Texte intégral
Monsieur le directeur,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de me trouver aujourd'hui devant vous, dans cet institut où l'on passe beaucoup de temps à réfléchir au rôle de l'Etat, à son passé, à son présent et à son avenir et à l'évolution des structures administratives.
Les perspectives de l'Institut d'Etudes Politiques se sont certes élargies. Et la réforme récente de vos études vous amène à envisager des carrières professionnelles variées. Mais pour vous la préoccupation de l'intérêt général est toujours présente : comme citoyens, comme, peut-être, futurs hauts fonctionnaires, le devenir de la fonction publique vous concerne donc.
Un modèle français de fonction publique s'est peu à peu cristallisé. Le statut de 1946 - approfondi par les lois de 1983 et 1984 - définit son caractère juridique et sa philosophie. Il s'agit d'une fonction publique de carrière qui assure la neutralité de l'administration.. Elle est construite sur le principe de l'égal accès, que se traduit principalement par le concours ; elle garantit un déroulement de carrière ; elle offre des garanties aux agents. En contrepartie, les fonctionnaires sont soumis à certaines obligations. Des droits nouveaux y ont été également reconnus peu à peu, le droit syndical, le droit de grève et la liberté d'expression.
Cela vous le savez. Je ne m'arrêterai donc pas à une analyse juridique. Je souhaiterais plutôt privilégier la dimension historique. Car l'ignorer, c'est prendre le risque de ne pas suffisamment mesurer les traditions, les cultures, les contraintes ; bref, tout ce que le temps a donné comme matière aux comportements et aux institutions. La réflexion prospective a besoin d'un regard rétrospectif ; nous devons analyser et comprendre les permanences et les récurrences tout aussi bien que les évolutions et les ruptures.
Le service de l'Etat dans un pays qui s'est construit de façon centralisée depuis les premiers temps de la monarchie capétienne, n'est pas sans présenter, au long des siècles, de grandes analogies, en terme d'organisation parfois, mais surtout en terme de culture administrative, de principes communs.
Si la Révolution française a introduit des concepts nouveaux fondateurs de notre Etat de droit - et je pense évidemment, en ce qui nous concerne, à l'article 6 de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen : Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics "selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents " - elle n'a pas imposé une rupture totale. Comment, ainsi comprendre encore la place particulière qu'occupent les " grands corps " dans notre fonction publique, si l'on oublie que le pouvoir royal a progressivement assis sa prééminence et étendu son assiette territoriale en développant et centralisant les fonctions de contrôle, notamment financier ? Comment comprendre encore le principe de la séparation des juridictions administratives et judiciaires sans rappeler la "guérilla" que menèrent les Parlements d'Ancien régime face à l'action législative du roi ?
Si les faits ne se répètent pas, les interrogations des acteurs de l'histoire demeurent parfois de même nature. Ainsi en est-il de la question de la représentation du pouvoir central au niveau local. Des comtes carolingiens à nos modernes préfets, en passant par les intendants d'ancien régime, les solutions sont fort différentes, mais la problématique semblable. Nous voulons aujourd'hui un Etat qui soit, à la fois, le garant de l'application des lois sur tout le territoire de la République, un interlocuteur proche pour les collectivités locales et parfois un acteur parmi d'autres dans la vie locale.
Les grands chantiers qui sont devant nous doivent prendre en compte cette dimension historique. Elle peut nous permettre de mieux anticiper et orienter les évolutions à venir. Car la réforme de l'Etat est consubstantielle à l'Etat. Celui-ci n'a pas d'autre légitimité que de comprendre les mutations du monde et de notre société pour assurer ses missions au service de la population. Or, dans une situation où le citoyen manque souvent de points de repères, où les incertitudes et les risques engendrent une anxiété sociale, la fonction publique peut être une armature stable, solide et nécessaire pour notre démocratie. Les fonctionnaires, garants de la continuité de l'Etat et de l'égalité de tous devant le service public, ont une fonction de médiation sociale essentielle.
Nous connaissons aujourd'hui toute une série de changements qui font bouger notre administration. Sans vouloir établir de hiérarchie entre eux, il faut prendre en compte le droit européen et l'extension de la concurrence, le resserrement des finances publiques qui demande des efforts de gestion, l'affirmation des nouvelles technologies qui entraînent de nouvelles formes de travail et de relations avec les usagers, les plus grandes exigences des citoyens et la diversification de leurs demandes.
