Texte intégral
Intervention de Laurent FABIUS,
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI
PORTANT SUR LA RÉFORME DE L'ORDONNANCE DE 1959
SÉNAT - JEUDI 7 JUIN 2001
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur général,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Au Palais-Bourbon, lors de l'examen de ce texte, j'avais dit que nous nous apprêtions, gouvernement et législateur, à franchir le Rubicon budgétaire en réformant l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances. J'hésite à user de la même comparaison dans cet hémicycle car on sait que l'armée de César en traversant le fleuve fameux n'avait pas fait grand cas de l'avis du Sénat ! Face à la réforme que nous souhaitons engager, il n'en ira pas de même : il est de l'intérêt du pays - et juridiquement indispensable - que votre Assemblée soit pleinement associée à la redéfinition de la Constitution financière de notre République. C'est le sens de l'important travail que vous avez déjà fourni.
Il est fondamentalement légitime que ce soit au Parlement, où la représentation nationale garantit l'expression de la volonté générale, que ce changement soit envisagé. Existe-t-il en effet un élément de droit qui appartienne davantage au domaine de la Loi ? Le pouvoir de lever l'impôt et de décider de la dépense est à l'origine même du parlementarisme. L'histoire des budgets est un peu celle des régimes politiques. Il s'agit aujourd'hui de compléter et de parachever notre démocratie. Deux puissants arguments vont en ce sens.
Le premier, qui milite en faveur du changement est l'exigence même de démocratie. La transparence et la simplification sont encore des idées assez nouvelles dans notre pays alors que le centralisme administratif et la prédominance de l'exécutif y sont l'héritage de 20 rois, 2 empires et 5 Républiques. Entre " l'arrangement des finances " qui codifia les règles d'emploi du trésor sous l'ancien Régime et le carcan que nous allons, dans ce débat, tenter de desserrer, la parenté est grande et l'évolution faible. En quoi consiste le changement ? D'une part, j'y viendrai dans un instant, à rééquilibrer le pouvoir budgétaire au profit du Parlement : s'il est approuvé par une majorité d'entre vous, le texte que nous examinons sera, demain, la loi de nos finances publiques. D'autre part, la structure et les finalités de notre gestion publique doivent évoluer dans le sens d'une plus grande efficacité, d'une meilleure lisibilité, d'une réelle durabilité. Si l'État n'est pas une entreprise et n'a pas vocation à le devenir, il ne peut pas être indifférent à la façon dont sont gérées ses finances et son administration. Il en va de la crédibilité et de la l'efficacité de la puissance publique.
Le second argument concerne les conditions politiques du changement. Depuis 1958, les esprits ont évolué, l'alternance a fait son uvre et la loi fondamentale de la Ve République a elle-même fait l'objet de nombreuses révisions, certains disent même trop nombreuses. Toutefois, Constitution du 4 octobre et ordonnance du 2 janvier ont subi des destins bien différents. Depuis l'adoption éclair de l'ordonnance organique jusqu'au débat que nous avons engagé cette année, combien de rendez-vous manqués, 37 selon ma comptabilité, pour un texte de plus en plus en décalage avec les réalités de notre démocratie, de notre société, de notre économie. Certains de vos collègues députés m'ont rappelé avec malice que j'avais moi-même commis une proposition de réforme de l'ordonnance de 1959 il y a quelques années de cela. J'y vois le signe d'une utile persévérance. En finir avec l'immobilisme semble désormais possible : la majorité parlementaire y est favorable, de très nombreux responsables de l'opposition y souscrivent, le Premier ministre le souhaite, le Président de la République aussi, la Secrétaire d'État au Budget et moi-même y sommes résolus. Exécutif et législatif, majorité et opposition, nous convergeons sur les grands axes même si quelques fois nous nous différencions sur les modalités. Le plus souvent, ce ne sont que des problèmes de niveaux ou de curseurs. La concertation peut et doit mener à un consensus sur les grandes options de cette révision. C'est l'objet de notre débat.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, le texte qui est soumis à votre examen vise à rééquilibrer les pouvoirs du Parlement en matière financière. De lois de finances en débats d'orientation budgétaire, chacun a déploré le rôle insuffisant exercé par les élus. Voici que vous est ouverte la possibilité de changer cet état de fait.
