Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2002, à France 5 le 20 janvier 2002, sur le climat politique de la campagne, le passage à l'euro, la sécurité, la méthode de gouvernement, la démocratie et le dialogue social.

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Média : Emission Ripostes - France 5 - Télévision

Texte intégral

SERGE MOATI Alors on va parler de politique et on va parler de politique autrement, si vous le voulez bien, on va parler de mystère, de mystère, eh oui, celui de Français BAYROU, par exemple. Votre mystère, voilà peu de temps, franchement, on ne parlait que de vous, votre ferveur, votre jeunesse, votre foi européenne, l'ardeur de vos convictions réformatrices : le troisième homme. Et puis voilà : à 90 jours à peu près des échéances, les sondages, les vôtres, ne décollent pas vraiment. Des vrais faux amis - comment les appeler ? - vous ont trahis. Alors mystère, pour moi c'est un mystère, on va essayer de comprendre ensemble. Mystère de la vie politique française, comment quelqu'un qu'on monte au pinacle comme ça, brusquement on dit " Ah non, ça n'est pas ça " ? Mystère donc de la vie politique française, mystère peut-être aussi des médias, par rapport à vous, mystère du coeur des Français, votre mystère, François BAYROU. Alors pour RIPOSTES, allons voir de plus près avec vous, et je vous remercie beaucoup d'être là, François BAYROU, Henri WEBER, sénateur socialiste, secrétaire national...
HENRI WEBER, SENATEUR SOCIALISTE DE SEINE-MARITIME, SECRETAIRE NATIONAL DU PS De la Seine-Maritime !
SERGE MOATI De la Seine-Maritime et secrétaire national du Parti Socialiste. Christophe BARBIER, directeur adjoint de L'EXPRESS, j'adore d'ailleurs votre livre " La guerre de l'Elysée n'aura pas lieu ", c'est une pièce de théâtre hilarante, très très bien. Jean-François KAHN, vous êtes directeur évidemment de MARIANNE et vous, Europe pour Europe, vous avez sorti un livre formidable qui s'appelle " Victor HUGO, un révolutionnaire ", chez FAYARD. Henri GUAINO, vous êtes ancien commissaire au Plan, merci beaucoup d'être là. Alors François BAYROU, première question comme ça, comment ça va François BAYROU ?
FRANÇOIS BAYROU, PRESIDENT DE L'UDF, CANDIDAT AUX ELECTIONS PRESIDENTIELLES Ça va très bien.
SERGE MOATI Bon...
FRANÇOIS BAYROU Avec les difficultés des choses, mais ces difficultés n'ont aucune importance.
SERGE MOATI Pourquoi donc ?
FRANÇOIS BAYROU Parce que ça n'est pas la question. Je veux dire, la question des présidentielles, ça n'est pas le climat. La question des présidentielles, c'est de savoir, devant les deux immenses sujets que nous avons devant nous, si on présente des réponses différentes de ce qui se fait aujourd'hui. On a deux sujets devant nous, on vient de passer à l'euro...
SERGE MOATI Ça s'est bien passé.
FRANÇOIS BAYROU Ça s'est formidablement passé.
SERGE MOATI Vous êtes content, vous dites " Bravo le gouvernement " ?
FRANÇOIS BAYROU Je dis bravo les Français. Le gouvernement...
HENRI WEBER Dont le gouvernement...
FRANÇOIS BAYROU Oui, ce sont des Français. Le gouvernement a fait sa part, comme tous les autres gouvernements européens, mais ceux à propos de qui on prédisait que ça serait une catastrophe, les courageux, les solides, ça a été évidemment les commerçants, les Français, ceux qui ont changé de monnaie, ce qui est un acte très important, sans drame et même sans inquiétude...
SERGE MOATI Premier sujet de l'Europe.
FRANÇOIS BAYROU Ce qui prouve que les Français sont en avance sur leurs gouvernants.
SERGE MOATI Deuxième sujet ?
FRANÇOIS BAYROU Il y a un deuxième sujet, c'est est-ce que depuis vingt ans, on gouverne la France comme il faut ? C'est-à-dire est-ce que ceux qui élisent les gouvernements successifs de droite et de gauche, est-ce qu'ils s'y retrouvent ? Est-ce qu'ils obtiennent les résultats qu'ils attendaient et quelles sont les raisons pour lesquelles ils ne s'y retrouvent pas.
SERGE MOATI On va en parler de tout ça...
FRANÇOIS BAYROU Et ça, ce sont les deux grands sujets que nous avons devant nous et ce sont les deux grands sujets que je veux traiter.
