Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur le rapport d'information de la commission des lois sur l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants.
La Conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les rapporteurs, ainsi que les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions et réponses. Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
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Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, prévu par l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, l'usage illicite de stupéfiants est un délit puni à titre principal d'une peine de un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.
Le cadre légal applicable en la matière est issu de la loi du 31 décembre 1970. Cette loi poursuivait deux objectifs en matière de lutte contre la toxicomanie : d'une part, réprimer l'usage et le trafic de drogues, d'autre part, offrir des soins dans une perspective sanitaire. C'est dans cette perspective que le choix politique d'insérer ces dispositions dans le code de la santé publique et non dans le code pénal a été fait.
Cette double orientation, à la fois répressive et sanitaire, a été conservée par la loi du 5 mars 2007, qui a maintenu une qualification délictuelle pour l'usage de stupéfiants, tout en prévoyant une nouvelle mesure alternative à l'emprisonnement : le stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants.
La loi ne fait pas de distinction entre drogues douces et drogues dures, non plus qu'entre usage régulier et usage occasionnel de telles substances. Ces distinctions sont toutefois prises en compte par les parquets lorsqu'ils apprécient la nature de la réponse pénale à apporter à un usager de stupéfiants interpellé. Ils disposent pour cela d'une panoplie d'instruments que je vais vous présenter.
En pratique, en termes de politique pénale, le délit d'usage illicite de stupéfiants est majoritairement traité par la voie des alternatives aux poursuites. Après enquête, pour les faits les moins graves, et lorsque l'auteur n'apparaît pas déjà défavorablement connu, les magistrats du parquet décident généralement d'un classement sans suite accompagné d'un rappel à la loi cela a déjà été dit par d'autres orateurs.
Lorsque les auteurs présentent des problèmes de toxicomanie particuliers, les parquets peuvent les orienter vers des stages de sensibilisation aux dangers de l'usage de stupéfiants, ou ordonner à leur encontre une mesure d'injonction thérapeutique pour les consommateurs présentant une addiction forte, lorsqu'il s'agit de drogues dites dures, comme l'héroïne, la cocaïne, le crack ou l'ecstasy. Ces personnes doivent alors rencontrer un médecin.
Enfin, dans certains cas, les usagers peuvent faire l'objet d'une mesure de composition pénale à l'occasion de laquelle il leur est proposé, par exemple, d'effectuer un travail non rémunéré sur le modèle des travaux d'intérêt général TIG.
C'est ainsi que chaque année, environ 90 000 affaires d'usage de stupéfiants par des majeurs sont traitées. Un peu plus de 50 000 d'entre elles donnent lieu à des mesures alternatives aux poursuites, soit 55 % des réponses pénales. Sur ces 50 000 usagers majeurs, environ 35 000 font l'objet d'un rappel à la loi, 7 800 acceptent une mesure de composition pénale, 7 100 acceptent d'effectuer un stage de sensibilisation parmi lesquels 1 000 se soumettent à une injonction thérapeutique. Ce sont donc 40 000 majeurs, en moyenne, qui sont poursuivis par la justice, soit 45 % des réponses pénales seulement.
Les poursuites sont réservées aux usages de stupéfiants commis en état de récidive légale, ou lorsque les faits sont connexes à d'autres infractions. Dans ces dernières hypothèses, des modes de poursuite simplifiés sont privilégiés : il s'agit, dans la majorité des cas, de l'ordonnance pénale, qui permet de condamner l'usager à une peine d'amende. Il peut aussi s'agir de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, qui permet de condamner l'usager à une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve pouvant comporter une obligation de soins. Il peut s'agir enfin, mais de façon résiduelle, d'un renvoi devant le tribunal, qui permet de prononcer de courtes peines d'emprisonnement, qui sont généralement aménagées sous forme de bracelet électronique ou de TIG.
Comme vous le voyez, à l'heure actuelle, les réponses pénales sont constituées, pour une grande partie, de simples rappels à la loi en moyenne 35 000 par an qui ne permettent pas de marquer efficacement l'interdit en la matière. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de recourir à une possibilité ouverte par la loi du 18 novembre 2016 dite « J21 » en forfaitisant le délit d'usage de stupéfiants. C'est ainsi que le projet de loi que je présenterai au Parlement dans les mois qui viennent devrait prévoir qu'une amende forfaitaire délictuelle d'un montant de 300 euros pourra être directement prononcée par un policier ou un gendarme à l'encontre d'un usager majeur à l'issue d'un contrôle d'identité. Le montant de l'amende forfaitaire minorée serait de 250 euros et celui de l'amende forfaitaire majorée de 600 euros.
Par exception à l'article 495-17 du code de procédure pénale, la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle serait également possible en cas de récidive. Cette procédure demeurerait toutefois impossible, dans l'état actuel du projet de texte, pour les mineurs, vis-à-vis desquels devrait continuer de prévaloir une approche éducative et sanitaire.
Sur le plan technique, ce que compte proposer le Gouvernement est tout à fait réaliste. Je me suis rendue il y a quelques jours à Rennes, dans les locaux de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions l'ANTAI , qui accueillera à compter du mois de juin prochain le parquet de Rennes. Celui-ci y traitera de la recevabilité et de l'orientation des contestations de défaut de permis de conduire et d'assurance. C'est ce même parquet qui aura vocation à connaître des éventuelles contestations contre les verbalisations au titre de l'usage de produits stupéfiants avant de les adresser aux juridictions territorialement compétentes.
Mes services travaillent dès à présent avec ceux du ministère de l'intérieur pour anticiper l'ensemble des questions techniques et juridiques, et permettre ainsi un développement rapide de ce dispositif si le Parlement adopte le projet de loi.
Le recours à la procédure de forfaitisation permettra par ailleurs de maintenir le même niveau de répression, mais tout en offrant une voie procédurale nouvelle, simplifiée et rapide, applicable à ce contentieux de masse, plus particulièrement pour ce qui concerne les simples rappels à la loi. Mais il faut que cela soit parfaitement clair : cette nouvelle procédure ne se substituera pas aux autres types de réponse pénale déjà existants. Ceux-ci pourront toujours être utilisés, conformément aux instructions de politique pénale données par les procureurs de la République.
