Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur le développement de l'administration électronique et sur la généralisation et la personnalisation des services publics, tant au plan français qu'au plan européen, Bruxelles le 30 novembre 2001.

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Circonstance : Conférence européenne sur l'e-gouvernement à Bruxelles (Belgique) le 30 novembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les commissaires,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de pouvoir prendre la parole devant vous, lors de cette conférence européenne sur l'e-Gouvernement. Elle vient clore, ou en tout cas ponctuer, une année particulièrement riche de concertation internationale et européenne sur les sujets touchant à l'essor de la société de l'information, c'est-à-dire à l'utilisation accrue des technologies de l'information et de la communication dans tous les aspects de la vie individuelle et collective - et notamment dans les relations des citoyens et des entreprises avec les services publics.
Depuis la réunion des ministres européens chargés de l'administration à Strasbourg, les 7 et 8 novembre 2000, nous nous sommes - pour beaucoup d'entre nous - retrouvés en mars 2001 à Naples pour constater que, sur tous les continents, ce sujet de l'administration électronique est porteur de grandes espérances pour transformer les services publics et les adapter à la société de l'information, c'est-à-dire aux demandes d'usagers de plus en plus exigeants, disposant d'outils de communication de plus en plus performants, vivant dans un monde de plus en plus ouvert.
A la fin du mois de septembre, à Paris, la 23e conférence internationale des commissaires à la protection des données personnelles a également été l'occasion de rappeler combien la protection des données personnelles était nécessaire à l'essor de l'administration électronique, combien aussi - j'y reviendrai - elle peut être facilitée et accrue par les outils nouveaux qui sont à notre disposition.
Il y a quinze jours, à Paris, le gouvernement français a lancé la deuxième étape de son programme d'action pour l'administration électronique, qui donne ainsi aux administrations françaises deux objectifs à l'horizon 2005 : la généralisation et la personnalisation des téléservices publics. Je sais que, dans de nombreux pays, l'année 2001 a également été celle du lancement de ces " deuxièmes étapes ", consacrant le succès de l'appropriation initiale des technologies de l'information et de la communication par les administrations, et définissant de nouveaux objectifs, plus ambitieux, au service des usagers.
Et nous voici aujourd'hui à Bruxelles pour prendre acte des progrès enregistrés, depuis un an, sur les axes prioritaires d'action que nous nous étions donnés. Pour témoigner des efforts, des réussites, comme des difficultés que nous avons rencontrées. Pour partager aussi nos objectifs, nos inquiétudes, nos espérances. Les discussions d'hier et de ce matin ont de ce point de vue été très riches et la déclaration des ministres que vous présentera tout à l'heure la présidence belge sera, je crois, un témoignage des progrès considérables accomplis en douze mois - et de l'étendue de ce qui nous reste à faire.
Le 7 novembre 2000, il y a tout juste un an, nous jetions à Strasbourg les bases de l'administration électronique européenne. Sur ce sujet, qui nous apparaissait majeur, nous avons alors pris la décision d'avancer ensemble, Etats membres et commission, afin d'explorer au plus vite, dans toutes leurs dimensions, les nouveaux espaces ouverts aux services publics par l'avancée des technologies.
Nous avions alors un sentiment d'urgence, nourri pour certains d'entre nous par des comparaisons internationales qui nous semblaient témoigner du retard pris par nos administrations. Plus largement, nous partagions l'idée que nos concitoyens, désormais habitués à de nouvelles offres de services en ligne, que les entreprises ne manqueraient pas de mettre très rapidement en uvre, allaient bientôt réclamer de la part des pouvoirs publics le même degré de qualité dans la relation, la même vitesse de réaction, la même transparence dans les traitements.
Il nous semblait ainsi que les contribuables, habitués à consulter en ligne ou par téléphone leur compte bancaire, souhaiteraient bientôt pouvoir gérer de même leurs relations avec le fisc. Il nous semblait que les entreprises, qui permettent à leurs clients de connaître à tout instant l'état de leur commande au sein de la chaîne de production, auraient bientôt besoin du même degré de précision pour connaître le sort réservé à une demande de subvention ou une autorisation de construire, par exemple.
Ce sentiment d'urgence ne nous a pas quittés.
Sans doute, l'année 2001 a-t-elle été, pour beaucoup d'acteurs économiques fortement engagés dans les secteurs les plus innovants de l'informatique ou des services en ligne, une année difficile. Cela démontre que les risques qui ont été pris par les entrepreneurs innovants, que nous avons voulu encourager dans nos différents pays, étaient bien des risques réels, et qu'en se matérialisant ils ont, en quelque sorte, validé les dispositifs soit d'incitation, soit de mutualisation des risques, que nous avions mis en place.
