Texte intégral
Merci d'avoir répondu à mon invitation.
Pourquoi cette rencontre ? Et pourquoi précisément avec vous, ici, à Marseille ?
La question de l'insécurité va tenir une grande place dans la grande confrontation d'idées et de propositions à laquelle devraient donner lieu les élections présidentielle puis législatives de 2002.
Non pas parce que la droite a décidé d'en faire un thème de campagne, mais parce qu'il s'agit d'une préoccupation majeure des hommes et des femmes de notre pays, qui attendent autre chose que des polémiques politiciennes sur un tel sujet qui concerne la vie quotidienne de chacune et de chacun.
Ceux d'entre vous qui ont participé à la rencontre d'hier soir ont bien compris dans quel esprit j'entame ma campagne pour l'élection présidentielle. J'attache une grande importance aux rencontres que j'ai actuellement dans tout le pays avec les communistes -les militants, les responsables, les élus- pour débattre avec eux de cette campagne, de ses objectifs, de ses orientations, des propositions dont je serai porteur. Je leur fais part de ma façon de voir, de mes idées, de mes propositions. Et surtout j'écoute beaucoup. Et je m'enrichis beaucoup de ce que j'entends.
C'est dans le même esprit que j'ai souhaité vous rencontrer pour échanger avec vous sur cette question de l'insécurité. Parce que vous y êtes quotidiennement confrontés comme élus. Et aussi parce qu'ici, à Marseille, les communistes ont su, à une autre époque et dans d'autres conditions, trouver des réponses originales et efficaces à de graves problèmes d'insécurité, au temps où votre ville menaçait de devenir un territoire de non-droit totalement soumis à la loi des mafieux du grand banditisme.
J'évoque cela en pensant à François Billoux, au courage dont lui et ses camarades ont fait preuve dans ce qui fut un combat de grande ampleur. Et en n'oubliant pas, car c'est à mes yeux essentiels, que ces réponses ils ont su les trouver avec la population. Je dirai même mieux : dans la population, en y jouant un rôle décisif de lien social, de rassemblement des Marseillais pour faire front ensemble et rejeter ensemble le gangstérisme, et la violence qui avaient fait main basse sur la ville.
C'est en fonction à la fois de cette expérience historique qui a marqué Marseille, et donné au Parti communiste dans cette ville une grande autorité morale et politique, et de votre propre expérience d'aujourd'hui, que j'ai souhaité vous consulter. J'attends beaucoup de vos analyses, vos avis et propositions -que vous me donnerez aujourd'hui, ou plus tard, sous d'autres formes, si vous le souhaitez. Je vous en remercie par avance.
Je veux d'abord vous dire brièvement comment j'appréhende, pour ma part, ce problème.
Je parle de l'insécurité comme d'une réalité vécue quotidiennement ; un fléau dont on subit les effets. Je refuse de me contenter de parler d'un "sentiment d'insécurité" qui naîtrait de la place donnée par les médias à ce qui ne serait que des "faits divers" montés en épingle, et qui serait alimenté par "l'idéologie sécuritaire" de la droite et de l'extrême droite. Je récuse même frontalement ce discours culpabilisateur pour celles et ceux qui auraient ainsi la "faiblesse" de se laisser aller à ce "sentiment d'insécurité".
Non, l'insécurité n'est pas un "sentiment", mais une réalité. Cela ne veut pas dire que les médias ne devraient pas réfléchir à la façon dont ils en parlent, ou que "l'idéologie sécuritaire" instrumentalisée à des fins politiciennes n'existerait pas, et que donc il n'y aurait pas à la combattre... Mais il faut d'abord reconnaître la réalité de l'insécurité pour en comprendre les causes et les faire reculer.
Je me demande s'il ne faut pas, pour mieux comprendre, distinguer insécurité, d'une part, et violence, d'autre part. Certes, les deux sont liées dans la réalité. Mais chacune appelle un combat spécifique.
