Interview de Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement, à "France 2" le 17 octobre 2001, sur le plan pluriannuel de lutte contre l'habitat insalubre et sur l'aide à l'accession à la propriété pour les plus démunis.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde
Nous allons évidemment parler logement, et d'abord de ce plan pluriannuel sur cinq ans qui sera présenté ce matin en Conseil des ministres, lequel a pour objectif d'éradiquer en France l'habitat insalubre, parce qu'il y en a encore beaucoup.
- "Il y en a d'abord trop. Cela fait quand même 50.000 logements considérés comme très insalubres. Je pense qu'au début du XXIème siècle, un pays aussi riche et développé que la France se doit à tous ses concitoyens d'avoir..."
Quels sont les critères d'insalubrité ?
- "C'est une norme assez ancienne qui fixe les critères sur la qualité de la santé : est-ce que la santé est menacée, par exemple par l'humidité, par exemple un espace trop petit, le saturnisme, etc. Cela peut être aussi le taudis, parce qu'il y a du vent, pas de chaleur, etc. On a d'ailleurs amélioré le dispositif - ce n'est pas le plan d'aujourd'hui -, avec un décret sur le logement décent, pour monter les normes de qualité qui correspondent quand même aux progrès d'aujourd'hui."
Ce plan est prévu sur cinq ans. De quelle somme allez-vous pouvoir disposer et qu'allez-vous faire ? De la réhabilitation, de la reconstruction, les deux ?
- "Les deux. La somme a été évaluée à 4 milliards sur cinq ans. Ce dont nous avons besoin, c'est de tout un dispositif, une chaîne. La première, c'est de pouvoir reloger, quand il y a nécessité, les personnes, et c'est ce qui souvent était le blocage majeur. Là, on fait un plan notamment de grands appartements. Souvent, ce sont des familles nombreuses qui ont été refusées partout, parce que leurs ressources n'étaient pas suffisantes et qui se retrouvent dans ces taudis. La deuxième chose, ce sont des crédits pour réhabiliter. Autant faire se peut, on réhabilite et dans certains cas, évidemment il faut raser. Je prends l'exemple de Roubaix, dans le Nord : dans les anciens corons, on garde de l'ancien, mais on dégage un peu l'espace pour qu'il y ait du soleil, pour que les gens vivent normalement dans leur appartement. C'est l'ensemble du dispositif. Et puis, il y a besoin d'articuler - le cas est souvent un petit peu compliqué - ce qui procède de la santé et ce qui procède du logement. Là, on a mis des moyens pour qu'il n'y ait pas des renvois de balle entre nos deux administrations."
Comment faites-vous quand vous avez affaire à un propriétaire privé qui dit ne pas avoir l'intention de mettre un franc dans son appartement, qu'il le loue à ce prix-là, qu'il trouvera quelqu'un prêt à payer 2.000 francs pour une chambre absolument minable ?
- "Quand on est dans ce cas-là, il est sanctionné de la façon suivante : on fait une déclaration de salubrité. Il y a des degrés dans l'insalubrité. L'inspecteur vient, on fait la déclaration, on l'oblige soit à dire que c'est inhabitable, que vous n'avez plus le droit d'y loger, soit vous devez faire des travaux. La loi dit qu'à partir du moment où l'appartement est insalubre, la personne qui l'occupe peut ne plus payer le loyer, ce qui est quand même extrêmement dissuasif pour le propriétaire, parce qu'avant, il y avait des amendes, mais elles étaient dérisoires et cela ne suffisait pas. Troisièmement, la puissance publique peut dire : "On exproprie, parce que c'est inacceptable, on achète et on vous reprend le bien.""
On peut dire qu'il y aura une sorte de contrôle technique, un peu comme pour les vieilles voitures ? Le locataire pourra-t-il effectivement appeler quelqu'un en disant : "J'habite dans un endroit où, franchement, ce n'est pas normal qu'on me demande cette somme" ?
- "C'est déjà vrai maintenant. J'incite tous les locataires qui ont des doutes sur la qualité de leur appartement et de leur maison de prévenir les services d'hygiène ou les services de leur mairie, pour demander qu'il y ait un contrôle sur l'habitabilité et sur l'insalubrité, voire même sur la licence."
Donc, c'est à la mairie qu'il faut s'adresser ?
- "Ou aux services de la DDASS et aux services de l'Etat."