La proposition de loi organique se traduit d'abord par un droit d'amendement et de proposition parlementaire élargi, en particulier par le changement des conditions restrictives d'application de l'article 40 de la Constitution telles qu'elles ont été encadrées par le texte de 1959. Elle se caractérise par une limitation des actes budgétaires que le Gouvernement pourra désormais accomplir sans en référer au Parlement. Je sais que cette limitation ravit certains, en effraie d'autres. Je la juge pour ma part raisonnable, et pour tout dire profondément démocratique. La loi marque aussi la volonté du Parlement de mieux contrôler les décisions financières et l'efficacité de l'exécutif. Les commissions des finances seront donc plus étroitement associées aux actes réglementaires pris en cours d'année. Le texte comporte une demande de lisibilité, de comparabilité, de transparence. Je sais que ce dernier point est particulièrement cher à la Haute Assemblée, et qu'il correspond à une volonté forte du Président Lambert. De ce point de vue, les avancées contenues dans la proposition de loi sont réelles. Nous aurons l'occasion d'en parler dans le détail au cours de la discussion du texte et des amendements.
La loi organique adoptée par l'Assemblée nationale poursuit un autre objectif, aussi essentiel à mes yeux : réformer la gestion publique. Longtemps, nous n'avons pas su traiter la question de l'évaluation de nos actions autrement que par une approche quantitative et une conception centralisée. Une fonction collective était censée être remplie si l'on y affectait un certain montant du budget, la réglementation donnant la marche à suivre pour le dépenser. Il me semble que l'intérêt général se mesure à d'autres critères.
Au lieu des 850 chapitres qui constituent l'actuelle nomenclature - nous renseignant parfois avec un détail savoureux sur la nature de la dépense elle-même - nous aurons au terme de la réforme 150 à 200 " missions " et " programmes ", qui expliciteront avec clarté les objectifs poursuivis par le Gouvernement et répondront aux besoins réels des Français. Nos concitoyens s'intéresseront sans doute davantage à nos débats lorsque, plutôt que de ferrailler des nuits entières sur le montant de tel chapitre de fonctionnement, nous parlerons d'abord, par exemple en matière de justice, de délais de réponse ou de délais de jugement ainsi que des moyens d'y parvenir.
Ainsi, les choix budgétaires ne seront plus seulement des lignes comptables mais correspondront à des choix réels. D'ailleurs, je tenterai avec Florence Parly dès l'automne de vous proposer des indicateurs et des choix clairs en matière d'émission et de gestion de la dette. A l'issue de cet exercice, les avancées rendues possibles par les programmes ne seront plus à démontrer.
La construction de ce nouvel édifice - qui est aussi une manière inédite de concevoir le périmètre et l'action de l'État - doit être l'occasion d'une mobilisation de l'ensemble des agents des administrations. Ils seront associés à la définition des missions, des priorités et au choix des indicateurs finalement retenus. Une administration qui sait précisément ce que l'on attend d'elle est à coup sûr mieux organisée et plus efficace. En contrepartie, les crédits seront fongibles entre eux, à l'exception des dépenses de personnel. La pertinence sur le terrain des crédits alloués primera sur leur nature. Le respect des objectifs l'emportera sur la logique des moyens.
Nous serons, au cours de ce débat, à l'écoute des propositions que vous pourrez formuler. Notre ligne de conduite sera simple : vous nous trouverez à vos côtés dès qu'il s'agira d'améliorer un peu plus encore le texte voté par l'Assemblée nationale, nous ferons valoir aussi avec constance deux préoccupations que vous comprendrez aisément.
