Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés,
Je voudrais d'abord remercier Monsieur le Président Fabius et Monsieur le Président Mermaz d'avoir déposé la résolution relative à la constitution d'une commission d'enquête sur les conditions de vie des détenus. Ce mouvement a d'ailleurs traversé plusieurs groupes politiques puisque Mme Boutin, M. Goasguen et M. Hascoët en avaient également pris l'initiative.
Tout ce qui participe à une prise de conscience de l'état de nos prisons et de ce qui s'y passe est le bienvenu, et je ne doute pas que vos travaux auront un résultat bénéfique.
Il est bon que les responsables de la nation s'intéressent à ce qui se passe, comme on dit "derrière les murs". Et tout ce qui peut briser l'indifférence à l'égard des prisons est une bonne chose.
Je souhaite que votre commission puisse travailler dans les meilleures conditions d'efficacité et de transparence. Mon cabinet et la direction de l'administration pénitentiaire sont naturellement à votre disposition pour vous informer aussi précisément que possible et pour vous faciliter la tâche.
En effet, la situation dans les établissements pénitentiaires est depuis mon arrivée à la Chancellerie l'une de mes premières préoccupations.
C'est ainsi qu'en plus des visites que j'ai moi-même effectuées et que je continue à effectuer régulièrement j'ai demandé, à deux reprises, dès juillet 1997 puis en juillet 1999, aux membres de mon cabinet, assistés de cadres de l'administration centrale ou de l'inspection générale des services judiciaires, d'effectuer, le même jour, des visites dans une quinzaine d'établissements pour me faire rapport de leurs constatations.
Je souligne par ailleurs que nombre de membres du Parlement ont souhaité visiter les prisons et j'ai facilité leurs démarches. En 1999, quarante d'entre eux ont visité des prisons.
Je souhaite ici souligner la qualité du travail de votre rapporteur sur le budget de l'administration pénitentiaire, M. André GERIN et le soutien personnel de la présidente de votre commission des lois, Catherine Tasca, qui a visité en 1998 la maison d'arrêt de Bois d'Arcy et, l'an passé, la maison d'arrêt des femmes de Versailles.
Comme vous le savez, j'ai engagé de nombreuses actions concernant la pénitentiaire :
- Dès le 8 avril 1998, j'ai fait une communication sur la politique pénitentiaire au conseil des ministres.
- J'ai réuni le conseil supérieur de l'administration pénitentaire le 19 mars 1998, alors qu'il ne l'avait pas été depuis 12 années. Deux autres réunions ont été organisées depuis mars 1998 du Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire, dont plusieurs d'entre vous sont membres pour que la politique pénitentiaire soit discutée par des personnalités très diverses.
En écho aux sujets soulevés par votre excellent rapporteur Raymond Forni, et sans anticiper sur les travaux de votre commission, je souhaite saisir l'occasion de ce débat pour rappeler les grandes lignes de la politique pénitentiaire que je mène maintenant depuis deux ans et demi.
Cette politique pénitentiaire telle que l'a approuvé le conseil des ministres s'articule autour de trois grands axes :
- l'amélioration de la vie quotidienne
- la rénovation des établissements et la construction d'établissements neufs
- les alternatives à la prison.
Je peux aujourd'hui vous présenter un premier bilan qui portera successivement sur l'immobilier, sur les conditions de vie des détenus et sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Je citerai également les travaux actuellement en cours, concernant la déontologie et le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires.
Alternatives à la prison : je n'en parlerai pas puisque cet aspect sera débattu au Parlement dans le projet de loi présomption d'innocence qui abordera ce sujet sur ces deux aspects : limiter les entrées en prison par la réforme de la détention provisoire, favoriser les sorties par les libérations conditionnelles, meilleure façon de se prémunir contre la récidive. J'indiquerai au préalable, pour fixer des ordres de grandeur que ce bilan s'est aussi traduit par une hausse budgétaire significative, que vous avez bien voulu voter.
Le budget 2000 de l'administration pénitentiaire est de 7,8 milliards de francs, ce qui traduit une hausse de 434 MF (+ 5,85 %) après une hausse de 408 MF en 1999 (+ 5,8 %).
I/ Sur l'immobilier
Condition non suffisante mais nécessaire car l'amélioration des conditions de vie des détenus passe par celle des conditions d'hébergement : hygiène, espace mis à disposition, qualité de l'environnement immédiat.
