Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la position de l'Alsace dans le débat national sur l'aménagement du territoire, et les mesures en faveur de Strasbourg et de l'Alsace, Strasbourg le 21 janvier 1994.

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Circonstance : Déplacement d'Edouard Balladur en Alsace et notamment au Conseil régional le 21 janvier 1994, dans le cadre du débat national sur l'aménagement du territoire

Texte intégral

Monsieur le Président du Conseil Régional,
Messieurs les parlementaires,
Messieurs les présidents, de conseil général,
Mesdames et Messieurs,
C'est tout à la fois un honneur et un plaisir que de m'exprimer devant vous pour clore un échange dont j'ai apprécié la qualité.
Votre participation au débat national sur l'aménagement du territoire relève de la préparation de la loi d'orientation que le Parlement examinera à la session de printemps. Aussi, je vous remercie de votre contribution.
Je souhaite apporter quelques éléments pour, moi aussi, contribuer à votre réflexion et, peut-être, compléter vos informations.
La position de l'Alsace dans le bassin rhénan et sa situation frontalière, font d'elle une région singulière dans l'espace français. Cette situation confère des responsabilités.
La première de ces responsabilités est d'être un témoin de la France, de ses valeurs de liberté et d'équilibre, de sa volonté de cohésion sociale, de son ambition de développement. Vous êtes pour l'Europe continentale, une vitrine de la France, de son génie, de ses atouts.
Une autre responsabilité est de participer au renforcement national. Resserrer les liens avec les régions voisines françaises développera les moyens respectifs de chacune d'entre elles. C'est au sein du pays que les complémentarités sont à trouver en priorité. Notre objectif est que la France toute entière soit la plus forte possible. Le "chacun pour soi" ne peut qu'éparpiller les efforts face à la concurrence étrangère, et confirmer un centralisme dont nous avons aujourd'hui à corriger les effets.
La chance de la France est d'être dotée d'une ossature solide qui crée de l'unité, de l'ordre, et de posséder aussi des identités locales. Le jeu d'alliance de ces deux forces : l'unité nationale et les diversités régionales, est la base à partir de laquelle notre pays doit se recomposer.
C'est pourquoi le particularisme de l'Alsace lui confère aussi des richesses.
D'abord, il y a la richesse de son identité. Cette identité, issue d'une unité culturelle historique, manque bien souvent aux régions françaises. C'est une richesse qui facilite l'action, qui concourt à la réussite.
Il y a la richesse de sa densité de population, de son niveau de développement qui en fait un avant-poste économique de la France.
Il y a ensuite la richesse qu'est son ouverture. Cette ouverture lui permet de développer d'importants échanges humains, culturels et économiques avec ses voisins allemands et suisses. Cependant, il faut avoir à l'esprit que cette ouverture peut être source de fragilité, notamment en matière d'emploi. Le Gouvernement en a pleinement conscience.
Il a aussi pleinement conscience de certaines lenteurs de la coopération transfrontalière. Elles sont largement dues aux différences institutionnelles qui marquent les pays. Pour faciliter les rapports de voisinage que je souhaite les meilleurs possible, je suis prêt à recevoir des propositions novatrices qui, dans le respect des principes nationaux français renforceraient les possibilités de coopération. Le débat national sur l'aménagement du territoire est bien destiné à faire émerger des propositions adaptées aux besoins locaux.
Les décisions prises par le Gouvernement tiennent compte de la spécificité de l'Alsace.
Je salue d'abord le rôle important que jouent les villes moyennes. Elles permettent de résister à la double menace de la surconcentration urbaine et de la désertification rurale. Les maires concernés ont également su s'organiser pour, comme dans l'association des villes du Rhin-Sud, mettre en valeur leurs atouts respectifs.
Aussi ai-je décidé d'apporter des crédits supplémentaires en matière de logement. 10 MF pour la réhabilitation de logements locatifs sociaux seront prochainement notifiés en sus des dotations déjà attribuées. 10 MF supplémentaires seront également consacrés à la réalisation d'hébergements d'urgence.
Par ailleurs, un dispositif particulier d'intervention foncière en faveur du logement locatif social sera mis en oeuvre pendant la durée du contrat de plan, à hauteur de 3 MF par an.
En ce qui concerne la ville de Strasbourg, je rappelle que le contrat triennal "Strasbourg-ville européenne" représente pour la période 1994-1996, un engagement de l'Etat bien supérieur à celui des précédents contrats. L'effort supplémentaire permet de réaliser une partie de ce qui avait été prévu dans le précédent contrat, et porte sur les infrastructures de communication ainsi que sur la recherche. La vocation européenne de Strasbourg est ainsi soutenue sur des thèmes nouveaux par rapport au précédent contrat triennal.
