Texte intégral
Impact Médecin - Sous la droite comme sous la gauche, les médecins ne sont pas heureux. Quelle analyse faites-vous de cette situation, de ce mal de vivre ?
Alain Madelin - Les médecins sont victimes d'un système en crise qui a de plus en plus tendance à en faire les boucs émissaires de tous ses dysfonctionnements. Je regrette la réforme Juppé de 1995 que je n'ai pas votée. La réforme Juppé s'est trompée de direction. On a demandé aux parlementaires de voter une loi dite " d'équilibre ", dont on voit bien que, en ce qui concerne les dépenses d'assurance maladie, elle n'a abouti qu'à une collection de déséquilibres. La réforme Juppé ne pouvait conduire qu'à une étatisation rampante du système de santé, aggravée par les gouvernements socialistes qui ont suivi. Elle a introduit une responsabilité collective des médecins que j'ai toujours profondément combattue.
Si le rationnement des soins a été évité pour l'essentiel, il l'a été au prix de la paupérisation des médecins. Leurs revenus sont devenus la variable d'ajustement du système. De même que l'on s'apprête aujourd'hui à faire de l'hospitalisation privée et des cliniques la variable d'ajustement des réformes que l'on ne sait pas faire, que l'on a pas su faire, que l'on ne sait toujours pas faire à l'hôpital public.
Face à ce désenchantement des professions médicales, quelles seraient les premières mesures que vous prendriez si, demain, vous étiez porté à l'Elysée ?
- Il faut rompre avec un système où l'Etat a mis la main sur tous les leviers de gestion de l'assurance maladie et prend toutes les décisions clés. C'est lui qui décide des postes hospitaliers, de la codification des actes, du nombre d'infirmières, de lits, de l'implantation des matériels lourds, etc. Quel système reconstruire ? Au fond, dans un système de santé, des centaines de millions d'actes s'interconnectent et répondent certes à une logique partiellement économique mais aussi et surtout à une série de décisions individuelles, sous la responsabilité du médecin, dans un lien de confiance entre le médecin et le malade où les considérations éthiques prennent de plus en plus d'importance. Un système aussi complexe ne peut être géré d'en haut depuis les ministères parisiens. Il ne peut être piloté que d'en bas par les professionnels. Il ne peut être que profondément décentralisé, régionalisé, fondé sur une rénovation de l'assurance maladie, sur un paritarisme de responsabilité, sur des élections libres à la Sécurité sociale, ce qui serait l'occasion de poser le débat devant le pays.
Ne craignez-vous pas aussi que la régionalisation introduise des disparités très fortes entre les régions ?
- Ces disparités existent déjà. On observe des inégalités économiques considérables, avec des écarts pour la même pathologie qui peuvent aller de un à quatre ou de un à cinq. Là aussi, le système est profondément absurde. Aucun système centralisé ne permet de déterminer le juste prix ou le bon tarif. Seule la pratique de la liberté et de la responsabilité, dans un processus d'essais et d'erreurs très décentralisé, peut permettre de découvrir le juste soin, le meilleur rapport qualité-prix du soin le plus efficace.
Quel rôle assignez-vous au paritarisme ?
- Je suis contre le système étatisé à la britannique et contre un système privatisé à l'américaine assorti d'une sélection des risques où le malade est exclusivement considéré comme un client. Le système allemand bismarckien, fondé sur un paritarisme de responsabilité, me paraît être plus proche de nos traditions. Les cotisations sociales sont la propriété des salariés et non de l'Etat, elles constituent un salaire indirect et non un impôt. Tout cela justifie un paritarisme de gestion ou un paritarisme de surveillance. Ma préférence va aujourd'hui à un paritarisme de surveillance qui veille au respect de règles essentielles, quitte à déléguer la gestion.
A des gestionnaires qui peuvent être des organismes privés ?
- Quand vous regardez le système allemand, il s'agit bien d'une sorte de délégation de service public sans sélection du risque, avec une clause de péréquation solidaire et sous la responsabilité d'un conseil de surveillance.
