protection sociale des français de l'étranger, pour permettre à nos concitoyens expatriés qui ont des revenus modestes de bénéficier d'une meilleure couverture maladie,
- la mise en uvre du protocole du 14 mars 2000 pour l'amélioration du fonctionnement de l'hôpital public, grâce notamment à l'instauration d'un projet social au sein de chaque établissement, et à la possibilité offerte au personnel de la fonction publique hospitalière de bénéficier d'un bilan de compétences.
Je suis persuadée que chacun mesure ici la portée de ces avancées sociales, pour ce qu'elles apportent comme services publics à l'usager, à la dignité de la personne et du salarié, à la promotion sociale et à la défense de notre modèle social. Certains de ces progrès incontestables, qui répondent bien souvent à des engagements de la majorité plurielle qui soutient le Gouvernement, seront certainement modifiés voire supprimés par votre assemblée. Le Gouvernement sera bien entendu vigilant, dans la discussion des articles, au respect de l'esprit et de la lettre des dispositions qui ont été votées par la majorité de l'Assemblée nationale.
J'ai été informée du souhait de votre commission de ne pas avoir à débattre dès cette semaine des dispositions relatives aux licenciements économiques. Vous avez préféré, monsieur le président, organiser jeudi des auditions avec les partenaires sociaux, avant de vous prononcer sur le fond des dispositions proposées et adoptées par le Gouvernement et la majorité qui le soutient à I"Assemblée nationale.
Le Gouvernement n'a pas souhaité faire entrave à votre démarche en imposant à votre assemblée de siéger jusqu'au terme de la session afin de clore l'examen de ce texte en deuxième lecture. En cela, il reste fidèle à la méthode qu'il a employée avec votre assemblée sur ce sujet avec la levée de l'urgence ou l'audition exceptionnelle d'Élisabeth GUIGOU le 25 avril dernier...
Je doute cependant que les éléments que vous recueillerez, notamment auprès des organisations syndicales, à supposer d'ailleurs qu'il s'agisse de critiques quant au bienfondé des mesures contenues dans ce texte, viennent conforter votre position de fond sur le sujet, telle que vous l'aviez exprimée lors de la première lecture.
Vous avez donc souhaité un report de la discussion de ces articles, ce qui renvoie le débat à l'ouverture de la session d'octobre. Je comprends l'émotion exprimée par les groupes de la gauche sénatoriale, mais je tiens à les rassurer quant au fait que ces dispositions seront adoptées comme prévu au mois de novembre prochain, ce report ne modifiant rien au calendrier d'adoption définitive du texte. Vous me permettrez néanmoins, au nom du Gouvernement, de m'exprimer dès à présent sur le contenu de ces mesures.
Cette question touche à la fois aux fondements de notre système économique et social, et à la résolution des contradictions qui peuvent apparaître entre l'intérêt des détenteurs des entreprises et celui des salariées.
Il n'est pas contestable que les logiques de marché, de concurrence, d'évolution de la demande doivent être prises en compte. Mais la cohésion de notre société impose que les stratégies d'entreprises visent effectivement à la préservation et au développement de la compétitivité, profitable à l'emploi et aux salariés, et non à une pure logique de rentabilité au seul profit des actionnaires.
L'Etat a donc un rôle à jouer pour arbitrer cette contradiction. Il doit le faire dans l'intérêt de la préservation de l'emploi, sans créer pour autant des conditions défavorables à l'adaptation des entreprises et à leur développement. C'est à ce titre que, depuis quelques mois, le Gouvernement est fortement interpellé par les plans sociaux spectaculaires annoncés par quelques grandes entreprises.
Je voudrais rappeler tout d'abord que les licenciements économiques sont quotidiens, qu'ils touchent très majoritairement les salariés de PME, et que malgré cela, le chômage n'a cessé de baisser depuis 1997, dans une large mesure grâce à l'action du Gouvernement.
Dès l'annonce des plans sociaux qui ont fait la une de l'actualité, le Gouvernement a tout d'abord marqué sa compréhension et sa solidarité avec les salariés. La situation dans laquelle ils sont placés est d'autant plus difficile à admettre que la croissance économique est là, que les bénéfices des entreprises atteignent parfois des niveaux exceptionnels, et que la capitalisation boursière, il y a peu encore, battait jour après jour ses propres records.