Le gouvernement d'alors avait lancé en 1995 un plan pluriannuel pour la justice, prévoyant notamment la rénovation du parc pénitentiaire. Or, lorsque je suis arrivée au ministère de la justice, ce plan était gelé depuis plus d'un an.
Pourtant, pour une population pénale de près de 54.000 détenus, le nombre de cellules ne dépasse pas 39.000, ce qui induit les problèmes de promiscuité souvent évoqués.
J'ai, pour ce qui me concerne, lancé d'importantes opérations tendant à la construction de nouveaux établissements ainsi qu'à la rénovation du parc ancien.
A/ La construction de nouveaux établissements
Entre 2002 et 2003, 7 nouveaux établissements verront le jour, dont j'ai lancé le programme au début de l'année 1999.
Les maisons d'arrêt de Sequedin (Lille), Seysses (Toulouse) et Le Pontet seront terminées fin 2002.
Les maisons d'arrêt de Liancourt, Chauconin (Meaux), et La Farlède (Toulon) seront mises en service en 2003.
Un établissement sera également construit à La Réunion (ouverture prévue en 2005).
Je précise bien que ces constructions viennent remplacer des établissements vétustes et qu'elles s'inscrivent dans une politique de modernisation du parc, sans obéir à je ne sais quelle logique du "tout répressif" ou du "tout carcéral".
Il sera ainsi procédé :
- à 4.280 créations de places, soit 18 % des ouvertures depuis 1981 ;
- à 1.075 fermetures de places, soit 26 % des suppressions depuis 1981.
L'ensemble de ce programme est chiffré à 2,6 milliards de francs.
B/ La rénovation des cinq plus grandes maisons d'arrêt.
J'ai d'ores et déjà décidé - et obtenu les crédits correspondants - pour une réhabilitation complète des cinq plus grandes maisons d'arrêt, soit Loos les Lille, les Baumettes (Marseille), Fleury-Mérogis, Fresnes et La Santé.
Le budget est de 2 à 3 milliards de francs.
Est-il utile de préciser que ce programme n'a pas été arrêté dans la précipitation il y a quelques semaines, mais qu'il fait suite à des études minutieuses ? Son annonce est d'ailleurs intervenue il y a près de 10 mois en juillet 1999 lors d'une réunion du Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire.
C/ Ce qui reste à faire en matière immobilière : réhabiliter l'ensemble du parc classique
Un programme d'1 milliard de francs est d'ores et déjà en cours d'exécution. L'opération totale devrait coûter 3,2 milliards de francs. Ces chiffrages résultent d'une étude que j'ai engagée dès décembre 1998.
Compte tenu de ce qui a déjà été obtenu, c'est une somme de l'ordre de 10 Milliards de francs qui est nécessaire, en plus des investissements que j'ai déjà engagés, pour mettre notre parc immobilier aux normes qu'une démocratie moderne se doit d'observer : une cellule par détenu, une douche par cellule, des espaces suffisants pour les promenades, le sport, et le travail, ainsi que les locaux pour le personnel pénitentiaire.
II/ Sur les conditions de vie des détenus
J'ai exprimé, lors de la communication que j'ai faite au Conseil des ministres le 8 avril 1998, ma volonté d'améliorer les conditions de prise en charge des détenus dans les domaines de la santé, de l'hygiène, de l'éducation, de la prise en charge des détenus posant des problèmes spécifiques, tels que les toxicomanes, les délinquants sexuels ou les mineurs.
J'ai d'abord mis en oeuvre des moyens propres à éviter la détention : la réforme des comités de probation, devenus services pénitentiaires d'insertion et de probation, intervenue en avril 1999, avait pour objet d'assurer un meilleur suivi des personnes confiées par la justice, ce qui est un moyen d'éviter l'incarcération.
Je n'insisterai pas longuement sur le projet de loi qui va nous occuper la semaine prochaine, relatif au renforcement de la présomption d'innocence et dont de nombreuses dispositions sont de nature soit à éviter la détention, soit à améliorer son déroulement.
Pour ce qui concerne plus directement les personnes subissant incarcérées :
- 22,8 MF ont été consacrés en 1999 à l'amélioration des conditions de vie quotidienne de la population pénale.
- La réforme de la santé a été mise en oeuvre : la réglementation a été adaptée au nouveau cadre d'organisation des soins, entièrement confiés au personnel d'un établissement hospitalier.