L'amende forfaitaire ne constituera donc qu'un instrument complémentaire à ceux qui existent aujourd'hui. Le recours à cette procédure pourra ainsi être circonscrit par les directives de politique pénale locales à certains types d'usage, en fonction notamment de la nature du stupéfiant saisi, afin d'en écarter les personnes nécessitant vraiment un traitement sanitaire.
À cet égard, les procédures dites d'injonction thérapeutique ou de stage de sensibilisation conserveront dès lors toute leur place et leur pertinence pour traiter ce dernier type de contentieux.
De même, les profils de consommateurs déjà très défavorablement connus pourront continuer, sur décision du parquet, à faire l'objet d'ordonnances pénales, de poursuites devant le tribunal ou bien de procédure de plaider-coupable afin que, par exemple, puisse être prononcée une peine de mise à l'épreuve avec obligation de soins.
Mesdames, messieurs les députés, il me semble que la procédure de l'amende forfaitaire présente de multiples avantages. Tout d'abord, elle permet d'apporter une réponse pénale plus simple, plus rapide et plus systématique dans ce contentieux de masse pour lequel l'intervention du juge pénal n'apparaît pas toujours nécessaire et où certaines réponses pénales actuelles, notamment le rappel à la loi, peuvent sembler insuffisantes. De plus, elle préserve le droit au recours effectif par la possibilité de porter une réclamation ou une requête en exonération. Enfin, elle ne dégrade pas la force de l'interdit attaché au caractère délictuel de ce type d'agissements.
Pour conclure, je souhaite dire quelques mots sur une option qui figure dans le rapport d'information de la commission des lois remis, le 25 janvier dernier, par MM. les députés Éric Poulliat et Robin Reda. Il y est envisagé de transformer le délit en contravention. Cette option, qui vient d'être évoquée par certains d'entre vous, a été soigneusement étudiée. J'y étais d'ailleurs personnellement assez favorable initialement, mais nous avons finalement décidé de l'écarter pour plusieurs raisons.
En premier lieu, une telle option aurait probablement exigé de distinguer entre le cannabis et les drogues dites dures, et donc de créer plusieurs infractions, ce qui apparaît contraire à l'objectif de simplification prôné par la réforme globale que je porte.
En deuxième lieu, la transformation du délit en contravention aurait emporté des conséquences procédurales significatives en matière de prescription, de techniques d'enquête, de poursuites, de jugement et de sanctions. Si elle permet encore le recours au contrôle et à la vérification d'identité, la contraventionnalisation exclut en revanche la garde à vue, la fouille à corps et la perquisition du domicile de l'intéressé sans son consentement, alors même que ces actes d'enquête peuvent, dans certains cas, être utiles pour permettre l'identification des trafiquants et, postérieurement, le démantèlement des réseaux.
Enfin et surtout, sur le plan symbolique, la contraventionnalisation aurait présenté le risque de véhiculer un message négatif dans l'opinion publique, celui du recul de l'engagement des autorités dans leur volonté de lutter contre l'usage illicite de stupéfiants. Cela pourrait être perçu, même à tort, comme une première étape vers une dépénalisation de l'usage des stupéfiants. Or l'enjeu sanitaire, maintes fois souligné, en matière de lutte contre ce fléau qu'est la toxicomanie, nous interdit d'afficher le moindre signe de faiblesse.
Mesdames, messieurs les députés, ce débat qui s'achève n'interfère nullement, je tiens à le souligner ici, avec le combat, conduit de manière extrêmement volontariste, contre le trafic de stupéfiants et les réseaux criminels qui l'organisent. Cette problématique, différente bien que liée à celle dont nous parlons cet après-midi, est prise en charge par les enquêteurs et les juges, notamment par les juridictions interrégionales spécialisées.
Par notre présence dans cet hémicycle, nous entendons tous réaffirmer l'engagement du Gouvernement et du Parlement de lutter contre l'usage illicite de stupéfiants. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose le mécanisme que je viens de décrire et qui a été suggéré par les rapporteurs. Je tiens une nouvelle fois à saluer leur travail tout à fait remarquable et qui nous a été extrêmement utile. Il me semble que notre proposition répond à la double exigence de sécurité sanitaire et de simplification de la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions.
Nous commençons par deux questions du groupe La République en marche.
La parole est à M. Thomas Rudigoz.
M. Thomas Rudigoz. Bien que l'objet du rapport qui nous a été présenté ne soit pas directement lié à la prévention des addictions, notamment en milieu scolaire, les rapporteurs Éric Poulliat et Robin Reda ont souligné l'importance, comme à l'instant Laurence Vichnievsky, de la prévention en direction des mineurs, à l'heure où l'usage précoce des stupéfiants se banalise. Ils se basent sur un rapport rendu par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques en 2012, qui déplorait des actions de prévention dispersées et à l'efficacité contestée. Cette année-là en effet, environ 68 % des collèges avaient mis en oeuvre des actions de prévention des conduites addictives, mais sensibilisant seulement 40 % de leurs élèves. Ces chiffres ne sont vraiment pas rassurants, trop faibles et trop éloignés de l'objectif de 100 % des collèges investis dans un programme de prévention.
De plus, bien que l'on puisse augmenter les interventions des policiers et des gendarmes formateurs anti-drogue dans les établissements scolaires, ce rapport du CEC regrette l'absence de grille de lecture commune aux forces de l'ordre. MM. les rapporteurs demandent donc que les programmes de prévention en matière d'usage de stupéfiants soient généralisés dans les collèges de l'ensemble du territoire, dans l'optique de délivrer une information constante à tous les élèves et d'éviter que certains soient sensibilisés chaque année, et d'autres jamais.