Ces salariés ont contribué de façon déterminante au redressement économique par leurs efforts et leur engagement au service de la restauration de la performance de leurs entreprises. Il comprennent d'autant moins que la sécurité de l'emploi ne leur soit pas enfin garantie, surtout quand leur entreprise est profitable.
C'est un drame que de perdre son emploi. Tout doit être fait pour éviter de telles situations, et, lorsqu'elles se présentent, tout doit être tenté pour assurer des reclassements, afin que le plan social entraîne au final le moins de chômeurs possibles.
C'est le sens des propositions du Gouvernement pour améliorer la protection des salariés, telles qu'ont été adoptées et améliorées par l'Assemblée nationale. Le texte tel qu'il vous est proposé aujourd'hui n'évacue pas pour autant le langage de responsabilité que tient le Gouvernement sur ce sujet. Il ne propose pas des évolutions du droit qui, soit feraient illusion, soit handicaperaient les entreprises françaises sur le plan du droit social par rapport à leurs homologues dans l'espace économique européen. Lors des débats à l'Assemblée nationale il a tenu à cet équilibre et l'a fait respecter.
La philosophie du Gouvernement en la matière, c'est que ni la loi ni l'Etat ne doivent décider de la gestion des entreprises à la place de leurs responsables. C'est à ces derniers qu'appartient la responsabilité d'assurer le développement des entreprises et leur compétitivité dans l'intérêt tout à la fois des actionnaires et des salariés. C'est pourquoi il n'est pas question de revenir à l'autorisation administrative des licenciements, directement ou indirectement. D'ailleurs, j'observe que plus personne ne la réclame parce que l'expérience a montré qu'elle n'empêchait pas de licencier dans la quasi totalité des cas, et parce qu'elle dédouanait le chef d'entreprise de sa responsabilité.
Le Gouvernement a rejeté les propositions de ceux qui estimaient, par voie de conséquence, qu'il devrait appartenir au juge de statuer sur la légitimité des projets de licenciements, en appréciant leur justification économique lorsque une divergence de vue s'exprime entre la direction de l'entreprise et les représentants du personnel. J'observe d'abord que le juge dispose déjà de compétences très larges et qu'il contrôle efficacement la réalité du motif économique - plusieurs arrêts rendus par la Cour de Cassation dans la jurisprudence la plus récente confirment cette vigilance. Mais le Gouvernement ne souhaite pas que l'on confie au juge le soin de prendre les décisions de gestion à la place des chefs d'entreprise. Notre Constitution protège la liberté de commerce et d'industrie. La liberté d'entreprendre doit se concilier avec d'autres principes à valeur constitutionnelle comme le droit à l'emploi.
C'est pourquoi le Gouvernement est convaincu que la limitation du pouvoir de gestion de l'employeur ne peut résulter que du principe de démocratisation de cette gestion, à l'intérieur même de l'entreprise. C'est ainsi que le constituant de 1946 l'a voulu, et c'est ainsi que l'évolution du droit des relations de travail l'a institué depuis lors, de façon d'ailleurs cohérente dans l'ensemble des pays de l'Union Européenne. Il convient de soumettre les choix économiques du chef d'entreprise au débat contradictoire avec les salariés et leurs représentants. Ce sont eux qui, si on leur en donne les moyens, sont les mieux à même de contrôler la gestion de l'entreprise, de faire des propositions alternatives et de peser pour orienter les décisions dans le respect du droit de l'emploi.
C'est l'option retenue depuis cinquante ans et elle reste celle du Gouvernement. C'est le choix de la responsabilité et de l'efficacité. De façon continue en effet, le droit du travail n'a cessé d'étendre le droit des représentants du personnel et, à travers eux des salariés, d'être informés et consultés sur tout ce qui concerne la gestion, l'organisation et la marche de l'entreprise.
Cette évolution s'est faite par apport conjoint de la négociation interprofessionnelle et de la loi avec des étapes marquantes en 1986 et 1989. Les syndicats eux-mêmes ont acquis le droit de s'organiser dans l'entreprise et d'y négocier. Pour tenir leur rôle de force de proposition critique, ils bénéficient de l'appui de l'administration du travail et du juge.
La même évolution est en cours au sein de l'Union Européenne et l'apport de la directive sur l'information et la consultation des travailleurs, après celle sur les comités de groupes européens, sera déterminant.
