Interview de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, à France 2 le 10 octobre 2001, sur la situation des femmes en Afghanistan, la protection des mineurs et la campagne d'information contre la violence à l'école.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde.- Je voudrais pour commencer que nous parlions des femmes, notamment des femmes afghanes qui subissent depuis très longtemps un sort terrible avec l'oppression des taliban. Hier, en France, des intellectuels musulmans ont appelé à une lecture plus modérée de l'islam. Cela peut-il constituer un tournant ?
- "Pourquoi pas ? Cela dit, moins la République s'occupe des religions et mieux elle se porte. L'enjeu d'aujourd'hui, c'est de retrouver la laïcité de la République et de l'ensemble des Etats qui peuvent s'orienter vers ce choix, parce qu'au bout du compte, la devise de la République me convient : Liberté, Egalité, Fraternité. Cela veut dire aussi "laïcité", c'est-à-dire le respect de toutes les religions, dès lors, bien sûr, qu'elles sont modérées, que leurs principes sont compatibles avec les principes républicains. Ce qui me frappe, y compris chez les jeunes, c'est la nécessité de retrouver des lieux de célébrations républicains, car si la loi républicaine est suffisamment forte, à ce moment-là, les jeunes se détourneront des fanatismes religieux."
Quel est le rôle des femmes, et des mères notamment ? Il est essentiel de ce point de vue ?
- "C'est une réflexion cruciale à avoir. Si l'on veut replacer ce qui se passe aujourd'hui en Afghanistan dans une perspective historique et s'interroger sur ce qui va se passer après, il faut bien observer que, non pas une des causes du terrorisme - parce que dire "cause du terrorisme", c'est déjà justifier l'injustifiable - mais que l'une des racines du terrorisme est dans l'obscurantisme. Et une des racines de l'obscurantisme est dans l'écrasement, dans l'étouffement des femmes. Parce que si elles sont en capacité d'être éduquées et d'éduquer leurs enfants, à ce moment-là, elles détourneront aussi leurs enfants du fanatisme. D'ailleurs, tous les régimes totalitaires ont toujours écrasé les femmes. Ce qui veut dire que pour les pays riches, un des enjeux majeurs de l'aide au développement, de la lutte contre la pauvreté, c'est d'abord d'orienter le soutien à l'éducation, à l'éducation des filles, à la maîtrise de la procréation, parce que c'est par les femmes que l'on transmettra les valeurs de tolérance."
Quand vous voyez que l'on essaie de faire - entre guillemets - "de l'humanitaire" et que l'armée américaine tente de donner des vivres sur place, vous pensez que cela a une quelconque utilité ?
- "Il faut faire attention à certaines images de propagande. Il faut écouter les vraies associations humanitaires, celles qui ne sont pas le relais des intégrismes sur place. Les femmes subissent en Afghanistan, depuis sept ans, le joug des taliban ; cela aurait peut-être mérité des réactions plus fortes au niveau de la communauté internationale. Ces femmes sont venus récemment à Paris grâce au journal Elle ; nous étions peu nombreuses à les rencontrer. Mais plus que jamais, il faut les aider. J'avais, avec le ministère de l'Enseignement scolaire dont j'avais la charge, financé un certain nombre d'écoles clandestines en Afghanistan. Il faut vraiment orienter l'aide des pays occidentaux vers le soutien à l'éducation et à la santé, car là est la clef de la lutte contre la pauvreté. Et comme la pauvreté nourrit les humiliations et les fanatismes, il y a vraiment un enjeu majeur pour les années qui viennent."
Demain, à l'Assemblée nationale, va se discuter un projet de loi sur les ordonnances de 1945, qui règlent la responsabilité des mineurs. On en a beaucoup parlé parce que, parfois, nous n'avons pas les outils juridiques pour combattre la délinquance des mineurs. Qu'y a-t-il dans ce projet de loi et que préconisez-vous ?
- "D'abord, contrairement à ce que dit la droite, l'ordonnance de 1945 a déjà été réformée une vingtaine de fois ! Les gouvernements ont donc aussi pris acte de l'évolution des jeunes et de la société pour intégrer des systèmes plus équilibrés. L'ordonnance de 1945 s'appuie sur un principe fondamental qui est souvent tourné en dérision ou déformé : elle dit qu'un mineur a d'abord droit à l'éducation, mais également à la sanction. Je considère que la sanction fait partie de l'éducation, que l'un n'a pas à être opposé à l'autre. Ce qui veut dire qu'il faut sans doute des réponses plus rapides aux actes d'incivilité, aux actes de prédélinquance et de récidive de la délinquance des mineurs..."