Madame la ministre, pouvez-vous nous présenter un bref état des lieux de la prévention en milieu scolaire, et nous indiquer comment le Gouvernement entend la systématiser, notamment par le biais du service sanitaire obligatoire pour les étudiants en santé dès la rentrée 2018, mesure très prometteuse que je tenais à saluer ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le député, l'usage précoce et régulier des substances psychoactives est particulièrement nocif pour les jeunes, nous le savons, et a un impact direct sur leur parcours scolaire. Or l'image de ces produits reste, dans l'imaginaire des jeunes, encore trop positive. Vous l'avez dit : les policiers et les gendarmes contribuent activement à la politique de prévention dans ce domaine en intervenant dans les milieux scolaire, étudiant et professionnel depuis près de trente ans. Ce sont ainsi aujourd'hui 400 gendarmes et 350 policiers, ayant reçu une formation spécifique, qui assurent chaque année la sensibilisation de près de 800 000 personnes dans le cadre de 30 000 interventions. Chacun d'entre vous doit pouvoir en témoigner dans sa circonscription. Toutefois, malgré l'aide du secteur associatif, toutes les classes d'âge ne bénéficient pas de ces interventions.
C'est pourquoi une des mesures du futur plan de mobilisation contre les addictions 2018-2022, coordonné par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives et qui sera présenté dans quelques semaines par le Premier ministre, vise à mieux coordonner l'action des différents acteurs pour promouvoir des actions de prévention plus systématiques et plus efficaces auprès des jeunes. Ainsi, un référentiel sera élaboré afin que les formations sur les produits psychoactifs conduites en milieu scolaire par les différents intervenants s'inscrivent dans un cadre plus structuré, assurant la pertinence du moment et de la nature de l'intervention selon la classe d'âge.
De même, les interventions des policiers, des gendarmes et du secteur associatif seront mieux coordonnées avec celles des équipes éducatives de l'éducation nationale afin d'assurer un relais avec d'autres actions pédagogiques mises en place.
Enfin, je rappelle que, pour mener à bien ce programme prioritaire, nous aurons besoin de chacun, et les étudiants du service sanitaire, qui ont vocation à concourir à la prévention en milieu scolaire, seront à ce titre bien évidemment associés pour mener ces actions de lutte contre les conduites addictives auprès des jeunes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, le constat de l'usage de stupéfiants en France est sans appel : la consommation de drogues, en particulier de cannabis, ne cesse de croître en dépit d'une politique répressive forte. Aujourd'hui, et depuis plus de quarante ans, la peine encourue pour la commission du délit d'usage est la même : un an d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende. Mais l'efficacité d'une telle sanction est très critiquée, tant du côté des syndicats de police que des intervenants en toxicomanie : 65 % des mesures sont de simples rappels à la loi qui ne découragent pas les consommateurs. La réponse pénale de ces dernières années n'est pas satisfaisante.
C'est pourquoi le rapport en discussion est une avancée importante. Il offre enfin un changement de paradigme sur le sujet. Je salue les travaux menés par la mission d'information, en particulier la proposition du rapporteur Éric Poulliat de mettre en place une amende forfaitaire délictuelle.
Cependant, comme le rapport l'a lui-même relevé, l'une des difficultés liées à la mise en place de cette amende concerne la récidive. Il est vrai que, de manière générale, les règles en la matière sont inadaptées aux infractions d'usage de stupéfiants puisque celui-ci est un comportement par nature addictif et donc répété.
L'amende forfaitaire pourrait de plus poser un problème d'applicabilité et de cohérence au regard de la récidive, puisque, en pratique, la réponse pénale apportée à ces faits est souvent un rappel à la loi. Concrètement, demain, un primo-usager devrait s'acquitter d'une amende de 200 euros, alors qu'une personne ayant des antécédents judiciaires en la matière pourrait ne se voir imposer qu'une sanction assez faible, voire un simple rappel à la loi en particulier dans les ressorts de juridictions où ce type de délinquance suscite un contentieux de masse. Dans cette hypothèse, la répétition de l'acte délictueux serait punie moins sévèrement que sa première occurrence. Le rapport identifie ce problème et propose d'y pallier. Quelles solutions concrètes proposerez-vous, madame la garde des sceaux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous remercie, madame la députée, pour votre question. Comme j'ai eu l'occasion de le préciser dans mon propos introductif, et conformément à ce que préconise Éric Poulliat dans le rapport d'information dont nous débattons, l'amende forfaitaire pourra être imposée même en cas de récidive.
Son montant ne sera pas de 200 euros mais bien de 300 euros, comme vous l'avez, monsieur le député, relevé. Une circulaire de politique pénale générale devra préciser clairement que les usagers multi-récidivistes devront faire l'objet d'une réponse pénale plus sévère, et sans doute graduée.
Cette même circulaire pourra par exemple préciser qu'une ordonnance pénale pourra permettre d'individualiser une amende plus sévère, c'est-à-dire s'élevant à 500 euros, à 600 euros ou à un montant supérieur, voire de recommander une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui permettra un sursis avec mise à l'preuve ou d'autres éléments de réponse pénale.
À cette fin, les moyens techniques adéquats seront donnés aux policiers comme aux gendarmes au moyen du fichier des antécédents judiciaires auquel ils auront accès.
Celui-ci permet en effet de connaître les antécédents des usagers contrôlés : cela leur permettra ainsi, le cas échéant, d'alerter le parquet. Il sera donc possible d'établir des réponses graduées, adaptées et individualisées à l'encontre des différents contrevenants.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains. La parole est à M. Jean-Jacques Ferrara.
M. Jean-Jacques Ferrara. Face à un fléau qui n'épargne aucune région de France, ni la ville ni la campagne, la lecture de ce rapport d'information de grande qualité soulève plusieurs interrogations et inspire quelques réflexions.
Ma région, la Corse, n'y échappe pas, tant s'en faut : elle est même fortement touchée. Cela avait d'ailleurs conduit mon prédécesseur, Laurent Marcangeli, à se pencher sur la question, comme l'a rappelé le rapporteur Robin Reda.
Dans ces conditions, une telle réforme suffirait-elle à elle seule à répondre aux défis de santé publique et de sécurité liés à la consommation de substances illicites ? Ne laisserait-elle pas entière la question des trafics induits par la consommation de stupéfiants, comme celle de la violence et de la délinquance qu'ils génèrent ?
L'instauration d'une contravention peut certes avoir des conséquences importantes sur les modalités du traitement institutionnel des millions de personnes qui font usage de drogues illicites en France. Elle nous oblige à repenser la question de l'articulation entre la dimension sanitaire et la dimension répressive des politiques de lutte contre la toxicomanie et nous amène à nous interroger sur le sens d'une mesure qui, sous couvert d'une moindre pénalisation, pourrait donner lieu à une sanction plus systématique des consommateurs de stupéfiants.
