Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'adhésion de l'Autriche et de la Grèce à la convention de Schengen, à l'Assemblée nationale le 23 septembre 1997.

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Circonstance : Débat de ratification du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord d'adhésion de la République d'Autriche et de la République hellénique à la convention d'application de l'accord de Schengen à l'Assemblée nationale le 23 septembre 1997

Texte intégral

Je tiens tout d'abord à m'associer aux paroles prononcées par le président de
l'Assemblée nationale en hommage à Jean de Lipkowski. Grand résistant,
gaulliste de gauche et diplomate, il fut, en tant que ministre, député et
parlementaire européen, un homme politique indépendant et de grand talent,
engagé avec passion au service de la France et de l'Europe.

Au nom du gouvernement, que je représente ici tout entier, comme je le fais au
Comité exécutif de Schengen, j'ai l'honneur de soumettre au Parlement ces deux
projets, l'un qui autorise l'approbation de l'accord d'adhésion de la
République d'Autriche, signé à Bruxelles le 28 avril 1995, à la convention
d'application de l'Accord de Schengen du 19 juin 1990, l'autre qui autorise
l'approbation de l'accord d'adhésion de la République hellénique, signé à
Madrid le 6 novembre, à cette même convention.

Ces adhésions constituent un approfondissement du processus entamé il y a plus
de dix ans pour créer un espace de libre circulation des personnes en Europe.
En contrepartie de la suppression des contrôles aux frontières intérieures, les
Etats parties de la convention renforcent la coopération policière, judiciaire
et douanière. D'abord construit autour d'un petit noyau de cinq pays, "l'Espace
Schengen" s'est peu à peu élargi à de nouveaux adhérents pour couvrir
aujourd'hui un territoire quasiment équivalent à celui de l'Union européenne.
Après l'Italie, l'Espagne et le Portugal, l'Autriche adhère à son tour, ainsi
que le Danemark, la Finlande et la Suède, cependant que la Norvège et l'Islande
signent un accord de coopération. Mais ces Etats n'appliquent pas encore la
convention, qui n'a été mise en vigueur le 26 mars 1995 que par sept Etats : la
France, les trois pays du Bénélux, l'Allemagne, l'Espagne et le Portugal. Il
est à noter que la France continue d'appliquer la clause de sauvegarde, prévue
à l'article 2-2 de la Convention. Et s'agissant de l'Italie, ce n'est qu'en
avril de cette année que les derniers instruments de ratification ont été
déposés. Lors de sa prochaine réunion, le Comité exécutif pourra donc adopter
un calendrier d'application.

De même la ratification des accords d'adhésion signés par l'Autriche et la
Grèce est-elle le préalable à la décision du Comité exécutif de lancer la mise
en application de la Convention, sous réserve bien sûr que toutes les
conditions requises soient remplies.

Le projet de loi concernant l'Autriche se compose d'un article unique, étant
entendu que l'Autriche adhère sans aucune limitation à la convention
d'application. L'accord d'adhésion fixe les modalités du droit de poursuite
transfrontalière, désigne l'autorité autrichienne compétente pour la
transmission et la réception des demandes d'extradition. Deux déclarations
communes précisent, d'une part que l'entrée en vigueur de la convention suppose
que les conditions préalables à son application soient réunies et que les
contrôles aux frontières extérieures soient effectifs, d'autre part que
l'Autriche s'aligne sur le régime du visa appliqué par les autres Etats
Schengen.

La République hellénique adhère également sans restriction à la convention
d'application et l'accord d'adhésion comporte notamment l'engagement de la
Grèce de ne pas recourir aux réserves qu'elle a formulées concernant les
conventions européennes d'extradition et d'entraide judiciaire en matière
pénale. La déclaration commune relative au Mont-Athos prévoit le maintien d'un
statut particulier dans cette péninsule dont vous connaissez le caractère
monastique. Ce statut a des incidences sur la libre circulation : l'accès est
interdit aux personnes de sexe féminin et aux enfants, et un visa particulier
est délivré par les autorités religieuses. Ces dispositions ne paraissent pas
relever d'un progressisme extrême.

