Texte intégral
Madame la Présidente,
Monsieur le ministre,
Mesdames et Messieurs,
Le colloque qui vient de se tenir sur le thème des approches européennes et internationales du droit de l'internet est un moment important de la réflexion sur ce nouvel univers des réseaux et sa régulation.
Durant deux jours, à l'initiative du ministère de la justice, de l'Association pour le Renouveau et la Promotion des Echanges Juridiques (ARPEGE) et de l'Université de Paris I, réunions et tables-rondes vous ont amené à réfléchir et à partager votre expérience sur des enjeux fondamentaux pour notre société.
Les rapports de synthèse reflètent la qualité du travail accompli, la densité des échanges et l'enrichissement que procure la comparaison des différents systèmes nationaux.
Je voudrais saluer tout particulièrement la présence de nombreux représentants de pays étrangers qui ont accepté de venir en France afin de réfléchir à l'adaptation du droit international à l'évolution des technologies de l'information et de la communication.
Le réseau des réseaux présente un double visage : d'un côté outil de liberté, de l'autre vecteur de messages illicites ou délictueux.
Internet est d'abord un formidable outil de connaissance mutuelle et d'échange. Son développement peut favoriser l'amélioration des conditions de vie de nos concitoyens et la croissance économique. Internet peut également contribuer à l'essor de la liberté d'expression et de communication, comme en témoigne la crainte qu'il inspire aux régimes totalitaires.
Mais internet est également porteur de dérives et de menaces bien réelles, la dimension internationale du réseau pouvant décupler les dangers de certaines activités humaines en leur permettant de se déployer planétairement. La tragédie du 11 septembre dernier est venue nous le rappeler cruellement. Il est très probable que les responsables de ces terribles attentats utilisaient les ressources de la toile pour échanger des informations et fomenter leurs actes. L'internet peut également être utilisé pour commettre des actes illicites, pour diffuser des messages racistes ou xénophobes ou blanchir l'argent sale. Il accroît le risque d'utilisation indue des données à caractère personnel qui circulent sur le réseau.
Ces nouveaux défis réclament une réponse juridique adaptée qui concilie les impératifs de sécurité et de protection des droits de la personne avec la nécessaire préservation de la liberté d'expression et de communication.
Votre colloque a permis d'esquisser des solutions qui seront particulièrement utiles aux législateurs nationaux.
Permettez-moi de revenir sur les deux sujets principaux évoqués au cours de celui-ci :
- la détermination du droit applicable aux réseaux,
- la mise en uvre des droits sur l'internet
I - La détermination du droit applicable aux réseaux :
- Internet n'est pas une zone de non-droit
Depuis la publication du rapport du Conseil d'Etat sur internet et les réseaux numériques en juillet 1998, plus grand monde ne conteste sérieusement qu'internet ne saurait être une zone de non-droit.
La soumission d'internet au droit a pu ébranler les espoirs de ceux qui, croyant à la capacité naturelle du réseau à servir les idéaux de liberté et d'égalité, pensaient qu'il n'avait pas besoin de régulation. En réalité, le monde virtuel doit respecter le droit. Mais en contrepartie, il est protégé par le droit.
Internet est soumis aux principes de notre droit. Un message à caractère raciste diffusé sur la toile devra être considéré comme délictueux comme il le serait dans un journal ou sur une radio.
Mais internet est également protégé par le droit. Une correspondance échangée par le biais d'un courrier électronique sera, selon la jurisprudence, protégée par le secret, comme une lettre envoyée par la poste.
Le caractère transnational d'internet, la fugacité et la volatilité de ses contenus rendent toutefois indispensable une adaptation de nos règles juridiques.
La transnationalité du réseau oblige en particulier à s'interroger sur la compétence territoriale du juge et la loi applicable. Les juridictions, notamment françaises, ont eu tendance à se reconnaître compétentes dès lors que le site internet litigieux était accessible à partir de leur territoire national.
L'affaire qui a opposé en France la Ligue internationale de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, la LICRA, à la société américaine Yahoo en constitue une remarquable illustration. Si l'exécution aux Etats-Unis de la décision du juge français se heurte au premier amendement de la Constitution américaine protégeant la liberté d'expression, nous avons tous, je pense, noté avec satisfaction que Yahoo avait de fait effectivement renoncé à la vente aux enchères d'objets nazis.