Une étape déterminante pourrait être franchie en organisant la participation directe des représentants des salariés aux instances de direction des entreprises. C'est un chantier que le Gouvernement entend ouvrir dans les prochains jours, en complément aux dispositions de ce projet de loi. Ce chantier appelle une redéfinition de notre conception de la démocratie sociale, à laquelle le Parlement sera bien évidemment associée. Sur ce sujet, madame Élisabeth GUIGOU fera des propositions dans quelques jours.
Dans l'immédiat, le projet de loi qui vous est soumis comporte déjà des avancées considérables pour la protection des salariés :
* il étend déjà la responsabilité sociale des chefs d'entreprise en matière de licenciements économiques dans une proportion bien supérieure à ce qui avait cours jusqu'ici ;
* et il renforce de façon conséquente les droits et les pouvoirs des salariés et de leurs représentants, pour faire valoir une logique plus respectueuse de l'emploi, avant même toute décision de restructurer.
Permettez-moi quelques rappels des avancées déjà acquises après la deuxième lecture de ce texte par l'Assemblée nationale :
* avant toute annonce publique ayant des incidences sur l'emploi, le chef d'entreprise doit informer préalablement les représentants du personnel ;
* avant même de leur présenter un projet de licenciement, il doit les informer et les consulter sur le plan de restructuration lui-même, et mettre ce plan en discussion dans le cadre d'une procédure renforcée ; cette discussion est menée à partir d'une confrontation critique des positions en cause qui s'appuie sur l'expert comptable du comité d'entreprise ;
* avant même d'envisager des licenciements, l'entreprise doit négocier un accord sur les 35 heures ; elle doit tout faire pour former, adapter les compétences des salariés, les reclasser à des postes équivalents dans l'entreprise ou le groupe ; elle doit chercher toute alternative possible à l'ajustement des effectifs, notamment en réduisant les heures supplémentaires récurrentes ;
* enfin, si les licenciements ne peuvent être évités, le plan de sauvegarde de l'emploi est renforcé notamment par un congé de reclassement de 9 mois, et un doublement du montant de l'indemnité légale de licenciement ;
* en dernier lieu, la qualité de ce plan est contrôlée par l'inspecteur du travail et le juge ; s'il est invalidé pour insuffisance, les licenciements prononcés sont déclarés nuls.
Telles étaient les dispositions adoptées à la fin de la deuxième lecture par l'Assemblée nationale. Mais en dépit de ces apports très importants, il subsistait un débat sur deux points essentiels :
* celui de la définition légale du licenciement économique et de son étendue ;
* et celui qui concerne le mode de résolution des divergences d'appréciation entre l'employeur et les représentants du personnel, sur la nécessité de supprimer ou non des emplois.
C'est au regard de ce débat persistant, dont je reconnais qu'il animait exclusivement la majorité puisque l'opposition demeurait silencieuse sur ce sujet, que le Gouvernement a décidé de demander une seconde délibération sur la base de nouvelles propositions. Celles-ci ont été acceptées après avoir été amendées de façon substantielle, mais sans remettre en cause la logique qui est celle du Gouvernement et que je vous ai exposée tout à l'heure.
Ces nouvelles propositions reposent sur une modification de l'article L 321-1 du Code du travail qui définit le licenciement économique, et sur la nature du contre-pouvoir dont dispose le comité d'entreprise face au projet de l'employeur, avec notamment l'intervention d'un médiateur, lorsqu'un compromis n'a pu être trouvé entre les parties.
1 Sur la définition du licenciement économique :
Lors de l'examen du projet de loi, tant en première qu'en deuxième lecture, le Gouvernement avait plaidé pour que l'on préserve une définition suffisamment large du licenciement économique. Non pas bien évidemment pour favoriser les licenciements, mais parce que l'article L 321-1 est un article conçu dès l'origine pour " qualifier " le licenciement économique, dans le but de soumettre les cas de rupture du contrat de travail qui le nécessitent, aux procédures protectrices : contrôle des représentants du personnel et plan de sauvegarde de l'emploi.
Le juge s'est déjà solidement appuyé sur cette définition pour fonder sa jurisprudence, plutôt favorable aux salariés. Mais le Gouvernement ne peut cependant ignorer que, en dépit de cette définition prévue par le Code du travail, les licenciements économiques sont encore trop souvent utilisés comme une facilité par certaines entreprises. Qu'ils constituent, pour certains employeurs et actionnaires peu scrupuleux de la protection de l'emploi, une simple " variable d'ajustement ".