- La "trousse entrants"; contenant des produits d'hygiène est maintenant renouvelée pour les indigents qui ne disposent d'aucun moyen d'améliorer leur situation par un achat en cantine.
Le nombre de douches a été porté à trois par semaines, au lieu de deux, voire parfois une. Le code de procédure pénale a été modifié en ce sens le 8/12/98 (article D 358 du CPP).
Deux importantes circulaires ont été diffusées :
- la première, du 28 mai 1998, concerne la prévention des suicides ;
- la seconde, du 14 décembre 1998 concerne l'encadrement de la procédure d'isolement.
L'amélioration de la détention des mineurs est évidemment un objectif prioritaire : renforcement de l'encadrement, réaménagement des quartiers mineurs, enseignement assuré en concertation avec l'éducation nationale.
D'ores et déjà, le quartier des mineurs de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis a été rénové, sur la base de quartiers de 15 à 20 mineurs au maximum, encadrés par des surveillants formés par la protection judiciaire de la jeunesse et volontaires. D'autres quartiers seront ouverts en 2000 sur le même modèle, notamment en région parisienne.
Des projets importants sont enfin en cours : centres pour peines aménagés, qui permettront aux détenus de mieux préparer leur sortie, unités de vie familiale permettant à un détenu de rencontrer des membres de sa famille dans un cadre plus intime et qui seront bientôt testées dans trois établissements.
Les mauvaises conditions de détention sont aussi de mauvaises conditions de travail, et je ne doute pas qu'agir sur l'un de ces registres entraîne des améliorations pour l'autre.
III/ sur les conditions de travail du personnel pénitentiaire
Cette communication me donne l'occasion de rendre hommage à ces fonctionnaires qui, avec dévouement, exercent des fonctions difficiles les mettant au contact direct des problèmes humains, avec ce que cela suppose d'engagement personnel, de savoir-faire et parfois même de courage. Ce travail est plus difficile aujourd'hui qu'hier car la population pénale a profondément changée comme l'a souligné il y a un instant votre rapporteur Raymond FORNI.
30 % des entrants déclarent une consommation excessive de drogue.
21 % des détenus sont illettrés ou au seuil de l'illettrisme.
23 % des entrants sont sans emploi.
10 % des entrants déclarent avoir fait l'objet d'un suivi psychiatrique régulier dans les 12 mois.
La prison est le bout de l'exclusion et cette population pénale est plus difficile à gérer. Il faut aussi savoir qu'il y a trop de détenus qui relèveraient davantage des hopitaux psychiatriques.
L'amélioration des conditions de travail passe par l'adéquation des tâches et des moyens : là aussi je suis arrivée sur un terrain défavorisé. Il suffit de considérer que lorsque la "bonification du 1/5ème" a été décidée en 1996 pour les personnels pénitentiaires, ce que j'approuve totalement, aucune mesure n'avait été prise pour anticiper les départs à la retraite que ce nouveau dispositif allait provoquer et pour créer les postes destinés à compenser ces départs.
J'ai donc créé des emplois.
- en 1999 : 344 emplois dont 215 de personnels de surveillance ;
- en 2000 : 386 emplois dont 290 de personnels de surveillance.
J'ai par ailleurs conduit deux actions qui présentent un rapport direct avec le conditions de travail du personnel de l'administration pénitentiaire parce qu'elles les valorisent et les garantissent à la fois.
IV La déontologie et le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires
Le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires et le renforcement des règles déontologiques sont parmi mes priorités et ce depuis mon installation au ministère de la justice. Dans ma communication en conseil des ministres du 08/04/98 j'annonçais :
- la mise en place d'un code de déontologie
- le renforcement des contrôles extérieurs.
A/ Le code de déontologie
Dès la première réunion du Conseil Supérieur de l'Administration Pénitentiaire, en mars 1998, qui je le rappelle ne s'était pas réuni depuis 12 ans, j'ai engagé le débat sur le code de déontologie. Ce texte est maintenant rédigé. Il a été soumis à la Commission Consultative des Droits de l'Homme, qui a rendu son avis le 27 janvier dernier. Ses remarques seront d'ailleurs largement prises en compte. Il sera transmis au Conseil d'Etat dans les prochains jours.