Mais il est une mutation encore plus fondamentale : le service public n'est plus regardé de la même façon, par les citoyens et par ses agents. La reconnaissance du service public, et donc sa légitimité, ne sont plus acquises a priori, du seul fait que ce service public émane de la puissance publique ; elles doivent être conquises par la capacité du service public à répondre aux attentes sociales et à obtenir des résultats concrets. Autrement dit, le service public doit faire constamment ses preuves aux yeux d'un citoyen-usager qui ne se satisfait plus de prestations médiocres. Cette mutation est heureuse, mais elle est un défi que nous devons relever avec cohérence et dans la durée.
Pour cela, nous avons plus que jamais besoin de principes clairs pour guider l'action de l'Etat. Trop souvent la réflexion sur la réforme de l'Etat est circonscrite aux modes d'organisation et aux procédures - comme l'ont manifesté quelques livres récents. Or, avant de parler des moyens, il faut trancher la question des finalités et fixer quelques principes.
Ces principes me paraissent être au nombre de cinq :
- d'abord, l'unité des services publics, parce qu'il y a une logique propre au service public, qui n'est pas celle du marché, parce qu'il doit continuer à y avoir des règles communes d'organisation et de fonctionnement de ces services publics. Mais cette unité n'est pas
uniformité : s'il y a des principes d'organisation et d'action communs à tous les services publics, une éthique commune, le moule unique serait la mort du service public ;
- ensuite, il faut affirmer avec force que les garanties que le statut de la fonction publique accorde aux fonctionnaires, garanties parfois décriées et caricaturées en privilèges, sont aussi des garanties pour l'usager des services publics, car ce sont des garanties qui assurent la neutralité, la continuité du service public, la mutabilité, l'égal accès des citoyens aux prestations. Ces garanties ne sont donc pas surannées et je suis convaincu que l'esprit du statut de 1946 est toujours moderne, même si la lecture du statut a été parfois fossilisée. Le gouvernement s'emploie à casser les rigidités, il le fera notamment la semaine prochaine à l'occasion d'un comité interministériel pour la réforme de l'Etat qui sera largement consacré à la mise en uvre d'une gestion des ressources humaines moderne au sein de l'Etat ;
- par ailleurs, pour que le service public soit réellement disponible pour tous, il faut que la fonction publique soit à l'image de la société. Or, notre fonction publique n'est pas - ou plus assez - diverse dans sa composition sociologique. Des progrès considérables ont été faits pour l'égalité hommes-femmes, même si la féminisation s'arrête encore trop souvent aux postes de plus haute responsabilité. Mais nous devons constater que la fonction publique reste trop fermée - et pas seulement à son sommet- aux milieux populaires. Je veux qu'elle s'ouvre, et je proposerai au comité interministériel de la semaine prochaine de prendre des mesures en ce sens, des mesures qui permettront l'ouverture de la fonction publique, dans le respect de la règle d'égalité d'accès aux emplois publics. Je sais que cette question n'est pas étrangère aux préoccupations de l'Institut, qui a pris récemment des mesures dont je voudrais saluer ici la pertinence ;
- le quatrième principe nécessaire à une fonction publique moderne est: la responsabilité. Déjà développée grâce aux projets d'administration, de service ou d'établissement, elle va connaître un formidable essor dans les années qui viennent, en raison de la mise en uvre de la nouvelle loi organique sur les lois de finances ; j'y reviendrai dans un instant ;
- enfin, dernier principe : la proximité. L'avenir est à un service public de proximité que nous construisons depuis le début de cette législature. C'est-à-dire un service public plus attentif, qui s'appuie sur la confiance a priori dans les relations entre l'administration et les usagers, un service public plus réactif, qui territorialise ses politiques et pratique la délégation par objectifs, un service public plus réceptif, qui intègre l'évaluation dans la vie quotidienne de l'administration, enfin, un service public mieux régulé, en aval et en amont.
Deux évolutions majeures vont, dans les dix années qui viennent, modifier de façon très importante les caractéristiques de notre fonction publique : des départs massifs à la retraite, un nouveau mode de gestion des crédits publics.
Depuis les travaux conduits début 2000 par Serge Vallemont et Bernard Cieutat sous l'égide du commissariat général au plan, nous connaissons parfaitement l'écueil démographique que nous allons devoir affronter dans les 10 années qui viennent. Les travaux conduits par
l'observatoire de l'emploi public sur la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences ont permis d'affiner des techniques de gestion prévisionnelle, de mutualiser des expériences, d'apporter un appui aux ministères.