C'est pourquoi le Gouvernement a proposé à l'Assemblée nationale une modification de la définition, proposition elle-même amendée par le groupe communiste avec le soutien du Gouvernement.
Cette nouvelle définition inscrite à l'article L321.1 du Code du travail supprime l'adverbe "notamment" qui, par son imprécision, laisse entendre aux employeurs que toute circonstance économique rend possibles les licenciements. Si ce n'est évidemment pas le cas, encore faut-il le signifier par la substitution à cet adverbe d'une formule plus précise. C'est à cette volonté que répondent les termes adoptés sur proposition du groupe communiste.
Avec cette nouvelle définition, l'employeur devra démontrer encore plus fortement qu'auparavant la cause économique réelle et sérieuse qui le conduit à proposer des licenciements. Elle aura une portée juridique d'autant plus importante que, comme il faut le rappeler, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de Cassation fait depuis longtemps une interprétation limitative des circonstances économiques justificatrice des licenciements en les mettant en balance avec un autre principe général : celui de la stabilité de l'emploi, qui est la déclinaison du droit à l'emploi figurant dans le préambule de la Constitution de 1946.
Le Gouvernement se félicite de l'accord qui a ainsi été trouvé avec la majorité de l'Assemblée nationale.
2. S'agissant des pouvoirs des représentants du personnel pour faire valoir leurs alternatives au projet de l'employeur.
J'ai rappelé tout à l'heure tout ce qui a été d'ores et déjà fait pour cela. Faut-il faire davantage pour rééquilibrer un rapport de forces, il est vrai trop souvent inégal ?
Le Gouvernement est décidé à aller encore plus loin, en donnant au comité d'entreprise le droit de contester le projet de restructuration du chef d'entreprise et de proposer des alternatives. C'est également dans cette logique qu'il propose la saisine d'un médiateur lorsque la ou les contre-propositions du comité d'entreprise ne sont pas prises en compte.
L'intervention d'un expert, neutre, choisi sur une liste arrêtée par le ministre chargé du travail sera, j'en suis sûre, déterminante. Elle permettra d'élever le débat sur l'opportunité de la restructuration et ses effets sur l'emploi. Elle permettra de sortir de situations de blocage lorsque les deux parties ne seront pas parvenues à s'entendre entre elles, ou même et surtout peut-être quand l'employeur n'aura pas vraiment pris le soin d'expertiser les contre-propositions des représentants du personnel.
La recommandation de l'expert, sans retirer au chef d'entreprise sa responsabilité, sera un acte public à portée véritable, entourée de l'officialisation qui se justifie dans ces circonstances : en direction des organes dirigeants de l'entreprise et vis à vis de l'administration du travail.
Gardons-nous de porter un jugement hâtif sur cette réforme. Bien des exemples chez nos partenaires européens (je pense à la Belgique ou à l'Allemagne) montrent que cette tierce intervention est efficace. Pourquoi le serait-elle moins chez nous ?
Tels sont, mesdames et messieurs les sénateurs, les importants compléments au droit que nous sommes en train d'élaborer, pour mieux prévenir les licenciements économiques et lutter contre leurs conséquences humaines et sociales toujours dramatiques.
Je pense que le Gouvernement propose ainsi une première issue positive au débat qui s'est à juste titre poursuivi ces dernières semaines, et qu'il répond aux attentes des salariés dont l'emploi est menacé par des projets de restructuration. Les mesures que nous vous proposons d'adopter sont fortes, protectrices du droit à l'emploi, mais aussi respectueuses de la responsabilité des partenaires sociaux dans les entreprises, à qui il revient de trouver les solutions de conciliation entre les nécessités de restructuration et le respect des droits sociaux. Cette recherche de l'équilibre des pouvoirs et des obligations a animé le Gouvernement ; cet objectif est à présent pleinement satisfait au regard du résultat obtenu.
D'autres mesures fortes viendront compléter ce dispositif de prévention des licenciements, notamment en matière de lutte contre la précarité des emplois. Le débat en première lecture avait déjà permis de décider un nombre conséquent d'avancées :
- augmentation de la prime de précarité versée au salarié en fin de CDD (ce montant, qui est de 6 % aujourd'hui, sera aligné sur celui qui est versé en fin d'intérim, soit 10 %) ;
- modification du mode de calcul du délai de carence entre deux contrats pour exclure le week-end de ce calcul ;
- renforcement des sanctions pénales en cas de non-respect du principe d'égalité de rémunération entre salarié sous contrat temporaire et salarié sous CDI sur le même poste de travail ;
- possibilité pour le salarié sous CDD ou en mission d'intérim de rompre le contrat s'il justifie d'une embauche en CDI ;
- information des travailleurs en CDD ou en intérim, par le chef d'entreprise, de la liste des postes sous CDI de l'entreprise lorsqu'un tel dispositif existe dans l'entreprise pour les salariés sous CDD.