Sans doute, l'équipement des citoyens et des entreprises - tout en se poursuivant à un rythme soutenu - n'a plus le caractère explosif des années d'éclosion de l'internet et du web. Encore faut-il relativiser ce ralentissement, car les usages n'en poursuivent pas moins une croissance très rapide. Ainsi, en France, près du tiers des demandes de remboursements adressées à la sécurité sociale sont aujourd'hui dématérialisées ; il en est de même du sixième des demandes de casier judiciaire, après seulement 8 mois d'existence de ce service sur l'internet.
Les difficultés des entrepreneurs privés, le contexte économique peut-être moins favorable à l'irruption de nouveaux acteurs capables d'effectuer une percée technique ou ergonomique, ne font que renforcer le rôle des acteurs publics dans l'essor de la société européenne de l'information.
Nous avons une responsabilité accrue dans ce processus d'apprentissage : les téléservices publics - et c'est tout particulièrement vrai en France - sont devenus l'un des principaux moteurs de l'entrée des usagers dans la société de l'information. Ils familiarisent les usagers, ils justifient l'intérêt des citoyens, ils stimulent les services offerts par les entreprises. La plupart des services publics sont associés à des services marchands : on immatricule un véhicule quand on l'achète, on demande un visa pour effectuer un voyage, on dépose une demande de permis de construire sur la base de plans d'architecte, etc.
Nos travaux sont donc, je le pense sincèrement, décisifs pour l'essor de la société de l'information. Or, qu'avions-nous décidé à Strasbourg ?
D'abord, de définir des indicateurs de performance, afin de pouvoir effectuer des comparaisons pertinentes et homogènes sur les réalisations des pouvoirs publics dans le domaine de l'administration électronique. Vous vivrez tout à l'heure la première livraison de ces indicateurs. Loin d'être un outil de concurrence, alors que nous n'en sommes tous qu'au début de notre cheminement, je veux y voir un outil de coopération entre nous.
Ensuite, nous avions décidé de soutenir la création d'un portail européen internet des administrations. Une première version de ce portail est en ligne au moment où je vous parle. Elle doit maintenant s'enrichir - j'y reviendrai - de services publics transfrontaliers ou paneuropéens, qui sont la traduction en ligne de la construction de l'espace européen d'échanges des biens, des services, des personnes et des informations.
Nous voulions également favoriser les échanges, au niveau européen, entre acteurs publics et privés sur les sujet de l'e-Gouvernement. Plusieurs initiatives ont été lancées et les mois qui viennent verront, selon toute probabilité, un tel forum européen se mettre en place.
Enfin, nous étions convenus de tenir une conférence internationale sur l'administration électronique en 2001, pour examiner quelles orientations complémentaires pourraient être adoptées pour le développement de l'e-gouvernement dans les Etats-membres et les institutions européennes. Nous y sommes.
Ces décisions de novembre dernier sont donc, soit déjà mises en uvre, soit en cours de finalisation. Elles nous permettent d'aborder aujourd'hui de nouveaux projets, afin de construire ensemble ce que j'appellerais un " modèle européen de l'administration et de la citoyenneté électronique ".
Que voulons-nous, en effet, pour nos concitoyens ? Je voudrais me risquer à esquisser cinq objectifs : la généralisation, la personnalisation, la continuité, la solidarité et la sécurité dans le développement des téléservices publics.
Généralisation des téléservices, en premier lieu. Nous voulons que les usagers puissent effectuer en ligne et de manière sûre toutes leurs démarches avec les services publics - sauf celles qui, par nature, exigent un déplacement. Cela inclut notamment les échanges eux-mêmes, mais également le suivi des dossiers ou la définition de calendriers prévisionnels personnalisés.
Personnalisation des téléservices, en deuxième lieu. Nous voulons que chaque usager puisse accéder rapidement aux informations et aux services qui le concernent, ainsi qu'à une aide personnalisée sur ses démarches administratives. Ce ne doit plus être au citoyen de tenter de se faire entendre, c'est à l'administration de se faire connaître et comprendre. A cette fin, un téléservice ne doit jamais être plus complexe à utiliser que son équivalent " papier " et des " portails personnalisés " - comme le projet mon.service-public.fr en France - devront être mis en place.
Troisièmement, établir une chaîne dématérialisée continue entre les démarches administratives. Nous voulons que chacun puisse accéder de manière personnalisée à ses démarches passées et stocker en ligne, à son gré et en toute sécurité, les résultats dématérialisés issus de ces dernières. C'est le projet de " coffre-fort électronique " que nous avons lancé en France - et qui existe sous diverses formes chez beaucoup d'entre nous.