B/ Le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires
Vous savez qu'actuellement, au Sénat, se déroule un débat sur le "conseil supérieur de la déontologie de la sécurité". Le gouvernement n'a pas souhaité intégrer dans la compétence de ce conseil, l'administration pénitentiaire. Ce n'est certainement pas par volonté de faire échapper cette administration à un regard extérieur nécessaire. Mais pour des raisons de principe.
Sur ce point je souhaite citer ici, votre rapporteur, Bruno LEROUX, qui au cours des débats sur ce texte, le 4 juin 1998, s'est expliqué clairement en indiquant :
"Dans ce texte, le critère de sécurité est entendu comme sécurité du citoyen dans sa vie quotidienne. Dès lors, je n'ai pas jugé opportun d'inclure les services pénitentiaires dans le champ de compétence de la commission dans la mesure où leurs agents ne sont qu'exceptionnellement en contact avec l'ensemble de la population"
Vous l'avez alors suivi et n'avez pas inclus l'administration pénitentiaire dans le champ de compétence de la future commission.
J'ajouterai que la convention européenne du 27/11/87 sur la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants n'a d'ailleurs pas confondu les missions et les rôles de chacun.
Le comité contre la torture, issu de cette convention, est compétent pour les lieux clos : prisons, locaux de garde à vue et hôpitaux psychiatriques.
D'ailleurs, aucun de nos partenaires européens n'a fait le choix, en matière de contrôle déontologique de mélanger pénitentiaire et police.
Comme je vous l'ai dit, cette option n'est pas le fruit d'une réserve sur ce sujet du contrôle extérieur.
J'ai installé en juillet 1999, un groupe de travail confié au Premier Président de la cour de cassation, Guy CANIVET, sur le contrôle des établissements pénitentiaires. J'attends ses conclusions pour février.
Je sais que ce groupe s'est rendu dans plusieurs pays européens, dont les Pays Bas et la Grande Bretagne. Ce pays vient de se doter d'un organe indépendant de contrôle des prisons et de médiateurs civils pour les détenus. Ces deux organes sont d'ailleurs spécifiques aux prisons. C'est un exemple qu'il faut étudier. D'autres solutions sont possibles, comme la mise en place de structures locales et citoyennes de surveillance, de recours judiciaires, de médiateurs locaux...Elles seront étudiées.
Croyez bien, en ma forte détermination de trouver et de mettre en place, très rapidement des instances, efficaces, proches des établissements et totalement indépendantes pour assurer un réel contrôle de la vie carcérale.
Attention à ne pas attaquer les fonctionnaires qu'il s'agisse des surveillants et ou de l'encadrement. J'indique à M. GOASGUEN que chaque garde des sceaux est responsable de réponses faites par son administration et il n'est pas dans les usages de s'en prendre à des fonctionnaires.
Je vous ai dit que je n'aborderai pas ce troisième axe, pourtant essentiel de ma politique pénitentiaire, puisque nous allons en débattre la semaine prochaine au moment de la deuxième lecture du projet de loi sur la présomption d'innocence.
Nous agirons aussi en amont, sur la détention provisoire qui, sont en effet trop nombreuses, (13000 sur 52000 soit 22 % et non 40 % comme je l'ai entendu car sur les 20000, 7000 ont déjà été jugés en première instance et attendent le jugement en appel ou cassation.
Nous agirons aussi en aval sur les libérations conditionnelles qui doivent être plus nombreuses car elles sont le meilleur moyen de lutter contre la récidive. J'ai demandé à ce sujet un rapport à une commission présidée par M. FARGE, Conseiller à la Cour de cassation. J'ai déjà depuis deux ans dit que j'étais favorable à ce que les décisions des juges de l'application des peines fassent l'objet d'un débat contradictoire en présence de l'avocat du détenu et que ces décisions puissent faire l'objet d'un appel. Je suis heureuse que la commission des lois ait tenue hier à s'engager dans cette voie.
En conclusion
Je crois pouvoir vous dire que vos préoccupations, concernant les prisons, sont également les miennes. Pour tous ceux qui s'intéressent à ces questions, l'annonce de la constitution de votre commission est une bonne nouvelle. Non seulement elle a une forte valeur symbolique mais je ne doute pas que vos constats et propositions seront autant de précieux éléments aidant à l'action du gouvernement.
Votre unanimité aujourd'hui est un gage supplémentaire de réussite. Le service public pénitentiaire et la nation y gagneront.