En effet, cette stratégie de contraventionnalisation conduira très probablement à un accroissement quantitatif des mesures punitives appliquées aux usagers de drogues, alors qu'il semble que des mesures sanitaires et éducatives seraient, en tout cas pour les jeunes consommateurs dont l'amende sera très probablement réglée par leurs parents, plus efficaces.
Par ailleurs, il me paraît important de mettre en exergue la complexité de mise en oeuvre de cette réforme : la consommation de drogues sur la voie publique n'est pas l'usage le plus fréquemment observé.
En outre, laisser au garde des sceaux et aux parquets le soin de définir le profil des usagers de drogues semble un procédé très long, qui ne saurait répondre efficacement à l'urgence et à la complexité de la problématique.
Ma question parmi tant d'autres est la suivante : si cette procédure doit permettre de sanctionner plus systématiquement les consommateurs de stupéfiants, permettra-t-elle de s'attaquer véritablement aux racines du mal qui constitue à la fois un problème de santé publique et un enjeu de sécurité intérieure ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le député, je réponds assez brièvement à votre question qui est effectivement extrêmement complexe. Vous faites état des racines du mal ainsi que de la nécessité d'avoir une vision qui soit également thérapeutique : la prise en charge des consommateurs ne peut en effet se résumer à la simple sanction.
M. Jean-Jacques Ferrara. En effet.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je comprends tout à fait ce que vous évoquez là. Sachez d'ailleurs que nous avons déjà travaillé avec ma collègue Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, sur les réponses qui seront apportées.
Ainsi que je l'ai précisé dans mon propos liminaire, je redis ici que le projet de loi tel que nous l'avons imaginé à ce stade et sous réserve, encore une fois, des observations qui pourront être faites par les parlementaires prévoit une forfaitisation qui ne s'appliquerait pas aux mineurs. Nous laisserions inchangée, pour ceux-ci, la panoplie des réponses actuelles, dont j'ai souligné tout à l'heure qu'elle pouvait comprendre des injonctions de soins et d'autres instruments similaires.
Les autres réponses n'excluent pas non plus, même pour les majeurs, celles de type thérapeutique. J'espère ainsi, monsieur le député, en travaillant efficacement avec ma collègue chargée des affaires sociales, apporter des éléments de réponse conformes à ce que vous appelez de vos voeux.
Mais évidemment, sur ces sujets-là comme d'ailleurs sur les autres, nous serons trèsattentifs aux propositions qui pourront être faites par les parlementaires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Corneloup.
Mme Josiane Corneloup. Nous nous posons tous la question de l'efficacité d'une amende forfaitaire éventuellement assortie de poursuites pénales pour répondre à la seule question qui nous préoccupe : la constante augmentation de la consommation de stupéfiants.
Cette augmentation est encore plus préoccupante s'agissant des jeunes qui représentent une part toujours plus importante des 700 000 consommateurs quotidiens de cannabis. En outre, le nombre de mineurs condamnés pour usage de stupéfiants a, entre 2000 et 2015, été multiplié par 7,7.
Le nouveau dispositif répressif ouvert par l'amende forfaitaire risque de se heurter au régime juridique spécifique des mineurs : une première interrogation porte donc sur son application. Nous souhaiterions par conséquent obtenir des éclaircissements sur ce point.
Il me semble, et c'est aussi ce que rappelle le rapport, que l'interdit n'est pas négociable. Mais il ne suffit pas : il faut évidemment un volet préventif puissant et adapté aux jeunes. Cet aspect est d'ailleurs très peu traité par les rapporteurs, mais suffisamment toutefois pour qu'ils jugent les actions menées en la matière dispersées et d'une efficacité contestable.
On le sait, la consommation, comme les addictions, se développent dès l'adolescence : comment, donc, lutter contre elles ? Les différents plans de lutte contre les addictions qui se succèdent apparaissent en effet peu efficaces, car c'est dès l'école qu'il faut agir. Cela se fait déjà, mais il faut aller plus loin.
L'Islande, dont les jeunes ont par le passé souffert d'un grave problème d'addiction, a su, en vingt ans, réduire parmi ceux-ci le pourcentage d'usagers de cannabis de 17 % à 5 %.
Elle a obtenu un tel résultat grâce à des mesures fortes, telles que des interdictions généralisées de sortie et une politique sportive subventionnée privilégiant les foyers. Elle l'a surtout obtenu en mobilisant pleinement les familles, les parents se trouvant fréquemment démunis pour traiter le problème de l'addiction de leurs enfants, qu'ils découvrent souvent trop tard.
C'est donc en amont qu'il faut agir : peut-être devrions-nous nous inspirer de cet exemple pour protéger nos jeunes durant une période de leur vie où tout peut basculer ?
Madame la ministre, je vous remercie des orientations dont vous pourrez faire état afin que notre pays propose une véritable approche préventive en faveur des mineurs qui sont des proies faciles pour les vendeurs de paradis artificiels. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je rappelle à nouveau que le dispositif que nous proposons à ce stade n'est pas applicable aux mineurs pour lesquels nous considérons effectivement, ainsi que vous venez de le relever vous-même, madame la députée, que doit continuer de prévaloir une approche éducative et sanitaire.
Comme l'ont d'ailleurs souligné les auteurs du rapport d'information, le niveau de consommation de cannabis chez les jeunes est très préoccupant. Il appelle en effet un renforcement des actions de prévention
M. Thibault Bazin. Et de sanction.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. que vous appelez vous-même de vos voeux, madame la députée. La consommation mensuelle de cannabis en France place les jeunes de seize ans parmi les premiers consommateurs au sein de trente-cinq pays européens. En outre, 39 % des jeunes Français de dix-sept ans déclarent avoir déjà fumé du cannabis.
