Texte intégral
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Lorsqu'avec Marylise Lebranchu, nous avons lancé ces journées justice et ville, nous poursuivions deux objectifs : ouvrir plus largement la justice sur la ville et mobiliser davantage la société civile pour la justice.
C'est au travers de ces deux axes que ce sont déroulées les journées préparatoires sur les thémes qui vous ont été rappelés par Jacques Faget.
Sans prétendre à une quelconque exhaustivité, je voudrais aujourd'hui, avec vous, tirer quelques conclusions de ces travaux, dresser les priorités pour l'avenir et vous donner, avec le ministère de la justice, les moyens nécessaires à leur mise en uvre.
Ces journées doivent constituer une nouvelle étape de la politique judiciaire de la ville et je voudrais aujourd'hui insister sur trois axes principaux :
- Tout d'abord, vos travaux ont montré toute l'importance qu'il fallait accorder au développement d'une culture du droit ;
- En deuxième lieu, je crois que nous devons aujourd'hui promouvoir une justice qui répare, une justice qui restaure chacun dans ses droits et sa dignité ;
- Enfin, je veux favoriser une justice mobilisatrice de la société civile, qui ne soit pas retranchée sur les seules compétences professionnelles.
Ces orientations s'insèrent dans le contexte général de la politique que je mène depuis trois ans. Tout d'abord, des moyens considérables sont affectés pour reconquérir les territoires les plus dégradés de nos villes. Les 50 grands projets de ville et 30 opérations de renouvellement urbain permettront de modifier en profondeur le cadre de vie des habitants.
Ils donneront aussi tout son sens et sa portée à la politique d'animation globale menée sur les territoires prioritaires, dans le cadre des contrats de ville. Politique sociale, mobilisation des adultes relais, opérations de prévention "Ville, Vie, Vacances", développement de l'activité économique et de l'emploi dans les quartiers, lutte contre les discriminations, accès aux soins pour les habitants des quartiers, prévention de l'échec scolaire par la mise en place d'une veille éducative : tel est le cadre général de la politique de la ville à partir duquel nous pouvons développer une politique judiciaire de la ville, pour répondre aux besoins de droit, de justice et de sécurité de nos concitoyens.
1 - Développer une véritable culture du droit, vous l'avez souligné, constitue un enjeu fondamental de notre société démocratique.
Première étape, bien sûr : l'accès au droit. L'accès au droit est encore insuffisamment développé, tous les besoins ne sont pas couverts, loin de là ; d'autant que bien souvent, ces besoins sont cachés ou ne s'expriment pas, surtout dans les quartiers populaires.
Connaître ses droits et surtout savoir comment les faire respecter, constitue un puissant facteur d'égalité ou d'inégalité entre les citoyens. C'est pour y répondre que j'ai développé, avec le Médiateur de la République, l'installation de délégués dans des structures de proximité. Ces délégués répondent aux problèmes qui peuvent exister entre les citoyens et les services publics ; mais au-delà, les besoins de droit sont très forts dans de multiples domaines : famille, consommation, droit des étrangers, des détenus, droit des victimes Le rapport remis récemment par Paul Bouchet a permis de dresser un état des lieux de la question.
L'accès au droit ne se limite pas à la connaissance. Il faut bien admettre que le droit est majoritairement perçu par les habitants des quartiers populaires comme un droit répressif, un droit d'obligations et de contraintes.
Il nous faut aussi valoriser et mettre en uvre l'idée d' un droit protecteur. C'est une notion à laquelle les magistrats sont habitués dans le domaine des droits du consommateur par exemple ; mais, il faut savoir que cette notion n'est pas suffisamment connue de ceux qui pourraient en avoir le plus besoin.
C'est pourquoi, il est nécessaire d'inscrire le droit au cur des quartiers, au service des plus fragiles.
La culture du droit combat la violence : la référence au droit, à une règle commune, acquise et admise par tous, permet d'éviter le recours à la violence dans la résolution des conflits.
Quelles conséquences tirer de ces constats ? Je laisse à la justice le soin de redéfinir les aspects procéduraux et sa propre politique d'accès au droit. Mais, en ce qui concerne la politique de la ville, deux orientations me paraissent devoir être prioritairement retenues.