Aujourd'hui, la vie quotidienne de l'immense majorité de nos concitoyens n'est pas sûre. Il est significatif que n'existe pas, dans la langue française, comme cela existe en d'autres langues, le mot "insécure". C'est que la République, la démocratie française étaient venues à bout de l'insécurité dans le mode de vie national. Pour aller vite on peut dire que "la politique" l'avait éradiquée -ce qui n'avait jamais été le cas dans d'autres sociétés, même très évoluées, comme la société américaine.
En réalité, c'est la vague "libérale" des dernières décennies du vingtième siècle -c'est à dire le capitalisme financier, prédateur et sauvage, qui a engendré une nouvelle insécurité, étendue à tous les aspects de la vie (insécurité pour la santé, l'emploi, le logement, l'alimentation, etc.), avec toujours pour cause essentielle la marchandisation, la recherche de rentabilité financière, la recherche des moyens les plus efficaces d'exploiter le travail salarié ("casse" des acquis, précarisation, flexibilité, etc.). La droite est donc particulièrement mal placée pour mettre la gauche en accusation sur cette question de l'insécurité !
Et c'est cette insécurité organisée (pour des raisons "de classe", pourquoi ne le dirions-nous pas ?) qui a servi et sert de terreau au développement de la violence dans la société.
Cette question du rapport entre l'insécurité généralisée engendrée par le libéralisme -le capitalisme dans ses formes les plus développées à notre époque- et la violence dans la société mérite une réflexion approfondie.
Il est, à mes yeux, totalement injustifié de prétendre, ou de laisser entendre que la violence serait la contrepartie inévitable de la "sauvagerie" du capitalisme installant dans tous les domaines l'insécurité.
Bien sûr, il y a de la violence dans les rapports sociaux qu'impose le capitalisme (voir par exemple les licenciements jetant hommes et femmes à la rue au nom d'actionnaires invisibles, l'exclusion, etc.). Bien sûr, il y a une idéologie liée à ces rapports sociaux -qui n'est pas vraiment "sécuritaire" mais bien plutôt apologie de la force pour être un gagneur face aux perdants... et tant pis pour eux. Et bien sûr, il y a dans les contenus de ce qui fait aujourd'hui la communication entre les hommes -médias, représentations de la société, images véhiculées de soi disant "hommes véritables", etc.- une réelle "pédagogie" de la violence comme moyen d'exister personnellement, très bien illustrée, par exemple dans les productions audiovisuelles en direction des enfants.
Et, il y a, comme une sorte d'appendice plus ou moins honteux et caché du capitalisme moderne, la violence de l'affairisme international, d'une mondialisation faisant violence aux peuples, avec les mafias, les paradis fiscaux, les trafics notamment les deux plus importants - ceux de la drogue et des armes - les coups tordus de la violence d'Etat qui accompagne tout cela ... Et voyons bien que cet appendice du capitalisme fondé sur les trafics et la violence, avec ses règles, ses "lois", échappant aux règles et aux lois que les sociétés se sont données, est présent au coeur même de notre société. Singulièrement dans les grandes métropoles, dans les quartiers "difficiles" ...
Mais surtout -et je pèse mes mots-, je ne dis pas cela parce que je suis un "animal politique" qui surdimensionne cette donnée -la réponse par la violence à la violence que le libéralisme fait aux hommes n'est violente que parce que la politique leur apparaît impuissante à les protéger et à leur épargner les malheurs qu'on leur présente comme marqués du sceau de la fatalité !
Si cette analyse s'avère juste -non pas forcément dans la formulation rapide que j'en donne, mais dans son esprit- il faut en tirer toutes les conséquences.
Rien dans ce que nous disons, ce que nous faisons ne devrait laisser accréditer, ne serait-ce qu'un soupçon de complaisance avec la violence, en l'excusant par la violence que le capitalisme fait aux hommes.
