Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, avec RTL le 8 septembre 2017, sur la Justice et les victimes du cyclone Irma, le budget de la Justice et sur la loi anti-terroriste.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup d'être dans ce studio de RTL. C'est vrai qu'on est encore, ce matin, sous le coup des dégâts mortels, dévastateurs, de l'ouragan Irma à Saint-Martin, Saint-Barthélemy, et toutes ces îles. En quoi le ministère de la Justice peut venir en aide à tous ces hommes et ces femmes qui ont souvent tout perdu ?
NICOLE BELLOUBET
D'abord parce que c'est un territoire de la République, donc, comme sur l'ensemble des territoires de la République, le ministère de la Justice doit être présent. Nous pouvons intervenir de deux manières. Nous avons envoyé un procureur de la République, qui va arriver sur place à Saint-Martin, j'espère, dans les meilleurs délais, et qui va pouvoir contribuer évidemment à assurer l'ordre public, aux côtés des forces de police, et à recueillir éventuellement, inciter les gens à porter plainte si c'est nécessaire, comme cela semble être le cas. Et puis par ailleurs…
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que ce qui frappe, dans les témoignages ce matin, ce sont les pillages tous azimut, qui terrorisent maintenant la population après qu'ils ont été évidemment traumatisés par les forces de la nature. Dans cette atmosphère de chaos, est-ce que les forces sont dépassées ?
NICOLE BELLOUBET
Elles vont arriver, il y a, je crois, quelques forces de l'ordre qui sont sur place, elles vont arriver, je pense qu'elles contribueront, avec le ministère de la Justice, à rétablir l'ordre dans les meilleurs délais. Mais, par ailleurs, pour répondre à votre question, nous avons aussi travaillé avec la déléguée interministérielle à l'Aide aux victimes, qui va, comme c'est le cas pour toutes les catastrophes naturelles, travailler avec les associations d'aide aux victimes, je pense notamment à France victimes, pour prendre en charge les victimes de cette catastrophe.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc, l'aide aux victimes va être, là, opérationnelle…
NICOLE BELLOUBET
Absolument, elle l'est déjà…
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour les populations ?
NICOLE BELLOUBET
Enfin, elle l'est déjà au sens, vous savez, de la cellule d'aide qui a été déclenchée, mais ensuite il y aura des actions très concrètes d'appui aux victimes.
ELIZABETH MARTICHOUX
Un procureur, vous nous dites ce matin, qui est en route, qui va arriver à Saint-Martin, ça semble peu ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, en principe ça devrait suffire pour gérer les difficultés qui se posent, je crois qu'il n'y aura pas de problème, peut-être fera-t-il venir des substituts qui pourront l'aider, mais en tout cas un procureur suffit, effectivement.
ELIZABETH MARTICHOUX
Un procureur suffit, dites-vous, à enregistrer, par exemple, toutes les places qui vont… ?
NICOLE BELLOUBET
Les mécanismes de la justice sont souvent un peu complexes, il pourra donc se faire aider, mais en tout cas, ce qui est important c'est que la justice soit présente sur le territoire.
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour finir, puisque, encore une fois, on est sous le coup aussi de ces témoignages de pillages, le pillage est un délit particulier ou ça relève du vol caractérisé ?
NICOLE BELLOUBET
C'est un vol caractérisé, qui donc subira les sanctions tout à fait adaptées à cela, c'est inadmissible, et donc la justice sera extrêmement rigoureuse.
ELIZABETH MARTICHOUX
Nicole BELLOUBET, revenons à votre actualité propre, de ces dernières semaines, avec un gros sujet pour la chancellerie, pour ses personnels, pour tous les Français qui ont affaire à la justice, c'est le budget, surtout après le coup de rabot que vous avez subi en juillet pour le budget 2017. En 2018, est-ce que vous avez gagné la bataille ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, je ne le prends pas comme cela puisque je suis évidemment solidaire du travail que fait le gouvernement, mais le Premier ministre et le président de la République ont souhaité faire du budget de la Justice un budget prioritaire, au regard de la mission-même de la justice et des besoins de ce secteur-là. Donc, oui, nous bénéficierons d'un budget en augmentation de 3,8%, ce qui est évidemment un chiffre qui est tout à fait appréciable.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc vous rejoignez, vous nous l'annoncez ce matin sur RTL, les 4, 5 ministères qui échappent à la vigueur ?
NICOLE BELLOUBET
Exactement.