- Il faut multiplier les lieux d'accès au droit :
100 nouveaux points d'accès au droit seront financés, sur trois ans, par la politique de la ville. Ces permanences ou structures devront être établies au bénéfice des habitants des quartiers prioritaires, selon une géographie déterminée localement. Ils prolongeront et amplifieront ainsi le programme d'installation des maisons de la justice et du droit et des antennes de justice. Ils seront dotés chacun d'une enveloppe de 100 000 F sur les crédits de la politique de la ville.
Parmi ces 100 nouveaux points d'accès au droit, 10 au moins pourront être implantés dans les établissements pénitentiaires. Nous savons combien la référence au droit dans un lieu clos peut être utile, combien un cadre juridique bien défini et connu de tous peut améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires, et faciliter la vie quotidienne des personnes détenues et de leurs familles.
La mise en uvre de l'ensemble de ces 100 nouveaux points d'accès au droit s'accompagnera d'un effort particulier de formation des intervenants.
- Il faut soutenir la multiplicité des acteurs et des outils de l'accès au droit :
Les associations ont joué un rôle essentiel en ce sens. Pour ne prendre que quelques exemples, le droit des étrangers, le droit des personnes détenues ont été diffusés grâce à l'action de mouvements associatifs. Ne se bornant pas à une attitude revendicatrice, ces mouvements ont d'ailleurs incité les pouvoirs publics à réformer la réglementation.
Je souhaite redire ici fortement combien l'action des associations doit être soutenue dans ce domaine. Les moyens de la politique de la ville sont largement mobilisés en ce sens. Mais, au-delà de l'argent, c'est un état d'esprit qui doit régner : le droit n'est pas la propriété des professionnels de la justice, ils n'auraient d'ailleurs aucun intérêt à cela.
De ce point de vue, je me félicite des conclusions de la commission présidée par Paul Bouchet qui privilégie une approche complémentaire et non concurrente entre les différents intervenants.
La culture du droit repose bien évidemment aussi sur l'ensemble des instances éducatives, de l'école primaire, voire maternelle, jusqu'à l'université.
Nous ne devons pas nous limiter au seul enseignement théorique du droit. Je veux promouvoir des formes plus ludiques, plus pratiques, plus concrètes. Le succès d'une exposition comme "13-18, questions de justice", élaborée par la protection judiciaire de la jeunesse, montre qu'il faut diversifier les supports, s'adresser à des publics variés. Les conseils départementaux d'accès au droit, ou plus directement les associations ou les professionnels élaborent aussi des outils d'accès au droit indispensables à leur action d'information et d'orientation. Afin de favoriser les outils les plus créatifs et utiles, le fonds d'innovation du ministère de la ville financera de nouveaux projets dès 2001.
Je souhaite qu'ainsi le droit et la justice deviennent plus familiers à nos concitoyens, dans leur dimension de contrainte, mais aussi de protection et d'accès à la citoyenneté.
2 - Des débats que vous avez menés, je retiens une deuxième priorité pour la politique judiciaire de la ville : il faut amplifier les modes d'exercice d'une justice régulatrice.
J'emploie à dessein ce terme, car si la justice doit favoriser la réparation des dommages, elle doit aussi restaurer chacun dans ses droits et dans sa dignité. C'est une justice qui ne se contente pas de dire le droit, mais qui contribue, concrètement, à la régulation des rapports entre les gens, entre les forces sociales.
Le développement des multiples formes de médiation répond à cette exigence. Notre société a évolué et les modes d'exercice de la justice doivent évoluer également. L'approfondissement de la démocratie a modifié les rapports d'autorité. Dans une société moins verticale, moins hiérarchisée, le citoyen demande plus d'explications, plus de dialogue avec l'autorité publique. La solution ne vient plus d'en-haut, de façon autoritaire, elle est discutée ; la compréhension et l'adhésion de chacun est recherchée.