Au total d'ailleurs, 7,4 % des jeunes de dix-sept ans présenteraient une consommation problématique. On sait en outre toutes les enquêtes sanitaires le soulignent que cette consommation précoce et régulière est particulièrement nocive pour le cerveau des jeunes. Elle entraîne notamment des troubles de la mémoire. Comme ma collègue Mme Gourault l'a précisé, le code de l'éducation prévoit, à raison d'au moins une séance par an et par groupe d'âge homogène, une information des collégiens et des lycéens sur les conséquences de la consommation de drogues sur la santé.
Mme Gourault a ainsi exposé l'action, qui doit être réellement saluée, des policiers et des gendarmes au sein des établissements scolaires. Elle pourra être, à l'avenir, encore mieux coordonnée avec d'autres actions de prévention dans le cadre du futur plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 qui sera coordonné par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la MILDECA.
Ce plan s'inscrit en parfaite cohérence avec le Plan national de santé publique qui a été présenté par le Premier ministre le lundi 26 mars dernier. Les actions de prévention en milieu scolaire seront donc, grâce à l'édiction d'un référentiel, conduites dans un cadre plus structuré.
Afin d'assurer un relais par d'autres actions pédagogiques ou éducatives, des équipes éducatives de l'éducation nationale y seront également associées, ainsi que, comme vous le souhaitiez, les parents.
Je crois également très opportune, pour concourir à la prévention en milieu scolaire, l'intervention d'étudiants du service sanitaire, ainsi que cela a été également prévu par le Plan national de santé publique que j'ai mentionné.
Enfin, je dois également souligner que, au sein de mon propre ministère, celui de la justice, les services de protection judiciaire de la jeunesse en lien avec la MILDECA et au bénéfice des publics suivis déploient des actions de prévention dans le cadre d'une démarche plus globale de promotion de la santé.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Mouvement démocrate et apparentés.
La parole est à Mme Michèle de Vaucouleurs.
Mme Michèle de Vaucouleurs. Le rapport d'information dont nous débattons préconise la mise en place d'une amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants. Il est en effet urgent de réfléchir à des solutions alternatives à celles existant actuellement, car, tout en monopolisant les services de police et les tribunaux au détriment de la lutte contre les trafics, elles ont fait la preuve de leur manque d'efficacité.
Il me paraît primordial d'accorder une place importante, en accompagnement de la réponse pénale, aux actions de sensibilisation et de prévention.
Les rapporteurs ont ainsi signalé qu'une des limites de l'application d'une telle procédure est qu'elle ne permettrait plus de mettre en oeuvre un stage de sensibilisation ou une injonction thérapeutique dont le suivi est obligatoire. En effet, l'action d'un magistrat est nécessaire pour appliquer de tels dispositifs.
La mise en place de la procédure d'amende forfaitaire ne doit cependant pas sacrifier l'aspect thérapeutique et sanitaire de la question.
Les personnes jugées les plus problématiques compte tenu de leur consommation, de leur situation sociale ou encore psychiatrique doivent continuer, comme cela est proposé dans le rapport, à tomber sous le coup du droit commun. Cela reste nécessaire, une réponse sanitaire s'avérant, dans ces situations, plus adaptée qu'une amende.
Les rapporteurs proposent également l'augmentation du nombre de médecins-relais, ou encore l'affectation du produit des amendes au financement des actions de prévention.
L'augmentation des moyens du volet sanitaire de la réforme envisagée nous paraît primordiale en vue de lutter efficacement contre la consommation de stupéfiants. Les actions sanitaires doivent, dans le cas des mineurs, être encore davantage renforcées, le rapport dénonçant sans se pencher plus précisément sur la question une insuffisance de la prévention dont ils bénéficient.
Madame la ministre de la justice, comment, en cas d'application de la procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants, le Gouvernement compte-t-il garantir le maintien et même le renforcement d'une réponse sanitaire et thérapeutique en accompagnement de la réponse pénale ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la députée, pour répondre à votre question, je tiens à nouveau à bien distinguer la question des majeurs de celle des mineurs. Pour les premiers, le recours à la procédure de forfaitisation permettra, comme je l'ai dit tout à l'heure dans mon propos introductif, de maintenir le même niveau de répression et d'offrir une voie procédurale nouvelle, simplifiée et rapide.
Elle sera donc applicable à ce contentieux de masse, notamment à toutes les procédures qui se concluent aujourd'hui par un rappel à la loi. Je le répète, cette nouvelle procédure ne se substituera pas aux autres réponses pénales existantes qui continueront à pouvoir être utilisées conformément aux instructions de politique pénale des procureurs de la République.
L'amende forfaitaire ne constituera donc qu'un instrument complémentaire de ceux qui existent déjà. Le recours à cette procédure pourra être précisé par des directives de politique pénale locales : il pourra être circonscrit à certains types d'usage en fonction je vous prie de m'excuser, car je me répète de la nature du stupéfiant qui aura été saisi.
Cette application circonstanciée permettra notamment d'éviter que les personnes nécessitant avant tout un traitement sanitaire fassent l'objet d'une telle rponse au caractère quelque peu automatique.
Les procédures dites d'injonction thérapeutique ou de suivi de stages de sensibilisation conserveront toute leur place et toute leur pertinence dans notre arsenal juridique.
De la même manière, les personnes déjà connues pour ce type d'usage de stupéfiants pourront continuer, sur décision du parquet, à faire l'objet d'ordonnances pénales, de poursuites devant le tribunal ou de procédures de plaider coupable, afin notamment qu'elles puissent être condamnées à une peine de mise à l'épreuve accompagnée d'une obligation de soins.
Pour ce qui est des mineurs, à ce stade, le projet de loi ne prévoit pas la possibilité de leur appliquer la procédure de l'amende forfaitaire. Nous estimons en effet que, pour eux, c'est une approche de type éducative et sanitaire qui doit continuer à prévaloir. Afin de renforcer l'action de prévention les concernant, nous étudions, dans un cadre interministériel, avec mes collègues de l'intérieur et de la santé, la possibilité de créer un fonds de concours qui serait alimenté par le produit des amendes forfaitaires réglées par les individus majeurs. Ce fonds de concours permettrait, entre autres, de renforcer les dispositifs de prévention, en finançant les consultations pour les jeunes consommateurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Bournazel, pour le groupe UDI, Agir et indépendants.