Un de mes amis, militant des banlieues, résumait récemment pour moi cette idée en disant :
"Je n'ai jamais accepté d'excuser que l'on vote pour l'extrême droite parce que l'on est au chômage. Je n'accepterai pas plus que l'on bascule dans la violence et le banditisme parce que l'on est au RMI ou sans emploi !".
On peut, et l'on doit bien sûr, discuter de mesures quantitatives pour faire face à la situation, mais c'est d'une véritable politique de lutte contre l'insécurité et la violence que l'on a besoin. Et il faut la concevoir dans sa globalité.
Qu'est-ce que cela implique ?
- Cela implique de savoir et de faire savoir que lorsque nous disons "La France, c'est vous !", cela veut dire -entre autres- que nous voulons, comme une priorité, une vie heureuse et tranquille, au quotidien pour chacune et chacun.
Je pense qu'il doit être clair que le but des communistes, et de leur candidat, n'est pas d'expliquer ou d'excuser la violence mais de la faire reculer jusqu'à disparaître. Nous voulons qu'on puisse entrer et sortir de chez soi sans être insultés, moqués, agressés ...qu'on puisse emprunter sans crainte les transports en commun, être sans crainte différent ou différente des autres. Nous voulons que la violence soit bannie de l'école. Nous voulons la paix, la tranquillité et le respect pour les personnes âgées. Nous voulons que les biens des personnes - bien souvent acquis si chèrement ! - soient préservés. Nous voulons que soient mis réellement hors d'état de nuire les trafiquants - ceux de la drogue et les autres - les mafieux, les escrocs qui vivent au détriment des autres et leur imposent leur violence comme moyen et règle d'existence.
Il faut qu'il soit clair que tels sont nos objectifs de communistes. Nous ne sommes pas enfermés dans une conception étroite du "social" limité à l'économique. Pour nous, le social, c'est l'être humain, sa liberté, son développement, et donc, inséparablement, sa sécurité.
Quelle conception globale pouvons-nous donc proposer pour lutter contre l'insécurité et la violence ?
Je pense qu'il n'y a pas : premièrement ceci, deuxièmement, cela, etc. par ordre chronologique. Il doit y avoir une politique d'ensemble à conduire simultanément dans tous ses aspects.
Contre l'insécurité de la vie. C'est une politique visant à assumer comme un droit fondamental de la personne humaine qu'une société évoluée doit garantir : le droit à l'emploi, à la formation initiale et continue, inséparable du droit pour tous à un revenu permettant de vivre comme on doit pouvoir vivre au 21ème siècle, en ayant accès à toutes les possibilités offertes par le progrès des connaissances, de la culture, des sciences, des technologies, des modes de vie en société.
Et c'est une politique rendant effectif et contrôlable le droit pour toutes et tous à la sécurité sanitaire, alimentaire, environnementale.
Et, permettez-moi de le répéter, il ne saurait être question de retomber dans l'erreur tragique consistant à répondre à ceux qui souffrent et ont peur : "changeons d'abord la société, et les problèmes de l'insécurité et de la violence se règleront d'eux-mêmes". Alors, il faut, en même temps que cette politique pour combattre les injustices, les inégalités génératrices d'insécurité de la vie, mener une politique résolue contre la violence. Avec, me semble-t-il, quelques axes forts :
La lutte rigoureuse et vigoureuse contre les trafics, les mafias - ce que l'on appelle "l'économie parallèle" - faisant régner sa loi par la corruption et la violence. Il faut, non seulement, arrêter de "fermer les yeux" sur cette réalité, mais se donner les moyens de la combattre.
Une pédagogie réfléchie et rigoureusement conduite dès l'école et dans tous les secteurs de la vie sociale - médias compris - fondée sur l'apprentissage du respect de l'autre, avec sa nécessaire contrepartie : le respect que les autres vous doivent.