Un premier souci, c'est que cette réforme soit applicable dès son adoption. Nous ne souhaitons pas laisser adopter des règles impraticables ou des procédures plus lourdes que celles qui sont en vigueur aujourd'hui. Lorsque vos propositions risqueront, à nos yeux, d'avoir cet effet, nous l'indiquerons clairement.
Une seconde préoccupation concerne le bon fonctionnement de l'action budgétaire. Les règles nouvelles posées par ce texte ne devront pas empêcher le Gouvernement de travailler sereinement, ni de disposer des moyens de faire face à un événement imprévu. Je pense, par exemple, à une tempête, à une crise sanitaire, ou encore à un renversement brutal de conjoncture. Je serai également sensible, pensant à mes successeurs et surtout au bon fonctionnement de l'État, au rôle du Ministre des Finances dans la nouvelle architecture. Il n'est pas questions de concentrer tous les pouvoirs au sein d'un ministère d'ailleurs très compétent, mais il ne faut pas non plus, en une démarche à courte vue, passer d'une voie extrême à une autre. Nul besoin d'être devin, en effet, pour présumer que, puisqu'un Gouvernement ne peut se désintéresser de ses finances publiques, en l'absence d'un ministre jouant pleinement son rôle, une telle situation reviendrait finalement à une gestion complète des finances publiques par les ministres ou par le Premier Ministre, qui serait alors en première ligne pour toutes les décisions financières de l'État. Est-ce souhaitable pour le bon fonctionnement de nos institutions et des relations entre majorité et opposition ? Certainement pas.
Quelques mots, avant de conclure. Pour avoir éprouvé toutes les dimensions de notre sujet dans les diverses fonctions que j'ai pu exercer, il me paraît indispensable que, parallèlement à cette réforme, vous puissiez rapidement décider de modifier, de simplifier, de rendre plus vivante et plus moderne l'organisation de la discussion budgétaire elle-même. Cela dépend de votre règlement intérieur et non pas de l'ordonnance organique. Le Président Forni a lancé ces travaux à l'Assemblée nationale et je ne doute pas que le Sénat s'y attachera également, avec ses spécificités, sous la conduite du Président Poncelet. Il me paraît également indispensable que le Parlement se dote d'une capacité d'expertise indépendante, comme c'est le cas dans d'autres démocraties et ainsi que je l'avais proposé lorsque, présidant l'Assemblée nationale, j'avais mis en place la Mission d'évaluation et de contrôle. En tout cas, je veux remercier publiquement celles et ceux qui ont permis, ces derniers mois, de faire avancer et progresser ce texte. Je salue en particulier la bienveillance de Christian Poncelet, la clarté et la force des convictions d'Alain Lambert, le concours du rapporteur général Marini, l'intérêt profond porté à ce texte par des personnalités qui ont rempli d'éminentes fonctions, dont certain à Bercy même. Tous ceux-là connaissent le texte de 1959, ils l'ont pratiqué, ils en savent l'intérêt mais ils en connaissent aussi la limite. Leur expérience sera précieuse lors du débat.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, il est assez rare d'être à l'origine d'une proposition de loi dans des fonctions parlementaires et de pouvoir y apporter comme ministre le soutien du Gouvernement. Telle est ma situation, à moi qui, comme beaucoup d'entre vous, pense que notre pays a besoin d'une réforme de l'État. En modifiant profondément la nature du débat budgétaire, cette réforme comporte évidemment une ambition plus large que le simple aménagement d'une procédure. Elle est un plaidoyer pour la liberté et la responsabilité. Liberté plus grande donnée aux parlementaires responsables devant les citoyens. Liberté plus grande accordée à des gestionnaires en contrepartie d'une responsabilité clairement mesurable devant les élus qui autorisent la dépense. Parce qu'elle est d'intérêt général, le Gouvernement soutient la démarche entreprise par les signataires de cette proposition de loi et souhaite qu'elle soit votée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat avant l'été.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 11 juin 2001)
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI
PORTANT SUR LA RÉFORME DE L'ORDONNANCE DE 1959
SÉNAT - JEUDI 7 JUIN 2001
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur général,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Au Palais-Bourbon, lors de l'examen de ce texte, j'avais dit que nous nous apprêtions, gouvernement et législateur, à franchir le Rubicon budgétaire en réformant l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances. J'hésite à user de la même comparaison dans cet hémicycle car on sait que l'armée de César en traversant le fleuve fameux n'avait pas fait grand cas de l'avis du Sénat ! Face à la réforme que nous souhaitons engager, il n'en ira pas de même : il est de l'intérêt du pays - et juridiquement indispensable - que votre Assemblée soit pleinement associée à la redéfinition de la Constitution financière de notre République. C'est le sens de l'important travail que vous avez déjà fourni.