À ces mesures, qui constituent déjà des progrès importants au bénéfice des salariés précaires, le Gouvernement a proposé en deuxième lecture à l'Assemblée nationale d'ajouter la mise en place d'un droit d'alerte du comité d'entreprise ou à défaut des délégués du personnel en cas de recours abusif au travail précaire ; ce droit d'alerte pourra déboucher sur l'obligation faite à 1'employeur, sur notification de l'inspecteur du travail, d'élaborer un plan de résorption de la précarité.
Un autre sujet important a été intégré puis enrichi par la vole d'amendements parlementaires au cours de la navette : je veux bien entendu parler du harcèlement moral au travail. Il s'agit d'un thème douloureux et complexe. Je me félicite d'ailleurs de la qualité des débats que nous avons eus ici même comme à l'Assemblée nationale. Nous avons travaillé progressivement, en introduisant d'abord une définition puis, notamment en s'appuyant sur les travaux du Conseil Economique et Social, en se dotant de moyens de prévention et de sanctions. Ce travail mérite encore certainement d'être approfondi. Je crois que nous aurons au final franchi une étape importante et déterminante pour l'amélioration des conditions de travail d'un nombre important de nos concitoyens.
S'agissant de la formation professionnelle, et plus particulièrement de la validation des acquis de l'expérience, les travaux des deux assemblées permettent de disposer aujourd'hui d'un texte quasi stabilisé sur les points les plus importants. Le Gouvernement, pour sa part, ne vous propose qu'un seul amendement de cohérence rédactionnelle entre les dispositions générales de l'article 41 et celles de l'article 42 qui sont spécifiques aux enseignements supérieurs.
Pour ce qui concerne l'apprentissage, votre assemblée a adopté en première lecture plusieurs amendements visant à renforcer le système de péréquation pour assurer un minimum de ressources à chaque CFA. Je ne les rappellerai pas. Ma collègue Nicole PERY a pris l'engagement devant l'assemblée générale des chambres de métiers, de publier prochainement un arrêté fixant un montant minimum provisoire de ressources pour les CFA.
Je reprends devant vous et en son nom cet engagement : l'arrêté sera publié dès la promulgation de la loi, après consultation du comité de coordination des programmes régionaux d'apprentissage et de formation professionnelle continue. Ce montant provisoire minimum de ressources devrait être nettement supérieur à 2 000 . Il permettra aux CFA les moins bien dotés de préparer leur budget 2002 sur des bases revalorisées. Si nécessaire, le taux du fonds national de péréquation sera relevé afin d'en assurer le financement.
J'en viens à présent aux dispositions du titre 1. Je veux souligner une nouvelle fois les avancées importantes que comporte ce texte et souligner les points sur lesquels, j'en suis certaine, le texte s'enrichit et s'enrichira de nos débats.
Pour l'hôpital tout d'abord, le Gouvernement tient les engagements qu'il a pris à l'égard des personnels de la fonction publique hospitalière en créant par la loi l'obligation, pour chaque établissement public de santé, de disposer d'un projet social inscrit dans le projet d'établissement. Sur votre proposition en première lecture, cette obligation s'appliquera également aux établissements de santé privés participant à l'exécution du service public hospitalier, puisque l'Assemblée nationale en est d'accord.
L'Assemblée nationale a souhaité améliorer et compléter les propositions du Sénat pour faciliter la coopération hospitalière. Les dispositions proposées répondent effectivement sur le terrain à la nécessité de mieux organiser la réponse aux besoins de la population.
S'assurer que les praticiens et les personnels hospitaliers exercent leur métier dans un environnement favorable pour ce qui est de leurs conditions de travail, de leur formation ou de leurs qualifications, est un volet essentiel de la modernisation de l'hôpital et, partant, de la qualité des soins prodigués aux malades.