Une politique concertée avec l'Etat , les collectivités et les associations pour offrir, en milieu urbain comme en milieu rural, dans le cadre d'une nouvelle politique de la ville, des services publics ayant les moyens d'être réellement au service de la personne, pour aider chacune et chacun à trouver, au plus près de ses lieux d'habitation et de travail, les réponses aux questions parfois si compliquées posées par la vie en société. Cela implique, sans doute, une nouvelle organisation des services publics, les dotant des moyens matériels et humains nécessaires et les décloisonnant, de façon à ce que l'on puisse trouver les aides et les réponses que l'on attend sans être renvoyé d'un service à l'autre dans un "parcours du combattant" qui conduit certains à abandonner et à devenir plus perméables aux sollicitations de ceux qui leur offrent, avec "l'économie des mafias et des trafics", des moyens - en apparence plus directs - de faire face à leurs problèmes, notamment, par l'argent facile que peut procurer - au moins au début - la participation aux différents trafics. Et il me semble nécessaire de préciser qu'une telle conception implique de concevoir, autrement qu'en termes de "petits boulots", la question des métiers de proximité et d'aide à la personne. C'est en fait de salariés bien formés et rémunérés en conséquence que l'on a besoin dans ce secteur.
C'est dans ce cadre de service public de proximité que je pense qu'il faut réfléchir au rôle, au missions et aux moyens de la police et de la justice.
Prévention, animation de la vie sociale, justice sachant sanctionner et éduquer, et sachant aussi créer les conditions pour de justes réparations aux victimes : voilà, me semble-t-il les termes du débat.
Pour répondre vraiment à ces besoins, il faut remplir plusieurs conditions.
D'abord, le dialogue avec tous les acteurs de la vie sociale - parents, enfants, jeunes, employeurs, formateurs, associations et bien sûr élus, pour établir ensemble "l'état des lieux" sans rien se cacher et sans en rajouter mais en repérant les points d'appui possibles pour travailler avec tous à la sécurité et à la tranquillité de tous.
Et bien sûr les moyens. Les moyens en "travailleurs sociaux" au sens et dans l'esprit que je viens d'indiquer.
Les moyens en personnels de police formés et qualifiés pour ces lieux nouveaux avec la population. C'est sans doute plusieurs dizaines de milliers d'hommes et de femmes qu'il faut dans un bref délai former et investir dans ce travail. Les moyens matériels et humains pour une justice rapide, efficace, et humaine - y compris - sans doute faut-il y penser en reprenant, comme c'est nécessaire, la réflexion autour de la loi sur la présomption d'innocence, les moyens pour sortir d'un système pervers qui ne laisse trop souvent le choix qu'entre la détention provisoire livrant des milliers de jeunes à "l'école de la délinquance" que sont les prisons, ou bien, la remise en liberté de délinquants dont on ne sait que faire, et que les policiers finissent par ne plus vouloir arrêter si c'est pour les retrouver dans la rue le lendemain ! Des réflexions sont en cours sur d'autres dispositifs permettant de garder sous contrôle ces délinquants. C'est sur la question du coût et des personnels à former et à y engager que l'on bute !
Les moyens pour garantir réparation aux victimes, qui sont souvent les grands oubliés lorsqu'on évoque ces questions. Et cela implique sans aucun doute une concertation entre l'Etat, les collectivités, les banques et les assurances, pour davantage de célérité et de justice dans ce domaine.
Les moyens, justement, c'est par là que je veux terminer. Davantage de moyens pour une police et un justice de proximité, et davantage de moyens pour des services publics de l'aide à la personne :
Je pense qu'il faudrait un programme pluriannuel permettant de doubler l'effort financier actuellement consacré à la sécurité-police, justice, politique de la ville. J'ai bien dit doubler, par exemple en 5 ans, un effort qui, actuellement, représente environ 95 milliards de francs par an.
Voilà, chers amis, non pas mes propositions de candidat. Elles restent à élaborer. Mais des idées que je vous soumets en sollicitant vos avis, vos suggestions pour, précisément, m'aider dans cette élaboration.
Encore une fois, je vous en remercie par avance.