Pour les cadres dirigeants de la fonction publique, cette situation est paradoxalement porteuse de grandes opportunités. Il serait certes déraisonnable de remplacer chaque départ à la retraite dans les 10 années qui viennent : une réaction mécanique aurait pour effet de voir la bosse démographique se reconstituer dans 40 ans et serait irréaliste compte-tenu de l'évolution de la population active pendant cette même période. Cet environnement entraînera cependant des recrutements plus nombreux et des évolutions de carrière plus favorables, puisqu'il faudra de toute façon remplacer les cadres et pourvoir une grande partie des postes laissés vacants. Ce phénomène se produira également dans la fonction publique territoriale : la moitié des administrateurs territoriaux ont plus de 50 ans aujourd'hui.
Recrutés en plus grand nombre, les cadres de la fonction publique connaîtront un mode de fonctionnement budgétaire profondément transformé grâce à la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, promulguée en août dernier.
L'autonomie et la responsabilité budgétaires seront au cur de la gestion des crédits de l'Etat. Autonomie grâce à la fongibilité des crédits, qui permettra d'ajuster leur destination, dans le cadre d'enveloppes globales allouées à chaque ordonnateur ; responsabilité par la généralisation de la contractualisation et du contrôle de gestion, permettant d'asseoir les montants alloués à chaque gestionnaire sur des objectifs précis, contractualisés, évaluables.
Dès lors, la gestion publique change de perspective : le bon gestionnaire n'est plus celui qui arrive à arracher des crédits supplémentaires en année n + 1 par rapport à ceux qu'il a obtenu en année n, mais celui qui parvient, grâce à son enveloppe globale, à remplir les objectifs qui lui ont été assignés. Cette révolution nous permet enfin de dépasser, plus de quarante ans après la fixation de notre constitution financière, le cadre déresponsabilisant de la gestion des crédits de l'Etat. J'y vois pour ma part un grand défi, mais aussi une très grande chance permettant de redonner une lisibilité budgétaire à l'action publique, en modernisant le pouvoir historique du Parlement sur les lois de finances et en rendant adulte la gestion publique.
Plus autonome, plus responsable, le fonctionnaire de demain sera également plus mobile et les perspectives de carrière qui lui seront proposées seront plus attractives et plus lisibles. Le prochain comité interministériel à la réforme de l'Etat prendra des mesures en ce sens.
La capacité d'autonomie et d'initiative n'est bien sur pas limitée à la fonction publique de l'Etat : les collectivités territoriales offrent des perspectives de carrière tout aussi valorisantes, des fonctions opérationnelles nombreuses, des responsabilités extrêmement variées, au service du développement local, de la gestion des territoires et de la démocratie locale.
Pour terminer, je souhaiterais vous dire quelques mots de l'évolution de l'école nationale d'administration, au concours de laquelle certains d'entre-vous se présenteront.
L'école va connaître un élargissement sensible de ses missions, puisque nous sommes en train de réaliser sa fusion avec l'IIAP. Il s'agit d'abord de construire un outil de coopération administrative internationale d'une taille suffisante et de bâtir un pôle renforcé dédié à la formation permanente des hauts fonctionnaires.
La réforme de la formation initiale se poursuit. avec notamment deux objectifs : la formation à la prise de poste, qu'il s'agisse du premier poste, celui que l'on obtient à la sortie de l'ENA, ou qu'il s'agisse de postes obtenus en cours de carrière, comme les postes de sous-directeur ou de chef de service déconcentré, et la formation aux nouvelles responsabilités de gestionnaire induites par notre nouvelle constitution financière. La majeure partie de ceux d'entre-vous qui entreront dans la fonction publique occupera en effet, à un moment ou à un autre, des fonctions d'ordonnateurs des dépenses, c'est-à-dire qu'ils auront à décider de l'opportunité et du montant de dépenses inscrites sur un budget dont il aura la responsabilité.
Ceux d'entre-vous qui rejoindront la fonction publique dans les mois ou les années qui viennent auront la chance de vivre des mutations qu'elle n'a jamais connues au cours de son histoire. Ils seront non seulement témoins, mais aussi acteurs de la réforme, des acteurs responsables, des acteurs engagés, des acteurs autonomes, des acteurs mobiles.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 9 novembre 2001)
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de me trouver aujourd'hui devant vous, dans cet institut où l'on passe beaucoup de temps à réfléchir au rôle de l'Etat, à son passé, à son présent et à son avenir et à l'évolution des structures administratives.
