Déclaration de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, devant les élus locaux, sur la sécurité, Paris le 28 mai 1982.

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Circonstance : Rencontre avec les élus locaux sur les problèmes de la sécurité, à Paris le 28 mai 1982

Texte intégral

Nous sommes tous des responsables de collectivités locales. Et à ce titre, indépendamment des caractéristiques de nos villes, indépendamment aussi de nos options politiques personnelles, nous nous trouvons confrontés aux problèmes liés à la délinquance et au développement du sentiment d'insécurité.
Chacun s'est efforcé d'apporter des réponses et c'est à la mise en commun de cette expérience que le gouvernement vous propose de procéder.
Il ne s'agit hélas pas de problèmes nouveaux même s'il est vrai que, depuis quelques mois, le sentiment d'insécurité s'est développé. Sans doute faut-il y voir la conséquence de phénomènes très différents mais qui ne sont pas toujours distingués par l'opinion. Une confusion s'opère entre, d'une part l'existence d'actes de terrorisme dont la plupart ne concernent pas directement la société française, et d'autre part une montée de la petite délinquance qui m'apparaît liée en partie à la crise et au développement du chômage ces dernières années. Dans le même temps pourtant, la criminalité proprement dite tend à diminuer.
Encore que force soit de constater que le gouvernement ne possède, dans ce domaine, aucun instrument statistique fiable. Les chiffres avancés mêlent en effet souvent des délits de nature et d'importance très différentes. J'ajoute que bien qu'ils soient confrontés au même phénomène, les ministères de l'intérieur et de la justice n'utilisent pas les mêmes méthodes de comptabilisation.
Dès lors, les polémiques qui sont parfois conduites autour de la délinquance ne sont fondées sur aucune donnée chiffrée fiable. Le gouvernement s'est déjà préoccupé de cette situation et va harmoniser les références.
Au-delà de l'appréciation chiffrée du phénomène, il me semble plus important et plus urgent de mettre en place des éléments de solution. Je dis des éléments car chacun voit bien que le sentiment d'insécurité observé au sein de la population française a des causes diverses et qu'il n'existe pas une réponse unique et évidente. C'est pourquoi je vous ai conviés à cette réflexion commune et je vous remercie de votre présence ici, aujourd'hui.
La complexité même du phénomène auquel nous sommes confrontés doit nous conduire à rejeter catégoriquement toute analyse ou toute démarche qui pourrait être assimilée à une atttude anti-jeunes ou, plus schématiquement encore, anti-jeunes maghrébins.
Nous devons prendre en compte à la fois :
- le chômage et les difficultés actuelles pour trouver un emploi ;
- le développement de la marginalisation (clochards, par exemple) dans certaines agglomérations ;
- la difficile insertion de la seconde génération d'immigrés de confession musulmane (par opposition à l'intégration plus rapide d'éléments catholiques comme les Espagnols, les Polonais ou les Portugais) ;
- la multiplication des bandes d'adolescents de 8 à 15 ans face auxquelles la vie associative se révèle insuffisante, le système éducatif traditionnel inadapté et la répression classique inopérante.
Pour sa part, le gouvernement n'entend pas choisir a priori entre la voie éducative et la voie répressive. Les deux démarches vont de pair. C'est la raison pour laquelle nous avons toujours dit que la mise en oeuvre de mesures de sécurité classiques, qu'elles soient de type judiciaire ou policier, ne sauraient suffire. Les ressources du monde éducatif et associatif doivent être également mobilisées. Enfin, une réflexion d'ensemble sur la conception des agglomérations, la nature et le rôle des équipements sociaux, les relations entre les groupes au sein d'une même collectivité territoriale, doit être conduite.
Il nous apparaît donc trop limité de laisser les seuls ministères de la justice et de l'intérieur rechercher des solutions. Le ministère de la solidarité doit être associé en permanence, de même que, mais au coup par coup, des départements ministériels comme la jeunesse et les sports, la famille, les immigrés ou l'urbanisme.
Mais vous savez bien qu'il ne suffit pas d'élaborer des textes et des règlements. D'autant que trop souvent leur application se révèle difficile voire irréaliste. Nous devons traiter les problèmes comme ils se posent, là où ils se posent. C'est-à-dire que nous devons agir en direction des groupes réellement concernés et en contact permanent avec ceux qui, au niveau local, vivent ces problèmes : je veux dire les maires.