(Source http://www.pcf.fr, le 28 novembre 2001)
Pourquoi cette rencontre ? Et pourquoi précisément avec vous, ici, à Marseille ?
La question de l'insécurité va tenir une grande place dans la grande confrontation d'idées et de propositions à laquelle devraient donner lieu les élections présidentielle puis législatives de 2002.
Non pas parce que la droite a décidé d'en faire un thème de campagne, mais parce qu'il s'agit d'une préoccupation majeure des hommes et des femmes de notre pays, qui attendent autre chose que des polémiques politiciennes sur un tel sujet qui concerne la vie quotidienne de chacune et de chacun.
Ceux d'entre vous qui ont participé à la rencontre d'hier soir ont bien compris dans quel esprit j'entame ma campagne pour l'élection présidentielle. J'attache une grande importance aux rencontres que j'ai actuellement dans tout le pays avec les communistes -les militants, les responsables, les élus- pour débattre avec eux de cette campagne, de ses objectifs, de ses orientations, des propositions dont je serai porteur. Je leur fais part de ma façon de voir, de mes idées, de mes propositions. Et surtout j'écoute beaucoup. Et je m'enrichis beaucoup de ce que j'entends.
C'est dans le même esprit que j'ai souhaité vous rencontrer pour échanger avec vous sur cette question de l'insécurité. Parce que vous y êtes quotidiennement confrontés comme élus. Et aussi parce qu'ici, à Marseille, les communistes ont su, à une autre époque et dans d'autres conditions, trouver des réponses originales et efficaces à de graves problèmes d'insécurité, au temps où votre ville menaçait de devenir un territoire de non-droit totalement soumis à la loi des mafieux du grand banditisme.
J'évoque cela en pensant à François Billoux, au courage dont lui et ses camarades ont fait preuve dans ce qui fut un combat de grande ampleur. Et en n'oubliant pas, car c'est à mes yeux essentiels, que ces réponses ils ont su les trouver avec la population. Je dirai même mieux : dans la population, en y jouant un rôle décisif de lien social, de rassemblement des Marseillais pour faire front ensemble et rejeter ensemble le gangstérisme, et la violence qui avaient fait main basse sur la ville.
C'est en fonction à la fois de cette expérience historique qui a marqué Marseille, et donné au Parti communiste dans cette ville une grande autorité morale et politique, et de votre propre expérience d'aujourd'hui, que j'ai souhaité vous consulter. J'attends beaucoup de vos analyses, vos avis et propositions -que vous me donnerez aujourd'hui, ou plus tard, sous d'autres formes, si vous le souhaitez. Je vous en remercie par avance.
Je veux d'abord vous dire brièvement comment j'appréhende, pour ma part, ce problème.
Je parle de l'insécurité comme d'une réalité vécue quotidiennement ; un fléau dont on subit les effets. Je refuse de me contenter de parler d'un "sentiment d'insécurité" qui naîtrait de la place donnée par les médias à ce qui ne serait que des "faits divers" montés en épingle, et qui serait alimenté par "l'idéologie sécuritaire" de la droite et de l'extrême droite. Je récuse même frontalement ce discours culpabilisateur pour celles et ceux qui auraient ainsi la "faiblesse" de se laisser aller à ce "sentiment d'insécurité".
Non, l'insécurité n'est pas un "sentiment", mais une réalité. Cela ne veut pas dire que les médias ne devraient pas réfléchir à la façon dont ils en parlent, ou que "l'idéologie sécuritaire" instrumentalisée à des fins politiciennes n'existerait pas, et que donc il n'y aurait pas à la combattre... Mais il faut d'abord reconnaître la réalité de l'insécurité pour en comprendre les causes et les faire reculer.
Je me demande s'il ne faut pas, pour mieux comprendre, distinguer insécurité, d'une part, et violence, d'autre part. Certes, les deux sont liées dans la réalité. Mais chacune appelle un combat spécifique.