SERGE MOATI Donc vous n'avez jamais eu la tentation d'arrêter ?
FRANÇOIS BAYROU Jamais.
SERGE MOATI Vous ne dites pas, " Ça suffit, je n'ai pas assez...
FRANÇOIS BAYROU Jamais ! Encore une fois, si l'élection présidentielle était une élection agréable, avec des gens de bonne compagnie, dans laquelle..
SERGE MOATI ... Sourires autour de la table !
FRANÇOIS BAYROU Dans laquelle la règle serait la loyauté, ça devrait être comme ça, n'est-ce pas
SERGE MOATI Mais ça n'est pas !
FRANÇOIS BAYROU L'éclat de rire général vous montre, mais c'est un des problèmes
HENRI WEBER ... Rien n'a encore véritablement commencé.
FRANÇOIS BAYROU Non mais ça vient et je vois à votre regard que vous en avez une petite idée.
HENRI WEBER Oui, oui, ça va être très sympathique, vous allez voir.
FRANÇOIS BAYROU Ça devrait être comme ça, je ne parle pas d'un monde idéal où tout le monde s'aimerait. Je parle d'une vie démocratique dans laquelle on serait loyaux, au moins à l'intérieur du même camp.
SERGE MOATI Eh bien non...
FRANÇOIS BAYROU Eh bien pas vraiment, mais c'est pour ça que les gens n'y croient plus.
SERGE MOATI Juste une question d'actu, si vous le voulez bien, il y a le livre d'Eric ZEMMOUR qui est sorti, là. Que vous inspire cette rencontre révélée par Eric ZEMMOUR entre Jean-Marie Le PEN et Jacques CHIRAC, au moment des présidentielles de 88, ça vous trouble, si c'est vrai ?
FRANÇOIS BAYROU Je n'ai aucune information sur cette affaire-là, mais vous voyez bien qu'on est renvoyé à la question de la loyauté.
SERGE MOATI Celle de Jacques CHIRAC ?
FRANÇOIS BAYROU De la loyauté du monde politique, les grandes phrases d'un côté, et de l'autre des attitudes qui ne sont peut-être pas à la hauteur.. si ça a eu lieu. Je n'en ai, encore une fois, aucune idée et aucune information.
(...)
FRANÇOIS BAYROU L'euro fait naître le sujet. On ne peut pas avoir dans la poche une monnaie unique, sans avoir l'Europe politique qui va avec la monnaie, sans ça aucun équilibre enter les deux. Donc l'euro pour l'instant, jusqu'à maintenant, pardon, l'Europe était lointaine, voilà l'Europe proche et je crois que le sujet va naître. En tout cas, si les hommes politiques ont le sens de la responsabilité, c'est naturellement l'un des deux grands sujets à traiter.
(...)
SERGE MOATI François BAYROU, quand on prend votre livre " Relève "...
FRANÇOIS BAYROU ... Une phrase sur ce qu'on vient de dire...
SERGE MOATI Après, je vous en pose une autre...
FRANÇOIS BAYROU Voilà sur ce que Monsieur WEBER vient de dire, est-ce que le pouvoir européen doit avoir une légitimité dans le peuple ou pas ? Pour l'instant, il n'en a aucune. Ceux qui décident, ceux qui dirigent et ce sont, je crois, des gens de bonne volonté, ce sont des gens estimables, ils ne sont connus et ils n'ont de comptes à rendre qu'aux gouvernements nationaux, est-ce que c'est normal ? On a 304 millions de personnes qui ont désormais la même monnaie et ça va entraîner des décisions fiscales, sociales importantes et cohérentes sur l'ensemble, autrement ça ne tiendra pas, est-ce qu'il est normal que jamais un citoyen n'ait son mot à dire directement sur cette affaire, en choisissant ceux qui vont diriger et en leur demandant des comptes ? Moi, je réponds que ça n'est pas normal et que quelles que soient les prudences, les réserves, les réticences, il faudra bien, un jour...
HENRI WEBER Un jour.
FRANÇOIS BAYROU Un jour prochain, le plus tôt...
SERGE MOATI Lui, il dit, " Pas tout de suite ", c'est ça, il dit que vous brûlez les étapes...
FRANÇOIS BAYROU Mais il disait déjà " Pas tout de suite pour l'euro ", il disait...
HENRI WEBER Qui ? Moi ?
FRANÇOIS BAYROU Oui...
HENRI WEBER Première nouvelle !
FRANÇOIS BAYROU ... JOSPIN...
HENRI WEBER Ce que vous dites là surprendra beaucoup ma mère !
SERGE MOATI Votre mère ?