A la suite des travaux menés par Mme Brévan et M. Picard sur les nouveaux métiers de la ville, puis, par M. Robert sur la médiation sociale, j'ai souhaité que ces nouvelles formes d'intervention sociale, en amont de l'intervention judiciaire, soient reconnues et confortées. C'est ce que j'ai proposé par la création de cadres d'emploi spécifiques dans la fonction publique territoriale, de nouveaux diplômes et d'un effort accru de formation.
Mais, cette notion de justice régulatrice ne se limite pas à la médiation. Elle nous conduit, dans le domaine pénal, à rechercher également des formes de peines que j'oserais qualifier d'"intelligentes". C'est-à-dire des peines qui ne se contentent pas de d'infliger une sanction, mais cherchent à lui donner un sens.
Des progrès ont été accomplis en ce domaine depuis une vingtaine d'année, avec la création du travail d'intérêt général ou de la réparation pour les mineurs.
Aujourd'hui, nous disposons d'un arsenal juridique important. Ce sont les modes d'éxecution des peines - ou des alternatives aux poursuites - qu'il faut enrichir. C'est l'objectif que nous nous sommes donné, avec Marylise Lebranchu, en proposant au Conseil de sécurité intérieure de janvier dernier l'obligation de formation civique.
Dans le cadre des mesures existantes, pré et post sentencielles, nous devons rechercher plus systématiquement un mode d'exécution qui favorise l'intégration citoyenne.
Ces modes d'exécution doivent viser à rétablir le lien, et si possible, la confiance entre les institutions et leurs représentants et les justiciables. Ils doivent reposer sur un dialogue conduit entre eux. Dialogue et non simple instruction civique ; car il ne s'agit pas tant de transmettre un savoir établi que de discuter du fonctionnement effectif des institutions, de rendre celles-ci vivantes, proches, légitimes.
Dialogue aussi, car les justiciables doivent être écoutés dans leur opinion et dans les critiques qu'ils nous adressent. C'est tout l'enjeu de ces mesures de n'être pas à "sens unique". Il nous faut répondre au sentiment d'injustice très prégnant dans les quartiers populaires.
Cette intégration citoyenne me paraît aussi importante que les autres formes d'insertion, économique et sociale. Certains d'entre vous l'ont déjà mis en application ; je n'en citerai que quelques exemples : le module "dialogue citoyen" mis en uvre dans le cadre du travail d'intérêt général dans les Yvelines ou le "stage d'éducation à la citoyenneté" proposé aux mineurs à Mulhouse.
Mais, ce type de mesures ne doit pas être réservé aux seuls primo-délinquants. Nous ne pouvons pas constamment laisser de côté ceux qui nous posent le plus de problèmes. Nous ne pouvons pas constamment éviter la confrontation ou les reléguer au fond d'une prison.
La politique de la ville a pu favoriser et financer l'émergence de ces pratiques innovantes. Il faut maintenant qu'elles se banalisent, s'étendent et se pérennisent. Là encore, les moyens du fonds d'innovation du ministère de la ville y seront affectés pour les soutenir et les impulser. Dès 2001, nous sommes en capacité de financer de nouvelles initiatives en ce sens, en fonction des projets locaux qui seront proposés.
3 - Mais, vous avez été nombreux à le dire, la justice ne peut pas tout, toute seule. Je crois que la justice ne doit pas non plus agir seule. C'est tout l'enjeu de la mobilisation de la société civile, troisième orientation majeure de la politique judiciaire de la ville, que j'appelle de mes vux.
Je crois possible, et nécessaire, une implication des habitants dans l'uvre de justice. Bien évidemment, j'exclus toute délégation aux particuliers d'un pouvoir coercitif, hormis celui prévu par la loi. Les milices privées et autres comités d'admonestation ont montré leur tendance liberticide.
Par contre, je crois nécessaire de mieux associer la population à la définition de ses besoins, et particulièrement au diagnostic local de sécurité.
Face au développement du sentiment d'insécurité, je crois indispensable de consulter plus et mieux les habitants. Consulter mieux, car le sentiment d'insécurité est complexe et souvent alimenté par des facteurs très éloignés de la délinquance.