Pour conforter cette vocation en faisant de Strasbourg un carrefour au coeur du sillon rhénan, le Gouvernement négocie activement l'accord intergouvernemental nécessaire à la réalisation du second pont sur le Rhin. Je souhaite aboutir très prochainement.
S'agissant du Parlement européen, je rappelle que le Conseil européen du 29 octobre 1993 a confirmé Strasbourg comme siège de rassemblée, en soulignant l'obligation pour le Parlement de tenir ses sessions ordinaires dans cette ville.
J'ai demandé au Ministre délégué aux affaires européennes de rencontrer le Président du Parlement européen pour obtenir toutes précisions sur la mise en oeuvre de cette décision, ainsi que la signature du contrat de bail qui permettra le lancement de la construction de l'hémicycle. Cet entretien s'est déroulé le 18 janvier, il y a trois jours.
J'ai également décidé que soit accordée la garantie effective de l'Etat au premier emprunt de 340 millions de francs contracté par le maître d'ouvrage des travaux. Cette garantie vient d'être signée. Je rappelle qu'elle porte globalement sur un montant de 2 milliards de francs pour lesquels l'Etat s'engage à hauteur de 66 %.
Par l'ensemble de ces décisions, le Gouvernement manifeste sa volonté que le chantier du nouvel hémicycle ne souffre aucun retard.
Par ailleurs et après avoir confirmé l'implantation de l'école nationale d'administration, j'ai décidé la création à partir de 1995, d'un centre des hautes études européennes.
Ce centre aura notamment pour vocation d'organiser les enseignements relatifs aux questions européennes prévus dans la scolarité des élèves des grandes écoles administratives françaises, de fournir des cycles de formation continue aux hauts fonctionnaires, de préparer aux concours de recrutement des fonctionnaires des institutions communautaires et d'accueillir des fonctionnaires étrangers.
Les ministres concernés par ce projet me soumettront leurs propositions avant le 1er mars afin d'inscrire les moyens nécessaires au démarrage de cette nouvelle institution dès la loi de finances pour 1995.
La position arrêtée par le Gouvernement en faveur du TGV-Est contribue au rayonnement européen de Strasbourg, mais tout autant, elle ouvre de nouvelles possibilités de développement pour l'Alsace.
Comme vous le savez, j'ai décidé le 23 septembre dernier, sur la proposition de M. BOSSON et de M. HOEFFEL, l'engagement de la réalisation du TGV-Est Européen et la construction de cette ligne nouvelle simultanément entre Paris et la vallée de la Moselle d'une part, et entre Sarrebourg et Strasbourg d'autre part. L'arrêt du projet à Baudrecourt, contre lequel l'Alsace s'était élevée, a ainsi été abandonné.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? Sur le plan technique, le dossier est prêt. Le Gouvernement avait indiqué que l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique serait commencée au premier semestre de 1994. Je peux aujourd'hui vous préciser qu'elle sera lancée au début du mois de mai. Les travaux commenceront à la fin de 1995 ou au début de 1996 pour permettre une mise en service de la ligne en l'an 2000.
Il s'agit là d'une première étape. Nous continuons ensemble à préparer la deuxième étape, celle qui consiste à réaliser le tronçon central de la ligne nouvelle. Bien entendu l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique portera sur l'ensemble du tracé, afin de nous mettre en situation de décider avec vous le calendrier de la deuxième étape.
Sur le plan financier, les choses sont également claires. Les régions d'Alsace, de Lorraine, de Champagne-Ardenne, et d'lle-de-France apporteront 3,5 milliards de Francs. L'Etat apportera également 3,5 milliards, comme convenu. Le Luxembourg a accepté le principe d'une contribution de l'ordre de 400 millions de Francs. Quant à la Communauté, nous en attendons un engagement significatif. Je m'en suis personnellement entretenu avec Jacques DELORS. L'objectif global est d'atteindre un total de contributions publiques représentant la moitié environ du coût de l'infrastructure, qui est estimé à 21 milliards.
L'autre moitié sera empruntée sur le marché des capitaux.
Permettez-moi de saluer l'effort de mobilisation régionale qui a été accompli.
Quant au TGV Rhin-Rhône, les études se déroulent actuellement conformément au calendrier initialement fixé. Ce projet constitue la première liaison transversale de TGV en France : il sera le premier à relier des pôles économiques essentiels pour le pays, sans passer par la région Ile-de-France.
Retrouver un équilibre géographique dans le développement économique du pays est en effet un des objectifs majeurs vers lequel tend la nouvelle politique d'aménagement du territoire.