HENRI WEBER Oui, oui
FRANÇOIS BAYROU ... JOSPIN...
HENRI GUAINO Pas Noël MAMERE !
HENRI WEBER Elle m'a toujours cru un défenseur farouche de l'euro.
SERGE MOATI Non mais attendez, rassurons la maman d'Henri WEBER !
FRANÇOIS BAYROU A gauche, à droite, il y avait des gens qui disaient... tiens, j'ai un souvenir précis ; à la table d'Edouard BALLADUR, Premier ministre en 94, il y avait un déjeuner des responsables de la majorité - c'était d'ailleurs des ambiances à couper au couteau -
SERGE MOATI Déjà ?
FRANÇOIS BAYROU Oui, vraiment. A cette époque, CHIRAC, BALLADUR, je me rappelle, ce n'était pas le grand amour. Donc ambiance à couper au couteau et à cette table, Jacques CHIRAC dit, en 94, deux ans après Maastricht, il dit " On aura la monnaie unique, peut-être dans cinquante ans ".
SERGE MOATI Vraiment ?
FRANÇOIS BAYROU Vraiment.
SERGE MOATI Prophétique...
FRANÇOIS BAYROU Mais il n'était pas seul, il n'était pas le seul...
SERGE MOATI Visionnaire...
FRANÇOIS BAYROU Tout le monde pensait que ça n'irait pas... JOSPIN en 97, au moment de la dissolution, de brillante mémoire, JOSPIN en 97, il dit, " Je ne la ferai pas, si cinq conditions ne sont pas remplies ", d'ailleurs elles n'ont pas été remplies...
HENRI WEBER Si, si, si.
FRANÇOIS BAYROU Et il l'a faite quand même.
HENRI WEBER Non, non, elles ont été remplies, c'est pourquoi on l'a faite !
FRANÇOIS BAYROU Mais non... elles n'ont pas été remplies et vous le savez très bien.
SERGE MOATI Je ne sais pas de quelles conditions vous parlez, alors...
FRANÇOIS BAYROU Aucune importance...
SERGE MOATI Economique, politique sociale...
FRANÇOIS BAYROU Gouvernement économique et politique sociale, naturellement, les conditions n'ont pas été remplies.
HENRI WEBER Non, non. Surtout l'intégration de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal, ce que les Européens du nord appellent avec un peu de mépris et de condescendance le " CLUB MED ", ça c'était la condition première et la plus importante.
FRANÇOIS BAYROU N'épiloguons pas, n'épiloguons pas, tout le monde sait ce qu'il en est et Henri WEBER aussi. Mais il dit, " On ne le fera pas si les conditions ne sont pas remplies ". Autrement dit, les deux principaux gouvernants n'y croyaient pas. Comme on a fait l'euro, alors qu'ils n'y croyaient pas, on fera l'Europe parce que c'est une nécessité que les citoyens vont exiger et emporter, quelle que soit la mauvaise volonté ou le caractère timoré des uns et des autres.
SERGE MOATI François BAYROU, au début de votre livre " Relève " paru chez GRASSET, vous dites, c'était la première phrase est terrible, " Je ne veux plus laisser mon pays se défaire ", vous en êtes là ? Franchement, vous pensez que le pays se défait ? Non sérieusement !
FRANÇOIS BAYROU Vous ouvrez les yeux !
SERGE MOATI J'essaye.
FRANÇOIS BAYROU Tous les jours...
JEAN-FRANÇOIS KAHN, DIRECTEUR DE MARIANNE Ce qui est terrible, ce n'est pas ce que vous dites, si vous permettez. Ce n'est plus, ça veut dire que jusqu'à présent vous l'aviez accepté...
SERGE MOATI C'est ça, parce que vous avez été quand même aux affaires pendant longtemps.
FRANÇOIS BAYROU Oui j'ai été aux affaires. Tous les automobilistes, qui nous écoutent, savent la différence entre être assis sur la banquette arrière et tenir le volant. J'étais...
HENRI WEBER Vous n'êtes pas descendu, quand même !
SERGE MOATI Vous n'avez pas démissionné...
FRANÇOIS BAYROU Ecoutez, bien entendu...
HENRI WEBER " Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ! "
FRANÇOIS BAYROU Bien entendu...
SERGE MOATI Ah bon ?
HENRI WEBER J'ai entendu dire ça, oui.
JEAN-FRANÇOIS KAHN Le représentant de CHEVENEMENT a totalement raison de dire ça, je tiens quand même à le dire.