Une fois entrés en vigueur, ces accords d'adhésion ne pourront être appliqués
qu'après une décision du comité exécutif constatant que sont réunies les
conditions préalables concernant le contrôle aux frontières extérieures, la
délivrance du visa uniforme, le traitement des demandes d'asile, le régime de
circulation dans les aéroports, le respect des conventions relatives aux
stupéfiants, la protection de données personnelles et le fonctionnement du
système d'information. Ce double mécanisme - d'entrée en vigueur puis de mise
en vigueur - offre les garanties de sécurité indispensables à l'efficacité du
système.

La volonté politique de l'Autriche et de la Grèce de participer pleinement à
l'Espace Schengen n'a jamais été démentie. Ces deux pays sont d'ores et déjà
observateurs au comité exécutif et ont longuement préparé leur adhésion. Les
réserves exprimées notamment par l'Allemagne, par les Pays-Bas et par
nous-mêmes sur l'efficacité au contrôle à leurs frontières extérieures ont
conduit le comité exécutif, avec leur accord, à envisager une mise en
application progressive. Dans le même temps, et sans avoir besoin de lever les
contrôles aux frontières intérieures, nous pourrons mettre en oeuvre les autres
dispositions de la convention, et notamment avoir accès aux données que ces
pays auront introduites dans le système informatique.

Pour cela, nous devons, comme nous en avons pris l'engagement, procéder à la
ratification des accords. Nous nous étions engagés à le faire avant le 31 mai,
mais la dissolution nous a fait prendre du retard ; la France est ainsi le seul
pays à ne pas avoir mené à bien cette procédure : le gouvernement souhaite donc
qu'elle le fasse avant la fin du mois d'octobre, et c'est pourquoi je vous
demande d'approuver les deux projets qui vous sont soumis.

(...)
Ces textes suscitent une remarquable convergence de vues, ce qui n'est guère
étonnant puisque, sans les élections, ils auraient été présentés au Parlement
par le précédent gouvernement. Depuis 1990, la continuité politique est
évidente. Comme votre rapporteur, je crois que la monnaie unique ne doit pas
nous obnubiler. Les citoyens s'intéressent à l'Europe concrète, à l'Europe de
demain. C'est pourquoi nous devons parvenir à concilier la libre circulation
avec la sécurité.

L'Espace de Schengen est d'évidence attractif. Nous ressentons les pressions de
nos partenaires, de la Grèce et de l'Autriche pour la ratification de leur
adhésion, de l'Italie pour l'application du dispositif. Dans ces pays, le sujet
est d'une extrême sensibilité politique.

Alors que la candidature de l'Autriche ne suscité guère de réflexions
critiques, celle de la Grèce est plus discutée. Mais ce pays, dans la
perspective des Jeux olympiques de 2004, va prendre des mesures de sécurité
renforcées.

Si je voulais résumer d'un mot le message que les parlementaires adressent au
gouvernement, je dirais : vigilance. Ainsi, M. Derosier s'est inquiété de la
manière dont l'Autriche lutte contre la drogue. Je crois pouvoir le rassurer
puisque ce pays a ratifié - ou est en train de ratifier - tous les accords
internationaux en la matière. Mme Ameline se demande quant à elle comment
intégrer de nouveaux Etats sans s'affaiblir et comment s'assurer de la
vigilance du Comité exécutif. Je crois également pouvoir la rassurer : au
comité exécutif, la France est représentée par le ministre chargé des Affaires
européennes, moi-même, mais chaque réunion est précédée d'une concertation
étroite avec mes collègues de l'Intérieur et de la Justice, M. Chevènement et
Mme Guigou, de sorte que vous pouvez compter sur la vigilance
interministérielle sur tous les sujets qui vous préoccupent - immigration,
notamment.

Vous vous êtes aussi inquiétée de la cohérence de l'Espace Schengen, compte
tenu de certaines discontinuités territoriales. Mais on ne peut pas reprocher à
la Grèce sa position géographique ni attendre pour l'intégrer que le soient
tous les pays nous séparant d'elle. La Grèce fait d'ores et déjà partie de
l'Union sans que cela pose de problèmes douaniers particuliers et son
intégration dans l'Espace Schengen est à mon sens le meilleur moyen de la
pousser à poursuivre ses efforts.