Est-ce ce que l'on pourrait appeler une " médecine libérale solidaire " ?
- L'exercice libéral permet l'innovation de nouvelles formes d'organisation des soins. Je suis incapable de vous dire, à la place des médecins, quel type d'organisation des soins choisir. En revanche, il faut maintenir les principes fondamentaux qui fondent notre système social européen, bâti sur la solidarité nationale face à l'adversité et non sur la sélection des risques.
Une médecine libérale solidaire ?
- Le libéralisme, c'est le libre choix de la confiance dans la liberté, la responsabilité des acteurs, et leur capacité à s'auto-organiser. La solidarité conduit à maintenir une assurance obligatoire et les principes essentiels, notamment la non-sélection des risques.
Les médecins récusent la médecine comptable. Mais peut-on, même en reprenant votre logique, dépenser toujours plus pour la santé ?
- C'est un choix de société. Il n'y a pas véritablement de limites, dans mon esprit, aux dépenses de santé. Néanmoins, il faut savoir ce que l'on met dans l'assurance obligatoire. Son périmètre doit être révisé périodiquement. Cela incombe au paritarisme de responsabilité. La part de cette assurance obligatoire, à mon avis, doit être aussi large que possible. Il ne doit pas y avoir de médecine à deux vitesses : un panier de soins minimal pour l'assurance obligatoire, le reste étant renvoyé à des assurances complémentaires. Nous aurions là un double marché avec tous les risques d'écrémage des patients que cela suppose. Mais à quoi avons-nous assisté avec un système monopolistique qui prétendait l'éviter ? On s'est enfoncé dans un système à deux vitesses, dont je n'ai cessé de dénoncer les dérives. Il a d'ailleurs fallu instaurer la CMU. Dans le système que je préconise, il n'y a plus besoin de la CMU.
Dans votre système, la concurrence ne s'exerce pas sur le panier de soins, elle s'exerce sur l'organisation des soins. Comment imaginez-vous la contractualisation entre les organismes d'assurance maladie privés ou publics et les professionnels de santé ?
- C'est dans le cadre de la régionalisation que l'on va découvrir la meilleure pratique, le meilleur coût pour chaque pathologie. Cela ne peut être découvert que sur le terrain par les professionnels de santé, à condition qu'ils disposent avec les assureurs d'une responsabilité globale. Je prends un exemple. Je ne peux pas isoler la médecine de ville de l'hôpital. Nous avons intérêt à favoriser une osmose entre les deux et non à fixer deux enveloppes et deux mondes qui s'ignorent. Dans une logique contractuelle de responsabilité organisée de bas en haut, on peut intéresser tous les acteurs du système de santé aux économies réalisées ensemble. Plutôt qu'un système de sanction je préfère avoir un système d'intéressement. Si le médecin était intéressé à la santé du malade, il passerait peut-être davantage de temps à la prévention. Il faut mettre en place un système gagnant-gagnant, pour les malades, pour les professionnels, pour les payeurs, pour la collectivité.
Les honoraires des généralistes sont ridiculement bas. Il va bien falloir les augmenter.
- Avec une consultation à 115 F, la tendance est de travailler à la chaîne et de multiplier les actes. C'est le système qui favorise cette course au volume. Même au Royaume-Uni, le revenu moyen des médecins est supérieur à celui des praticiens français. Cela dit, ce n'est pas à l'homme politique de fixer le bon tarif. Peut-il y avoir d'autres formes de rémunération que la rémunération à l'acte ? Aux acteurs d'en juger, aux médecins de les expérimenter.
Quel serait le signe fort d'un changement de système ?
- Dans le cadre d'une alternance réussie, certaines réformes doivent être conduites très vite. J'inscris celle de l'assurance malade parmi les priorités. Le signe fort serait de renoncer clairement et fermement à l'idée de sanctions collectives, pour ouvrir la voie à une autre logique, fondée sur la responsabilité individuelle, passant de la défiance à la confiance.