Parce que lorsqu'un mineur commet un acte de délinquance, il s'écoule un temps très long avant que la justice ne prenne une décision. Puis, il est remis à sa famille, à ses copains ou il est lâché dans la nature.
- "Ce n'est pas toujours le cas, mais il est vrai que parfois, dans certains départements, il y a un temps beaucoup trop long. Je visitais récemment un commissariat de police ; j'ai rencontré la brigade de lutte contre le trafic de drogue et celle de protection des mineurs et c'est vrai que c'est un peu décourageant pour les policiers, lorsqu'il y a des délinquants récidivistes, de les voir retourner dans leur quartier. Il faut donc que cela soit plus rapide. Ce n'est pas la peine de modifier l'ordonnance de 1945 ; c'est au niveau de la pratique des choses. En tant que ministre de la Famille, je voudrais dire que c'est aussi important pour les parents lorsque la sanction arrive rapidement. Pas une sanction bête, répressive ou hargneuse, comme nous le dit régulièrement l'opposition, qui ne parle des jeunes que pour parler des jeunes délinquants. Mais une sanction bienveillante, c'est-à-dire qu'un jeune mineur à encore droit à sa chance éducative."
Qu'entendez-vous par "sanction bienveillante" ? Donnez-moi un exemple.
- "C'est une sanction qui réaccompagne, qui prend une décision pénale, qui fait un rappel très ferme à la loi en y associant les parents, mais qui surtout réintégre les jeunes dans un processus éducatif."
On dira par exemple aux parents : "Si vous ne surveillez pas mieux vos enfants, on va..."
- "Il faut surtout dire au jeune qu'on va lui donner une formation professionnelle, qu'on va le mettre dans un internat, qu'on va le recadrer, qu'on lui fait confiance - bien qu'il ait fait une bêtise, parfois grave - parce qu'il a moins de 18 ans, pour qu'il reprenne pied, pour qu'il se remette debout et pour qu'il apprenne un métier, qu'il est intelligent, capable de faire quelque chose. On lui redonne donc l'estime de lui-même, pour qu'il apprenne encore à grandir avant qu'il ne soit trop tard. De ce point de vue, ce n'est pas s'opposer aux jeunes. Les jeunes sont en demande de points de repère forts, d'adultes consistants. Cela passe par l'exemple, et ce qui est en cause, c'est la capacité d'une société à faire autorité, à tous les adultes de faire une forme de co-éducation, à dire la même chose par rapport à la responsabilité des jeunes. C'est aussi à la télévision de faire attention aux images qu'elle véhicule, aux contre valeurs qu'elle prône parfois, parce que cela n'aide pas les jeunes à grandir, à voir clair entre le bien et le mal."
Vous parlez du rôle de l'école et on voit à travers un rapport qu'il y a aussi de la violence à l'école. Il y a d'ailleurs une campagne qui a commencé hier et où des chanteurs disent : "Si tu veux que l'on te respecte, respecte les autres." N'est-ce pas un peu tardif ? Ces campagnes ne devraient-elles pas être continues, permanentes ?
- "Elles sont continues puisque c'est la reprise de la campagne des initiatives citoyennes que j'avais moi-même lancée dans l'éducation nationale. Elle est renforcée, elle est poursuivi, ce sont des campagnes permanentes ; c'est aussi la campagne de lutte contre le racket. Cette prise de conscience est nécessaire. Ce qui nouveau avec ce Gouvernement, c'est que le tabou a été levé : aujourd'hui, on en parle. Il faut avoir le courage de regarder les choses en face pour bien les traiter."
Oui, parce que l'intégration n'est pas toujours extrêmement réussie et il y a parfois des mineurs qui dérapent franchement !
- "Et en même temps, la réussite scolaire s'améliore constamment, puisque le nombre de jeunes qui arrive au baccalauréat ne cesse d'augmenter, le niveau scolaire aussi. C'est important de dire cet équilibre."
Les Français font beaucoup de bébés et c'est plutôt encourageant par les temps qui courent, c'est un message d'espoir !
- "C'est merveilleux ! La France est le pays d'Europe où naissent le plus d'enfants ; peut-être que la politique familiale y est pour quelque chose ! C'est en tout cas un formidable signe d'espoir, de bonheur. Et nous continuons à bien épauler les familles, notamment celles qui sont en situation de précarité, pour qu'elles aussi aient le droit d'élever correctement leurs enfants."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 octobre 2001)