M. Pierre-Yves Bournazel. Élu du dix-huitième arrondissement de Paris, je connais bien les problèmes liés à la consommation de stupéfiants, ainsi que les ceux liés aux addictions et à la marginalisation qu'elle peut entraîner. C'est pourquoi, au-delà des recommandations de nos deux collègues relatives à la contraventionnalisation de l'usage de stupéfiants, il est essentiel d'engager l'évolution de notre politique de prévention.
Le rapport, qui propose d'affecter le produit des amendes à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, c'est-à-dire à la politique de prévention, peut contribuer à faire changer cette politique d'échelle en la dotant de véritables moyens.
Plus encore, le futur service sanitaire obligatoire sera de nature à changer l'ampleur et la qualité de la prévention. Ce service permettra en effet aux étudiants en médecine de se rendre, pendant un mois et demi, dans les collèges et lycées. Ces étudiants, futurs professionnels de la médecine, sont particulièrement bien placés pour parler aux jeunes des risques de la consommation de drogues.
Ma question est double, madame la garde des sceaux : êtes-vous favorable à l'affectation des amendes à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives et, plus généralement, à la politique de prévention ? Pouvez-vous nous informer du calendrier de déploiement du prochain service sanitaire obligatoire ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le député, je vous remercie pour votre question. Je suis bien évidemment favorable à l'ensemble des mesures que vous avez citées.
S'agissant du déploiement du service sanitaire obligatoire, je n'en ai pas les dates en tête. Je me renseignerai auprès de ma collègue chargée des solidarités et de la santé afin qu'une réponse vous soit donnée dans les meilleurs délais. Quoi qu'il en soit, ce service sera, je l'ai dit lors de mes précédentes réponses, un atout majeur. Ce dispositif fait d'ailleurs partie du plan national de santé publique que le Premier ministre vient de présenter.
Mme la présidente. La parole est à M. Joaquim Pueyo, pour le groupe Nouvelle Gauche.
M. Joaquim Pueyo. Comme ils l'ont indiqué devant la commission des lois, les rapporteurs se sont penchés uniquement sur l'application d'une amende forfaitaire, et non sur la question plus large, mais fondamentale, de notre rapport aux drogues ni sur les politiques que nous menons.
En la matière, un premier constat s'impose : la prohibition ne fonctionne guère. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : selon le dernier rapport de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, ce sont 5 millions de Français qui déclarent avoir consommé au moins une fois du cannabis en 2016 et 1,4 million au moins dix fois dans l'année. En tout, 17 millions de Français déclarent avoir déjà fumé du cannabis dans leur vie.
Le phénomène, qui touche l'ensemble des catégories sociales, est donc massif et indéniable ; il appelle une réflexion sur l'approche que nous devons adopter.
Se posent plusieurs questions.
D'abord, pour ce qui est de la santé, les professionnels nous alertent, avec raison, sur les dangers de ces produits. Toutefois, il faut aussi considérer les ravages, notamment sur nos jeunes, de la consommation des produits actuels, qui sont souvent coupés avec des substances très dangereuses.
La deuxième question qui se pose est celle de l'impact de la politique actuelle sur la sécurité. Il nous faut, non pas renoncer, loin de là, mais repenser notre approche. La question de la dépénalisation, voire de la légalisation de l'usage du cannabis, associée à une politique de prévention efficace, se posera tôt ou tard en France, comme elle s'est posée en Allemagne, en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas, au Portugal et dans plusieurs États américains, pourtant meneurs dans la lutte contre le trafic de drogue.
Pour traiter toutes ces questions, un grand débat apaisé et réfléchi sera à mon avis indispensable. Il faut en finir avec les non-dits qui caractérisent aujourd'hui notre politique à l'égard du cannabis. Nous ne pouvons plus nous réfugier uniquement derrière une prohibition qui crée une économie souterraine, déstabilise certains quartiers et engendre l'insécurité et les violences inhérentes aux trafics illégaux.
Madame la garde des sceaux, pouvez-vous nous indiquer si le Gouvernement compte ouvrir un grand débat, avec tous les acteurs du corps social et les pouvoirs publics, afin que nous puissions aborder la question sereinement et envisager des réponses adaptées à cette problématique ? Nous pourrions le faire après l'évaluation des mesures que vous allez proposer au Parlement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le député, vous posez une question de société extrêmement intéressante, qui mérite, comme vous le dites, un débat apaisé. J'y suis pour ma part très favorable et je crois que le rapport que vos deux collègues ont remis est, d'une certaine manière, l'occasion d'un tel débat.
La dépénalisation des drogues douces est une mesure soutenue en France par de nombreuses associations, ainsi que par des magistrats. Cette question m'a déjà été présentée, du point de vue de la justice, à plusieurs reprises. Des expériences sont menées à l'étranger, vous avez eu raison de le souligner ; elles méritent d'être évaluées avec précision, car je crois qu'elles ont donné des résultats divergents, et qui ont évolué dans le temps. En tout cas, cela pourra faire l'objet d'un débat extrêmement intéressant et tout à fait légitime. Le projet de loi que je proposerai en fournira sans doute l'occasion.
Comme je l'indiquais dans mon discours introductif, la réflexion du Gouvernement ne va pas dans le sens d'une dépénalisation. Nous avons des arguments en faveur de ce point de vue à faire valoir. Ce que nous voulons faire, en permettant le recours à une amende forfaitaire délictuelle en matière d'usage de stupéfiants, c'est au contraire de maintenir la force de l'interdit, en rappelant qu'il s'agit d'un délit ; c'est de faciliter une sanction plus rapide et de nature pécuniaire, alors que, jusqu'à présent, les autorités se contentaient d'un simple rappel à la loi ; c'est de maintenir, pour les usagers qui ont des problèmes aigus de toxicomanie, la possibilité, inscrite dans la politique pénale définie par les parquets, de recourir à des réponses sanitaires et sociales adaptées. Nous entendons ainsi marquer une nouvelle étape de la politique pénale en matière de lutte contre la toxicomanie, par laquelle nous entendons signifier que nous refusons la fatalité de la banalisation de produits qui détruisent la santé de nos concitoyens et qui les mettent en danger dans leur vie quotidienne.