(Source http://www.alainmadelin.com, le 29 octobre 2001)
Alain Madelin - Les médecins sont victimes d'un système en crise qui a de plus en plus tendance à en faire les boucs émissaires de tous ses dysfonctionnements. Je regrette la réforme Juppé de 1995 que je n'ai pas votée. La réforme Juppé s'est trompée de direction. On a demandé aux parlementaires de voter une loi dite " d'équilibre ", dont on voit bien que, en ce qui concerne les dépenses d'assurance maladie, elle n'a abouti qu'à une collection de déséquilibres. La réforme Juppé ne pouvait conduire qu'à une étatisation rampante du système de santé, aggravée par les gouvernements socialistes qui ont suivi. Elle a introduit une responsabilité collective des médecins que j'ai toujours profondément combattue.
Si le rationnement des soins a été évité pour l'essentiel, il l'a été au prix de la paupérisation des médecins. Leurs revenus sont devenus la variable d'ajustement du système. De même que l'on s'apprête aujourd'hui à faire de l'hospitalisation privée et des cliniques la variable d'ajustement des réformes que l'on ne sait pas faire, que l'on a pas su faire, que l'on ne sait toujours pas faire à l'hôpital public.
Face à ce désenchantement des professions médicales, quelles seraient les premières mesures que vous prendriez si, demain, vous étiez porté à l'Elysée ?
- Il faut rompre avec un système où l'Etat a mis la main sur tous les leviers de gestion de l'assurance maladie et prend toutes les décisions clés. C'est lui qui décide des postes hospitaliers, de la codification des actes, du nombre d'infirmières, de lits, de l'implantation des matériels lourds, etc. Quel système reconstruire ? Au fond, dans un système de santé, des centaines de millions d'actes s'interconnectent et répondent certes à une logique partiellement économique mais aussi et surtout à une série de décisions individuelles, sous la responsabilité du médecin, dans un lien de confiance entre le médecin et le malade où les considérations éthiques prennent de plus en plus d'importance. Un système aussi complexe ne peut être géré d'en haut depuis les ministères parisiens. Il ne peut être piloté que d'en bas par les professionnels. Il ne peut être que profondément décentralisé, régionalisé, fondé sur une rénovation de l'assurance maladie, sur un paritarisme de responsabilité, sur des élections libres à la Sécurité sociale, ce qui serait l'occasion de poser le débat devant le pays.
Ne craignez-vous pas aussi que la régionalisation introduise des disparités très fortes entre les régions ?
- Ces disparités existent déjà. On observe des inégalités économiques considérables, avec des écarts pour la même pathologie qui peuvent aller de un à quatre ou de un à cinq. Là aussi, le système est profondément absurde. Aucun système centralisé ne permet de déterminer le juste prix ou le bon tarif. Seule la pratique de la liberté et de la responsabilité, dans un processus d'essais et d'erreurs très décentralisé, peut permettre de découvrir le juste soin, le meilleur rapport qualité-prix du soin le plus efficace.
Quel rôle assignez-vous au paritarisme ?
- Je suis contre le système étatisé à la britannique et contre un système privatisé à l'américaine assorti d'une sélection des risques où le malade est exclusivement considéré comme un client. Le système allemand bismarckien, fondé sur un paritarisme de responsabilité, me paraît être plus proche de nos traditions. Les cotisations sociales sont la propriété des salariés et non de l'Etat, elles constituent un salaire indirect et non un impôt. Tout cela justifie un paritarisme de gestion ou un paritarisme de surveillance. Ma préférence va aujourd'hui à un paritarisme de surveillance qui veille au respect de règles essentielles, quitte à déléguer la gestion.
A des gestionnaires qui peuvent être des organismes privés ?
- Quand vous regardez le système allemand, il s'agit bien d'une sorte de délégation de service public sans sélection du risque, avec une clause de péréquation solidaire et sous la responsabilité d'un conseil de surveillance.