CHRISTOPHE BARBIER, DIRECTEUR ADJOINT DE L'EXPRESS C'est vrai, celui qui a démissionné, celui qui a claqué la porte plusieurs fois, il a la faveur des sondages, pour l'instant, ceci explique cela.
SERGE MOATI François BAYROU donc qui n'a pas démissionné, alors notre pays se défait.
FRANÇOIS BAYROU On a le droit de mûrir, on a le droit de changer. On entre dans la carrière, comme on dit, en croyant que, après tout, ça ne va pas si mal et puis, jour après jour, quand on voit ce qui se passe, un pays où les catégories sociales ne peuvent plus s'exprimer qu'en descendant dans la rue, quels que soient la justesse et le bien-fondé des positions qu'elles expriment. Les gens ordinaires, comme disait tout à l'heure Monsieur WEBER avec un brin de... - ce n'est pas facile de trouver les mots, c'est vrai - les citoyens...
SERGE MOATI Les gens.
FRANÇOIS BAYROU Les gens.
SERGE MOATI Les Français...
FRANÇOIS BAYROU Ils sont totalement inexistants pour les pouvoirs successifs. Il y a une espèce de culture technocratique, on va dire, énarquo-connivente...
SERGE MOATI Enarquo-connivente...
FRANÇOIS BAYROU De connivence et d'énarchie, vous voyez, on se connaît tous, on emploie les mêmes mots. Il y a une espèce de culture qui fait que les gens de pouvoir vivent avec la certitude idiote, qu'on a raison en haut et tort en bas.
JEAN-FRANÇOIS KAHN Quand, par hasard, on est compris par le bas ou qu'on est d'accord avec le bas, ils disent qu'on est des populistes, ce qui en dit long, ce qui en dit très long.
FRANÇOIS BAYROU Peuple est devenu injure...
JEAN-FRANÇOIS KAHN Peuple est devenu injure, ça c'est vrai...
FRANÇOIS BAYROU Vous gardez...
HENRI WEBER Mais le populisme existe et les propos qu'on entend, à mon sens, sont des propos populistes...
FRANÇOIS BAYROU J'y viens, je vais
HENRI WEBER Et c'est d'ailleurs pourquoi CHEVENEMENT a 12 % et que vous en êtes à 3, parce que lui ne sombre jamais dans le populisme !
FRANÇOIS BAYROU Je ne suis pas à trois, Monsieur WEBER
HENRI WEBER C'est une forme de sang nouveau qu'il insuffle...
FRANÇOIS BAYROU Monsieur WEBER, ne vous fâchez pas parce que je mets en cause vos amis et vous-même...
HENRI WEBER Ce n'est pas la question...
FRANÇOIS BAYROU C'est un débat...
HENRI WEBER ... Opposer...
FRANÇOIS BAYROU Vous avez dit, on aura un débat de haute tenue. Essayons de garder la tenue...
HENRI WEBER Tout à fait.
FRANÇOIS BAYROU Les médecins, ils sont obligés de faire six semaines de grève des soins pour obtenir un rendez-vous avec le directeur de cabinet du ministre, de leur ministre, pas avec le ministre, avec le directeur de cabinet, parce que le ministre dit, " Ah non, ce n'est pas à moi de vous... " alors ça à quoi ?
SERGE MOATI Alors il faudrait faire quoi ? Vous avez connu ce genre de situations.
FRANÇOIS BAYROU Moi, je propose une idée simple. Lorsqu'une profession ou un groupe recueille la moitié des signatures de cette profession ou de ce groupe humain, la négociation devient un droit. Ils ont le droit de saisir le gouvernement et le gouvernement est obligé de s'asseoir autour de la table. Il n'est pas obligé de dire oui, il n'est pas obligé de dire amen, il n'est pas obligé de signer...
SERGE MOATI Il est obligé de parler, de recevoir, de...
FRANÇOIS BAYROU Il est obligé de s'asseoir autour de la table, j'appelle ça le droit de saisir. Et songez à ce que ça représenterait comme changement. Les gendarmes n'auraient pas été obligés de descendre dans la rue en uniforme, ridiculisant un certain nombre de...
SERGE MOATI C'est comme si vous rêviez, François BAYROU, d'un monde pacifié, d'un monde sans conflit...
FRANÇOIS BAYROU Je rêve d'un monde dans lequel les conflits seraient remis à leur place et dans lequel l'épreuve de force viendrait après négociations, et pas avant négociations. Parce que, que se passe-t-il ? Le gouvernement se ferme les oreilles, il dit " Non, je n'en ai rien à faire ", et puis les manifestations montent, le gouvernement est bien obligé, parce que les sondages bougent, de s'asseoir autour de la table, il s'assied et signe le chèque de ce qu'on lui demande. C'est une espèce de démission collective, il n'y a que de la revendication, de la surdité et quand on s'assied autour de la table, on cède.