C'est pourquoi, une consultation performante doit permettre de préciser cette multiplicité de facteurs : enclavement d'un quartier, mauvais éclairage, solitude, absence d'animation sociale, déficit des structures de soins Ces éléments ne rélèvent pas de la justice ; il faut les identifier pour y répondre de manière adaptée, dans le cadre du partenariat local, plutôt que d'interpeller sans cesse police et justice sur des réalités qu'elles ne maitrîsent pas entièrement.
Je crois aussi nécessaire de développer l'implication de l'ensemble de la société civile dans la prise en charge des justiciables, mineurs ou majeurs.
Aux côtés de l'éducateur professionnel, pivôt de la prise en charge, d'autres adultes ont leur place. Les expériences de parrainage qui ont ainsi été conduites se sont avérées fructueuses. Je suis frappé d'ailleurs de constater combien ces expériences sont profitables non seulement au jeune, mais aussi aux entreprises et autres organismes qui l'accueillent. Leur regard change ; les a-priori négatifs, voire la peur, disparaissent.
Mais, il ne faut pas découper la vie de la personne en tranches isolées les unes des autres. Insertion professionnelle, formation, santé, activités de loisirs, climat familial il n'est pas possible de réussir l'un indépendemment des autres. L'action des adultes non professionnels auprès des jeunes ne doit pas se limiter à la recherche d'un stage ou d'un emploi. Ne pourrions nous imaginer une véritable équipe de personnes ressources que l'éducateur ou le juge pourrait solliciter ?
Les rencontres avec d'autres intervenants, non professionnels de la justice peuvent aussi favoriser l'ouverture au monde de personnes bien souvent limitées à une sphère minimale. Cela est particulièrement vrai pour les adolescents et jeunes adultes de nos quartiers populaires qui craignent de s'aventurer au-delà des frontières de leur quartier, qui développent un "nationalisme de cage d'escalier" dangereux pour eux mêmes.
A l'occasion de la mesure judiciaire, il faut leur permettre de découvrir de plus vastes horizons, de s'intéresser à d'autres gens, de se passionner pour de nouvelles activités. En cela, la peine peut favoriser la prévention de la récidive.
Pour fonctionner, tout cela requiert une intense coopération entre acteurs locaux. La mobilisation de la société civile en faveur de la justice repose sur un partenariat vivant et confiant.
La collaboration entre acteurs locaux est d'autant plus délicate qu'elle peut heurter le principe de l'indépendance de la justice. C'est là qu'il faut être clair : ne pas demander à la justice de se justifier de ses décisions individuelles, mais travailler ensemble le contexte dans lequel ses décisions interviennent.
La politique de la ville doit faire partie des missions habituelles de la justice, entendue dans toutes ses composantes : juridictions, siège, parquet et greffes, protection judiciaire de la jeunesse et administration pénitentiaire. Des moyens nouveaux doivent y être consacrés.
Je demanderai aux sous préfets ville de faciliter l'inscription de la justice dans les contrats de ville et autres dispositifs, en organisant annuellement une rencontre spécifique sur les thèmes intéressants l'autorité judiciaire.
Par ailleurs, afin de soutenir le fonctionement des cellules départementales justice - ville, ainsi que des correspondants dans les cours d'appel, des moyens logistiques seront alloués, d'un montant de 100 000 F par département prioritaire et cour d'appel concernée.
Conjugués aux moyens supplémentaires dégagés par le ministère de la justice, ce dispositif nous permettra de marquer une nouvelle étape de la politique judiciaire de la ville.
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs,
J'ai voulu brosser ainsi un tableau des priorités essentielles qui me paraissent devoir être retenues en matière de politique judiciaire de la ville. Les rencontres que nous avons organisées visaient à mieux faire connaître des actions innovantes et pertinentes. Nous vous donnons les moyens de leur pérennisation.
Mais, il faudra surtout poursuivre cette révolution tranquille des esprits qui conçoit la justice, jusque dans les quartiers les plus populaires, comme un service ouvert à tous, contraignant mais accueillant, favorisant la reconnaissance de chacun comme sujet de droit.