Est-ce ce que l'on pourrait appeler une " médecine libérale solidaire " ?
- L'exercice libéral permet l'innovation de nouvelles formes d'organisation des soins. Je suis incapable de vous dire, à la place des médecins, quel type d'organisation des soins choisir. En revanche, il faut maintenir les principes fondamentaux qui fondent notre système social européen, bâti sur la solidarité nationale face à l'adversité et non sur la sélection des risques.
Une médecine libérale solidaire ?
- Le libéralisme, c'est le libre choix de la confiance dans la liberté, la responsabilité des acteurs, et leur capacité à s'auto-organiser. La solidarité conduit à maintenir une assurance obligatoire et les principes essentiels, notamment la non-sélection des risques.
Les médecins récusent la médecine comptable. Mais peut-on, même en reprenant votre logique, dépenser toujours plus pour la santé ?
- C'est un choix de société. Il n'y a pas véritablement de limites, dans mon esprit, aux dépenses de santé. Néanmoins, il faut savoir ce que l'on met dans l'assurance obligatoire. Son périmètre doit être révisé périodiquement. Cela incombe au paritarisme de responsabilité. La part de cette assurance obligatoire, à mon avis, doit être aussi large que possible. Il ne doit pas y avoir de médecine à deux vitesses : un panier de soins minimal pour l'assurance obligatoire, le reste étant renvoyé à des assurances complémentaires. Nous aurions là un double marché avec tous les risques d'écrémage des patients que cela suppose. Mais à quoi avons-nous assisté avec un système monopolistique qui prétendait l'éviter ? On s'est enfoncé dans un système à deux vitesses, dont je n'ai cessé de dénoncer les dérives. Il a d'ailleurs fallu instaurer la CMU. Dans le système que je préconise, il n'y a plus besoin de la CMU.
Dans votre système, la concurrence ne s'exerce pas sur le panier de soins, elle s'exerce sur l'organisation des soins. Comment imaginez-vous la contractualisation entre les organismes d'assurance maladie privés ou publics et les professionnels de santé ?
- C'est dans le cadre de la régionalisation que l'on va découvrir la meilleure pratique, le meilleur coût pour chaque pathologie. Cela ne peut être découvert que sur le terrain par les professionnels de santé, à condition qu'ils disposent avec les assureurs d'une responsabilité globale. Je prends un exemple. Je ne peux pas isoler la médecine de ville de l'hôpital. Nous avons intérêt à favoriser une osmose entre les deux et non à fixer deux enveloppes et deux mondes qui s'ignorent. Dans une logique contractuelle de responsabilité organisée de bas en haut, on peut intéresser tous les acteurs du système de santé aux économies réalisées ensemble. Plutôt qu'un système de sanction je préfère avoir un système d'intéressement. Si le médecin était intéressé à la santé du malade, il passerait peut-être davantage de temps à la prévention. Il faut mettre en place un système gagnant-gagnant, pour les malades, pour les professionnels, pour les payeurs, pour la collectivité.
Les honoraires des généralistes sont ridiculement bas. Il va bien falloir les augmenter.
- Avec une consultation à 115 F, la tendance est de travailler à la chaîne et de multiplier les actes. C'est le système qui favorise cette course au volume. Même au Royaume-Uni, le revenu moyen des médecins est supérieur à celui des praticiens français. Cela dit, ce n'est pas à l'homme politique de fixer le bon tarif. Peut-il y avoir d'autres formes de rémunération que la rémunération à l'acte ? Aux acteurs d'en juger, aux médecins de les expérimenter.
Quel serait le signe fort d'un changement de système ?
- Dans le cadre d'une alternance réussie, certaines réformes doivent être conduites très vite. J'inscris celle de l'assurance malade parmi les priorités. Le signe fort serait de renoncer clairement et fermement à l'idée de sanctions collectives, pour ouvrir la voie à une autre logique, fondée sur la responsabilité individuelle, passant de la défiance à la confiance.
(Source http://www.alainmadelin.com, le 29 octobre 2001)