HENRI GUAINO Vous avez raison, simplement il n'y a pas de solution institutionnelle ou juridique à la défaillance intellectuelle et morale de ceux qui gouvernent. S'ils ne veulent pas gouverner, s'ils ne veulent pas croire dans la politique, présenter des projets politiques, des projets sérieux et les mettre en uvre, alors il n'est pas possible de faire fonctionner une démocratie et ce n'est pas avec un droit de saisine qu'on y changera quelque chose. Que se passe-t-il depuis vingt ans dans l'Etat ? Depuis vingt ans dans l'Etat, les hommes politiques, en général, de droite, de gauche, du centre, ont cessé de croire à la politique et ne font plus que de la gestion, c'est bien ça, le problème. C'est que si vous refusez de regarder les problèmes en amont, en les resituant dans une perspective politique, philosophique, morale, vous êtes obligé de gérer au fur et à mesure que les problèmes surviennent. Vous parliez de l'euro tout à l'heure, je trouve que c'est un bon exemple à étudier. On peut être pour ou contre la monnaie unique, elle est là, on va faire avec. Mais moi ce qui m'a frappé dans cette affaire, c'est la manière dont on y est parvenu. On ne peut pas diriger un pays en disant, il faut faire cela, je ne peux pas faire autrement, donc je n'engage pas de responsabilité, je n'y suis pour rien, il n'y a pas d'autre solution, je ne peux pas faire autrement que faire cela et de le faire de cette manière-là, en ne se souciant pas des dégâts qu'on ...
FRANÇOIS BAYROU Pour une fois, la critique est infondée, on a fait un référendum... on a convoqué et c'est François MITTERRAND qui l'a fait contre bien des ...
JEAN-FRANÇOIS KAHN C'est l'anti-exemple par excellence !
FRANÇOIS BAYROU On a convoqué les Français, tous...
HENRI GUAINO François BAYROU, je suis d'accord...
FRANÇOIS BAYROU Et vous, vous étiez contre...
HENRI GUAINO Ça n'est pas le problème, mais ça ne suffit pas...
HENRI WEBER Le symbole même de la volonté en politique, une volonté tenace, une volonté durable...
HENRI GUAINO Ça ne suffit pas à expliquer et à légitimer sur ce qui s'est passé, notamment sur le plan des critères de convergence, parce qu'une partie des problèmes que vous soulevez vient du fait qu'on a géré, depuis vingt ans, donc bien avant Maastricht, mais Maastricht a servi un peu... à verrouiller et à figer cette manière de gouverner, on a géré l'Etat par la comptabilité, par le budget, par les grands équilibres, en ne se souciant jamais, jamais de la facture à payer. La fracture sociale, c'est une facture sociale, c'est une facture sociale et ceux qui ont dit... ceux qui ont fait de la politique sacrificielle, qui ont dit, il faut sacrifier, n'étaient pas les payeurs. Et ça, ça pose rune question qui n'est pas technique, qui est une question morale, au nom de quoi, au nom de quelles valeurs fait-on de la politique ? Comment prend-on en compte la souffrance des gens ? Ce qui s'est passé en 95, pour y revenir un instant, sur la fameuse fracture sociale, ce n'est pas qu'on a davantage trouvé CHIRAC crédible que BALLADUR ou que JOSPIN, c'est que CHIRAC a été le seul à dire, " Vous souffrez et je le sais ", les autres disaient, " Ça va bien, ça va mieux, on a bien travaillé ", ça n'est pas possible ! C'est la même erreur que commet aujourd'hui le gouvernement JOSPIN, en disant, " On a bien travaillé, on est content de soi ". Oui mais quand on regarde la France, il n'y a pas de raison d'être content de soi, qu'on soit de droite ou de gauche, il n'y a pas de raison. C'est donc une question de morale et celle-là, vous ne la résoudrez pas avec des règles de droit ou des règles juridiques.
FRANÇOIS BAYROU C'est une question morale et il n'y a de réponse aux questions morales que dans l'engagement moral des citoyens. Croire qu'un pouvoir peut se faire, alors que les gens en seraient uniquement les spectateurs lointains...
HENRI GUAINO Pas du tout, pas du tout !
FRANÇOIS BAYROU C'est être assuré de perdre. Voilà pourquoi toute idée qui permet un engagement des citoyens est une idée qui, en effet, change, non pas seulement les acteurs, mais les règles aussi.
