Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "France Info" le 12 octobre 2015, sur le financement de la lutte contre le réchauffement climatique, sur la proposition d'amendement de Jean-Marc Ayrault sur la CSG.

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Média : France Info

Texte intégral

FABIENNE SINTES
Votre invité Jean-François ACHILLI ce matin est donc ministre des Finances et des Comptes publics.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Oui ! Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous rentrez de Lima, où se tenait une réunion FMI - banque mondiale - question : est-ce que vous avez enfin trouvé les 100 milliards par an pour financer la lutte contre le réchauffement climatique ?
MICHEL SAPIN
La réponse est presque oui ! Mais pourquoi faire ? Parce qu'au fond on parle de centaine de milliards, les gens n'y voient pas grand-chose, les chiffres sont trop gros et tout ça parait lointain.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est du grand n'importe quoi ?
MICHEL SAPIN
Non ! Ce n'est pas du n'importe quoi, c'est justement pour être très concret, c'est pour être très précis. Si nous voulons lutter contre le réchauffement de la planète, je pense qu'aujourd'hui chacun a compris pourquoi, on dépasse trois degrés de plus, quatre degrés de plus, ça veut dire que la mer monte, ça veut dire qu'il pleut de manière absolument catastrophique, ça veut dire que la sécheresse progresse dans une partie des pays du monde… Bon ! Si on veut lutter contre tout cela, il faut dépenser de l'argent et il faut construire des digues pour se protéger contre la mer qui monte mais il faut aussi mettre en place des centrales au soleil – solaires plutôt – que des centrales au charbon et il faut financer cela dans les pays les plus…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc ?
MICHEL SAPIN
Les plus en difficulté et donc il faut mobiliser à l'horizon de 2020 aux alentours de 100 milliards d'euros par an, pardon de dollars par an, pour permettre de financer ces actions.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et combien la France va-t-elle donner…
MICHEL SAPIN
La France est parmi les plus grands donateurs…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors que les caisses sont vides ?
MICHEL SAPIN
Parmi les plus grands donateurs, puisque le président s'est engagé à l'horizon de 2020 à augmenter de quatre milliards d'euros les financements divers – ce n‘est pas seulement des dons, ce sont des prêts, mais des prêts qui sont bonifiés pour permettre de financer tout cela – donc la France est le moteur, la France est à la tête, la France est animateur, la France a été Lima…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Mais pourquoi la somme ? Clairement, il va falloir trouver ces capitaux ?
MICHEL SAPIN
Oui ! Mais je vous répète que quand on dit quatre milliards il y a là-dedans un certain nombre de prêts qui sont mis en place par l'AFD, qui sont mis en place par la CAISSE DES DEPOTS & CONSIGNATIONS, je ne vais pas rentrer dans tous les détails, mais on prête de l'argent dans des conditions pas chères pour permettre à ces pays de mettre en place des centrales – je le répète – pour fabriquer de l'électricité, mais qui ne déversent pas en même temps plein de gaz carbonique dans l'atmosphère.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Michel SAPIN, la presse allemande fait état d'une surtaxe européenne pour financer les migrants, les flux migratoires, elle serait prélevée sur la TVA, voire les carburants, vrai ou faux ?
MICHEL SAPIN
Oh ! J'ai cru comprendre que tout ça avait été démenti, heureusement, parce que si l'on veut à chaque fois qu'il y a une difficulté la résoudre on passe une taxant on est sûrs de rendre incompréhensible pour les gens le problème. Oui ! Il faut financer évidemment l'accueil des réfugiés, mais je crois qu'on est capables compte tenu des sommes en jeu de le faire en faisant par ailleurs des économies.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc, c'est non ?
MICHEL SAPIN
Ca me parait une mauvaise idée ! Si c'est un problème, une taxe, on est sûrs qu'on ne résout pas le problème.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et pourtant l'actualité, Michel SAPIN, vous venez de l'entendre avec Fabienne SINTES, ce sont ces six djihadistes Français tués dans des frappes aériennes françaises en Syrie, annonce de Manuel VALLS en Jordanie. Vous diriez quoi ? Faites le climat pas la guerre ! Qu'est-ce qu'il faut faire ? Est-ce que nous sommes-là à financer la guerre aujourd'hui ?
MICHEL SAPIN
Je n'ai pas très bien vu le lien entre les deux ! Il faut faire les deux, il faut lutter contre le réchauffement…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On a les moyens pour la guerre ?