La fugacité et la volatilité des contenus véhiculés sur le réseau internet invitent également à s'interroger sur l'adaptation de notre droit. Elles rendent plus difficiles, en matière pénale, la constatation de l'infraction et l'identification de son auteur.
Elles questionnent, en matière civile, les règles traditionnelles de preuve des transactions, qui sont fondées sur la suprématie du support-papier.
Votre colloque a été l'occasion de montrer qu'internet ne remet pas en cause que le droit national mais invite également à renouveler les conceptions traditionnelles du droit international, pourtant en apparence si adapté à un cyberespace mondialisé.
Comment adapter le droit à cette nouvelle réalité ou virtualité ? Comment répondre aux nouveaux besoins de sécurité juridique engendrés par l'essor des réseaux?
La réponse à ces questions ne saurait être trouvée dans l'instauration d'un ordre juridique international nouveau, transcendant tant les droits nationaux que le droit international actuel.
La mise en place d'une Alex electronica@, d'un droit mondial uniforme de l'internet, qui se substituerait à la diversité des législations nationales, et serait mis en oeuvre en ligne, par des Acybermagistrats@ eux-mêmes dotés d'une compétence universelle, ne constitue pas, à l'évidence, une réponse adéquate.
Une telle perspective inspire au contraire une réelle inquiétude, car l'uniformisation du droit qui en résulterait ne serait que la traduction d'une uniformisation parallèle des comportements, des pensées et des cultures. Dans le meilleur des mondes de l'internet, la loi unique à vocation universelle ne pourrait être que la loi du plus fort.
Les réponses doivent être recherchées dans l'adaptation de la législation nationale, l'invention de nouveaux modes de régulation et l'intensification de la coopération internationale.
- Adapter la législation nationale
Vous savez que le gouvernement français a décidé la mise en oeuvre d'un vaste chantier d'adaptation du cadre législatif et réglementaire à la société de l'information. Dans le cadre du programme d'action gouvernemental pour la société de l'information (PAGSI), lancé en janvier 1998 par le Premier ministre, diverses initiatives ont été prises en ce sens.
Il s'agit tout d'abord de la récente loi du 13 mars 2000. Complétée par le décret d'application du 30 mars 2001, elle adapte les modes de preuve aux exigences de l'environnement virtuel, en reconnaissant la valeur juridique de l'écrit et de la signature électroniques. Ce texte illustre parfaitement la démarche du gouvernement : il est procédé à l'adaptation de la norme existante afin de garantir la sécurité juridique et l'efficience de la règle de droit, sans remettre en cause les principes qui régissent la charge ou les modalités de la preuve ni ceux applicables au recueil des consentements.
Il s'agit ensuite du projet de loi sur la société de l'information. Ce projet, qui rassemble les aménagements apparaissant nécessaires ou opportuns face au développement d'internet, comporte notamment des dispositions qui facilitent l'accès des citoyens à l'information sous forme numérique, précisent le cadre juridique du commerce électronique, encadrent la responsabilité des intermédiaires techniques, favorisent le développement des réseaux numériques et renforcent les moyens de lutte contre la cybercriminalité.
Les dispositions du projet touchant aux moyens permettant aux autorités administratives et judiciaires de déchiffrer les messages cryptés et à la conservation des données de connexion ont été reprises dans la loi sur la sécurité quotidienne, définitivement adoptée par le Parlement le 31 octobre dernier.
- Inventer de nouvelles formes de régulation
A mesure que l'internet se développe, que ses conséquences sur la vie économique et sociale s'amplifient, que ses utilisateurs se diversifient, chacun a conscience que les modes de régulation publique traditionnels ne sont plus à la hauteur des nouveaux enjeux de pouvoir ainsi créés et que des modes de régulation originaux doivent être envisagés.
A la suite du rapport présenté par M. Christian Paul, alors député, un Forum des droits de l'internet a été créé sous la forme d'une association de la loi de 1901, avec pour missions l'information du public et la participation à la corégulation de l'internet à travers l'harmonisation des actions entre partenaires publics et privés. Un premier bilan de l'action de ce Forum vous a été présenté hier par Madame Isabelle FALQUE-PIERROTIN.