ELIZABETH MARTICHOUX
3,8 % d'augmentation, après les 9 % de 2017, sauf erreur, donc ça reste en hausse, mais une hausse moins importante. 3,8 %...
NICOLE BELLOUBET
Et 1000 emplois supplémentaires.
ELIZABETH MARTICHOUX
Voilà.
NICOLE BELLOUBET
Ce qui est évidemment un appui tout à fait important aussi, par rapport aux politiques que nous souhaitons conduire.
ELIZABETH MARTICHOUX
Cette hausse de budget vous permet 1000 recrutements supplémentaires.
NICOLE BELLOUBET
Absolument, oui, 1000 emplois supplémentaires.
ELIZABETH MARTICHOUX
3,8 %, en volume ça fait combien d'augmentation ?
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, on a un budget qui tourne autour de 6,8 milliards en 2017, et donc c'est une augmentation très substantielle.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça a été dur de se battre contre Bercy ?
NICOLE BELLOUBET
Non, mais ce n'est pas du tout comme ça que ça se passe.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ah si, c'est comme ça que ça se passe !
NICOLE BELLOUBET
Non, non, je ne participe pas du tout de ces bagarres intestines, ou supposées bagarres intestines, ce qui se passe c'est, le travail sur les priorités, qu'est-ce que l'on veut faire pour les citoyens. La justice apparaît comme un élément clé, c'est une condition de la liberté, et donc c'est un élément puissant, évidemment…
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, qu'est-ce que vous allez faire de cette augmentation obtenue pour 2018 ? Les recrutements, 1 millier, personnels de prison, magistrats ?
NICOLE BELLOUBET
Les deux, bien entendu. Il y a un travail important à faire pour améliorer le fonctionnement quotidien de la justice, et donc cela passe évidemment par la poursuite du recrutement des magistrats. Il y a un travail tout à fait essentiel pour garantir la sécurité et l'efficacité des peines, donc cela veut dire, évidemment, dans les prisons, travailler avec les différents personnels, notamment tous les personnels de suivi d'insertion et de probation, c'est un point important. Et puis ça veut dire aussi, parce que la justice c'est quelque chose de concret pour les Français, cela veut dire améliorer la numérisation de nos procédures, l'informatisation, pour que chaque citoyen puisse avoir un accès direct à la justice, donc il y aura des fonds importants consacrés à cela.
ELIZABETH MARTICHOUX
A la numérisation, à la dématérialisation ?
NICOLE BELLOUBET
A la dématérialisation, absolument.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, c'est effectivement très important, mais, si vous permettez, ça paraît un peu décalé quand en visite, et vous le faites souvent, les juridictions, les tribunaux, et qu'on voit l'état de l'outil informatique. Cindy HUBERT, qui est la spécialiste justice ici sur RTL, me racontait l'histoire de ce logiciel Cassiopée qui est destiné à enregistrer les dossiers des procédures pénales et qui s'arrête à 500. C'est-à-dire que le 501ème dossier, 502ème, 503ème, c'est très concret, c'est la vie de la justice, eh ben il ne peut pas être enregistré par Cassiopée. Alors, dématérialisation, mais dans les tribunes il n'y a même pas le matériel adapté !
NICOLE BELLOUBET
Eh bien c'est ce que je suis en train de vous dire, il y aura des fonds importants, alors à la fois en personnel et en numéraire, pour pouvoir améliorer la situation, à la fois améliorer les flux, améliorer le matériel, et en même temps développer des procédures qui soient complètement dématérialisées, nous pouvons conduire les deux.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, un, d'abord moderniser l'outil, et deux, ensuite, on ne peut pas mettre la charrue avant les boeufs, si je puis dire…
NICOLE BELLOUBET
Absolument…
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que ceux qui vous entendent, qui travaillent pour la justice, le savent.
NICOLE BELLOUBET
Oui, mais, vous savez, une procédure ça se construit à l'avance, ça se simplifie d'abord, avant de la traduire, évidemment, dans l'outil dématérialisé. Donc, on est obligé de conduire les deux en même temps, à la fois de simplifier nos procédures, qui sont extrêmement complexes, et cela aussi c'est un, je dirais un effort fait pour le citoyen, et en même temps de les traduire dans des applications qui soient simples et souples.
ELIZABETH MARTICHOUX
On parlait budget, votre prédécesseur, sous François HOLLANDE, Jean-Jacques URVOAS, avait plaidé pour une loi de programmation…
NICOLE BELLOUBET
Il avait parfaitement raison.