Aujourd'hui, la vie quotidienne de l'immense majorité de nos concitoyens n'est pas sûre. Il est significatif que n'existe pas, dans la langue française, comme cela existe en d'autres langues, le mot "insécure". C'est que la République, la démocratie française étaient venues à bout de l'insécurité dans le mode de vie national. Pour aller vite on peut dire que "la politique" l'avait éradiquée -ce qui n'avait jamais été le cas dans d'autres sociétés, même très évoluées, comme la société américaine.
En réalité, c'est la vague "libérale" des dernières décennies du vingtième siècle -c'est à dire le capitalisme financier, prédateur et sauvage, qui a engendré une nouvelle insécurité, étendue à tous les aspects de la vie (insécurité pour la santé, l'emploi, le logement, l'alimentation, etc.), avec toujours pour cause essentielle la marchandisation, la recherche de rentabilité financière, la recherche des moyens les plus efficaces d'exploiter le travail salarié ("casse" des acquis, précarisation, flexibilité, etc.). La droite est donc particulièrement mal placée pour mettre la gauche en accusation sur cette question de l'insécurité !
Et c'est cette insécurité organisée (pour des raisons "de classe", pourquoi ne le dirions-nous pas ?) qui a servi et sert de terreau au développement de la violence dans la société.
Cette question du rapport entre l'insécurité généralisée engendrée par le libéralisme -le capitalisme dans ses formes les plus développées à notre époque- et la violence dans la société mérite une réflexion approfondie.
Il est, à mes yeux, totalement injustifié de prétendre, ou de laisser entendre que la violence serait la contrepartie inévitable de la "sauvagerie" du capitalisme installant dans tous les domaines l'insécurité.
Bien sûr, il y a de la violence dans les rapports sociaux qu'impose le capitalisme (voir par exemple les licenciements jetant hommes et femmes à la rue au nom d'actionnaires invisibles, l'exclusion, etc.). Bien sûr, il y a une idéologie liée à ces rapports sociaux -qui n'est pas vraiment "sécuritaire" mais bien plutôt apologie de la force pour être un gagneur face aux perdants... et tant pis pour eux. Et bien sûr, il y a dans les contenus de ce qui fait aujourd'hui la communication entre les hommes -médias, représentations de la société, images véhiculées de soi disant "hommes véritables", etc.- une réelle "pédagogie" de la violence comme moyen d'exister personnellement, très bien illustrée, par exemple dans les productions audiovisuelles en direction des enfants.
Et, il y a, comme une sorte d'appendice plus ou moins honteux et caché du capitalisme moderne, la violence de l'affairisme international, d'une mondialisation faisant violence aux peuples, avec les mafias, les paradis fiscaux, les trafics notamment les deux plus importants - ceux de la drogue et des armes - les coups tordus de la violence d'Etat qui accompagne tout cela ... Et voyons bien que cet appendice du capitalisme fondé sur les trafics et la violence, avec ses règles, ses "lois", échappant aux règles et aux lois que les sociétés se sont données, est présent au coeur même de notre société. Singulièrement dans les grandes métropoles, dans les quartiers "difficiles" ...
Mais surtout -et je pèse mes mots-, je ne dis pas cela parce que je suis un "animal politique" qui surdimensionne cette donnée -la réponse par la violence à la violence que le libéralisme fait aux hommes n'est violente que parce que la politique leur apparaît impuissante à les protéger et à leur épargner les malheurs qu'on leur présente comme marqués du sceau de la fatalité !
Si cette analyse s'avère juste -non pas forcément dans la formulation rapide que j'en donne, mais dans son esprit- il faut en tirer toutes les conséquences.
Rien dans ce que nous disons, ce que nous faisons ne devrait laisser accréditer, ne serait-ce qu'un soupçon de complaisance avec la violence, en l'excusant par la violence que le capitalisme fait aux hommes.