HENRI GUAINO Donner le pouvoir à une corporation, de s'exprimer en tant que corporation nous amène au corporatisme davantage qu'à la démocratie.
CHRISTOPHE BARBIER Et le Parlement, s'il fonctionnait, permettrait ce dialogue.
HENRI GUAINO La question est dans les institutions, dans le Parlement, dans le gouvernement, dans la classe politique, dans la classe dirigeante.
JEAN-FRANÇOIS KAHN Dans les relations sociales.
HENRI WEBER Dans le paritarisme.
CHRISTOPHE BARBIER Que JOSPIN a bien malmené.
HENRI WEBER Oui, oh ça, c'est un débat.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE*
SERGE MOATI Et que doit dire monsieur BAYROU, selon vous ?
FRANÇOIS BAYROU Je vais le dire.
CHRISTOPHE BARBIER, REDACTEUR EN CHEF DE L'EXPRESS Il faut qu'il se réapproprie ce thème de la décentralisation. Il a commis la faute d'abord de dire " oui la voie corse est bonne, mais il faut faire ça pour toutes les régions. " Non, ce n'est pas possible...
FRANÇOIS BAYROU Attendez, excusez-moi, d'abord ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit...
CHRISTOPHE BARBIER En juillet 2000...
FRANÇOIS BAYROU Ce n'est pas vrai.
CHRISTOPHE BARBIER Non mais vous n'étiez pas loin.
FRANÇOIS BAYROU Non, ce n'est pas moi. J'ai dit, il y a deux problèmes que l'affaire ou que le projet du gouvernement ne résoudra pas. Le premier problème, c'est que les nationalistes n'ont pas dit " nous abandonnons la violence et nous condamnons son usage ".
CHRISTOPHE BARBIER Ils continuent à la pratiquer. Vendredi matin, une bombe...
FRANÇOIS BAYROU Au contraire, ils ont dit que c'était légitime. Première question. Et deuxième question, on a voulu, là encore manque de loyauté, on a voulu ruser en détournant l'idée de loi. Alors on s'est dit les Français, ils n'y comprendront rien, parce que la loi, c'est tellement compliqué, mais s'il y a une loi, elle s'applique partout. Autrement, il n'y a pas de loi et même dans les pays fédéraux, la loi fédérale s'applique partout.
CHRISTOPHE BARBIER Et on a détourné l'idée de décentralisation.
FRANÇOIS BAYROU Et donc racontez aux gens qu'on aurait des lois, mais que chacun pourrait faire la sienne, loi à la carte, c'était mentir et au bout du compte se préparer à ramasser en boomerang dans la figure, cette affaire. Ce qui fait que je suis sûr qu'en Corse, il y a des tas de gens qui se sentent floués et que l'on se trouve avec un projet sans queue, ni tête au fond parce qu'on n'a pas voulu affronter, comme des citoyens, poser gravement le problème grave, qui est celui de savoir ce qu'est une loi. Est-ce qu'on n'en fait pas trop ? Sur quel sujet faut-il en faire ? Mais qu'en tout cas, elle s'applique partout. Alors le gouvernement, je comprends très bien, est allé dans sa logique avec dans l'idée : soit ça passe, soit ça casse et de toute façon on nous créditera un peu d'avoir... c'est ça qu'ils avaient à l'esprit.
SERGE MOATI Vous pensez que c'est un peu manipulé ?
FRANÇOIS BAYROU Je pense qu'ils savaient exactement ce qui allait leur arriver. On ne peut pas avoir, comme directeur de cabinet, le secrétaire général du Conseil Constitutionnel, sans avoir une petite idée de ce que doit être le sort d'une loi qui contrevient aussi profondément aux principes qui sont ceux de toute démocratie.
HENRI GUAINO Ca veut peut-être dire qu'il n'y a pas forcément adéquation entre la technocratie et la compétence aussi, à propos du directeur de cabinet !?
FRANÇOIS BAYROU Là, c'est un grain de sel...
SERGE MOATI Sur l'insécurité, dans le programme de François BAYROU, par exemple entre autres exemples sur l'insécurité, qui a l'air, qui semble être le thème central de cette campagne, on ne parle que de ça. En réalité, vous proposez, entre autres propositions évidemment, la création d'un ministère de la Sécurité, qui regrouperait en son sein, la police, la gendarmerie et les douanes, c'est bien ça. Vous proposez entre autres la révision de l'ordonnance de 45 sur la responsabilité pénale des mineurs. Quel sens ? Pourquoi ? Et la création d'institutions spécialisées afin de les extraire de leur milieu, ces mêmes mineurs. Comment vous vous situez dans ce débat gauche/droite sur l'insécurité ? Comment vous réagissez, vous autres, sur les propositions de François BAYROU sur l'insécurité ? Vous avez envie de développer 30 secondes ?