S'agissant de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures,
vous avez marqué notre déception. La ratification du Traité d'Amsterdam sera
l'occasion de revenir sur ces sujets mais sachez que la France a plaidé
fermement, avec l'Allemagne, pour une réforme du troisième pilier et obtenu des
résultats encourageants, notamment l'inscription dans le Traité de la notion de
"rapprochement des dispositions pénales en matière de lutte contre la drogue et
de criminalité organisée". Nous aurions voulu aller plus loin en passant pour
certains sujets à la majorité qualifiée tout en restant dans le troisième
pilier, c'est-à-dire l'intergouvernemental, mais malheureusement l'unanimité
demeure la règle.

De votre intervention, je retiens l'essentiel : votre intention de vote et
votre appel à la vigilance du gouvernement en ce qui concerne les contrôles aux
frontières extérieures. Croyez que le ministre de l'Intérieur est également
très sensible à cette question.

M. Jean-Pierre Michel s'est étonné que l'Autriche ait présidé le comité
exécutif avant même la ratification de son accord d'adhésion. Juridiquement,
rien ne l'interdisait. Et voyons-y l'expression de l'impatience de ce pays à
faire partie de l'Espace Schengen, impatience à laquelle nous répondons en
inscrivant le présent projet à l'ordre du jour de la session extraordinaire.
S'agissant du contrôle des données du SIS, je rappelle qu'il y a dans chaque
Etat membre une autorité de contrôle - en France, la CNIL - et une loi sur la
protection des données personnelles. Le fonctionnement de ce système
d'informations n'est certes pas parfait mais il ne cesse de s'améliorer.

M. Alain Barrau a souligné les avancées réalisées grâce aux Accords de
Schengen, qui loin de favoriser le laxisme comme certains le redoutaient, a
rendu les contrôles plus efficaces.

Au départ, Monsieur Barrau, la France ne souhaitait pas la "communautarisation"
du troisième pilier. Elle s'est faite à la demande de l'Allemagne en échange de
l'association des parlements nationaux à la gestion du troisième pilier. Mais
la France a obtenu des garanties importantes : il n'y aura pas de passage à la
majorité qualifiée avant cinq ans et ce passage doit lui-même être décidé à
l'unanimité, les clauses de sauvegarde son maintenues, la Cour de Justice
n'exercera pas son contrôle sur les mesures d'ordre public.

Votre scepticisme, Madame Alliot-Marie, m'a tout d'abord donné quelques
inquiétudes mais j'ai ensuite été rassuré par l'esprit de votre intervention et
par votre appel à un vote sage et responsable.

D'une façon générale, je vois bien que certaines inquiétudes demeurent
concernant la Grèce. Le comité exécutif se prononcera le 7 octobre sur un
calendrier d'application mais sachez que nous sommes d'ores et déjà bien
conscients des difficultés et que nous l'avons dit, ainsi que les Allemands et
les Néerlandais, à nos amis grecs. Le gouvernement grec, lui-même, bien
conscient des problèmes, a demandé un délai supplémentaire pour lever les
contrôles aux frontières aéroportuaires. Il n'en faut pas moins ratifier
l'accord d'adhésion, car cela obligera la Grèce à appliquer les dispositions
communes en matière de délivrance des visas et lui permettra d'accéder aux
données du SIS. Ratifier, c'est permettre la mise en application de la
convention et c'est se donner un surcroît de sécurité. N'assimilons pas entrée
en vigueur et levée des contrôles : cette mesure-là n'interviendra que lorsque
nous aurons acquis la conviction que la Grèce a effectué tous les efforts
nécessaires.

Je crois au total que nous faisons aujourd'hui un pas vers l'équilibre souhaité
entre sécurité et libre-circulation des personnes. Il appartiendra au
gouvernement, via le comité exécutif puis le Conseil européen, de veiller à ce
qu'il soit préservé. J'ai entendu votre message, et je crois que vous avez
aussi exprimé une logique de responsabilité qui, j'en suis sûr, se manifestera
à travers votre vote./.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2001)