- Intensifier la coopération internationale
Votre colloque l'a bien montré : les solutions les plus pertinentes aux questions posées par le développement des réseaux ne peuvent qu'être internationales.
A cet égard, j'aimerais insister sur le fait que les négociations internationales sont menées avec la volonté de favoriser l'essor d'internet mais également avec la conviction forte qu'internet doit porter les valeurs que s'est choisie notre démocratie et non les amoindrir.
A cet égard, la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité constitue le premier traité international sur les infractions pénales commises contre les réseaux informatiques ou à l'aide de ceux-ci. La France entend signer cet accord international qui constitue une avancée certaine, notamment en intégrant des stipulations relatives à la lutte contre la pornographie infantile. Cette convention sera, en outre, complétée par un protocole additionnel relatif à la propagande raciste ou xénophobe diffusée par le biais des réseaux.
L'Union européenne n'est certainement pas absente de ce débat. Outre la multiplication des initiatives visant à adapter les droits nationaux à internet afin de favoriser le marché intérieur, en témoigne la décision du 24 janvier 1999 adoptant un plan d'action pluriannuel pour promouvoir une utilisation plus sûre d'internet ainsi que la décision du 29 mai 2000 relative à la lutte contre la pornographie infantile sur le réseau.
Cette inflation de textes régissant le réseau pose le problème de leur application effective et de la mise en oeuvre des droits sur internet.
II - La mise en oeuvre des droits sur l'internet
Les questions évoquées aujourd'hui dans les réunions et tables-rondes sont fondamentales. Depuis mon arrivée au ministère de la justice, l'amélioration des moyens de la justice pour garantir une pleine efficacité du droit est au coeur de mes préoccupations.
Ces questions prennent une dimension inédite à travers les progrès des technologies de l'information et de la communication. Comment assurer la protection des données à caractère personnel sur le réseau ? Comment garantir la protection des droits d'auteur ? Comment faciliter l'accès à la justice et l'exécution des décisions ?
Certaines réponses ont été esquissées au cours de la journée.
Sans revenir sur toutes les propositions qui ont été formulées, je voudrais insister sur trois points :
1 - Il faut promouvoir les mécanismes alternatifs de résolution des litiges, sans remettre en cause les principes fondamentaux que constituent le droit à un procès équitable et le droit à l'accès au juge
Vous savez l'importance que j'attache à l'accès à la justice et à une réponse diversifiée au règlement des conflits, qui ne se limite pas à la seule intervention judiciaire.
La médiation, la conciliation ou l'arbitrage semblent particulièrement bien adaptés à l'internationalité des litiges sur internet et à la nécessité d'y apporter une réponse rapide.
Dans le cadre de l'Union européenne, diverses initiatives ont été prises pour développer la résolution extrajudiciaire des litiges. J'entends les soutenir, étant précisé que cette démarche suppose le respect de certaines garanties procédurales et le respect du droit à l'accès au juge protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ce n'est que sous ces conditions que les modes alternatifs de règlement des litiges pourront se développer.
2 - La promotion des modes alternatifs de règlement des conflits doit s'accompagner d'un renforcement des moyens donnés aux juridictions étatiques pour répondre aux nouveaux enjeux de la société de l'information.
Il faut dépasser l'image trop facile d'une justice étatique rétive ou indifférente à la résolution des litiges virtuels et rebutée par la technicité de la matière. La jurisprudence, notamment française, atteste au contraire de la volonté et de la capacité des juridictions de tous niveaux d'appréhender les litiges virtuels et de leur apporter des solutions adaptées.
Au plan communautaire, le conseil européen de Tampéré, poursuivant l'objectif de création d'un espace de justice, de liberté et de sécurité, a proposé de doter les magistrats de l'Union européenne d'instruments juridiques spécifiques aptes à répondre aux nouveaux besoins nés de la transnationalité des conflits. Ce souci de rendre plus efficace la justice s'est manifesté tant en matière civile que pénale.
Ces actions ont été relayées au plan interne par diverses initiatives qui renforcent de façon significative les moyens d'action de la justice. Afin de donner à la police et à la justice les moyens de mener des enquêtes dans le monde virtuel comme elles le font dans le monde réel, la loi sur la sécurité quotidienne prévoit ainsi les conditions dans lesquelles les données de connexion doivent être conservées par les opérateurs de télécommunications à des fins pénales. Elle prévoit, en outre, les conditions dans lesquelles des messages cryptés peuvent être déchiffrés de façon juridiquement sûre, dans le cadre d'une procédure pénale.