Les perspectives de l'Institut d'Etudes Politiques se sont certes élargies. Et la réforme récente de vos études vous amène à envisager des carrières professionnelles variées. Mais pour vous la préoccupation de l'intérêt général est toujours présente : comme citoyens, comme, peut-être, futurs hauts fonctionnaires, le devenir de la fonction publique vous concerne donc.
Un modèle français de fonction publique s'est peu à peu cristallisé. Le statut de 1946 - approfondi par les lois de 1983 et 1984 - définit son caractère juridique et sa philosophie. Il s'agit d'une fonction publique de carrière qui assure la neutralité de l'administration.. Elle est construite sur le principe de l'égal accès, que se traduit principalement par le concours ; elle garantit un déroulement de carrière ; elle offre des garanties aux agents. En contrepartie, les fonctionnaires sont soumis à certaines obligations. Des droits nouveaux y ont été également reconnus peu à peu, le droit syndical, le droit de grève et la liberté d'expression.
Cela vous le savez. Je ne m'arrêterai donc pas à une analyse juridique. Je souhaiterais plutôt privilégier la dimension historique. Car l'ignorer, c'est prendre le risque de ne pas suffisamment mesurer les traditions, les cultures, les contraintes ; bref, tout ce que le temps a donné comme matière aux comportements et aux institutions. La réflexion prospective a besoin d'un regard rétrospectif ; nous devons analyser et comprendre les permanences et les récurrences tout aussi bien que les évolutions et les ruptures.
Le service de l'Etat dans un pays qui s'est construit de façon centralisée depuis les premiers temps de la monarchie capétienne, n'est pas sans présenter, au long des siècles, de grandes analogies, en terme d'organisation parfois, mais surtout en terme de culture administrative, de principes communs.
Si la Révolution française a introduit des concepts nouveaux fondateurs de notre Etat de droit - et je pense évidemment, en ce qui nous concerne, à l'article 6 de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen : Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics "selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents " - elle n'a pas imposé une rupture totale. Comment, ainsi comprendre encore la place particulière qu'occupent les " grands corps " dans notre fonction publique, si l'on oublie que le pouvoir royal a progressivement assis sa prééminence et étendu son assiette territoriale en développant et centralisant les fonctions de contrôle, notamment financier ? Comment comprendre encore le principe de la séparation des juridictions administratives et judiciaires sans rappeler la "guérilla" que menèrent les Parlements d'Ancien régime face à l'action législative du roi ?
Si les faits ne se répètent pas, les interrogations des acteurs de l'histoire demeurent parfois de même nature. Ainsi en est-il de la question de la représentation du pouvoir central au niveau local. Des comtes carolingiens à nos modernes préfets, en passant par les intendants d'ancien régime, les solutions sont fort différentes, mais la problématique semblable. Nous voulons aujourd'hui un Etat qui soit, à la fois, le garant de l'application des lois sur tout le territoire de la République, un interlocuteur proche pour les collectivités locales et parfois un acteur parmi d'autres dans la vie locale.
Les grands chantiers qui sont devant nous doivent prendre en compte cette dimension historique. Elle peut nous permettre de mieux anticiper et orienter les évolutions à venir. Car la réforme de l'Etat est consubstantielle à l'Etat. Celui-ci n'a pas d'autre légitimité que de comprendre les mutations du monde et de notre société pour assurer ses missions au service de la population. Or, dans une situation où le citoyen manque souvent de points de repères, où les incertitudes et les risques engendrent une anxiété sociale, la fonction publique peut être une armature stable, solide et nécessaire pour notre démocratie. Les fonctionnaires, garants de la continuité de l'Etat et de l'égalité de tous devant le service public, ont une fonction de médiation sociale essentielle.
Nous connaissons aujourd'hui toute une série de changements qui font bouger notre administration. Sans vouloir établir de hiérarchie entre eux, il faut prendre en compte le droit européen et l'extension de la concurrence, le resserrement des finances publiques qui demande des efforts de gestion, l'affirmation des nouvelles technologies qui entraînent de nouvelles formes de travail et de relations avec les usagers, les plus grandes exigences des citoyens et la diversification de leurs demandes.