Cette volonté s'est manifestée dans les montants des enveloppes des contrats de plan Etat-région fixés par le Comité interministériel d'aménagement du territoire qui s'est tenu à Mende, et plus récemment dans la négociation des zones éligibles aux fonds structurels de l'Union Européenne.
Cette négociation a été difficile. Elle a été conduite par M. Daniel HOEFFEL avec succès. Je l'en félicite et l'en remercie. Des résultats positifs ont été obtenus.
La France tirera ainsi un meilleur parti des programmes communautaires d'aide aux conversions industrielles et d'aide au développement rural : la population française qui relève de ces programmes représente dorénavant 28 % de la population européenne, contre 22 % jusqu'à présent.
Dans la région, le nombre d'habitants susceptible de bénéficier de ces aides au titre du développement rural est passé de 95 000 habitants à 260 000.
Les crédits européens vont donc conforter la politique française qui, en matière d'aménagement du territoire, s'appuie sur des choix différenciés en fonction des situations. C'est par la solidarité que la cohésion du territoire sera restaurée.
C'est dans cet esprit que j'ai souhaité renforcer le soutien apporté au bassin potassique.
L'Etat apportera en 1994 une dotation en capital à l'Entreprise Minière et Chimique qui, par ailleurs, soutiendra plus largement les efforts de réindustrialisation.
Un protocole quinquennal est également en cours de négociation entre l'Etat et la région pour développer cette action. 30 MF du fonds d'intervention pour l'aménagement du territoire sont mobilisés à cet effet.
Enfin, la réindustrialisation du bassin potassique sera soutenue par les crédits communautaires puisque le bassin d'emploi a été reconnu éligible aux fonds structurels.
L'équilibre et la cohésion du territoire national ne s'apprécient pas seulement à l'aune de l'activité économique.
Me trouver en Alsace dans le cadre du débat national sur l'aménagement du territoire, me donne l'occasion de souligner avec force que l'aménagement du territoire est fortement lié au respect et à la mise en valeur de l'environnement.
Les objectifs des politiques d'environnement et d'aménagement du territoire se rejoignent largement. Il s'agit de ne pas se laisser conduire par l'évolution spontanée qu'impose le développement économique, et de se donner les moyens d'en corriger les excès.
Les principes qui, du point de vue de l'environnement, me paraissent pouvoir être retenus pour l'aménagement du territoire, se résument au fond à quelques orientations :
1. D'abord promouvoir un développement équilibré du territoire.
On constate en France un mouvement de concentration de la population et des activités sur quelques zones : agglomérations, grandes vallées fluviales, littorales, tandis que l'occupation de nombreuses zones rurales se réduit dangereusement. Cette occupation de l'espace entraîne une concentration des nuisances, une forte pression sur les espaces naturels ou agricoles, des inégalités d'accès à la nature et à un cadre de vie de qualité.
Il est impératif de modifier cette évolution. Le Gouvernement a déjà pris plusieurs mesures en ce sens, dont le moratoire de la fermeture des services publics en milieu rural.
J'attends du débat national des propositions énergiques et novatrices sur ce thème.
2. Deuxième orientation : faire participer les politiques d'environnement au développement économique.
Il s'agit de ne pas enfermer l'environnement dans une conception étroite réduisant les enjeux à la défense de quelques espaces remarquables ou sensibles, ou à une addition de politiques sectorielles tels que l'eau, l'air, les déchets, qui se situent en aval des autres politiques.
Pour éviter ce risque, la préservation de l'environnement doit être prise en considération plus complètement avant toute prise de décision.
3. Troisième orientation : promouvoir une gestion économe et solidaire des ressources naturelles.
Dans mon esprit, les ressources naturelles ne se limitent pas aux matières premières mais comprennent l'ensemble du patrimoine naturel qu'il est de la responsabilité de l'homme de gérer.
Cette gestion nécessite la prise en compte d'un grand nombre de facteurs qui, pris isolément, sont parfois contradictoires. Elle nécessite un effort d'organisation qui ne concerne pas uniquement les pouvoirs publics, mais vise également les acteurs économiques, voire les particuliers dont les comportements additionnés peut avoir des effets néfastes.
4. Dernière orientation : agir sur les comportements.
Ces comportements ne changeront pas du seul fait d'appels à la vertu, L'esprit de responsabilité, auquel il faut faire appel, s'exercera d'autant plus volontiers qu'il sera soumis à certaines contraintes. Cela nécessite de revoir des règles qui favorisent, induisent ou facilitent des comportements peu respectueux de l'environnement. De nombreuses voies méritent d'être explorées : droit de l'urbanisme, fiscalité locale, transparence des procédures, etc...