Je vous remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 5 juin 2000)
Je voudrais d'abord remercier Monsieur le Président Fabius et Monsieur le Président Mermaz d'avoir déposé la résolution relative à la constitution d'une commission d'enquête sur les conditions de vie des détenus. Ce mouvement a d'ailleurs traversé plusieurs groupes politiques puisque Mme Boutin, M. Goasguen et M. Hascoët en avaient également pris l'initiative.
Tout ce qui participe à une prise de conscience de l'état de nos prisons et de ce qui s'y passe est le bienvenu, et je ne doute pas que vos travaux auront un résultat bénéfique.
Il est bon que les responsables de la nation s'intéressent à ce qui se passe, comme on dit "derrière les murs". Et tout ce qui peut briser l'indifférence à l'égard des prisons est une bonne chose.
Je souhaite que votre commission puisse travailler dans les meilleures conditions d'efficacité et de transparence. Mon cabinet et la direction de l'administration pénitentiaire sont naturellement à votre disposition pour vous informer aussi précisément que possible et pour vous faciliter la tâche.
En effet, la situation dans les établissements pénitentiaires est depuis mon arrivée à la Chancellerie l'une de mes premières préoccupations.
C'est ainsi qu'en plus des visites que j'ai moi-même effectuées et que je continue à effectuer régulièrement j'ai demandé, à deux reprises, dès juillet 1997 puis en juillet 1999, aux membres de mon cabinet, assistés de cadres de l'administration centrale ou de l'inspection générale des services judiciaires, d'effectuer, le même jour, des visites dans une quinzaine d'établissements pour me faire rapport de leurs constatations.
Je souligne par ailleurs que nombre de membres du Parlement ont souhaité visiter les prisons et j'ai facilité leurs démarches. En 1999, quarante d'entre eux ont visité des prisons.
Je souhaite ici souligner la qualité du travail de votre rapporteur sur le budget de l'administration pénitentiaire, M. André GERIN et le soutien personnel de la présidente de votre commission des lois, Catherine Tasca, qui a visité en 1998 la maison d'arrêt de Bois d'Arcy et, l'an passé, la maison d'arrêt des femmes de Versailles.
Comme vous le savez, j'ai engagé de nombreuses actions concernant la pénitentiaire :
- Dès le 8 avril 1998, j'ai fait une communication sur la politique pénitentiaire au conseil des ministres.
- J'ai réuni le conseil supérieur de l'administration pénitentaire le 19 mars 1998, alors qu'il ne l'avait pas été depuis 12 années. Deux autres réunions ont été organisées depuis mars 1998 du Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire, dont plusieurs d'entre vous sont membres pour que la politique pénitentiaire soit discutée par des personnalités très diverses.
En écho aux sujets soulevés par votre excellent rapporteur Raymond Forni, et sans anticiper sur les travaux de votre commission, je souhaite saisir l'occasion de ce débat pour rappeler les grandes lignes de la politique pénitentiaire que je mène maintenant depuis deux ans et demi.
Cette politique pénitentiaire telle que l'a approuvé le conseil des ministres s'articule autour de trois grands axes :
- l'amélioration de la vie quotidienne
- la rénovation des établissements et la construction d'établissements neufs
- les alternatives à la prison.
Je peux aujourd'hui vous présenter un premier bilan qui portera successivement sur l'immobilier, sur les conditions de vie des détenus et sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Je citerai également les travaux actuellement en cours, concernant la déontologie et le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires.
Alternatives à la prison : je n'en parlerai pas puisque cet aspect sera débattu au Parlement dans le projet de loi présomption d'innocence qui abordera ce sujet sur ces deux aspects : limiter les entrées en prison par la réforme de la détention provisoire, favoriser les sorties par les libérations conditionnelles, meilleure façon de se prémunir contre la récidive. J'indiquerai au préalable, pour fixer des ordres de grandeur que ce bilan s'est aussi traduit par une hausse budgétaire significative, que vous avez bien voulu voter.
Le budget 2000 de l'administration pénitentiaire est de 7,8 milliards de francs, ce qui traduit une hausse de 434 MF (+ 5,85 %) après une hausse de 408 MF en 1999 (+ 5,8 %).
I/ Sur l'immobilier
Condition non suffisante mais nécessaire car l'amélioration des conditions de vie des détenus passe par celle des conditions d'hébergement : hygiène, espace mis à disposition, qualité de l'environnement immédiat.