Mais il est une mutation encore plus fondamentale : le service public n'est plus regardé de la même façon, par les citoyens et par ses agents. La reconnaissance du service public, et donc sa légitimité, ne sont plus acquises a priori, du seul fait que ce service public émane de la puissance publique ; elles doivent être conquises par la capacité du service public à répondre aux attentes sociales et à obtenir des résultats concrets. Autrement dit, le service public doit faire constamment ses preuves aux yeux d'un citoyen-usager qui ne se satisfait plus de prestations médiocres. Cette mutation est heureuse, mais elle est un défi que nous devons relever avec cohérence et dans la durée.
Pour cela, nous avons plus que jamais besoin de principes clairs pour guider l'action de l'Etat. Trop souvent la réflexion sur la réforme de l'Etat est circonscrite aux modes d'organisation et aux procédures - comme l'ont manifesté quelques livres récents. Or, avant de parler des moyens, il faut trancher la question des finalités et fixer quelques principes.
Ces principes me paraissent être au nombre de cinq :
- d'abord, l'unité des services publics, parce qu'il y a une logique propre au service public, qui n'est pas celle du marché, parce qu'il doit continuer à y avoir des règles communes d'organisation et de fonctionnement de ces services publics. Mais cette unité n'est pas
uniformité : s'il y a des principes d'organisation et d'action communs à tous les services publics, une éthique commune, le moule unique serait la mort du service public ;
- ensuite, il faut affirmer avec force que les garanties que le statut de la fonction publique accorde aux fonctionnaires, garanties parfois décriées et caricaturées en privilèges, sont aussi des garanties pour l'usager des services publics, car ce sont des garanties qui assurent la neutralité, la continuité du service public, la mutabilité, l'égal accès des citoyens aux prestations. Ces garanties ne sont donc pas surannées et je suis convaincu que l'esprit du statut de 1946 est toujours moderne, même si la lecture du statut a été parfois fossilisée. Le gouvernement s'emploie à casser les rigidités, il le fera notamment la semaine prochaine à l'occasion d'un comité interministériel pour la réforme de l'Etat qui sera largement consacré à la mise en uvre d'une gestion des ressources humaines moderne au sein de l'Etat ;
- par ailleurs, pour que le service public soit réellement disponible pour tous, il faut que la fonction publique soit à l'image de la société. Or, notre fonction publique n'est pas - ou plus assez - diverse dans sa composition sociologique. Des progrès considérables ont été faits pour l'égalité hommes-femmes, même si la féminisation s'arrête encore trop souvent aux postes de plus haute responsabilité. Mais nous devons constater que la fonction publique reste trop fermée - et pas seulement à son sommet- aux milieux populaires. Je veux qu'elle s'ouvre, et je proposerai au comité interministériel de la semaine prochaine de prendre des mesures en ce sens, des mesures qui permettront l'ouverture de la fonction publique, dans le respect de la règle d'égalité d'accès aux emplois publics. Je sais que cette question n'est pas étrangère aux préoccupations de l'Institut, qui a pris récemment des mesures dont je voudrais saluer ici la pertinence ;
- le quatrième principe nécessaire à une fonction publique moderne est: la responsabilité. Déjà développée grâce aux projets d'administration, de service ou d'établissement, elle va connaître un formidable essor dans les années qui viennent, en raison de la mise en uvre de la nouvelle loi organique sur les lois de finances ; j'y reviendrai dans un instant ;
- enfin, dernier principe : la proximité. L'avenir est à un service public de proximité que nous construisons depuis le début de cette législature. C'est-à-dire un service public plus attentif, qui s'appuie sur la confiance a priori dans les relations entre l'administration et les usagers, un service public plus réactif, qui territorialise ses politiques et pratique la délégation par objectifs, un service public plus réceptif, qui intègre l'évaluation dans la vie quotidienne de l'administration, enfin, un service public mieux régulé, en aval et en amont.
Deux évolutions majeures vont, dans les dix années qui viennent, modifier de façon très importante les caractéristiques de notre fonction publique : des départs massifs à la retraite, un nouveau mode de gestion des crédits publics.
Depuis les travaux conduits début 2000 par Serge Vallemont et Bernard Cieutat sous l'égide du commissariat général au plan, nous connaissons parfaitement l'écueil démographique que nous allons devoir affronter dans les 10 années qui viennent. Les travaux conduits par
l'observatoire de l'emploi public sur la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences ont permis d'affiner des techniques de gestion prévisionnelle, de mutualiser des expériences, d'apporter un appui aux ministères.