Il est fondamentalement légitime que ce soit au Parlement, où la représentation nationale garantit l'expression de la volonté générale, que ce changement soit envisagé. Existe-t-il en effet un élément de droit qui appartienne davantage au domaine de la Loi ? Le pouvoir de lever l'impôt et de décider de la dépense est à l'origine même du parlementarisme. L'histoire des budgets est un peu celle des régimes politiques. Il s'agit aujourd'hui de compléter et de parachever notre démocratie. Deux puissants arguments vont en ce sens.
Le premier, qui milite en faveur du changement est l'exigence même de démocratie. La transparence et la simplification sont encore des idées assez nouvelles dans notre pays alors que le centralisme administratif et la prédominance de l'exécutif y sont l'héritage de 20 rois, 2 empires et 5 Républiques. Entre " l'arrangement des finances " qui codifia les règles d'emploi du trésor sous l'ancien Régime et le carcan que nous allons, dans ce débat, tenter de desserrer, la parenté est grande et l'évolution faible. En quoi consiste le changement ? D'une part, j'y viendrai dans un instant, à rééquilibrer le pouvoir budgétaire au profit du Parlement : s'il est approuvé par une majorité d'entre vous, le texte que nous examinons sera, demain, la loi de nos finances publiques. D'autre part, la structure et les finalités de notre gestion publique doivent évoluer dans le sens d'une plus grande efficacité, d'une meilleure lisibilité, d'une réelle durabilité. Si l'État n'est pas une entreprise et n'a pas vocation à le devenir, il ne peut pas être indifférent à la façon dont sont gérées ses finances et son administration. Il en va de la crédibilité et de la l'efficacité de la puissance publique.
Le second argument concerne les conditions politiques du changement. Depuis 1958, les esprits ont évolué, l'alternance a fait son uvre et la loi fondamentale de la Ve République a elle-même fait l'objet de nombreuses révisions, certains disent même trop nombreuses. Toutefois, Constitution du 4 octobre et ordonnance du 2 janvier ont subi des destins bien différents. Depuis l'adoption éclair de l'ordonnance organique jusqu'au débat que nous avons engagé cette année, combien de rendez-vous manqués, 37 selon ma comptabilité, pour un texte de plus en plus en décalage avec les réalités de notre démocratie, de notre société, de notre économie. Certains de vos collègues députés m'ont rappelé avec malice que j'avais moi-même commis une proposition de réforme de l'ordonnance de 1959 il y a quelques années de cela. J'y vois le signe d'une utile persévérance. En finir avec l'immobilisme semble désormais possible : la majorité parlementaire y est favorable, de très nombreux responsables de l'opposition y souscrivent, le Premier ministre le souhaite, le Président de la République aussi, la Secrétaire d'État au Budget et moi-même y sommes résolus. Exécutif et législatif, majorité et opposition, nous convergeons sur les grands axes même si quelques fois nous nous différencions sur les modalités. Le plus souvent, ce ne sont que des problèmes de niveaux ou de curseurs. La concertation peut et doit mener à un consensus sur les grandes options de cette révision. C'est l'objet de notre débat.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, le texte qui est soumis à votre examen vise à rééquilibrer les pouvoirs du Parlement en matière financière. De lois de finances en débats d'orientation budgétaire, chacun a déploré le rôle insuffisant exercé par les élus. Voici que vous est ouverte la possibilité de changer cet état de fait.
