Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Une législature s'achève, une autre se profile. Comme il est normal et nécessaire à quelques mois d'une échéance décisive, le temps des projets commence donc à battre son plein. Parmi les enjeux forts pour la France des années à venir, figurent celui de la réforme de l'État en général et de la décentralisation des pouvoirs en particulier, ce que j'ai appelé, il y a déjà plusieurs mois, le nécessaire acte II de la décentralisation.. En introduction à vos débats, je voudrais avancer quelques idées sur ce thème.
En précisant d'emblée deux convictions :
Première conviction, il ne faut pas construire l'avenir avec les affrontements du passé. N'en déplaise aux nostalgiques de la Législative, de la Constituante et de la Convention, ces assemblées révolutionnaires qui ont tant apporté à notre pays, l'épais clivage, pour ne pas dire la guerre de positions entre Gironde et Montagne est largement révolu. Plus de 200 ans après la fête de la Fédération, plus de 20 ans après les lois Defferre, notre pays doit apprendre à concilier et même à conjuguer l'unité de la République avec la diversité de ses territoires. Non pas choisir l'une contre les autres ou, à rebours, sacrifier la première sur l'autel des seconds, mais penser, construire et approfondir les deux d'un seul et même mouvement. Cette synthèse est possible, elle est nécessaire. Je crois qu'elle correspond à l'idée que nos concitoyens se font de leur vivre ensemble comme à leur volonté de bénéficier de pouvoirs plus proches et plus efficaces. Seconde conviction, seconde nécessité, qui découle de la première : nous devons concevoir conjointement un acte II de la décentralisation et une nouvelle ambition pour la réforme de l'État. Savoir qui fait quoi est important, notamment du point de vue des élus et des fonctionnaires ; mais, pour les usagers et pour les citoyens, un meilleur service à un juste coût l'est tout autant. Les résultats obtenus comptent autant que les moyens consentis et les compétences transférées.
Le besoin de démocratie locale est fort ; les attentes à l'égard de l'État aussi. Pour les satisfaire, un mouvement de modernisation s'impose. Le Gouvernement a ouvert le chemin : je pense aux progrès de l'intercommunalité, je pense à l'adoption d'une nouvelle constitution budgétaire, ces deux révolutions silencieuses qui feront date. Munis de ces instruments et éclairés par d'excellentes réflexions, nous pouvons désormais envisager d'autres évolutions.
Première priorité : nous devons conférer plus de lisibilité à l'action de l'État et des collectivités locales. Ce n'est pas à l'usager de trouver son chemin pour accéder à ses droits ; ce sont les services publics qui doivent se rendre présents et disponibles pour les habitants. Pour en finir avec les chevauchements superflus de compétences et la superposition inutile des strates administratives locales, il s'agit moins de supprimer tel ou tel échelon, vieille idée qui suscite tous les blocages, que de mieux définir de qui relève telle ou telle compétence et d'affirmer le principe de subsidiarité et de partenariat entre les collectivités publiques. Les objectifs doivent être la lisibilité de la structure administrative et l'accessibilité au citoyen de l'échelon pertinent.
Dans ce but, la région doit être consolidée comme un échelon de planification et d'équipement du territoire, et disposer pour cela de compétences structurantes ainsi que d'une vraie capacité d'investissement. Une nouvelle vague de transferts de compétences Etat-région est souhaitable ; je pense en particulier à l'achèvement de la décentralisation de la formation professionnelle, au rôle qu'elles sont appelées à jouer en matière de développement économique et de soutien à la création d'entreprises ainsi qu'à des compétences élargies dans le domaine des transports et de l'aménagement du territoire. Pour le département, la mission d'administration de proximité, notamment dans le champ de l'action sociale, reste essentielle ; mais parce que la société française a changé, il faut repenser sa fonction, et mieux l'articuler avec celles des autres échelons territoriaux et administratifs. Assurer une vraie solidarité entre les territoires urbains et les zones rurales, être associé aux contrats de plan Etat-Région, nouer des partenariats avec les agglomérations, tout cela est désormais indispensable. Dans notre République des 36 000 communes - échelon essentiel -, les enjeux du développement économique, la nécessité de bâtir des projets globaux et les contraintes financières conduisent au renforcement de la coopération intercommunale. Encore faut-il que les bases soit claires : cette coopération doit être volontaire, solidaire - y compris sur le plan fiscal pour faire cesser la concurrence délétère entre les collectivités-, démocratique et efficace.