Mme la présidente. La parole est à Mme Danièle Obono, pour le groupe La France insoumise.
Mme Danièle Obono. Les avantages de cette réforme qui sont énumérés dans le rapport de nos collègues Poulliat et Reda concernent principalement l'allégement du travail des forces de l'ordre, l'amende contraventionnelle permettant par exemple d'établir un procès-verbal électronique, et l'allégement du travail du parquet, puisque celui-ci n'aura plus à intervenir l'argument de la réduction du nombre de postes de magistrats est ainsi avancé. Il s'agit donc, non pas de changer de politique à l'égard de la consommation des drogues, mais uniquement de réduire les coûts pour l'administration. Nous le regrettons.
De notre point de vue, la lutte contre les addictions aux drogues dures, puisque tel est le fond du problème, est une question de santé publique, et non de droit pénal.
M. Jean-Michel Jacques. L'un n'empêche pas l'autre !
Mme Danièle Obono. L'aborder de cette manière permettrait, soit dit en passant, de mieux prendre en compte l'usage médicinal du cannabis. On peut le vérifier en comparant la politique menée aux États-Unis, dans le cadre de la fameuse « guerre contre la drogue », axée sur la surenchère en matière de sanction pénale, à celle menée au Portugal, qui a fait le choix de la décriminalisation cumulée à un vaste plan de santé publique : c'est la méthode portugaise qui permet la meilleure prise en charge des personnes dépendantes et le démantèlement des réseaux de trafic clandestin. Il est plus que temps d'en finir avec les postures de criminalisation des personnes dépendantes.
M. Ugo Bernalicis. Elle a raison !
Mme Danièle Obono. Ma question est la suivante : quand la majorité mettra-t-elle en place une vraie politique de lutte contre les addictions, efficace et, à long terme, moins coûteuse, au service des personnes dépendantes en souffrance et de leurs familles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. Ugo Bernalicis. Excellente question. J'espère que la réponse sera à la hauteur !
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la députée, je voudrais dans un premier temps corriger rapidement deux inexactitudes que, sans doute par erreur, vous avez énoncées.
Vous avez d'abord dit qu'il y aurait moins de postes de magistrats ; je suis au regret de vous dire que le projet de loi de programmation que j'aurai le plaisir de vous présenter comportera des créations de postes de magistrats en nombre supérieur à ceux qui partiront à la retraite. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
M. Ugo Bernalicis. C'est du futur conditionnel ?
M. Sébastien Jumel. C'est moins pire que si c'était mieux !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il y aura donc plus de postes de magistrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Ugo Bernalicis. Quel drôle de procédé !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Souhaitez-vous répondre à ma place, monsieur Bernalicis ?
Mme la présidente. Monsieur Bernalicis, seule Mme la ministre a la parole !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Deuxième inexactitude, celle qui consiste à dire que nous souhaitons réduire les coûts pour l'administration. C'est une erreur de focale que vous commettez : les propositions que nous présenterons, à la suite du rapport remis par la commission des lois, ne visent pas du tout à réduire les coûts, mais au contraire à conduire une politique beaucoup plus efficace en termes sanitaires et de répression du délit il convient en effet de préciser qu'il s'agit, non pas d'un crime, mais d'un délit.
Dans ce cadre, nous voulons, non pas être dans le tout répressif, mais conduire aussi une politique d'accompagnement sanitaire et sociale, qui, je le répète, fera partie intégrante de la palette des réponses que nous proposons et qui seront à la disposition de l'autorité judiciaire face aux usagers de stupéfiants.
Ce que nous voulons, c'est accentuer ce type de réponses. Les circulaires de politique pénale, tant générale que locale, permettront de le faire.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Jumel, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Sébastien Jumel. Madame la garde des sceaux, au moment où s'ouvre un débat sur l'allégement des peines liées à la consommation de cannabis, avec la mise en oeuvre de simples contraventions pour les fumeurs pris sur le fait, il nous semble urgent d'ouvrir un vrai débat sur les politiques préventives.
Il existe de fortes inégalités face à la consommation de cette substance, avec si vous me permettez ce raccourci , d'un côté, les « bobos », dont la consommation est récréative et ludique, et, de l'autre côté, des consommateurs en grande difficulté sociale, qui sont plutôt dans une logique de « défonce ».
La dépénalisation, ou plutôt puisque la décision n'est pas encore prise le pas en avant vers un allégement des peines, s'il règle le problème d'engorgement de la justice, n'aura pas d'effet sur les conséquences sanitaires et sociales préoccupantes d'une consommation massive qui touche une frange importante de la population.
Aujourd'hui, la médecine scolaire est laminée, par manque de moyens. Elle est dans l'incapacité de s'engager dans les contrats locaux de santé. Trop souvent, l'éducation nationale est aux abonnés absents pour la mise en oeuvre de ceux-ci, alors que l'école serait le lieu idéal pour développer des politiques préventives efficaces en direction des jeunes exposés aux risques du cannabis.
Il en va de même pour la médecine du travail : alors que les visites médicales dans le cadre professionnel permettraient de lancer une vaste campagne de sensibilisation et de prévention, la médecine du travail a elle aussi été égratignée, laminée, démantelée.
Ma question est simple, madame la garde des sceaux : au moment où vous prônez des mesures d'allégement, de désembouteillement (Exclamations et rires) de désembouteillage, pardon, des tribunaux dans le cadre de la lutte contre le cannabis que voulez-vous, c'est la mode d'inventer des mots nouveaux, comme « gréviculture » ! (Sourires) , envisagez-vous, dans le même temps, de développer une véritable campagne de prévention pour accompagner votre projet ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le député, tout d'abord, je ne peux pas vous laisser parler de « dépénalisation » : je crois vous l'avoir expliqué, nous maintenons la nature délictuelle de l'infraction ; simplement, nous la sanctionnons pour partie d'une manière différente par l'intermédiaire de la forfaitisation.
Sur le fond, ma collègue Jacqueline Gourault a déjà répondu partiellement à votre question. J'insisterai sur le fait que, s'agissant des mineurs, les niveaux de consommation sont extrêmement préoccupants et appellent, comme vous le soulignez, le renforcement des actions de prévention. C'est bien ce que fait l'éducation nationale j'ai évoqué tout à l'heure les dispositions qui étaient obligatoires en son sein.