La réforme des études médicales fait de la médecine générale une spécialité médicale à part entière. Tous les étudiants ayant validé leur 2ème cycle accéderont à l'internat, à travers un nouveau concours. Je me félicite de l'accord des deux assemblées sur cette réforme, qui est très attendue de la communauté médicale, donnant ainsi à l'ensemble des praticiens, y compris les médecins généralistes, un niveau de formation élevé.
Ainsi, comme prévu, après avoir réformé les 2ème et 3ème cycles, le Gouvernement s'attellera à la réforme du 1er cycle, qui cette fois concernera l'ensemble des professionnels de santé.
Ce sont également nos dispositifs de solidarité nationale qu'il faut adapter et compléter pour répondre aux enjeux sociaux d'aujourd'hui.
Quelques dispositions concernent des personnes dont l'accès aux soins est difficile. Je pense tout d'abord à l'article concernant nos compatriotes résidant à l'étranger. Cet article 8 comporte, parmi ses dispositions principales, la création d'un tarif préférentiel grâce auquel nos compatriotes expatriés dont les revenus sont modestes pourront adhérer à la Caisse des Français de l'Etranger, et ainsi bénéficier d'une couverture maladie de qualité. À l'initiative de sénateurs de tous les bancs de la Haute assemblée, le dispositif avait déjà été enrichi ; l'Assemblée nationale a donné son accord au texte issu de la première lecture, sous réserve d'une modification de pure forme.
Pour ce qui concerne la réforme du contentieux technique de la sécurité sociale, le Sénat avait souhaité que le contentieux de l'incapacité de première instance soit traité par des tribunaux du contentieux de l'incapacité, et non par des commissions régionales, comme l'avait initialement proposé le Gouvernement. Le Parlement ayant exprimé une position unanime sur ce point, le Gouvernement se range à cet avis.
L'article relatif à l'accueil familial des personnes âgées et handicapées est encore en discussion. Cet accueil est une alternative précieuse au maintien à domicile, qui n'est pas toujours possible, et à l'hébergement en établissement, qui n'est pas toujours désiré par, les personnes concernées. L'article 14 du projet de loi renforce considérablement les droits sociaux des familles accueillantes, notamment en garantissant le bénéfice de congés payés et en fixant au niveau du SMIC la rémunération minimale. Il assure également aux personnes âgées ou handicapées les conditions d'un accueil de qualité, en précisant les conditions de l'agrément des familles et de son renouvellement.
Lors de la première lecture, le Gouvernement avait donné son accord au Sénat pour compléter les dispositions du présent article en ouvrant la possibilité aux personnes morales de droit public ou de droit privé gérant des institutions sociales et médicosociales de passer, avec l'accord du Conseil Général, des contrats de travail, distincts du contrat d'accueil, avec des personnes accueillant des personnes âgées ou handicapées. Ceci ayant été accepté par l'Assemblée nationale, cet article important pourra j'en suis sûre être voté conforme par votre assemblée, sous réserve d'une modification formelle proposée par vos collègues députés.
Enfin, je voudrais regretter que le Sénat se refuse à suivre le Gouvernement sur l'abrogation de la loi THOMAS sur les fonds de pension. Une fois encore, le Gouvernement entend réaffirmer son attachement à notre système de retraite par répartition, qui est fondé sur les principes de solidarité entre tous les Français et entre les générations. C'est pourquoi il s'opposera une nouvelle fois à la suppression de 1'article abrogeant la loi Thomas, souhaitant que cette position soit définitivement validée par le Parlement.
Voilà, mesdames et messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais dire en ouverture de cette seconde lecture du projet de loi de modernisation sociale. J'avais beaucoup insisté, dès la première lecture, sur le contenu très politique de ce texte, contre les accusations de " fourre-tout " qui étaient adressées au Gouvernement.
Au contraire et plus que jamais, je veux dire que ce projet de loi est un " tout ", dont les dispositions sont attendues par de nombreux acteurs sociaux, parce qu'elles créent de nouveaux droits, améliorent la qualité de certains services ou protègent les droits des salariés.
L'actualité démontre à présent le niveau d'exigence qui pèse sur notre débat. Je crois que le Gouvernement a fait preuve de responsabilité en vous faisant des propositions très fortes pour répondre aux attentes qui se sont exprimées ces dernières semaines. Je ne désespère pas que votre assemblée pourra suivre le Gouvernement pour faire aboutir un certain nombre de ces réformes attendues de modernisation sociale, car ce sont des progrès qui sont à partager.
Je vous remercie.
(source http://www.travail.gouv.fr, le 5 juillet 2001)