Je vous remercie.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 16 août 2001)
Mesdames et Messieurs,
Lorsqu'avec Marylise Lebranchu, nous avons lancé ces journées justice et ville, nous poursuivions deux objectifs : ouvrir plus largement la justice sur la ville et mobiliser davantage la société civile pour la justice.
C'est au travers de ces deux axes que ce sont déroulées les journées préparatoires sur les thémes qui vous ont été rappelés par Jacques Faget.
Sans prétendre à une quelconque exhaustivité, je voudrais aujourd'hui, avec vous, tirer quelques conclusions de ces travaux, dresser les priorités pour l'avenir et vous donner, avec le ministère de la justice, les moyens nécessaires à leur mise en uvre.
Ces journées doivent constituer une nouvelle étape de la politique judiciaire de la ville et je voudrais aujourd'hui insister sur trois axes principaux :
- Tout d'abord, vos travaux ont montré toute l'importance qu'il fallait accorder au développement d'une culture du droit ;
- En deuxième lieu, je crois que nous devons aujourd'hui promouvoir une justice qui répare, une justice qui restaure chacun dans ses droits et sa dignité ;
- Enfin, je veux favoriser une justice mobilisatrice de la société civile, qui ne soit pas retranchée sur les seules compétences professionnelles.
Ces orientations s'insèrent dans le contexte général de la politique que je mène depuis trois ans. Tout d'abord, des moyens considérables sont affectés pour reconquérir les territoires les plus dégradés de nos villes. Les 50 grands projets de ville et 30 opérations de renouvellement urbain permettront de modifier en profondeur le cadre de vie des habitants.
Ils donneront aussi tout son sens et sa portée à la politique d'animation globale menée sur les territoires prioritaires, dans le cadre des contrats de ville. Politique sociale, mobilisation des adultes relais, opérations de prévention "Ville, Vie, Vacances", développement de l'activité économique et de l'emploi dans les quartiers, lutte contre les discriminations, accès aux soins pour les habitants des quartiers, prévention de l'échec scolaire par la mise en place d'une veille éducative : tel est le cadre général de la politique de la ville à partir duquel nous pouvons développer une politique judiciaire de la ville, pour répondre aux besoins de droit, de justice et de sécurité de nos concitoyens.
1 - Développer une véritable culture du droit, vous l'avez souligné, constitue un enjeu fondamental de notre société démocratique.
Première étape, bien sûr : l'accès au droit. L'accès au droit est encore insuffisamment développé, tous les besoins ne sont pas couverts, loin de là ; d'autant que bien souvent, ces besoins sont cachés ou ne s'expriment pas, surtout dans les quartiers populaires.
Connaître ses droits et surtout savoir comment les faire respecter, constitue un puissant facteur d'égalité ou d'inégalité entre les citoyens. C'est pour y répondre que j'ai développé, avec le Médiateur de la République, l'installation de délégués dans des structures de proximité. Ces délégués répondent aux problèmes qui peuvent exister entre les citoyens et les services publics ; mais au-delà, les besoins de droit sont très forts dans de multiples domaines : famille, consommation, droit des étrangers, des détenus, droit des victimes Le rapport remis récemment par Paul Bouchet a permis de dresser un état des lieux de la question.
L'accès au droit ne se limite pas à la connaissance. Il faut bien admettre que le droit est majoritairement perçu par les habitants des quartiers populaires comme un droit répressif, un droit d'obligations et de contraintes.
Il nous faut aussi valoriser et mettre en uvre l'idée d' un droit protecteur. C'est une notion à laquelle les magistrats sont habitués dans le domaine des droits du consommateur par exemple ; mais, il faut savoir que cette notion n'est pas suffisamment connue de ceux qui pourraient en avoir le plus besoin.
C'est pourquoi, il est nécessaire d'inscrire le droit au cur des quartiers, au service des plus fragiles.
La culture du droit combat la violence : la référence au droit, à une règle commune, acquise et admise par tous, permet d'éviter le recours à la violence dans la résolution des conflits.
Quelles conséquences tirer de ces constats ? Je laisse à la justice le soin de redéfinir les aspects procéduraux et sa propre politique d'accès au droit. Mais, en ce qui concerne la politique de la ville, deux orientations me paraissent devoir être prioritairement retenues.
