Interview de M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, à La Chaine info le 8 janvier 2002, sur les revendications des médecins généralistes, la proposition de loi Mattei sur l'indemnisation des handicapés et sur la grève des échographistes.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser Il y a des mots qui font mal. C'est le cas du terme "excessif" employé dimanche par E. Guigou, en parlant des revendications des médecins généralistes qui veulent que leurs honoraires soient augmentés. Leur colère semble aussi augmenter. Comment va-t-on sortir de ce conflit ?
- "Des "maux" qui font mal, je pensais que l'expression était médicale... Cela coûte très cher, mais la négociation va commencer, jeudi, avec le président de la Caisse nationale d'assurance maladie. Il y a deux choses : il y a le malaise des médecins - le mot est faible - des médecins généralistes, dans un pays très particulier où le système fonctionne bien, mais où il est, beaucoup moins qu'ailleurs, instable. Les progrès de la médecine, la fréquentation qui s'accélère, les exigences des malades pèsent sur les généralistes, plus encore que sur tous les autres et en particulier sur les spécialistes. La France, sachez-le, est le pays où il y a autant de spécialistes en ville, en libéral, que de généralistes. C'est très exceptionnel. Les généralistes ont vraiment beaucoup de travail. Et puis la considération a évolué."
La considération pour les spécialistes ?
- "Non, ce n'est pas si simple que cela. Mais l'exigence des malades - des patients comme on dit, et je déteste ce mot - a évolué. Les généralistes, c'est l'armature, c'est la base, c'est le socle, c'est l'évidence de la médecine, c'est le contact avec les gens. Il y a plus qu'un malaise. Il y a une reconsidération du métier avant tout, des pratiques, de leur vie, de leur vie de famille, de leur vie personnelle. Et puis, ils sont dévoués, ils veulent se consacrer aux malades. Alors, des négociations auront lieu. Je les espère, je les sais d'avance, fructueuses. Mais il y a beaucoup à proposer en particulier dans la pratique elle-même. Oui, cela coûte cher. Est-ce nécessaire ? A quel niveau ? On entre toujours dans la négociation avec des exigences qui sont hautes, peut-être excessives, et puis on en sort avec une satisfaction. C'est ainsi en France, malheureusement, toujours dans la crise..."
Est-ce nécessaire ? Vous dites "oui" ?
- "Nécessaire ? Quoi ? L'évolution ? Mais bien entendu, l'évolution est nécessaire, je le pense depuis des années. Il y a des endroits, en France, en particulier dans le monde rural, où on ne trouve pas de remplaçant pour un généraliste omnipraticien installé. Et l'avenir est donc incertain pour la population autour. Parce que la pénibilité du métier, le sacrifice permanent, la vie quotidienne sont moins attractifs pour les jeunes. Tout cela, il faut le changer, il faut le reconsidérer. Nous avons un formidable système qui est envié par tous les autres pays - et je ne parle pas des pays du Tiers-Monde. Je parle des pays d'Europe qui nous sont limitrophes. Ceux-là viennent maintenant nous apporter, nous proposer - nous proposer - des malades. Cela marche bien, ne le gâchons pas. On ne va pas évidemment essayer de cristalliser des difficultés ou des haines ou de la méchanceté contre les médecins, et ni contre les malades. Le Gouvernement a proposé une loi sur les droits des malades et l'amélioration de la qualité du système de santé. C'était justement pour rétablir cette confiance, et nous la rétablirons."
Vous qui n'avez pas le pouvoir matériel d'augmenter leurs honoraires, est-ce avec cette loi sur le droit des malades que vous allez rétablir la confiance ?
- "Je crois que le mal est beaucoup plus profond que conjoncturel."
Justement, qu'est-ce que vous pourriez faire d'autre ?
- "Je pense qu'il faut, en effet, définir différemment, avec les professionnels, c'est-à-dire avec les médecins et en particulier avec les généralistes, mais aussi avec les associations de malades, avec les patients, avec les usagers, une nouvelle approche de la médecine. C'est cela qu'il faut faire. Et puis, il faut savoir à quoi sert l'argent. Il faut savoir - et c'est opaque dans notre système - que d'un côté, il y a un impôt ciblé qui était majoritairement pris sur les salaires, mais qui ne l'est plus parce qu'il y a la cotisation sociale généralisée. Bref, on croit que l'argent vient du budget de l'Etat : il ne vient pas du budget de l'Etat. L'assurance maladie, c'est de l'argent très particulier, réservé aux soins."