Ces quatre orientations doivent être suivies par tous. L'Etat, garant des grands équilibres et de la solidarité nationale, joue pleinement son rôle en associant les collectivités locales à ses actions ; le plan Loire que le Gouvernement vient d'adopter en est une illustration.
C'est dans cet esprit également que j'ai demandé au ministre de l'environnement de préparer un projet de loi sur la répartition des compétences en matière d'environnement, sur la manière de conjuguer au mieux le rôle de l'Etat et des collectivités territoriales.
En Alsace, nombreuses sont les actions engagées avec l'Etat au bénéfice de l'environnement : une charte adoptée par le Conseil général du Bas-Rhin, des états généraux dans le Haut-Rhin, des chartes d'écologie urbaine avec le concours du Conseil Régional.
La tâche n'est pas pour autant achevée, notamment en ce qui concerne la nappe phréatique.
Protéger et reconquérir la qualité des eaux de la nappe d'Alsace est une priorité majeure qui suppose une action durable. La production sans traitement préalable d'une eau potable doit rester possible aujourd'hui et pour les générations à venir.
C'est pourquoi l'Agence de l'Eau Rhin-Meuse a arrêté un "contrat de nappe" avec la région Alsace qui définit un programme de protection et de valorisation pour la période 1993-1998. Ce contrat représente 55 MF, l'Agence de l'Eau apportant 50 %.
Ce programme concerne notamment l'amélioration de la connaissance de la nappe, l'élaboration de schémas de gestion des eaux souterraines et la lutte contre les pollutions.
Les chlorures des Mines de Potasse d'Alsace constituent par ailleurs un risque certain. Avec les méthodes et au rythme actuel, le programme de dépollution devra être poursuivi jusqu'en 2050. Or, il est prévu de fermer les Mines de Potasse en 2004.
Une accélération du programme de dépollution doit donc être étudié pour permettre son achèvement dans les années 2010.
J'ai demandé à M. Michel BARNIER de constituer une mission scientifique pour examiner les conditions techniques et financières de cette accélération, ainsi que pour déterminer les aménagements à prévoir à partir des années 2005.
Je souhaite vivement que le débat national sur l'aménagement du territoire fasse émerger les propositions au bénéfice de l'environnement.
Aujourd'hui nous sommes à mi-parcours de ce grand débat qui nous permettra, par une loi d'orientation, d'esquisser la France que nous voulons dans vingt ans.
Dans cette région, comme partout en France, la participation des Français au débat est considérable.
Les Français s'interrogent, disent leurs attentes et formulent des propositions. J'y vois leur satisfaction de pouvoir s'exprimer sur des sujets pratiques. J'y vois la confirmation de leur sentiment d'appartenir à une communauté nationale de l'avenir de laquelle ils se sentent responsables.
J'avais souligné, au mois d'avril 1993, combien la France était inquiète. Je constate que le débat sur l'aménagement du territoire contribue à restaurer confiance et unité. En trois mois, l'état d'esprit a évolué : la morosité n'est plus de mise, chacun veut apporter sa pierre à l'édifice du développement national.
La seconde phase du débat, plus institutionnelle, renforcera, je le souhaite, cette tendance.
La presse, surtout la presse écrite, joue un rôle actif dans ce débat. je m'en réjouis, je l'en remercie.
Aux yeux des Français, l'aménagement du territoire, c'est l'intérêt général qui l'emporte sur les intérêts particuliers et les corporatismes. C'est un moyen d'engager des réformes difficiles mais nécessaires pour renforcer le pays.
Ces réformes doivent viser l'Etat, les collectivités, les représentations professionnelles. Elles peuvent être institutionnelles, fiscales, réglementaires. Elles peuvent alléger, renforcer, rapprocher.
Il faut s'engager résolument dans la voie de la réforme : obligation nous est faite, à nous élus, de répondre aux Français et de faire fructifier le sentiment qu'ils expriment d'appartenir à une société en progrès.
Leur participation au débat national sur l'aménagement du territoire montre qu'ils ont compris que la crise n'est pas seulement économique, que des transformations en profondeur de notre société sont nécessaires.
Les membres du Gouvernement et moi-même sommes venus à Strasbourg pour écouter, comprendre, faciliter des prises de conscience. C'est l'esprit libre que nous poursuivons les débats, persuadés comme Saint-Exupéry que "Dans la vie (...), il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent".Car, Mesdames et Messieurs, nous sommes bien persuadés que c'est ensemble, seulement ensemble et tous ensemble, que nous préparerons utilement la France de nos enfants.