- Il faut multiplier les lieux d'accès au droit :
100 nouveaux points d'accès au droit seront financés, sur trois ans, par la politique de la ville. Ces permanences ou structures devront être établies au bénéfice des habitants des quartiers prioritaires, selon une géographie déterminée localement. Ils prolongeront et amplifieront ainsi le programme d'installation des maisons de la justice et du droit et des antennes de justice. Ils seront dotés chacun d'une enveloppe de 100 000 F sur les crédits de la politique de la ville.
Parmi ces 100 nouveaux points d'accès au droit, 10 au moins pourront être implantés dans les établissements pénitentiaires. Nous savons combien la référence au droit dans un lieu clos peut être utile, combien un cadre juridique bien défini et connu de tous peut améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires, et faciliter la vie quotidienne des personnes détenues et de leurs familles.
La mise en uvre de l'ensemble de ces 100 nouveaux points d'accès au droit s'accompagnera d'un effort particulier de formation des intervenants.
- Il faut soutenir la multiplicité des acteurs et des outils de l'accès au droit :
Les associations ont joué un rôle essentiel en ce sens. Pour ne prendre que quelques exemples, le droit des étrangers, le droit des personnes détenues ont été diffusés grâce à l'action de mouvements associatifs. Ne se bornant pas à une attitude revendicatrice, ces mouvements ont d'ailleurs incité les pouvoirs publics à réformer la réglementation.
Je souhaite redire ici fortement combien l'action des associations doit être soutenue dans ce domaine. Les moyens de la politique de la ville sont largement mobilisés en ce sens. Mais, au-delà de l'argent, c'est un état d'esprit qui doit régner : le droit n'est pas la propriété des professionnels de la justice, ils n'auraient d'ailleurs aucun intérêt à cela.
De ce point de vue, je me félicite des conclusions de la commission présidée par Paul Bouchet qui privilégie une approche complémentaire et non concurrente entre les différents intervenants.
La culture du droit repose bien évidemment aussi sur l'ensemble des instances éducatives, de l'école primaire, voire maternelle, jusqu'à l'université.
Nous ne devons pas nous limiter au seul enseignement théorique du droit. Je veux promouvoir des formes plus ludiques, plus pratiques, plus concrètes. Le succès d'une exposition comme "13-18, questions de justice", élaborée par la protection judiciaire de la jeunesse, montre qu'il faut diversifier les supports, s'adresser à des publics variés. Les conseils départementaux d'accès au droit, ou plus directement les associations ou les professionnels élaborent aussi des outils d'accès au droit indispensables à leur action d'information et d'orientation. Afin de favoriser les outils les plus créatifs et utiles, le fonds d'innovation du ministère de la ville financera de nouveaux projets dès 2001.
Je souhaite qu'ainsi le droit et la justice deviennent plus familiers à nos concitoyens, dans leur dimension de contrainte, mais aussi de protection et d'accès à la citoyenneté.
2 - Des débats que vous avez menés, je retiens une deuxième priorité pour la politique judiciaire de la ville : il faut amplifier les modes d'exercice d'une justice régulatrice.
J'emploie à dessein ce terme, car si la justice doit favoriser la réparation des dommages, elle doit aussi restaurer chacun dans ses droits et dans sa dignité. C'est une justice qui ne se contente pas de dire le droit, mais qui contribue, concrètement, à la régulation des rapports entre les gens, entre les forces sociales.
Le développement des multiples formes de médiation répond à cette exigence. Notre société a évolué et les modes d'exercice de la justice doivent évoluer également. L'approfondissement de la démocratie a modifié les rapports d'autorité. Dans une société moins verticale, moins hiérarchisée, le citoyen demande plus d'explications, plus de dialogue avec l'autorité publique. La solution ne vient plus d'en-haut, de façon autoritaire, elle est discutée ; la compréhension et l'adhésion de chacun est recherchée.