Pour les cadres dirigeants de la fonction publique, cette situation est paradoxalement porteuse de grandes opportunités. Il serait certes déraisonnable de remplacer chaque départ à la retraite dans les 10 années qui viennent : une réaction mécanique aurait pour effet de voir la bosse démographique se reconstituer dans 40 ans et serait irréaliste compte-tenu de l'évolution de la population active pendant cette même période. Cet environnement entraînera cependant des recrutements plus nombreux et des évolutions de carrière plus favorables, puisqu'il faudra de toute façon remplacer les cadres et pourvoir une grande partie des postes laissés vacants. Ce phénomène se produira également dans la fonction publique territoriale : la moitié des administrateurs territoriaux ont plus de 50 ans aujourd'hui.
Recrutés en plus grand nombre, les cadres de la fonction publique connaîtront un mode de fonctionnement budgétaire profondément transformé grâce à la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, promulguée en août dernier.
L'autonomie et la responsabilité budgétaires seront au cur de la gestion des crédits de l'Etat. Autonomie grâce à la fongibilité des crédits, qui permettra d'ajuster leur destination, dans le cadre d'enveloppes globales allouées à chaque ordonnateur ; responsabilité par la généralisation de la contractualisation et du contrôle de gestion, permettant d'asseoir les montants alloués à chaque gestionnaire sur des objectifs précis, contractualisés, évaluables.
Dès lors, la gestion publique change de perspective : le bon gestionnaire n'est plus celui qui arrive à arracher des crédits supplémentaires en année n + 1 par rapport à ceux qu'il a obtenu en année n, mais celui qui parvient, grâce à son enveloppe globale, à remplir les objectifs qui lui ont été assignés. Cette révolution nous permet enfin de dépasser, plus de quarante ans après la fixation de notre constitution financière, le cadre déresponsabilisant de la gestion des crédits de l'Etat. J'y vois pour ma part un grand défi, mais aussi une très grande chance permettant de redonner une lisibilité budgétaire à l'action publique, en modernisant le pouvoir historique du Parlement sur les lois de finances et en rendant adulte la gestion publique.
Plus autonome, plus responsable, le fonctionnaire de demain sera également plus mobile et les perspectives de carrière qui lui seront proposées seront plus attractives et plus lisibles. Le prochain comité interministériel à la réforme de l'Etat prendra des mesures en ce sens.
La capacité d'autonomie et d'initiative n'est bien sur pas limitée à la fonction publique de l'Etat : les collectivités territoriales offrent des perspectives de carrière tout aussi valorisantes, des fonctions opérationnelles nombreuses, des responsabilités extrêmement variées, au service du développement local, de la gestion des territoires et de la démocratie locale.
Pour terminer, je souhaiterais vous dire quelques mots de l'évolution de l'école nationale d'administration, au concours de laquelle certains d'entre-vous se présenteront.
L'école va connaître un élargissement sensible de ses missions, puisque nous sommes en train de réaliser sa fusion avec l'IIAP. Il s'agit d'abord de construire un outil de coopération administrative internationale d'une taille suffisante et de bâtir un pôle renforcé dédié à la formation permanente des hauts fonctionnaires.
La réforme de la formation initiale se poursuit. avec notamment deux objectifs : la formation à la prise de poste, qu'il s'agisse du premier poste, celui que l'on obtient à la sortie de l'ENA, ou qu'il s'agisse de postes obtenus en cours de carrière, comme les postes de sous-directeur ou de chef de service déconcentré, et la formation aux nouvelles responsabilités de gestionnaire induites par notre nouvelle constitution financière. La majeure partie de ceux d'entre-vous qui entreront dans la fonction publique occupera en effet, à un moment ou à un autre, des fonctions d'ordonnateurs des dépenses, c'est-à-dire qu'ils auront à décider de l'opportunité et du montant de dépenses inscrites sur un budget dont il aura la responsabilité.
Ceux d'entre-vous qui rejoindront la fonction publique dans les mois ou les années qui viennent auront la chance de vivre des mutations qu'elle n'a jamais connues au cours de son histoire. Ils seront non seulement témoins, mais aussi acteurs de la réforme, des acteurs responsables, des acteurs engagés, des acteurs autonomes, des acteurs mobiles.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 9 novembre 2001)