MICHEL SAPIN
Il faut lutter contre le réchauffement climatique, qui parfois crée d'ailleurs une instabilité économique, une instabilité sociale - qui elle-même est propice à l'installation de régimes aussi ahurissants et aussi terrifiants que celui de Daesh dans le Moyen Orient – donc il faut – et c'est du moyen long terme – lutter contre le réchauffement climatique mais il faut par ailleurs évidemment lutter contre le terroriste, ça c'est immédiat, ça a des effets immédiats. On parlait des réfugiés, les réfugiés pourquoi ils sont réfugiés ? Parce qu'il y a la guerre, parce qu'il y a des atrocités, parce que les gens veulent sauver leur peau – on les comprend, on serait à leur place on voudrait aussi sauver notre peau – donc il faut lutter sur les deux fronts, mais ce n'est pas de même nature.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Le budget 2016, Michel SAPIN, arrive demain à l'Assemblée nationale et vous avez un nouvel opposant, il s'appelle…Jean-Marc AYRAULT, qui, à la tête de 130 députés, dépose un amendement pour remplacer la prime d'activité par une ristourne, allez on va employer un mot plus clair, par une baisse de la CSG…
MICHEL SAPIN
De la CSG ! Oui.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Est-ce que vous lui dites oui à Jean-Marc AYRAULT ?
MICHEL SAPIN
Mais pourquoi parler d'opposant ?
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce que ça n'était pas prévu !
MICHEL SAPIN
Si ! Il défend cette position-là depuis très longtemps, donc pourquoi d'opposant ? Jean-Marc AYRAULT il a été Premier ministre de la France, Premier ministre du président de la République, j'ai été son ministre, donc nous sommes dans le cadre des débats tout à fait légitimes qui constructifs. Alors, après, sur quoi peut-on déboucher ? Qu'est-ce qu'on peut faire tout de suite ?
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Je crois que vous le rencontrez demain, vous dites oui à l'amendement ou pas ?
MICHEL SAPIN
Mais on se parle tout le temps ! On se parle tout le temps, donc on verra comment on fait sur cet amendement. Mais il y a deux choses : il y a une idée, qui est une idée de long terme, qui consisterait à fusionner la CSG, que tout le monde paie – parce que tout le monde paie l‘impôt en France contrairement à ce que certains disent – avec l'impôt sur le revenu…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Promesse de François HOLLANDE ?
MICHEL SAPIN
Non ! Ce n'était pas une promesse, je le sais bien puisque c'est moi qui ait écrit en l'occurrence le document sur cet… des choses.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc, ce n'est pas une promesse ?
MICHEL SAPIN
Non, c'était une perspective. Donc il faut y travailler et nous allons y travailler, y compris en mettant en place la capacité de percevoir l'impôt à la source - la CSG c'est à la source, l'impôt sur le revenu ce n'est pas à la source - donc il faut essayer de rapprocher les deux, rapprocher les deux nous le faisons, fusionner les deux non, parce qu'aujourd'hui fusionner les deux c'est très simple ça voudrait dire baisser l'impôt pour certains mais l'augmenter pour la moitié des autres, ce n'est pas le moment, on est justement en train de baisser l'impôt du plus grand nombre des Français, donc je ne veux pas qu'il y ait un message d'augmentation au moment où nous mettons en place des baisses d'impôt.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc, pas de fusion ou pas tout de suite ?
MICHEL SAPIN
Ensuite il y a une autre proposition qui consisterait à imputer une partie d'une prime d'activité sur la CSG, c'est une idée qui est intéressante mais qui risque – et c'est ça qu'il faut regarder – de se heurter à des problèmes constitutionnels très complexes, jusqu'à présent le Conseil constitutionnel a toujours refusé la modulation du niveau de la CSG.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc, ce n'est pas un frondeur, un super frondeur, Jean-Marc AYRAULT ?
MICHEL SAPIN
Mais non ! Jean-Marc AYRAULT est-ce qu'il a une tête de frondeur ? Donc c'est quelqu'un qui est constructif, c'est quelqu'un qui a des idées, c'est quelqu'un qui est profondément respectable, c'est quelqu'un qui se bat dans l'intérêt de tous et de dialoguer, et de débattre, franchement mais alors si la démocratie ça n'est pas le débat je ne comprends plus rien à rien.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc, il n'a pas une tête de frondeur, vous ne le réprimandez pas comme vous l'avez fait récemment chez nos confrères d'I Télé avec Emmanuel MACRON ?
MICHEL SAPIN
Emmanuel MACRON il n'a pas une tête de frondeur non plus ! Donc on n'est pas dans… pas du tout, je n'ai pas réprimandé Emmanuel MACRON. J'ai simplement dit, mais c'est vrai pour n'importe quel ministre – il se trouve que c'est l‘avantage d'avoir un peu d'expérience… Voilà ! Ce n'est pas mon premier poste de ministre, ce n'est pas la première fois, j'ai eu d'autres Premiers ministres, d'autres Présidents de la République - je sais que quand on est ministre on n'est pas un homme qui peut parler à tout moment de toute chose, on agit dans son domaine, dans son secteur, on essaie d'être le plus efficace possible et, quand Emmanuel MACRON travaille dans son secteur, il est d'une très grande efficacité.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Michel SAPIN un rapport de la Cour des comptes, révélé demain mais dont on connait un peu les grandes lignes, va une fois de plus épingler la baisse des dotations de l'Etat vers les collectivités, il semblerait qu'il y ait une piste qui soit proposée, avancée, c'est que les collectivités fassent un peu le ménage et réduisent un peu leurs frais de personnel, qu'il y ait moins de monde?