Le quatrième objectif doit être la solidarité entre internautes et non-internautes. Nous devons éviter la mise en place d'une administration à deux vitesses : première classe en ligne, service minimum au guichet. En la matière, la naïveté consiste d'ailleurs à croire - ou à faire croire - que les internautes se recrutent uniquement dans les catégories favorisées de la population : parmi les 10 mots les plus souvent recherchés sur le portail de l'administration française, " service-public.fr ", figurent " revenu minimum " et " salaire minimum ", ce qui semble indiquer, bien au contraire, que les internautes s'intéressent - pour eux-mêmes ou comme intermédiaires - aux prestations publiques à destination des personnes en difficulté.
Dernier objectif, et il est essentiel pour que nos concitoyens souhaitent l'essor de l'administration électronique, cet essor doit se faire en toute sécurité, notamment vis-à-vis de la protection des données personnelles et des libertés individuelles. Le contexte international actuel doit, plus que jamais, nous faire prendre conscience de l'importance des libertés fondamentales de chacun, indissociables de la protection des données personnelles le concernant.
On oppose trop souvent, injustement à mon sens, la multiplication des téléservices publics et la protection due aux données personnelles. En effet, jamais les tyrans du passé ou d'aujourd'hui n'ont eu réellement besoin de l'informatique pour rançonner ou crucifier leurs peuples ! L'arbitraire se nourrit en revanche de l'opacité. C'est donc bien dans l'ouverture aux usagers et à leurs défenseurs des systèmes d'information des administrations que réside la promesse de leur transparence. Or seules les technologies de l'information et de la communication permettent cette ouverture, grâce en premier lieu au réseau universel constitué par l'internet.
Loin d'être un outil de transparence des citoyens vis-à-vis des pouvoirs publics, l'administration électronique doit être un outil de transparence de l'administration vis-à-vis de tous les usagers - et pas simplement des seuls internautes.
Nous voulons ainsi que les citoyens puissent exercer en ligne leur droit d'accès et, le cas échéant, de modification des informations le concernant détenues ou échangées par les administrations. Dès lors qu'il devient possible, aujourd'hui, de faire savoir à chacun quels sont les fichiers administratifs dans lesquels il figure et quelles sont les informations, ou les accès, qui le concernent, il devient naturel de mettre ces éléments à la disposition de chacun : c'est une avancée démocratique essentielle. Ces questions sont complexes, parce qu'elles mêlent technologie et droits de la personne. Elles sont donc propices aux malentendus - plus ou moins involontaires. L'équilibre doit être recherché de manière transparente et démocratique.
C'est pourquoi j'ai voulu qu'un large débat public sur les modalités de mise en uvre des téléservices publics soit lancé, en France, au début de l'année prochaine. Il visera à définir de manière consensuelle, d'ici la fin de l'année 2002, les fonctionnalités et les garanties offertes par l'ensemble des téléservices publics en matière de protection des données personnelles. D'ores et déjà, trois experts travaillent à la préparation de ce débat, pour exposer les termes de façon claire et pragmatique.
A travers ces cinq objectifs - généralisation, personnalisation, continuité, solidarité et sécurité - se dessinent des services publics entièrement rénovés dans leur production et leur distribution, que ce soit directement en ligne, au guichet ou au téléphone - un agent public ou un travailleur social, par exemple, servant alors d'intermédiaire entre les systèmes d'information et l'usager lui-même.
Tels pourraient être, je crois, les pré-requis des développements futurs que nous engagerons ensemble. Ces engagements pourraient fournir le socle d'un modèle européen concerté de développement d'une administration électronique efficace, solidaire et respectueuse des citoyens.
Mesdames, Messieurs,
Vous l'aurez compris - et vous l'avez ressenti, chacun d'entre vous, dans la cadence infernale de cette année - notre effort ne s'est pas relâché en 2001. Cette année restera comme une année charnière entre une première étape, celle de la mise en ligne des informations administratives et citoyennes de base, et une deuxième étape, celle de l'interaction en ligne avec les administrations, celle de la transformation des services publics grâce aux technologies de l'information, certes, mais surtout grâce aux potentiels d'inventivité, de créativité, de réorganisation des agents publics, qui font naître ces nouveaux outils.

Nos réalisations, que vous explorez depuis hier et qui vous seront résumées dans un instant, nos objectifs, qui figurent dans la déclaration des ministres qui vous sera présentée tout à l'heure, portent la marque de ce passage de relais entre deux étapes. Loin de nous contenter de ce que nous avons déjà fait, nous voyons que nous avons gravi la colline pour distinguer à présent, derrière le contrefort, la rude pente de la montagne à gravir.
Mais c'est dans cette première phase de l'ascension que nous nous sommes rencontrés, que nous avons commencé à nous entraider, que nous avons choisi de poursuivre ensemble. C'est pour moi la meilleure garantie de parvenir au sommet.
Je vous remercie de votre attention.
Seul le discours prononcé fait foi.
(source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 3 décembre 2001)