Le gouvernement d'alors avait lancé en 1995 un plan pluriannuel pour la justice, prévoyant notamment la rénovation du parc pénitentiaire. Or, lorsque je suis arrivée au ministère de la justice, ce plan était gelé depuis plus d'un an.
Pourtant, pour une population pénale de près de 54.000 détenus, le nombre de cellules ne dépasse pas 39.000, ce qui induit les problèmes de promiscuité souvent évoqués.
J'ai, pour ce qui me concerne, lancé d'importantes opérations tendant à la construction de nouveaux établissements ainsi qu'à la rénovation du parc ancien.
A/ La construction de nouveaux établissements
Entre 2002 et 2003, 7 nouveaux établissements verront le jour, dont j'ai lancé le programme au début de l'année 1999.
Les maisons d'arrêt de Sequedin (Lille), Seysses (Toulouse) et Le Pontet seront terminées fin 2002.
Les maisons d'arrêt de Liancourt, Chauconin (Meaux), et La Farlède (Toulon) seront mises en service en 2003.
Un établissement sera également construit à La Réunion (ouverture prévue en 2005).
Je précise bien que ces constructions viennent remplacer des établissements vétustes et qu'elles s'inscrivent dans une politique de modernisation du parc, sans obéir à je ne sais quelle logique du "tout répressif" ou du "tout carcéral".
Il sera ainsi procédé :
- à 4.280 créations de places, soit 18 % des ouvertures depuis 1981 ;
- à 1.075 fermetures de places, soit 26 % des suppressions depuis 1981.
L'ensemble de ce programme est chiffré à 2,6 milliards de francs.
B/ La rénovation des cinq plus grandes maisons d'arrêt.
J'ai d'ores et déjà décidé - et obtenu les crédits correspondants - pour une réhabilitation complète des cinq plus grandes maisons d'arrêt, soit Loos les Lille, les Baumettes (Marseille), Fleury-Mérogis, Fresnes et La Santé.
Le budget est de 2 à 3 milliards de francs.
Est-il utile de préciser que ce programme n'a pas été arrêté dans la précipitation il y a quelques semaines, mais qu'il fait suite à des études minutieuses ? Son annonce est d'ailleurs intervenue il y a près de 10 mois en juillet 1999 lors d'une réunion du Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire.
C/ Ce qui reste à faire en matière immobilière : réhabiliter l'ensemble du parc classique
Un programme d'1 milliard de francs est d'ores et déjà en cours d'exécution. L'opération totale devrait coûter 3,2 milliards de francs. Ces chiffrages résultent d'une étude que j'ai engagée dès décembre 1998.
Compte tenu de ce qui a déjà été obtenu, c'est une somme de l'ordre de 10 Milliards de francs qui est nécessaire, en plus des investissements que j'ai déjà engagés, pour mettre notre parc immobilier aux normes qu'une démocratie moderne se doit d'observer : une cellule par détenu, une douche par cellule, des espaces suffisants pour les promenades, le sport, et le travail, ainsi que les locaux pour le personnel pénitentiaire.
II/ Sur les conditions de vie des détenus
J'ai exprimé, lors de la communication que j'ai faite au Conseil des ministres le 8 avril 1998, ma volonté d'améliorer les conditions de prise en charge des détenus dans les domaines de la santé, de l'hygiène, de l'éducation, de la prise en charge des détenus posant des problèmes spécifiques, tels que les toxicomanes, les délinquants sexuels ou les mineurs.
J'ai d'abord mis en oeuvre des moyens propres à éviter la détention : la réforme des comités de probation, devenus services pénitentiaires d'insertion et de probation, intervenue en avril 1999, avait pour objet d'assurer un meilleur suivi des personnes confiées par la justice, ce qui est un moyen d'éviter l'incarcération.
Je n'insisterai pas longuement sur le projet de loi qui va nous occuper la semaine prochaine, relatif au renforcement de la présomption d'innocence et dont de nombreuses dispositions sont de nature soit à éviter la détention, soit à améliorer son déroulement.
Pour ce qui concerne plus directement les personnes subissant incarcérées :
- 22,8 MF ont été consacrés en 1999 à l'amélioration des conditions de vie quotidienne de la population pénale.
- La réforme de la santé a été mise en oeuvre : la réglementation a été adaptée au nouveau cadre d'organisation des soins, entièrement confiés au personnel d'un établissement hospitalier.