La proposition de loi organique se traduit d'abord par un droit d'amendement et de proposition parlementaire élargi, en particulier par le changement des conditions restrictives d'application de l'article 40 de la Constitution telles qu'elles ont été encadrées par le texte de 1959. Elle se caractérise par une limitation des actes budgétaires que le Gouvernement pourra désormais accomplir sans en référer au Parlement. Je sais que cette limitation ravit certains, en effraie d'autres. Je la juge pour ma part raisonnable, et pour tout dire profondément démocratique. La loi marque aussi la volonté du Parlement de mieux contrôler les décisions financières et l'efficacité de l'exécutif. Les commissions des finances seront donc plus étroitement associées aux actes réglementaires pris en cours d'année. Le texte comporte une demande de lisibilité, de comparabilité, de transparence. Je sais que ce dernier point est particulièrement cher à la Haute Assemblée, et qu'il correspond à une volonté forte du Président Lambert. De ce point de vue, les avancées contenues dans la proposition de loi sont réelles. Nous aurons l'occasion d'en parler dans le détail au cours de la discussion du texte et des amendements.
La loi organique adoptée par l'Assemblée nationale poursuit un autre objectif, aussi essentiel à mes yeux : réformer la gestion publique. Longtemps, nous n'avons pas su traiter la question de l'évaluation de nos actions autrement que par une approche quantitative et une conception centralisée. Une fonction collective était censée être remplie si l'on y affectait un certain montant du budget, la réglementation donnant la marche à suivre pour le dépenser. Il me semble que l'intérêt général se mesure à d'autres critères.
Au lieu des 850 chapitres qui constituent l'actuelle nomenclature - nous renseignant parfois avec un détail savoureux sur la nature de la dépense elle-même - nous aurons au terme de la réforme 150 à 200 " missions " et " programmes ", qui expliciteront avec clarté les objectifs poursuivis par le Gouvernement et répondront aux besoins réels des Français. Nos concitoyens s'intéresseront sans doute davantage à nos débats lorsque, plutôt que de ferrailler des nuits entières sur le montant de tel chapitre de fonctionnement, nous parlerons d'abord, par exemple en matière de justice, de délais de réponse ou de délais de jugement ainsi que des moyens d'y parvenir.
Ainsi, les choix budgétaires ne seront plus seulement des lignes comptables mais correspondront à des choix réels. D'ailleurs, je tenterai avec Florence Parly dès l'automne de vous proposer des indicateurs et des choix clairs en matière d'émission et de gestion de la dette. A l'issue de cet exercice, les avancées rendues possibles par les programmes ne seront plus à démontrer.
La construction de ce nouvel édifice - qui est aussi une manière inédite de concevoir le périmètre et l'action de l'État - doit être l'occasion d'une mobilisation de l'ensemble des agents des administrations. Ils seront associés à la définition des missions, des priorités et au choix des indicateurs finalement retenus. Une administration qui sait précisément ce que l'on attend d'elle est à coup sûr mieux organisée et plus efficace. En contrepartie, les crédits seront fongibles entre eux, à l'exception des dépenses de personnel. La pertinence sur le terrain des crédits alloués primera sur leur nature. Le respect des objectifs l'emportera sur la logique des moyens.
Nous serons, au cours de ce débat, à l'écoute des propositions que vous pourrez formuler. Notre ligne de conduite sera simple : vous nous trouverez à vos côtés dès qu'il s'agira d'améliorer un peu plus encore le texte voté par l'Assemblée nationale, nous ferons valoir aussi avec constance deux préoccupations que vous comprendrez aisément.