Un de mes amis, militant des banlieues, résumait récemment pour moi cette idée en disant :
"Je n'ai jamais accepté d'excuser que l'on vote pour l'extrême droite parce que l'on est au chômage. Je n'accepterai pas plus que l'on bascule dans la violence et le banditisme parce que l'on est au RMI ou sans emploi !".
On peut, et l'on doit bien sûr, discuter de mesures quantitatives pour faire face à la situation, mais c'est d'une véritable politique de lutte contre l'insécurité et la violence que l'on a besoin. Et il faut la concevoir dans sa globalité.
Qu'est-ce que cela implique ?
- Cela implique de savoir et de faire savoir que lorsque nous disons "La France, c'est vous !", cela veut dire -entre autres- que nous voulons, comme une priorité, une vie heureuse et tranquille, au quotidien pour chacune et chacun.
Je pense qu'il doit être clair que le but des communistes, et de leur candidat, n'est pas d'expliquer ou d'excuser la violence mais de la faire reculer jusqu'à disparaître. Nous voulons qu'on puisse entrer et sortir de chez soi sans être insultés, moqués, agressés ...qu'on puisse emprunter sans crainte les transports en commun, être sans crainte différent ou différente des autres. Nous voulons que la violence soit bannie de l'école. Nous voulons la paix, la tranquillité et le respect pour les personnes âgées. Nous voulons que les biens des personnes - bien souvent acquis si chèrement ! - soient préservés. Nous voulons que soient mis réellement hors d'état de nuire les trafiquants - ceux de la drogue et les autres - les mafieux, les escrocs qui vivent au détriment des autres et leur imposent leur violence comme moyen et règle d'existence.
Il faut qu'il soit clair que tels sont nos objectifs de communistes. Nous ne sommes pas enfermés dans une conception étroite du "social" limité à l'économique. Pour nous, le social, c'est l'être humain, sa liberté, son développement, et donc, inséparablement, sa sécurité.
Quelle conception globale pouvons-nous donc proposer pour lutter contre l'insécurité et la violence ?
Je pense qu'il n'y a pas : premièrement ceci, deuxièmement, cela, etc. par ordre chronologique. Il doit y avoir une politique d'ensemble à conduire simultanément dans tous ses aspects.
Contre l'insécurité de la vie. C'est une politique visant à assumer comme un droit fondamental de la personne humaine qu'une société évoluée doit garantir : le droit à l'emploi, à la formation initiale et continue, inséparable du droit pour tous à un revenu permettant de vivre comme on doit pouvoir vivre au 21ème siècle, en ayant accès à toutes les possibilités offertes par le progrès des connaissances, de la culture, des sciences, des technologies, des modes de vie en société.
Et c'est une politique rendant effectif et contrôlable le droit pour toutes et tous à la sécurité sanitaire, alimentaire, environnementale.
Et, permettez-moi de le répéter, il ne saurait être question de retomber dans l'erreur tragique consistant à répondre à ceux qui souffrent et ont peur : "changeons d'abord la société, et les problèmes de l'insécurité et de la violence se règleront d'eux-mêmes". Alors, il faut, en même temps que cette politique pour combattre les injustices, les inégalités génératrices d'insécurité de la vie, mener une politique résolue contre la violence. Avec, me semble-t-il, quelques axes forts :
La lutte rigoureuse et vigoureuse contre les trafics, les mafias - ce que l'on appelle "l'économie parallèle" - faisant régner sa loi par la corruption et la violence. Il faut, non seulement, arrêter de "fermer les yeux" sur cette réalité, mais se donner les moyens de la combattre.
Une pédagogie réfléchie et rigoureusement conduite dès l'école et dans tous les secteurs de la vie sociale - médias compris - fondée sur l'apprentissage du respect de l'autre, avec sa nécessaire contrepartie : le respect que les autres vous doivent.