- Il faut enfin garantir la mise en oeuvre effective des droits fondamentaux et des libertés sur internet
Il importe de veiller à ce que les possibilités techniques d'interconnexion de données, d'identification des personnes, de constitution de profils de comportements ou de copiage de contenus de toutes sortes n'en viennent à porter atteinte aux droits des personnes et des biens.
Les questions de protection des données et de respect de la vie privée sont un souci récurrent des sociétés démocratiques. Dans ce domaine, l'évolution des techniques conduit à une adaptation de la loi AInformatique et Libertés@ du 6 janvier 1978 dans le cadre de la transposition de la directive européenne du 24 octobre 1995, tout en renforçant les principes fondamentaux posés par le législateur de 1978.
Le projet de loi déposé par le Gouvernement étend ainsi les obligations qui pèsent sur les responsables des traitements, confère un caractère discrétionnaire au droit d'opposition des personnes. Il renforce également l'autorité de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, en lui attribuant de nouveaux pouvoirs de contrôle et un rôle accru dans les procédures d'autorégulation.
S'agissant de la protection du droit de la propriété littéraire et artistique, la directive du 22 mai 2001, en cours de transposition, permettra d'apporter une première réponse aux questions que peut susciter l'exploitation d'une oeuvre sur les réseaux.
Le respect des valeurs qui constituent les fondement du droit des personnes et de la sauvegarde des libertés doit être exigé de la communauté virtuelle.
La technologie n'est qu'un outil. La régulation d'internet doit être fondée sur des règles qui s'appuient sur une vision politique se nourrissant des idéaux de la démocratie.
Cessons de raisonner dans une optique purement défensive, comme si le développement d'internet ne pouvait entraîner qu'un recul des droits et des libertés. Soyons au contraire volontaires et imaginatifs afin que l'adaptation rendue nécessaire par les avancées de la technique conduise à une avancée du droit.
Je me dois à cet égard de saluer vos débats qui y ont contribué. Je vous remercie.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 21 novembre 2001)
Monsieur le ministre,
Mesdames et Messieurs,
Le colloque qui vient de se tenir sur le thème des approches européennes et internationales du droit de l'internet est un moment important de la réflexion sur ce nouvel univers des réseaux et sa régulation.
Durant deux jours, à l'initiative du ministère de la justice, de l'Association pour le Renouveau et la Promotion des Echanges Juridiques (ARPEGE) et de l'Université de Paris I, réunions et tables-rondes vous ont amené à réfléchir et à partager votre expérience sur des enjeux fondamentaux pour notre société.
Les rapports de synthèse reflètent la qualité du travail accompli, la densité des échanges et l'enrichissement que procure la comparaison des différents systèmes nationaux.
Je voudrais saluer tout particulièrement la présence de nombreux représentants de pays étrangers qui ont accepté de venir en France afin de réfléchir à l'adaptation du droit international à l'évolution des technologies de l'information et de la communication.
Le réseau des réseaux présente un double visage : d'un côté outil de liberté, de l'autre vecteur de messages illicites ou délictueux.
Internet est d'abord un formidable outil de connaissance mutuelle et d'échange. Son développement peut favoriser l'amélioration des conditions de vie de nos concitoyens et la croissance économique. Internet peut également contribuer à l'essor de la liberté d'expression et de communication, comme en témoigne la crainte qu'il inspire aux régimes totalitaires.
Mais internet est également porteur de dérives et de menaces bien réelles, la dimension internationale du réseau pouvant décupler les dangers de certaines activités humaines en leur permettant de se déployer planétairement. La tragédie du 11 septembre dernier est venue nous le rappeler cruellement. Il est très probable que les responsables de ces terribles attentats utilisaient les ressources de la toile pour échanger des informations et fomenter leurs actes. L'internet peut également être utilisé pour commettre des actes illicites, pour diffuser des messages racistes ou xénophobes ou blanchir l'argent sale. Il accroît le risque d'utilisation indue des données à caractère personnel qui circulent sur le réseau.
Ces nouveaux défis réclament une réponse juridique adaptée qui concilie les impératifs de sécurité et de protection des droits de la personne avec la nécessaire préservation de la liberté d'expression et de communication.