FRANÇOIS BAYROU 30 secondes pour dire ce sentiment d'exaspération qui est le mien, j'imagine celui de tous les autres Français. Tout le monde dit les mêmes choses avec les mêmes mots.
SERGE MOATI Et vous ?
FRANÇOIS BAYROU Et moi, je dis que le problème ce n'est plus les mots, mais c'est comment on fait. Les mêmes mots...
SERGE MOATI Gauche/droite.
FRANÇOIS BAYROU Gauche/droite, tout en se présentant comme ennemies, n'est-ce pas. Moi, je dis qu'il y a des sujets - et la sécurité en est un -, il y en a trois ou quatre des sujets comme ça, sur lesquels les Français devraient prendre les politiques au pied de la lettre en disant " puisque vous dites les mêmes choses, faites-le ensemble. "
CHRISTOPHE BARBIER C'est idéaliste, on voit c'est une gauche qui devient sécuritaire, l'évolution... une droite qui libérée du Front National devient ultra-sécuritaire, et dans cette tectonique des plaques, vous êtes écrasés, vous, les modérés.
FRANÇOIS BAYROU Ça, c'est des étiquettes.
HENRI WEBER Je suis d'accord avec ce que vient de dire François BAYROU, là-dessus.
FRANÇOIS BAYROU Je m'en fous, moi je dis, je dis qu'il faut une démarche politique consciente et c'est en cela que je me différencie de l'approche des autres, on m'a accusé de troisième voie, voilà un point précisément sur lequel je suis en différence avec les autres candidats. Il y a des sujets sur lesquels on doit, si on veut être à la hauteur de ce que l'on raconte, on doit être capable de se réunir pour agir en prenant des engagements non pas sur des mesures - le ministère de la sécurité, je le défends, ce ne sont que des mesures - mais sur les résultats que l'on veut atteindre. Par exemple, il y a 250 quartiers, tout le monde le sait, qu'on appelle zones de non-droit, dans lesquels les autorités publiques ne peuvent pas entrer sans ramasser des cailloux. Est-ce qu'en 18 mois on peut faire que l'on passe de 250 à 0 ? Est-ce que c'est un vu pieux ? Si c'est un voeu pieux, alors c'est Jean-François KAHN qui a raison. Ce n'est plus la peine de nous faire confiance si on ne peut pas obtenir des résultats. Moi, je prétends que par les moyens énergiques qu'il faut utiliser, mais équilibrés, par ces moyens-là on peut passer de 250 à 0. A condition que tout le monde le soutienne. (...)
HENRI WEBER La réponse, nous la connaissons, mais elle prendra un certain temps à se réaliser, il faut démultiplier les centres d'éducation renforcée, les centres de placements immédiats, il faut créer des structures spécifiques pour pouvoir sortir, des 250 cités dont vous parlez, les quelques unités et quelquefois qui se comptent sur les doigts d'une main, qui créent un désordre latent...
FRANÇOIS BAYROU Henri WEBER, vous voyez, ceux qui nous écoutent, ils ont entendu ce discours 10 000 fois malgré le fait que nous ayons crée des postes. Je ne dis pas ça méchamment, parce que ce vous dites aujourd'hui, nous le disions hier.
HENRI WEBER Mais vous n'en créiez pas, vous en supprimiez ?
FRANÇOIS BAYROU Non, ce n'est pas vrai.
HENRI WEBER Vous avez supprimé 1000 postes de policiers sur Paris, du temps où vous étiez aux affaires. Il est vrai que vous n'étiez pas au volant, vous étiez sur la banquette !... Mais vous y êtes resté sur la banquette, on a vu cette suppression.
FRANÇOIS BAYROU Voilà. Voulez-vous qu'on essaie de sortir de ce jeu...
HENRI WEBER D'accord, je ne dis plus rien.
FRANÇOIS BAYROU Que tout le monde connaît par coeur.
HENRI WEBER D'accord, je reste sur ma banquette.
FRANÇOIS BAYROU La question, pour ceux qui écoutent, ces discours-là, ces mots-là, à quels actes cela correspondra-t-il ? Et quelle garantie pouvons-nous avoir que ça change ?
HENRI WEBER Là, il faut des engagements précis.