Les professionnels de santé qui relèvent de l'éducation nationale médecins et infirmières scolaires concourent à cette mission d'information sous la forme d'actions collectives ou individuelles, mais aux côtés d'autres acteurs chargés de la prévention en milieu scolaire. Je veux à cet égard souligner l'importance des partenaires associatifs ou professionnels, comme la gendarmerie avec les formateurs relais anti-drogue et la police avec les policiers formateurs anti-drogue, qui interviennent très souvent aussi.
Le plan national de mobilisation contre les addictions, dont on a parlé tout à l'heure, sera coordonné par la MILDECA ; il prévoit plusieurs mesures pour renforcer la prévention en milieu scolaire. J'en rappellerai trois : développer, dès le plus jeune âge, les compétences psychosociales des enfants forme d'éducation indispensable ; organiser un parcours structuré pour les jeunes afin d'assurer la cohérence des différentes interventions présentées devant eux année après année ; associer à ces interventions des équipes éducatives de l'éducation nationale, afin que la prévention des conduites addictives ne soit pas seulement la préoccupation des médecins et infirmières scolaires, mais aussi de toute la communauté des adultes en contact avec les jeunes.
Vous avez également évoqué, monsieur le député, la médecine du travail. Même s'il n'existe pas de dispositions spécifiques, dans le code du travail, sur l'usage des substances psychoactives, les médecins du travail ont évidemment la charge du suivi de l'état de santé des travailleurs. Ils sont accompagnés, pour ce faire, d'infirmières et d'infirmiers de santé au travail, qui peuvent aussi être affectés, sous leur responsabilité, à des tâches de prévention. Enfin, ils peuvent avoir recours à des médecins collaborateurs, qui ne sont pas des médecins du travail.
Par ailleurs, la pluridisciplinarité, mise en place par la loi dans les services inter-entreprises de santé au travail, permet à des professionnels tels que des psychologues ou des ergonomes d'intervenir auprès de ces mêmes salariés. Pour renforcer les capacités de repérage précoce et de prévention de la médecine du travail, la MILDECA a mis en place avec l'École des hautes études en santé publique, depuis la fin de 2015, un plan de formation des médecins du travail : à raison de deux sessions par an, médecins et infirmiers sont formés à l'utilisation d'une méthode validée par la Haute autorité de santé pour le repérage des conduites addictives.
Sera également mis en place un plan de prévention collective de conduites addictives dans les entreprises et les administrations. Cette formation a été intégrée par le ministère du travail dans le plan « santé au travail » 2016-2020. De plus, le futur plan national de mobilisation contre les addictions insiste sur l'importance qu'il y a à faire de la lutte contre les conduites addictives une priorité de la santé au travail.
Mme la présidente. Nous terminons par une question d'un député non inscrit.
La parole est à M. Jean Lassalle.
M. Jean Lassalle. Je veux d'abord vous remercier, madame la garde des sceaux, de nous offrir ce moment de réflexion. Ne croyez pas pour autant que je veuille vous « cirer les pompes » pas plus qu'à mon amie Jacqueline (Sourires) , car, à vrai dire, jusqu'à présent, je ne trouve rien de très réconfortant dans votre politique.
Quoi qu'il en soit, ce débat, je le sens bien, si vous me passez l'expression. (Sourires.) De fait, il nous interpelle tous, à commencer par nous, les papas et les mamans, les pères et les mères, les pépés, les papys et les mamies. (Sourires.) Sommes-nous sûrs, en effet, qu'aucun de nos enfants ou petits-enfants n'a jamais fumé un joint, voire plusieurs ? C'est ma première question. (Sourires et exclamations sur divers bancs.)
D'autre part, le phénomène ne tient-il pas aussi à la terrible pression subie par les familles au sein du « nouveau monde » ? J'entends par là, car je ne veux pas être méchant, la société contemporaine, cette société capitaliste féroce qui broie chaque jour davantage les familles et les conduit, même si elle n'en est pas la seule cause, à des séparations. N'est-ce pas cette société qui pousse l'un des parents à dire : « Pourquoi ne fumerais-tu pas un peu ? », l'autre répliquant alors : « Surtout pas ! »
J'ai beaucoup aimé les interventions de Sébastien Jumel et de Josiane Corneloup, qui notaient que des réponses ont été trouvées en Islande. Ces réponses, on les a trouvées parce que l'on a revu la base même de l'instruction publique. Je ne suis pas sûr, de ce point de vue, que la solution soit d'envoyer tous nos enfants à l'école dès trois ans. Certains ont besoin d'y aller à cet âge, certes, mais pas tous ! Si j'avais été à l'école à trois ans, j'aurais fumé, et je serais peut-être un drogué aujourd'hui ! (Rires et exclamations sur plusieurs bancs.) Chacun, ici, est libre de dire ce qu'il veut : je vous le dis donc en toute franchise, mes chers collègues.
Il faut de la bienveillance. Je suis d'accord avec ce que vous proposez, madame la garde des sceaux et je conclus sur ce point, madame la présidente, puisque l'on ne peut pas tout dire en deux minutes , et souhaite que l'on continue à se pencher sur le dossier.
Mme la présidente. Merci de conclure.
M. Jean Lassalle. Je souhaite que, au lieu d'organiser tant de débats inutiles, nous consacrions plus de temps aux vrais débats, qui nous ramèneraient à la source du problème. Et la source du problème, c'est le matérialisme dans lequel nous évoluons, oubliant chaque jour davantage
Mme la présidente. Merci, monsieur Lassalle. Vous avez déjà dépassé votre temps de parole.
M. Jean Lassalle. la civilisation, qui donnait à nos enfants le sens du bien et du mal. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Navrée, monsieur le député : je ne suis allée à l'école qu'à partir de six ans. Le débat me semble donc clos. (Sourires.)
M. Jean Lassalle. Six ans ? Je n'aurais jamais imaginé que vous avez été scolarisée aussi tard, madame la garde des sceaux ! (Sourires.)
Mme la présidente. Le débat est clos, en effet. (Sourires.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 6 avril 2018