Votre colloque a permis d'esquisser des solutions qui seront particulièrement utiles aux législateurs nationaux.
Permettez-moi de revenir sur les deux sujets principaux évoqués au cours de celui-ci :
- la détermination du droit applicable aux réseaux,
- la mise en uvre des droits sur l'internet
I - La détermination du droit applicable aux réseaux :
- Internet n'est pas une zone de non-droit
Depuis la publication du rapport du Conseil d'Etat sur internet et les réseaux numériques en juillet 1998, plus grand monde ne conteste sérieusement qu'internet ne saurait être une zone de non-droit.
La soumission d'internet au droit a pu ébranler les espoirs de ceux qui, croyant à la capacité naturelle du réseau à servir les idéaux de liberté et d'égalité, pensaient qu'il n'avait pas besoin de régulation. En réalité, le monde virtuel doit respecter le droit. Mais en contrepartie, il est protégé par le droit.
Internet est soumis aux principes de notre droit. Un message à caractère raciste diffusé sur la toile devra être considéré comme délictueux comme il le serait dans un journal ou sur une radio.
Mais internet est également protégé par le droit. Une correspondance échangée par le biais d'un courrier électronique sera, selon la jurisprudence, protégée par le secret, comme une lettre envoyée par la poste.
Le caractère transnational d'internet, la fugacité et la volatilité de ses contenus rendent toutefois indispensable une adaptation de nos règles juridiques.
La transnationalité du réseau oblige en particulier à s'interroger sur la compétence territoriale du juge et la loi applicable. Les juridictions, notamment françaises, ont eu tendance à se reconnaître compétentes dès lors que le site internet litigieux était accessible à partir de leur territoire national.
L'affaire qui a opposé en France la Ligue internationale de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, la LICRA, à la société américaine Yahoo en constitue une remarquable illustration. Si l'exécution aux Etats-Unis de la décision du juge français se heurte au premier amendement de la Constitution américaine protégeant la liberté d'expression, nous avons tous, je pense, noté avec satisfaction que Yahoo avait de fait effectivement renoncé à la vente aux enchères d'objets nazis.
La fugacité et la volatilité des contenus véhiculés sur le réseau internet invitent également à s'interroger sur l'adaptation de notre droit. Elles rendent plus difficiles, en matière pénale, la constatation de l'infraction et l'identification de son auteur.
Elles questionnent, en matière civile, les règles traditionnelles de preuve des transactions, qui sont fondées sur la suprématie du support-papier.
Votre colloque a été l'occasion de montrer qu'internet ne remet pas en cause que le droit national mais invite également à renouveler les conceptions traditionnelles du droit international, pourtant en apparence si adapté à un cyberespace mondialisé.
Comment adapter le droit à cette nouvelle réalité ou virtualité ? Comment répondre aux nouveaux besoins de sécurité juridique engendrés par l'essor des réseaux?
La réponse à ces questions ne saurait être trouvée dans l'instauration d'un ordre juridique international nouveau, transcendant tant les droits nationaux que le droit international actuel.
La mise en place d'une Alex electronica@, d'un droit mondial uniforme de l'internet, qui se substituerait à la diversité des législations nationales, et serait mis en oeuvre en ligne, par des Acybermagistrats@ eux-mêmes dotés d'une compétence universelle, ne constitue pas, à l'évidence, une réponse adéquate.
Une telle perspective inspire au contraire une réelle inquiétude, car l'uniformisation du droit qui en résulterait ne serait que la traduction d'une uniformisation parallèle des comportements, des pensées et des cultures. Dans le meilleur des mondes de l'internet, la loi unique à vocation universelle ne pourrait être que la loi du plus fort.
Les réponses doivent être recherchées dans l'adaptation de la législation nationale, l'invention de nouveaux modes de régulation et l'intensification de la coopération internationale.
- Adapter la législation nationale
Vous savez que le gouvernement français a décidé la mise en oeuvre d'un vaste chantier d'adaptation du cadre législatif et réglementaire à la société de l'information. Dans le cadre du programme d'action gouvernemental pour la société de l'information (PAGSI), lancé en janvier 1998 par le Premier ministre, diverses initiatives ont été prises en ce sens.