Vous avez tous, ici présents, été conduits à vous pencher personnellement sur ce dossier. C'est ce que m'ont indiqué M. Hubert DUDEBOUT, qui préside, vous le savez, la commission sur l'habitat social, MM. BELORGEY et MENGA, parlementaires à qui nous avons confié des missions. Ainsi que Mr COLCOMBET Magistrat qui a en charge la coordination de la lutte anti-drogue.
Vous constituez donc une commission des maires. Le gouvernement mettra à votre disposition les moyens nécessaires pour que vous puissiez mener une action réelle et efficace. Il attend de vous, d'ici la fin du mois de septembre, une réflexion d'ensemble et surtout des propositions de mesures concrètes susceptibles d'enrayer, en liaison avec les collectivités territoriales, les dérèglements que nous observons. Je vous demande de faire preuve d'imagination, de ne pas hésiter à proposer la réforme de certaines pratiques administratives si cela s'avère nécessaire, de suggérer éventuellement les prolongements législatifs indispensables.
Vous pourrez, pour mener à bien votre tâche, prendre appui sur les initiatives déjà engagées par le gouvernement. Je pense en particulier au remarquable travail déjà effectué par la Commission DUBEDOUT qui mène actuellement des opérations dans seize quartiers particulièrement touchés par la délinquance. Dès cet été, des mesures particulières pourront être appliquées telles que : maintien d'équipements publics ouverts, stages de loisirs pour les jeunes, renforcement des personnels d'association d'une part et de surveillance d'autre part, permanence des services sociaux.
J'insiste en effet auprès de vous sur le fait que, sans attendre le mois de septembre, il convient de prévoir dès maintenant des mesures pour la période des vacances. C'est la première tâche que vous devriez mener à bien.
Déjà un travail préparatoire interministériel a été engagé qui devrait vous permettre d'avancer rapidement. Il s'agit d'abord d'un projet de délégations locales à la prévention.
Ce projet, auquel sont associés les ministères de la justice, de la solidarité et de l'intérieur, a pour objectif de constituer autour des préfets, procureurs et directeurs départementaux de l'Action Sanitaire et Sociale, des équipes permanentes auxquelles les ministres demanderont d'intervenir de manière rapide, informelle et non procédurière.
Cette approche mobilisatrice des services administratifs pourrait, si vous le souhaitez, associer des représentants des collectivités territoriales les plus concernées.
Un "Comité national de prévention de la délinquance" pourrait également être mis en place. Il serait fortement marqué par la vie associative. Sa vocation serait celle d'une force de proposition, de diffusion et de valorisation de l'ensemble des initiatives.
D'autres mesures plus concrètes sont aussi envisagées. Elles doivent permettre de résoudre les problèmes relatifs à la période d'été. Il s'agit :
- D'accroître le recours aux mouvements associatifs susceptibles d'intervenir en direction des jeunes et d'envisager des mesures d'aide particulière de la part de l'Etat (formation de certains animateurs).
- De placer auprès des maires concernés un spécialiste (éducateur, juge, responsable d'animation...) qui aurait pour tâche de suivre quotidiennement des problèmes et d'être l'interlocuteur des organismes et personnes devant intervenir. L'Etat prendrait l'engagement de détacher, pour une année, la personne concernée s'il s'agit d'un fonctionnaire d'Etat.
- De prévoir des activités de jour, de nuit et de fin de semaine accessibles aux jeunes dans les quartiers difficiles ou au voisinage de ceux-ci. En ce domaine, il semble que la compétence des communes soit totale.
- D'organiser la création d'emplois publics temporaires. Ceux-ci, d'une durée de 2 mois, pourraient prendre la forme, dans le cas de villes d'une certaine importance, de "stages" rémunérés partiellement et susceptibles d'être offerts aux jeunes dans les services municipaux : voirie, espaces verts... Cette disposition serait à rapprocher des projets "jeunes volontaires" du ministère de la jeunesse et des sports.
- De la définition des travaux de substitution aux peines de prison auxquels pourraient être astreints les jeunes délinquants évitant, sauf en cas de récidive, la prison.
- De la mise en place des dispositions permettant de devancer l'appel pour un jeune délinquant de 17 ans.- De la mise en place d'un système d'indemnisation des victimes.