FRANÇOIS BAYROU Alors c'est pourquoi je propose, pas seulement des engagements. Je propose une deuxième idée, j'ai dit tout à l'heure le droit de saisir, pour les citoyens. Je propose le droit de savoir. On n'a aucune idée de l'évolution de la délinquance. C'est pourquoi je propose que l'on mette en place une autorité indépendante, chargée sur quatre ou cinq grands sujets, des tableaux de bord et de dire, comme on a chaque mois le chiffre de l'inflation par exemple, que l'on dise voilà, tous les six mois, les chiffres des agressions que nous établissons, nous autorité indépendante, et que nous donnons aux Français pour qu'ils sachent où on en est. Parce que les Français, ils entendent le discours des uns et le discours des autres, qui se contredisent avec des petits pics. Ils n'ont aucun élément de choix. Donnons-leur...
JEAN-FRANÇOIS KAHN Ce n'est pas ça, c'est que les Français, ils ne tiennent plus compte des éléments, ils considèrent que c'est augmentation exponentielle énorme, machin, ce qui n'est pas exact non plus.
FRANÇOIS BAYROU Les Français, ils sont en proie à ces mouvements-là, parce qu'ils n'ont aucun moyen, précis, adulte, rationnel, de juger où l'on en est. Alors le droit de savoir, c'est aussi important que le droit de saisine. (...)
JEAN-FRANÇOIS KAHN ...Que dit monsieur VAILLANT, dont je vous rappelle qu'il est ministre de l'Intérieur, ce que tout le monde ne sait pas, il dit : c'est normal qu'il y ait une augmentation de 8 %, parce que c'est les gens qui sont plus nombreux à aller porter plainte. Donc ce n'est pas grave, ce n'est pas grave. D'ailleurs, si le chômage augmente, c'est parce qu'il y a des gens plus nombreux à aller à l'ANPE, donc ce n'est pas grave. Si on dit ça, si on minimise le problème, on ne le prend pas à bras-le-corps. On ne le prend pas à bras-le-corps si on dit que ce n'est pas grave. Si c'est grave, il faut dire que c'est grave.
FRANÇOIS BAYROU Vous voyez que nous sommes exactement dans le sujet que je traitais, c'est que...
HENRI WEBER De la non-fiabilité.
FRANÇOIS BAYROU De la non-fiabilité, personne n'en sait rien. Alors on sait que ça va mal, mais à supposer que ça aille un peu mieux demain, personne ne le saurait.
HENRI GUAINO On ne peut pas avoir de certitude dans ce domaine. C'est comme dans le chômage. On n'arrive pas à mesurer le chômage, a fortiori la délinquance, on sait que ça va mal...
FRANÇOIS BAYROU Alors qu'est-ce que l'on fait, alors ?
HENRI GUAINO Ça suffit pour avoir, pour être confronté à l'impératif d'agir. Simplement...
FRANCOIS BAYROU Je ne peux pas signer la phrase, selon laquelle on ne peut pas.
SERGE MOATI On va être obligé de se quitter, alors je termine avec vous, monsieur BAYROU. Vous ne vous dites pas pour le moment, ils sont à gauche, ils ont la gauche plurielle, comment ça se fait qu'à droite on n'ait pas la droite plurielle et que ça n'aille pas mieux, plus facilement avec CHIRAC... alors pourquoi...
FRANÇOIS BAYROU Je parlais tout à l'heure de loyauté, quand on fera le bilan des bêtises et des fautes, il y a eu la dissolution de 97, une grosse bêtise et grosse faute. Il y a une faute qui est en train de se commettre aujourd'hui, c'est qu'on empêche, à droite, pas à gauche, on empêche le pluralisme naturel d'exister. On veut tuer le débat, le mettre sous le couvercle, l'empêcher en faisant miroiter aux uns, tels postes ministériels, voire primo-ministériels. Et puis, plus il y en a qui le croiront et mieux ce sera. En ayant sur les autres des dossiers plus ficelés parce que ça peut arriver...
SERGE MOATI Des petites affaires comme ça ?
FRANÇOIS BAYROU Des petites affaires comme ça. Et en empêchant ce qui devrait être le jeu normal, chaque famille présente son projet par la femme ou l'homme qu'elle a choisi(e), chacun est avec les siens et, au deuxième tour, on se rassemble. Ca, ça devrait être le minimum de loyauté. Je constate qu'il l'applique à gauche, qu'à droite c'est impossible. Or, ça va se retourner contre ceux qui ont pensé cette manoeuvre géniale, comme la dissolution en 97 qui s'est retournée contre ceux qui l'avaient pensée. Le droit du citoyen à choisir, c'est un droit élémentaire et dont il ne se laissera pas déposséder par des stratèges géniaux.

(source http://www.bayrou.net, le 13 février 2002)