Il s'agit tout d'abord de la récente loi du 13 mars 2000. Complétée par le décret d'application du 30 mars 2001, elle adapte les modes de preuve aux exigences de l'environnement virtuel, en reconnaissant la valeur juridique de l'écrit et de la signature électroniques. Ce texte illustre parfaitement la démarche du gouvernement : il est procédé à l'adaptation de la norme existante afin de garantir la sécurité juridique et l'efficience de la règle de droit, sans remettre en cause les principes qui régissent la charge ou les modalités de la preuve ni ceux applicables au recueil des consentements.
Il s'agit ensuite du projet de loi sur la société de l'information. Ce projet, qui rassemble les aménagements apparaissant nécessaires ou opportuns face au développement d'internet, comporte notamment des dispositions qui facilitent l'accès des citoyens à l'information sous forme numérique, précisent le cadre juridique du commerce électronique, encadrent la responsabilité des intermédiaires techniques, favorisent le développement des réseaux numériques et renforcent les moyens de lutte contre la cybercriminalité.
Les dispositions du projet touchant aux moyens permettant aux autorités administratives et judiciaires de déchiffrer les messages cryptés et à la conservation des données de connexion ont été reprises dans la loi sur la sécurité quotidienne, définitivement adoptée par le Parlement le 31 octobre dernier.
- Inventer de nouvelles formes de régulation
A mesure que l'internet se développe, que ses conséquences sur la vie économique et sociale s'amplifient, que ses utilisateurs se diversifient, chacun a conscience que les modes de régulation publique traditionnels ne sont plus à la hauteur des nouveaux enjeux de pouvoir ainsi créés et que des modes de régulation originaux doivent être envisagés.
A la suite du rapport présenté par M. Christian Paul, alors député, un Forum des droits de l'internet a été créé sous la forme d'une association de la loi de 1901, avec pour missions l'information du public et la participation à la corégulation de l'internet à travers l'harmonisation des actions entre partenaires publics et privés. Un premier bilan de l'action de ce Forum vous a été présenté hier par Madame Isabelle FALQUE-PIERROTIN.
- Intensifier la coopération internationale
Votre colloque l'a bien montré : les solutions les plus pertinentes aux questions posées par le développement des réseaux ne peuvent qu'être internationales.
A cet égard, j'aimerais insister sur le fait que les négociations internationales sont menées avec la volonté de favoriser l'essor d'internet mais également avec la conviction forte qu'internet doit porter les valeurs que s'est choisie notre démocratie et non les amoindrir.
A cet égard, la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité constitue le premier traité international sur les infractions pénales commises contre les réseaux informatiques ou à l'aide de ceux-ci. La France entend signer cet accord international qui constitue une avancée certaine, notamment en intégrant des stipulations relatives à la lutte contre la pornographie infantile. Cette convention sera, en outre, complétée par un protocole additionnel relatif à la propagande raciste ou xénophobe diffusée par le biais des réseaux.
L'Union européenne n'est certainement pas absente de ce débat. Outre la multiplication des initiatives visant à adapter les droits nationaux à internet afin de favoriser le marché intérieur, en témoigne la décision du 24 janvier 1999 adoptant un plan d'action pluriannuel pour promouvoir une utilisation plus sûre d'internet ainsi que la décision du 29 mai 2000 relative à la lutte contre la pornographie infantile sur le réseau.
Cette inflation de textes régissant le réseau pose le problème de leur application effective et de la mise en oeuvre des droits sur internet.
II - La mise en oeuvre des droits sur l'internet
Les questions évoquées aujourd'hui dans les réunions et tables-rondes sont fondamentales. Depuis mon arrivée au ministère de la justice, l'amélioration des moyens de la justice pour garantir une pleine efficacité du droit est au coeur de mes préoccupations.
Ces questions prennent une dimension inédite à travers les progrès des technologies de l'information et de la communication. Comment assurer la protection des données à caractère personnel sur le réseau ? Comment garantir la protection des droits d'auteur ? Comment faciliter l'accès à la justice et l'exécution des décisions ?
Certaines réponses ont été esquissées au cours de la journée.