Un premier souci, c'est que cette réforme soit applicable dès son adoption. Nous ne souhaitons pas laisser adopter des règles impraticables ou des procédures plus lourdes que celles qui sont en vigueur aujourd'hui. Lorsque vos propositions risqueront, à nos yeux, d'avoir cet effet, nous l'indiquerons clairement.
Une seconde préoccupation concerne le bon fonctionnement de l'action budgétaire. Les règles nouvelles posées par ce texte ne devront pas empêcher le Gouvernement de travailler sereinement, ni de disposer des moyens de faire face à un événement imprévu. Je pense, par exemple, à une tempête, à une crise sanitaire, ou encore à un renversement brutal de conjoncture. Je serai également sensible, pensant à mes successeurs et surtout au bon fonctionnement de l'État, au rôle du Ministre des Finances dans la nouvelle architecture. Il n'est pas questions de concentrer tous les pouvoirs au sein d'un ministère d'ailleurs très compétent, mais il ne faut pas non plus, en une démarche à courte vue, passer d'une voie extrême à une autre. Nul besoin d'être devin, en effet, pour présumer que, puisqu'un Gouvernement ne peut se désintéresser de ses finances publiques, en l'absence d'un ministre jouant pleinement son rôle, une telle situation reviendrait finalement à une gestion complète des finances publiques par les ministres ou par le Premier Ministre, qui serait alors en première ligne pour toutes les décisions financières de l'État. Est-ce souhaitable pour le bon fonctionnement de nos institutions et des relations entre majorité et opposition ? Certainement pas.
Quelques mots, avant de conclure. Pour avoir éprouvé toutes les dimensions de notre sujet dans les diverses fonctions que j'ai pu exercer, il me paraît indispensable que, parallèlement à cette réforme, vous puissiez rapidement décider de modifier, de simplifier, de rendre plus vivante et plus moderne l'organisation de la discussion budgétaire elle-même. Cela dépend de votre règlement intérieur et non pas de l'ordonnance organique. Le Président Forni a lancé ces travaux à l'Assemblée nationale et je ne doute pas que le Sénat s'y attachera également, avec ses spécificités, sous la conduite du Président Poncelet. Il me paraît également indispensable que le Parlement se dote d'une capacité d'expertise indépendante, comme c'est le cas dans d'autres démocraties et ainsi que je l'avais proposé lorsque, présidant l'Assemblée nationale, j'avais mis en place la Mission d'évaluation et de contrôle. En tout cas, je veux remercier publiquement celles et ceux qui ont permis, ces derniers mois, de faire avancer et progresser ce texte. Je salue en particulier la bienveillance de Christian Poncelet, la clarté et la force des convictions d'Alain Lambert, le concours du rapporteur général Marini, l'intérêt profond porté à ce texte par des personnalités qui ont rempli d'éminentes fonctions, dont certain à Bercy même. Tous ceux-là connaissent le texte de 1959, ils l'ont pratiqué, ils en savent l'intérêt mais ils en connaissent aussi la limite. Leur expérience sera précieuse lors du débat.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, il est assez rare d'être à l'origine d'une proposition de loi dans des fonctions parlementaires et de pouvoir y apporter comme ministre le soutien du Gouvernement. Telle est ma situation, à moi qui, comme beaucoup d'entre vous, pense que notre pays a besoin d'une réforme de l'État. En modifiant profondément la nature du débat budgétaire, cette réforme comporte évidemment une ambition plus large que le simple aménagement d'une procédure. Elle est un plaidoyer pour la liberté et la responsabilité. Liberté plus grande donnée aux parlementaires responsables devant les citoyens. Liberté plus grande accordée à des gestionnaires en contrepartie d'une responsabilité clairement mesurable devant les élus qui autorisent la dépense. Parce qu'elle est d'intérêt général, le Gouvernement soutient la démarche entreprise par les signataires de cette proposition de loi et souhaite qu'elle soit votée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat avant l'été.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 11 juin 2001)