La méthode doit être souple. Sur l'enjeu sensible des transferts de compétences entre l'État et les collectivités locales, pourquoi ne pas procéder par l'expérimentation ? Au bout d'un certain délai, il devra être possible de faire le bilan coûts/avantages et de décider ou non du transfert définitif aux collectivités de ces compétences et des moyens qui les accompagnent. Cette souplesse doit aussi permettre aux collectivités qui le souhaitent d'engager entre elles de nouvelles formes de partenariat. Si l'idée d'un redécoupage technocratique et unilatéral des espaces régionaux doit être écartée, l'inter-régionalité me paraît devoir être encouragée.
Une meilleure lisibilité concerne aussi les finances locales. La spécialisation fiscale finira par s'imposer mais cela prendra du temps. L'essentiel, c'est que les collectivités locales puissent disposer de ressources stables et clairement identifiées pour mener à bien leurs politiques locales. L'essentiel, c'est que ces ressources soient bien réparties pour assurer à nos concitoyens une offre égale de service public et pour financer des besoins nouveaux comme l'intercommunalité. D'où la nécessité d'accompagner tout nouveau mouvement de décentralisation d'une péréquation supplémentaire. Celle-ci passe par une meilleure prise en compte de la situation réelle des collectivités locales. Pour cela au moins, trois pistes sont à approfondir : le renforcement de la péréquation au sein des dotations, l'amélioration des critères de répartition afin de mieux tenir compte des situations réelles de chaque collectivité, l'amélioration des outils de péréquation horizontale. Les règles d'évolution du concours de l'État aux collectivités locales devront être compatibles avec les objectifs de baisse des prélèvements obligatoires, auquel le citoyen local n'est pas moins attaché que le citoyen national, et d'équilibre des finances publiques, impératif qui s'impose à l'ensemble des administrations.
Deuxième tâche : la décentralisation devra aider à démocratiser notre République. Je plaide depuis longtemps en ce sens, bien que le terme de " statut de l'élu " ne convienne pas. Il ne s'agit pas de figer les situations ou de donner des privilèges à une catégorie de citoyens. L'objectif, c'est, en offrant de vraies garanties à ceux qui choisissent de s'investir dans la démocratie locale, d'en ouvrir plus largement l'accès. Je crois en particulier que des mesures devront être prises pour que les salariés du secteur privé puissent mieux participer à la vie publique sans exposer leur carrière professionnelle. Pour ce faire, il faut donc que les collectivités puissent être autorisées à améliorer les conditions indemnitaires, professionnelles et sociales du mandat de maire et d'élu local. Le projet de loi sur la démocratie de proximité apporte déjà certaines réponses.
Démocratiser la vie locale, c'est aussi affirmer l'intercommunalité et en démocratiser les structures. Puisque leur nombre s'accroît et que leur compétence s'élargit, il conviendra d'instaurer l'élection des conseils intercommunaux au suffrage universel direct ; pour autant, le mode de scrutin devra conserver un lien avec la commune qui doit rester la base de l'intercommunalité et permettre à chacune d'être représentée.
La démocratie locale passe aussi par l'approfondissement des droits de l'opposition. La transparence y gagnera. Le contrôle des exécutifs locaux aussi. Au total, je suis persuadé que des droits réels pour l'opposition permettront d'améliorer la gestion de nos collectivités.
La démocratie ne s'impose pas qu'aux collectivités locales. Sur le terrain et dans les quartiers, l'État doit savoir mieux écouter et mieux associer les citoyens. Cela peut passer par une meilleure représentation des usagers dans les services publics. Cela peut aussi passer par une dynamisation du débat public sur les grands enjeux de société ou même de politique étrangère. Les forums citoyens réunis autour de l'avenir de la construction européenne ont rencontré le succès. Ils permettent à des idées nouvelles de s'exprimer. Il en va de même des tables rondes organisées par le gouvernement après l'accident de Toulouse. État décideur, il le faut ; État débatteur, c'est la condition d'une décision mieux acceptée et souvent plus pertinente. Enfin, sur le plan de la démocratie, la participation aux scrutins locaux des ressortissants étrangers installés depuis un délai suffisant sur notre sol, me paraît un progrès souhaitable.