Sans revenir sur toutes les propositions qui ont été formulées, je voudrais insister sur trois points :
1 - Il faut promouvoir les mécanismes alternatifs de résolution des litiges, sans remettre en cause les principes fondamentaux que constituent le droit à un procès équitable et le droit à l'accès au juge
Vous savez l'importance que j'attache à l'accès à la justice et à une réponse diversifiée au règlement des conflits, qui ne se limite pas à la seule intervention judiciaire.
La médiation, la conciliation ou l'arbitrage semblent particulièrement bien adaptés à l'internationalité des litiges sur internet et à la nécessité d'y apporter une réponse rapide.
Dans le cadre de l'Union européenne, diverses initiatives ont été prises pour développer la résolution extrajudiciaire des litiges. J'entends les soutenir, étant précisé que cette démarche suppose le respect de certaines garanties procédurales et le respect du droit à l'accès au juge protégé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ce n'est que sous ces conditions que les modes alternatifs de règlement des litiges pourront se développer.
2 - La promotion des modes alternatifs de règlement des conflits doit s'accompagner d'un renforcement des moyens donnés aux juridictions étatiques pour répondre aux nouveaux enjeux de la société de l'information.
Il faut dépasser l'image trop facile d'une justice étatique rétive ou indifférente à la résolution des litiges virtuels et rebutée par la technicité de la matière. La jurisprudence, notamment française, atteste au contraire de la volonté et de la capacité des juridictions de tous niveaux d'appréhender les litiges virtuels et de leur apporter des solutions adaptées.
Au plan communautaire, le conseil européen de Tampéré, poursuivant l'objectif de création d'un espace de justice, de liberté et de sécurité, a proposé de doter les magistrats de l'Union européenne d'instruments juridiques spécifiques aptes à répondre aux nouveaux besoins nés de la transnationalité des conflits. Ce souci de rendre plus efficace la justice s'est manifesté tant en matière civile que pénale.
Ces actions ont été relayées au plan interne par diverses initiatives qui renforcent de façon significative les moyens d'action de la justice. Afin de donner à la police et à la justice les moyens de mener des enquêtes dans le monde virtuel comme elles le font dans le monde réel, la loi sur la sécurité quotidienne prévoit ainsi les conditions dans lesquelles les données de connexion doivent être conservées par les opérateurs de télécommunications à des fins pénales. Elle prévoit, en outre, les conditions dans lesquelles des messages cryptés peuvent être déchiffrés de façon juridiquement sûre, dans le cadre d'une procédure pénale.
- Il faut enfin garantir la mise en oeuvre effective des droits fondamentaux et des libertés sur internet
Il importe de veiller à ce que les possibilités techniques d'interconnexion de données, d'identification des personnes, de constitution de profils de comportements ou de copiage de contenus de toutes sortes n'en viennent à porter atteinte aux droits des personnes et des biens.
Les questions de protection des données et de respect de la vie privée sont un souci récurrent des sociétés démocratiques. Dans ce domaine, l'évolution des techniques conduit à une adaptation de la loi AInformatique et Libertés@ du 6 janvier 1978 dans le cadre de la transposition de la directive européenne du 24 octobre 1995, tout en renforçant les principes fondamentaux posés par le législateur de 1978.
Le projet de loi déposé par le Gouvernement étend ainsi les obligations qui pèsent sur les responsables des traitements, confère un caractère discrétionnaire au droit d'opposition des personnes. Il renforce également l'autorité de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, en lui attribuant de nouveaux pouvoirs de contrôle et un rôle accru dans les procédures d'autorégulation.
S'agissant de la protection du droit de la propriété littéraire et artistique, la directive du 22 mai 2001, en cours de transposition, permettra d'apporter une première réponse aux questions que peut susciter l'exploitation d'une oeuvre sur les réseaux.
Le respect des valeurs qui constituent les fondement du droit des personnes et de la sauvegarde des libertés doit être exigé de la communauté virtuelle.
La technologie n'est qu'un outil. La régulation d'internet doit être fondée sur des règles qui s'appuient sur une vision politique se nourrissant des idéaux de la démocratie.
Cessons de raisonner dans une optique purement défensive, comme si le développement d'internet ne pouvait entraîner qu'un recul des droits et des libertés. Soyons au contraire volontaires et imaginatifs afin que l'adaptation rendue nécessaire par les avancées de la technique conduise à une avancée du droit.
Je me dois à cet égard de saluer vos débats qui y ont contribué. Je vous remercie.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 21 novembre 2001)