A la suite des travaux menés par Mme Brévan et M. Picard sur les nouveaux métiers de la ville, puis, par M. Robert sur la médiation sociale, j'ai souhaité que ces nouvelles formes d'intervention sociale, en amont de l'intervention judiciaire, soient reconnues et confortées. C'est ce que j'ai proposé par la création de cadres d'emploi spécifiques dans la fonction publique territoriale, de nouveaux diplômes et d'un effort accru de formation.
Mais, cette notion de justice régulatrice ne se limite pas à la médiation. Elle nous conduit, dans le domaine pénal, à rechercher également des formes de peines que j'oserais qualifier d'"intelligentes". C'est-à-dire des peines qui ne se contentent pas de d'infliger une sanction, mais cherchent à lui donner un sens.
Des progrès ont été accomplis en ce domaine depuis une vingtaine d'année, avec la création du travail d'intérêt général ou de la réparation pour les mineurs.
Aujourd'hui, nous disposons d'un arsenal juridique important. Ce sont les modes d'éxecution des peines - ou des alternatives aux poursuites - qu'il faut enrichir. C'est l'objectif que nous nous sommes donné, avec Marylise Lebranchu, en proposant au Conseil de sécurité intérieure de janvier dernier l'obligation de formation civique.
Dans le cadre des mesures existantes, pré et post sentencielles, nous devons rechercher plus systématiquement un mode d'exécution qui favorise l'intégration citoyenne.
Ces modes d'exécution doivent viser à rétablir le lien, et si possible, la confiance entre les institutions et leurs représentants et les justiciables. Ils doivent reposer sur un dialogue conduit entre eux. Dialogue et non simple instruction civique ; car il ne s'agit pas tant de transmettre un savoir établi que de discuter du fonctionnement effectif des institutions, de rendre celles-ci vivantes, proches, légitimes.
Dialogue aussi, car les justiciables doivent être écoutés dans leur opinion et dans les critiques qu'ils nous adressent. C'est tout l'enjeu de ces mesures de n'être pas à "sens unique". Il nous faut répondre au sentiment d'injustice très prégnant dans les quartiers populaires.
Cette intégration citoyenne me paraît aussi importante que les autres formes d'insertion, économique et sociale. Certains d'entre vous l'ont déjà mis en application ; je n'en citerai que quelques exemples : le module "dialogue citoyen" mis en uvre dans le cadre du travail d'intérêt général dans les Yvelines ou le "stage d'éducation à la citoyenneté" proposé aux mineurs à Mulhouse.
Mais, ce type de mesures ne doit pas être réservé aux seuls primo-délinquants. Nous ne pouvons pas constamment laisser de côté ceux qui nous posent le plus de problèmes. Nous ne pouvons pas constamment éviter la confrontation ou les reléguer au fond d'une prison.
La politique de la ville a pu favoriser et financer l'émergence de ces pratiques innovantes. Il faut maintenant qu'elles se banalisent, s'étendent et se pérennisent. Là encore, les moyens du fonds d'innovation du ministère de la ville y seront affectés pour les soutenir et les impulser. Dès 2001, nous sommes en capacité de financer de nouvelles initiatives en ce sens, en fonction des projets locaux qui seront proposés.
3 - Mais, vous avez été nombreux à le dire, la justice ne peut pas tout, toute seule. Je crois que la justice ne doit pas non plus agir seule. C'est tout l'enjeu de la mobilisation de la société civile, troisième orientation majeure de la politique judiciaire de la ville, que j'appelle de mes vux.
Je crois possible, et nécessaire, une implication des habitants dans l'uvre de justice. Bien évidemment, j'exclus toute délégation aux particuliers d'un pouvoir coercitif, hormis celui prévu par la loi. Les milices privées et autres comités d'admonestation ont montré leur tendance liberticide.
Par contre, je crois nécessaire de mieux associer la population à la définition de ses besoins, et particulièrement au diagnostic local de sécurité.
Face au développement du sentiment d'insécurité, je crois indispensable de consulter plus et mieux les habitants. Consulter mieux, car le sentiment d'insécurité est complexe et souvent alimenté par des facteurs très éloignés de la délinquance.