Une politique concertée avec l'Etat , les collectivités et les associations pour offrir, en milieu urbain comme en milieu rural, dans le cadre d'une nouvelle politique de la ville, des services publics ayant les moyens d'être réellement au service de la personne, pour aider chacune et chacun à trouver, au plus près de ses lieux d'habitation et de travail, les réponses aux questions parfois si compliquées posées par la vie en société. Cela implique, sans doute, une nouvelle organisation des services publics, les dotant des moyens matériels et humains nécessaires et les décloisonnant, de façon à ce que l'on puisse trouver les aides et les réponses que l'on attend sans être renvoyé d'un service à l'autre dans un "parcours du combattant" qui conduit certains à abandonner et à devenir plus perméables aux sollicitations de ceux qui leur offrent, avec "l'économie des mafias et des trafics", des moyens - en apparence plus directs - de faire face à leurs problèmes, notamment, par l'argent facile que peut procurer - au moins au début - la participation aux différents trafics. Et il me semble nécessaire de préciser qu'une telle conception implique de concevoir, autrement qu'en termes de "petits boulots", la question des métiers de proximité et d'aide à la personne. C'est en fait de salariés bien formés et rémunérés en conséquence que l'on a besoin dans ce secteur.
C'est dans ce cadre de service public de proximité que je pense qu'il faut réfléchir au rôle, au missions et aux moyens de la police et de la justice.
Prévention, animation de la vie sociale, justice sachant sanctionner et éduquer, et sachant aussi créer les conditions pour de justes réparations aux victimes : voilà, me semble-t-il les termes du débat.
Pour répondre vraiment à ces besoins, il faut remplir plusieurs conditions.
D'abord, le dialogue avec tous les acteurs de la vie sociale - parents, enfants, jeunes, employeurs, formateurs, associations et bien sûr élus, pour établir ensemble "l'état des lieux" sans rien se cacher et sans en rajouter mais en repérant les points d'appui possibles pour travailler avec tous à la sécurité et à la tranquillité de tous.
Et bien sûr les moyens. Les moyens en "travailleurs sociaux" au sens et dans l'esprit que je viens d'indiquer.
Les moyens en personnels de police formés et qualifiés pour ces lieux nouveaux avec la population. C'est sans doute plusieurs dizaines de milliers d'hommes et de femmes qu'il faut dans un bref délai former et investir dans ce travail. Les moyens matériels et humains pour une justice rapide, efficace, et humaine - y compris - sans doute faut-il y penser en reprenant, comme c'est nécessaire, la réflexion autour de la loi sur la présomption d'innocence, les moyens pour sortir d'un système pervers qui ne laisse trop souvent le choix qu'entre la détention provisoire livrant des milliers de jeunes à "l'école de la délinquance" que sont les prisons, ou bien, la remise en liberté de délinquants dont on ne sait que faire, et que les policiers finissent par ne plus vouloir arrêter si c'est pour les retrouver dans la rue le lendemain ! Des réflexions sont en cours sur d'autres dispositifs permettant de garder sous contrôle ces délinquants. C'est sur la question du coût et des personnels à former et à y engager que l'on bute !
Les moyens pour garantir réparation aux victimes, qui sont souvent les grands oubliés lorsqu'on évoque ces questions. Et cela implique sans aucun doute une concertation entre l'Etat, les collectivités, les banques et les assurances, pour davantage de célérité et de justice dans ce domaine.
Les moyens, justement, c'est par là que je veux terminer. Davantage de moyens pour une police et un justice de proximité, et davantage de moyens pour des services publics de l'aide à la personne :
Je pense qu'il faudrait un programme pluriannuel permettant de doubler l'effort financier actuellement consacré à la sécurité-police, justice, politique de la ville. J'ai bien dit doubler, par exemple en 5 ans, un effort qui, actuellement, représente environ 95 milliards de francs par an.
Voilà, chers amis, non pas mes propositions de candidat. Elles restent à élaborer. Mais des idées que je vous soumets en sollicitant vos avis, vos suggestions pour, précisément, m'aider dans cette élaboration.
Encore une fois, je vous en remercie par avance.
(Source http://www.pcf.fr, le 28 novembre 2001)