- La "trousse entrants"; contenant des produits d'hygiène est maintenant renouvelée pour les indigents qui ne disposent d'aucun moyen d'améliorer leur situation par un achat en cantine.
Le nombre de douches a été porté à trois par semaines, au lieu de deux, voire parfois une. Le code de procédure pénale a été modifié en ce sens le 8/12/98 (article D 358 du CPP).
Deux importantes circulaires ont été diffusées :
- la première, du 28 mai 1998, concerne la prévention des suicides ;
- la seconde, du 14 décembre 1998 concerne l'encadrement de la procédure d'isolement.
L'amélioration de la détention des mineurs est évidemment un objectif prioritaire : renforcement de l'encadrement, réaménagement des quartiers mineurs, enseignement assuré en concertation avec l'éducation nationale.
D'ores et déjà, le quartier des mineurs de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis a été rénové, sur la base de quartiers de 15 à 20 mineurs au maximum, encadrés par des surveillants formés par la protection judiciaire de la jeunesse et volontaires. D'autres quartiers seront ouverts en 2000 sur le même modèle, notamment en région parisienne.
Des projets importants sont enfin en cours : centres pour peines aménagés, qui permettront aux détenus de mieux préparer leur sortie, unités de vie familiale permettant à un détenu de rencontrer des membres de sa famille dans un cadre plus intime et qui seront bientôt testées dans trois établissements.
Les mauvaises conditions de détention sont aussi de mauvaises conditions de travail, et je ne doute pas qu'agir sur l'un de ces registres entraîne des améliorations pour l'autre.
III/ sur les conditions de travail du personnel pénitentiaire
Cette communication me donne l'occasion de rendre hommage à ces fonctionnaires qui, avec dévouement, exercent des fonctions difficiles les mettant au contact direct des problèmes humains, avec ce que cela suppose d'engagement personnel, de savoir-faire et parfois même de courage. Ce travail est plus difficile aujourd'hui qu'hier car la population pénale a profondément changée comme l'a souligné il y a un instant votre rapporteur Raymond FORNI.
30 % des entrants déclarent une consommation excessive de drogue.
21 % des détenus sont illettrés ou au seuil de l'illettrisme.
23 % des entrants sont sans emploi.
10 % des entrants déclarent avoir fait l'objet d'un suivi psychiatrique régulier dans les 12 mois.
La prison est le bout de l'exclusion et cette population pénale est plus difficile à gérer. Il faut aussi savoir qu'il y a trop de détenus qui relèveraient davantage des hopitaux psychiatriques.
L'amélioration des conditions de travail passe par l'adéquation des tâches et des moyens : là aussi je suis arrivée sur un terrain défavorisé. Il suffit de considérer que lorsque la "bonification du 1/5ème" a été décidée en 1996 pour les personnels pénitentiaires, ce que j'approuve totalement, aucune mesure n'avait été prise pour anticiper les départs à la retraite que ce nouveau dispositif allait provoquer et pour créer les postes destinés à compenser ces départs.
J'ai donc créé des emplois.
- en 1999 : 344 emplois dont 215 de personnels de surveillance ;
- en 2000 : 386 emplois dont 290 de personnels de surveillance.
J'ai par ailleurs conduit deux actions qui présentent un rapport direct avec le conditions de travail du personnel de l'administration pénitentiaire parce qu'elles les valorisent et les garantissent à la fois.
IV La déontologie et le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires
Le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires et le renforcement des règles déontologiques sont parmi mes priorités et ce depuis mon installation au ministère de la justice. Dans ma communication en conseil des ministres du 08/04/98 j'annonçais :
- la mise en place d'un code de déontologie
- le renforcement des contrôles extérieurs.
A/ Le code de déontologie
Dès la première réunion du Conseil Supérieur de l'Administration Pénitentiaire, en mars 1998, qui je le rappelle ne s'était pas réuni depuis 12 ans, j'ai engagé le débat sur le code de déontologie. Ce texte est maintenant rédigé. Il a été soumis à la Commission Consultative des Droits de l'Homme, qui a rendu son avis le 27 janvier dernier. Ses remarques seront d'ailleurs largement prises en compte. Il sera transmis au Conseil d'Etat dans les prochains jours.