C'est pourquoi, une consultation performante doit permettre de préciser cette multiplicité de facteurs : enclavement d'un quartier, mauvais éclairage, solitude, absence d'animation sociale, déficit des structures de soins Ces éléments ne rélèvent pas de la justice ; il faut les identifier pour y répondre de manière adaptée, dans le cadre du partenariat local, plutôt que d'interpeller sans cesse police et justice sur des réalités qu'elles ne maitrîsent pas entièrement.
Je crois aussi nécessaire de développer l'implication de l'ensemble de la société civile dans la prise en charge des justiciables, mineurs ou majeurs.
Aux côtés de l'éducateur professionnel, pivôt de la prise en charge, d'autres adultes ont leur place. Les expériences de parrainage qui ont ainsi été conduites se sont avérées fructueuses. Je suis frappé d'ailleurs de constater combien ces expériences sont profitables non seulement au jeune, mais aussi aux entreprises et autres organismes qui l'accueillent. Leur regard change ; les a-priori négatifs, voire la peur, disparaissent.
Mais, il ne faut pas découper la vie de la personne en tranches isolées les unes des autres. Insertion professionnelle, formation, santé, activités de loisirs, climat familial il n'est pas possible de réussir l'un indépendemment des autres. L'action des adultes non professionnels auprès des jeunes ne doit pas se limiter à la recherche d'un stage ou d'un emploi. Ne pourrions nous imaginer une véritable équipe de personnes ressources que l'éducateur ou le juge pourrait solliciter ?
Les rencontres avec d'autres intervenants, non professionnels de la justice peuvent aussi favoriser l'ouverture au monde de personnes bien souvent limitées à une sphère minimale. Cela est particulièrement vrai pour les adolescents et jeunes adultes de nos quartiers populaires qui craignent de s'aventurer au-delà des frontières de leur quartier, qui développent un "nationalisme de cage d'escalier" dangereux pour eux mêmes.
A l'occasion de la mesure judiciaire, il faut leur permettre de découvrir de plus vastes horizons, de s'intéresser à d'autres gens, de se passionner pour de nouvelles activités. En cela, la peine peut favoriser la prévention de la récidive.
Pour fonctionner, tout cela requiert une intense coopération entre acteurs locaux. La mobilisation de la société civile en faveur de la justice repose sur un partenariat vivant et confiant.
La collaboration entre acteurs locaux est d'autant plus délicate qu'elle peut heurter le principe de l'indépendance de la justice. C'est là qu'il faut être clair : ne pas demander à la justice de se justifier de ses décisions individuelles, mais travailler ensemble le contexte dans lequel ses décisions interviennent.
La politique de la ville doit faire partie des missions habituelles de la justice, entendue dans toutes ses composantes : juridictions, siège, parquet et greffes, protection judiciaire de la jeunesse et administration pénitentiaire. Des moyens nouveaux doivent y être consacrés.
Je demanderai aux sous préfets ville de faciliter l'inscription de la justice dans les contrats de ville et autres dispositifs, en organisant annuellement une rencontre spécifique sur les thèmes intéressants l'autorité judiciaire.
Par ailleurs, afin de soutenir le fonctionement des cellules départementales justice - ville, ainsi que des correspondants dans les cours d'appel, des moyens logistiques seront alloués, d'un montant de 100 000 F par département prioritaire et cour d'appel concernée.
Conjugués aux moyens supplémentaires dégagés par le ministère de la justice, ce dispositif nous permettra de marquer une nouvelle étape de la politique judiciaire de la ville.
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs,
J'ai voulu brosser ainsi un tableau des priorités essentielles qui me paraissent devoir être retenues en matière de politique judiciaire de la ville. Les rencontres que nous avons organisées visaient à mieux faire connaître des actions innovantes et pertinentes. Nous vous donnons les moyens de leur pérennisation.
Mais, il faudra surtout poursuivre cette révolution tranquille des esprits qui conçoit la justice, jusque dans les quartiers les plus populaires, comme un service ouvert à tous, contraignant mais accueillant, favorisant la reconnaissance de chacun comme sujet de droit.
Je vous remercie.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 16 août 2001)