MICHEL SAPIN
La Cour des comptes ne va pas épingler la baisse des dotations, elle réclame depuis longtemps la baisse des dotations, par contre elle va épingler l'augmentation des frais de fonctionnement des collectivités locales. Oui ! Et je le répète souvent, j'ai été maire pendant des années et des années d'une petite commune qui s'appelle Argenton-sur-Creuse…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui !
MICHEL SAPIN
J'ai été président d'une Région - pas la plus grande de France, mais enfin malgré tout – qui s'appelle la Région Centre pendant deux mandats, donc je sais ce que c'est qu'une collectivité locale, je sais la difficulté à gérer une collectivité locale, mais je sais aussi que dans ces périodes où tout le monde soit faire des économies il est possible de faire des économies de fonctionnement dans les collectivités locales. Alors pas n'importe comment, il ne faut pas faire ça à toute force, mais on peut faire des économies dans les collectivités locales.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ca passe par là en fait, les frais de personnel, les frais de fonctionnement ?
MICHEL SAPIN
Mais oui, évidemment, c'est par les frais de fonctionnement. Les frais de personnel ont explosé au cours de ces dernières années, parfois pour des raisons parfaitement légitimes, d'autres fois parce que voilà on n'a pas fait suffisamment attention, eh bien maintenant on doit faire attention à tout.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Puisqu'on parle des collectivités, des régions, les Régionales qui arrivent Michel SAPIN, vous avez vu ce titre « spectaculaire cabaret » à la une JDD hier (phon) – même si vous étiez un peu loin – un Français sur trois serait prêt à voter Marine LE PEN en 2017. Manuel VALLS, depuis Le Caire, s'est dit inquiet, est-ce que vous êtes inquiet vous aussi de la poussée du Front national ?
MICHEL SAPIN
Evidemment que c'est inquiétant, évidemment, surtout quand on a vu comment elle s'exprimait, comment madame LE PEN rabaissait la France, comment elle parlait au milieu de l'ensemble des autres représentants de toutes nations d'Europe, ce qu'elle disait de son propre pays, enfin ce n'est pas de ça dont les Français veulent. Il y a peut-être 30 % de Français qui sont profondément inquiets pour leur avenir, ça je peux le comprendre – mais même peut-être plus que cela - mais la réponse n'est pas dans l'exclusion des autres, la réponse n'est pas dans la haine, la réponse n'est pas dans la dérision de son pays, de la France, la réponse elle dans l'effort, elle est dans la construction, elle est dans la solidarité… enfin, bref, dans ce que les uns ou les autres nous proposons et en particulier nous-mêmes.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Le Premier ministre parle d'une troisième Région que pourrait conquérir le FN, on parle souvent de Nord-Pas-de-Calais – Picardie, de Provence-Alpes – Côte d'Azur, une troisième, vous avez…
MICHEL SAPIN
Mais je n'ai pas de nom !
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce qu'on ne sait pas en fait.
MICHEL SAPIN
Mais que chacun ait bien en tête les choses, ça va se passer avec des triangulaires dans beaucoup de régions : une liste de droite, une liste de gauche et une liste Front national, quand vous avez des triangulaires, les choses peuvent être incertaines quant au résultat du deuxième tour, c'est la raison pour laquelle d'ailleurs la gauche a intérêt à se rassembler dès le premier tour de manière à être le mieux placé possible au deuxième tour et l'emporter.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Rapidement ! D'où le référendum de ce week-end, on a vu qu'il y a des Régions, enfin des départements qui n'organisaient pas des fédés, qui n'organisaient pas ce référendum voulu par CAMBADELIS, c'est un petit risque ça pour vous ?
MICHEL SAPIN
Oui ! Mais elles ont tort. Quel est l'objectif ? C'est juste de démontrer que le peuple de gauche, comme l'on dit, les gens de gauche ils veulent l'unité, ils ne veulent pas la dispersion ils veulent l'unité, les appareils qui se divisent, se sur-divisent, se super-divisent – comme on peut le voir ici ou là - cela ça ne marche pas, les gens en ont assez de cela, ils veulent qu'on se rassemble pour être fort et fort en particulier pour battre le Front national.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci à vous Michel SAPIN !
MICHEL SAPIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 octobre 2015