Plus lisible, plus démocratique, la décentralisation - c'est une troisième tâche - devra rendre l'action publique plus efficace. L'action publique dans son ensemble doit être plus réactive à la diversité des attentes de nos concitoyens. Tous ses acteurs doivent être mobilisés, dans un esprit de partenariat. La relance de la décentralisation appelle un surcroît de déconcentration. Si les pouvoirs locaux doivent être forts pour répondre aux besoins de proximité et de diversité, en contrepartie les représentants de l'État qu'ils ont en face d'eux doivent agir comme de vrais décideurs, capables de s'inscrire dans des logiques de projets et de construire des politiques adaptées à chaque territoire. Le développement de la contractualisation entre les administrations centrales et les services déconcentrés y aidera. Plus généralement, je souhaite que Préfets et chefs de services déconcentrés s'emparent pleinement des outils introduits par la nouvelle constitution budgétaire que nous avons adoptée cette année : des objectifs précis et une culture de l'évaluation aideront l'État local à accroître sa performance d'ensemble.
Cet objectif d'efficacité accrue se retrouve dans trois réformes auxquelles je suis particulièrement attaché. La nouvelle constitution budgétaire : ce texte a été adopté, il convient désormais aux responsables politiques et aux décideurs administratifs d'en pousser toutes les conséquences et d'en faire un levier de la modernisation de l'État Je pense aussi au nouveau code des marchés publics, réforme importante qui va simplifier la vie quotidienne de l'ensemble des administrations et qui permettra d'accroître l'efficacité économique, sociale et même environnementale de la commande publique. Je pense enfin à la réforme-modernisation du MINEFI. En privilégiant une démarche d'expérimentation, en utilisant partout où c'est possible les nouvelles technologies, notre objectif est de décloisonner les directions et d'améliorer la qualité du service. Beaucoup reste à faire, mais les premiers résultats sont déjà là. Direction unique des grandes entreprises, système d'information commun à la DGI et à la DGCP, compte fiscal électronique ou réseau MININFO, nous progressons. Je veux voir dans ces évolutions le passage d'un fonctionnement centralisé et vertical à un modèle fondé sur la continuité et la réactivité du service et l'action en réseau.
Car je suis persuadé que le partenariat sera à l'avenir un maître mot de la gestion des enjeux locaux et territoriaux. Partenariat entre les différents acteurs de la sphère publique. Pour le concrétiser, on pourrait consacrer un nouveau principe : si un usager est accueilli par une administration locale ou d'État qui ne répond qu'à une partie de ses besoins, c'est à l'administration de prendre elle-même contact avec le service pertinent et de lui indiquer la démarche à suivre. Consacrer ce principe, ce serait inciter les agents à concevoir davantage leur action en réseau et à penser les différents services publics comme autant de fils d'un même maillage. Partenariat aussi avec les représentants du secteur privé. Demain, c'est à partir de modèles de coopération souples que naîtront les réseaux locaux de croissance et d'innovation. C'est déjà le cas en matière d'hôpitaux de proximité, de services postaux, ou encore de pôles de recherche et d'enseignement supérieur.
Disant cela, je ne nie pas la mission spécifique de chacun des partenaires. Je crois en particulier que l'État ne doit pas se défausser de ses responsabilités sur d'autres acteurs. L'État moderne n'est pas un État sans ambition. Les responsabilités de l'État restent fortes en matière par exemple de sécurité et de gestion des risques, en matière de solidarité et d'accès aux droits, dans le domaine de la régulation de l'économie et du gouvernement de la globalisation. Raison de plus pour préférer le mouvement à l'immobilisme et imaginer de nouveaux modes d'action et d'intervention pour la puissance publique et les services publics.
Mesdames et Messieurs, entre attendre que les transformations s'opèrent d'elles-mêmes - ce qui reviendrait à ne servir personne -, et imposer par oukase des décisions auxquelles les uns et les autres n'auraient pas consenti - ce qui les priverait de légitimité - , il y a une méthode à trouver, il y a un chemin à privilégier. Notre société évolue, les pouvoirs et les territoires bougent, l'État se transforme. Dans peu d'années, nos agglomérations et nos régions seront plus fortes. Dans peu d'années, 50 % des agents publics actuels seront partis en retraite. Décentralisation pragmatique et État partenaire : ces évolutions sont nécessaires et elles correspondent aux attentes de nos concitoyens. L'expérimentation, l'évaluation et l'efficacité seront des maîtres mots. Je souhaite que, dans les mois à venir, elles fassent partie de nos priorités.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 20 décembre 2001)