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour que, sur le quinquennat 2018-2019, etc., il y ait une augmentation continue. Est-ce que cette loi de programmation elle échappe à l'année 2018, elle pourra être votée… ?
NICOLE BELLOUBET
Nous allons adopter, je l'espère, puisque c'est le Parlement qui le fera, une loi de programmation 2018-2022, qui traduira les priorités dont je vous ai parlé à l'instant, c'est-à-dire améliorer l'efficacité quotidienne de la justice et l'effectivité des peines, et qui, j'espère, donnera les moyens pour aboutir – je n'espère pas, je suis sûre – donnera les moyens pour aboutir à ces objectifs.
ELIZABETH MARTICHOUX
On verra ça, donc premier semestre 2018, rendez-vous pour cette priorité.
NICOLE BELLOUBET
Absolument.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y en a une autre, c'est désengorger les tribunaux, dans la dématérialisation le vise aussi, mais il faut souvent plusieurs années entre la fin d'une enquête et puis son traitement judiciaire. Pendant la campagne Emmanuel MACRON avait promis de transformer une contravention, ou plutôt en contravention, le délit de consommation de cannabis, ça fait partie de vos priorités ?
NICOLE BELLOUBET
Absolument. Nous sommes en train de chercher la solution adaptée, si vous voulez, dans l'idée à la fois de désengorger les tribunaux, vous venez de le dire, de simplifier un certain nombre de procédures, nous sommes en train de chercher la bonne solution par rapport aux stupéfiants, la forfaitisation est une des hypothèses sur lesquelles nous travaillons.
ELIZABETH MARTICHOUX
Forfaitisation, c'est le mot pour la contraventionnalisation. Ça, ça pourrait intervenir quand ? Il y a déjà des discussions qui vont commencer, avant la fin de l'année ?
NICOLE BELLOUBET
Assez rapidement. Je mets en place, dès la fin de ce mois, ce que je vais appeler « les chantiers de la justice », autour de la simplification, de la numérisation, et cette question-là sera traitée dans ce cadre.
ELIZABETH MARTICHOUX
De la simplification de la procédure pénale.
NICOLE BELLOUBET
Oui, tout à fait.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça veut dire qu'en 2018 le délit pourrait être transformé, voté, en contravention ?
NICOLE BELLOUBET
Nous aurons une évolution sur ce sujet en 2018.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a aussi la question de l'inquiétude des magistrats sur la loi anti-terroriste, il y a des manifestations, un certain nombre de manifestations dimanche, ils sont inquiets de la transposition des mesures de l'état d'urgence dans la loi commune. Certains sont préoccupés de ce que le ministère de l'Intérieur a pris en grande partie la main sur un texte qui, selon eux, devrait relever du ministère de la Justice. Qu'est-ce que vous leur dites ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, deux choses. Il y a une réflexion de principe, ce que nous voulons c'est la fin de l'état d'urgence, donc cela est acté, et pour garantir la sécurité des Français, dans le cadre d'un Etat de droit, c'est dans le cadre d'un Etat de droit, des dispositions ont été adoptées, ou vont être adoptées par le Parlement. Le ministère de l'Intérieur porte ce projet de loi, mais il y a tout un travail collectif du gouvernement pour proposer les mesures qui sont mises en place, le ministère de la Justice y prend toute sa part…
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y aura plus de pouvoirs aux policiers au détriment de la justice ?
NICOLE BELLOUBET
Le juge sera présent dans bien des hypothèses…
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais le préfet pourra donner des ordres par exemple, de perquisition.
NICOLE BELLOUBET
Oui, absolument, Madame MARTICHOUX, mais dans un certain nombre de cas, dès lors que le coeur de la liberté individuelle sera en cause, le juge interviendra, a priori, je pense par exemple aux mesures de perquisition, quoi de plus essentiel par rapport à l'atteinte à la vie privée, le juge sera là, en amont et en aval.
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour lutter contre le terrorisme, sans être en permanence sous état d'urgence, il faut ce nouvel équilibre, cette nouvelle logique entre Intérieur et Justice ?
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, moi je pense qu'il n'y a pas de justice sans sécurité, il n'y a pas de liberté sans sécurité.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup Nicole BELLOUBET d'avoir été notre invitée ce matin sur RTL.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 septembre 2017