C'est difficile à appréhender...
- "Cela concerne les gens, c'est leur médecin, leur santé. Il faut que cela soit leurs soins. Il faut qu'ils sachent à quoi sert cet argent, et si on en a besoin de plus, il faut qu'ils puissent en donner plus, éventuellement, s'ils l'acceptent. C'est un système assez simple. C'est comme une organisation non gouvernementale, comme une association, une fondation. On devrait savoir en permanence à quoi a servi l'argent des Français dans le domaine de la santé. C'est assez simple."
Et le ministre là-dedans ?
- "On en parlera une autre fois. La disposition ministérielle qui tient à la santé est sans doute certainement à reconsidérer."
A revoir également ?
- "Je pense."
Deuxième sujet d'actualité, c'est l'arrêt Perruche. Il est controversé. Il y a eu la proposition de loi Mattéi qui n'a pas été votée, le Gouvernement n'en a pas voulu, la trouvant trop imprécise et estimant qu'elle ne répondait pas aux problèmes posés par l'arrêt Perruche. Le Gouvernement a-t-il arrêté sa position sur le texte qui va être présenté sous forme d'amendement ou de proposition de loi - on ne sait pas très bien - jeudi prochain ?
- "C'est aujourd'hui que la décision sera prise par le Premier ministre."
Vous avez une idée sur la question, quand même ?
- "J'ai une idée très précise, parce que j'ai non pas négocié mais écouté, entendu, travaillé avec les échographistes, avec les gynéco-obstétriciens, avec les radiologues, hier soir encore. Et donc, nous avons un texte qui, je crois, est satisfaisant. Nous avons eu raison. J'étais très proche de ce disait monsieur Mattéi et d'ailleurs beaucoup de gens de la majorité l'étaient. Mais c'est vrai que cela ne répondait pas à la question. Cela affirmait à un principe. Je pense que les textes qui sont proposés, et le Premier ministre tranchera, répondent à la question maintenant, apaisent encore une fois l'angoisse des médecins. C'est quand même très paradoxal : plus nous faisons des progrès et plus les usagers sont exigeants. Je le comprends. Mais à un moment donné, les médecins se sentent pris à la gorge. Ce n'est pas de leur faute si en effet on peut déceler de plus en plus d'anomalies éventuelles. Mais c'est très difficile d'affirmer, mais ce n'est pas à 100 %, mais il n'y a pas d'obligation de résultat dans des examens où nous sommes les meilleurs au monde. En échographie, la France est de loin le meilleur."
Là aussi, il y a une grève qui devient handicapante.
- "Ce n'est pas une grève, madame, c'est un arrêt des soins, parce que c'est beaucoup plus important qu'une grève, si je puis me permettre. Les grèves sont importantes. Vraiment, ils ont dit : "Si nous ne réglons pas ce problème, nous arrêtons les échographies". Dans les centres d'examens prénataux, il n'y aura plus d'échographie. Donc, c'est important."
Il n'y en a plus !
- "Oui, je pense que cela va reprendre. Je les sais enthousiastes, aimant leur métier, et je les vois presque tous les jours. Cela va s'arranger."
C'est de la calinothérapie, là !
- "Pas calinothérapie, mais réalitothérapie. Non, madame, c'étaient des problèmes, c'est encore celui-là. Mais tous les problèmes dont nous avons parlé, généralistes, spécialistes, sont des problèmes majeurs. Qu'est-ce qui compte dans notre société ? Faites un sondage, vous verrez : les soins, la santé pour soi et pour les siens, c'est l'essentiel, c'est la première préoccupation des Français. Alors, il faut y faire attention."
Espérez-vous qu'avec le texte qui sera soumis aux députés ce jeudi, les échographistes vont mettre fin à l'arrêt des soins ?
- "Oui, et puis ce ne sera pas fini. Nous continuerons à parler, parce que l'évolution est telle qu'à la fois les progrès, mais parfois les menaces, vont se poursuivre, parce qu'il y aura, encore une fois, beaucoup d'améliorations. Mais non, je pense qu'en effet, nous y parviendrons, j'en suis tout à fait persuadé. La réunion d'hier soir était très positive. Ce n'est pas de la calinothérapie. Il faut parler aux gens. Il faut leur proposer des contrats tout le temps, révocables, aménageables et nouveaux."
5Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 janvier 2002)