B/ Le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires
Vous savez qu'actuellement, au Sénat, se déroule un débat sur le "conseil supérieur de la déontologie de la sécurité". Le gouvernement n'a pas souhaité intégrer dans la compétence de ce conseil, l'administration pénitentiaire. Ce n'est certainement pas par volonté de faire échapper cette administration à un regard extérieur nécessaire. Mais pour des raisons de principe.
Sur ce point je souhaite citer ici, votre rapporteur, Bruno LEROUX, qui au cours des débats sur ce texte, le 4 juin 1998, s'est expliqué clairement en indiquant :
"Dans ce texte, le critère de sécurité est entendu comme sécurité du citoyen dans sa vie quotidienne. Dès lors, je n'ai pas jugé opportun d'inclure les services pénitentiaires dans le champ de compétence de la commission dans la mesure où leurs agents ne sont qu'exceptionnellement en contact avec l'ensemble de la population"
Vous l'avez alors suivi et n'avez pas inclus l'administration pénitentiaire dans le champ de compétence de la future commission.
J'ajouterai que la convention européenne du 27/11/87 sur la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants n'a d'ailleurs pas confondu les missions et les rôles de chacun.
Le comité contre la torture, issu de cette convention, est compétent pour les lieux clos : prisons, locaux de garde à vue et hôpitaux psychiatriques.
D'ailleurs, aucun de nos partenaires européens n'a fait le choix, en matière de contrôle déontologique de mélanger pénitentiaire et police.
Comme je vous l'ai dit, cette option n'est pas le fruit d'une réserve sur ce sujet du contrôle extérieur.
J'ai installé en juillet 1999, un groupe de travail confié au Premier Président de la cour de cassation, Guy CANIVET, sur le contrôle des établissements pénitentiaires. J'attends ses conclusions pour février.
Je sais que ce groupe s'est rendu dans plusieurs pays européens, dont les Pays Bas et la Grande Bretagne. Ce pays vient de se doter d'un organe indépendant de contrôle des prisons et de médiateurs civils pour les détenus. Ces deux organes sont d'ailleurs spécifiques aux prisons. C'est un exemple qu'il faut étudier. D'autres solutions sont possibles, comme la mise en place de structures locales et citoyennes de surveillance, de recours judiciaires, de médiateurs locaux...Elles seront étudiées.
Croyez bien, en ma forte détermination de trouver et de mettre en place, très rapidement des instances, efficaces, proches des établissements et totalement indépendantes pour assurer un réel contrôle de la vie carcérale.
Attention à ne pas attaquer les fonctionnaires qu'il s'agisse des surveillants et ou de l'encadrement. J'indique à M. GOASGUEN que chaque garde des sceaux est responsable de réponses faites par son administration et il n'est pas dans les usages de s'en prendre à des fonctionnaires.
Je vous ai dit que je n'aborderai pas ce troisième axe, pourtant essentiel de ma politique pénitentiaire, puisque nous allons en débattre la semaine prochaine au moment de la deuxième lecture du projet de loi sur la présomption d'innocence.
Nous agirons aussi en amont, sur la détention provisoire qui, sont en effet trop nombreuses, (13000 sur 52000 soit 22 % et non 40 % comme je l'ai entendu car sur les 20000, 7000 ont déjà été jugés en première instance et attendent le jugement en appel ou cassation.
Nous agirons aussi en aval sur les libérations conditionnelles qui doivent être plus nombreuses car elles sont le meilleur moyen de lutter contre la récidive. J'ai demandé à ce sujet un rapport à une commission présidée par M. FARGE, Conseiller à la Cour de cassation. J'ai déjà depuis deux ans dit que j'étais favorable à ce que les décisions des juges de l'application des peines fassent l'objet d'un débat contradictoire en présence de l'avocat du détenu et que ces décisions puissent faire l'objet d'un appel. Je suis heureuse que la commission des lois ait tenue hier à s'engager dans cette voie.
En conclusion
Je crois pouvoir vous dire que vos préoccupations, concernant les prisons, sont également les miennes. Pour tous ceux qui s'intéressent à ces questions, l'annonce de la constitution de votre commission est une bonne nouvelle. Non seulement elle a une forte valeur symbolique mais je ne doute pas que vos constats et propositions seront autant de précieux éléments aidant à l'action du gouvernement.
Votre unanimité aujourd'hui est un gage supplémentaire de réussite. Le service public pénitentiaire et la nation y gagneront.
Je vous remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 5 juin 2000)