Deuxième projet : la mixité sociale. C'est l'idée de permettre aux ménages modestes d'accéder à la propriété. Qu'y aura-t-il ? Un don, une aide ?
- "Il y aura une subvention de démarrage de 70.000 francs, pour les personnes qui ont des ressources en dessous deux fois le Smic, en complément du prêt à taux zéro, pour pouvoir favoriser l'accession sociale à la propriété des revenus modestes et faire aussi que leur accession se fasse dans des zones urbaines mieux insérées. Aujourd'hui, une famille qui n'a pas beaucoup de ressources, qui veut faire un effort, va se retrouver très loin de la ville. C'est le premier volet. Le deuxième volet est d'aider des familles un peu moins modestes à venir dans des quartiers ou à la périphérie des quartiers dits en difficulté, mais qui sont déjà des quartiers en reconquête urbaine, où les choses vont déjà mieux."
La vraie mixité va dans les deux sens, donc ?
- "Elle va aller dans les deux sens."
On fait en sorte que les familles modestes aillent dans des "quartiers plus riches", et que les familles plus riches se rapprochent éventuellement des "quartiers modestes" ?
- "Exactement, sachant qu'évidemment, ce n'est possible que lorsqu'on a déjà commencé des démolitions, le renouveau urbain qu'on veut engager à grande échelle."
On sait qu'il y a un certain nombre de maires qui trouvent que cette mixité sociale n'est pas franchement une bonne idée et qui préfèrent payer des amendes plutôt que de se plier aux 20 % de logements sociaux qu'ils sont obligés de construire. Comment faites-vous dans ce cas-là ?
- "D'abord, je trouve qu'il y en a de moins en moins, malgré tout. Même à Neuilly, on va faire des logements HLM cette année."
A Neuilly, ce seront des HLM "haut de gamme" ?
- "Ce sont peut-être des hauts de gamme, mais ce sont quand même, dans des plafonds de ressources, des plafonds de loyer HLM. Evidemment, on sait aussi que les logements HLM d'aujourd'hui sont beaucoup mieux - raison pour laquelle tout le monde est bien d'accord pour en faire davantage - que ce qui se passait par le passé. Je dirais que, malgré tout, l'incitation financière a une certaine efficacité. Il y a une incitation culturelle et de civilisation. Quand on voit ce qui s'est passé le 11 septembre, une société et un monde où il y a d'un côté un ghettos de pauvres, des gens qui sont toujours plus pauvres, parce qu'ils sont dans leurs problèmes, et qu'on les enferme dans leur univers, pendant que de l'autre côté, vous avez une société où il n'y a que les riches d'un côté, cela ne peut être que source de violence."
Franchement, croyez-vous que ce qui s'est passé le 11 septembre va inciter à faire plus de mixité ?
- "Non, je dis que tout le monde prend conscience, il me semble - je sens quand même une lame de fond dans la société française qui est de dire - que s'il n'y a pas de mélange, si on va vers des ghettos, vers le communautarisme, nous sommes en péril collectif. Et je pense que c'est la vision qu'on a de la République au XXIème siècle."
Revenons, si vous le voulez bien, aux problèmes financiers : le prix des loyers. A Paris, c'est pratiquement impossible de trouver un appartement disponible, les jeunes et les étudiants ont beaucoup de mal, et l'indice du coût de la construction devrait passer à 3,87 - ce qui est beaucoup plus que l'inflation -, ce qui veut dire que le prix des loyers va grimper.
- "D'abord, je rappelle aux bailleurs qu'ils ne sont pas obligés de suivre l'indice de la construction. Je leur dis : "Soyez raisonnables, parce qu'après, vous aurez un problème de la manière dans laquelle vos locataires vont pouvoir suivre leur loyer." Nous avons pris des dispositions à travers un décret qui plafonne l'augmentation dans le cas de renouvellement de bail. Cela limite la hausse, mais cela ne l'empêche pas complètement. J'ai souhaité que nous changions l'indice sur les loyers. C'est un indice qui date de Mathusalem, c'est-à-dire qu'il est indexé complètement sur le prix de la construction. Aujourd'hui, pour un bailleur, le prix de son appartement, ce sont les prêts - les taux d'intérêt sont bas - ce sont les services, les gardiens, les entreprises qui viennent nettoyer. Bref, on n'en est plus dans l'indice de la construction. Néanmoins, je les appelle à la vigilance, au sérieux, à la modération."
Vous êtes à la gauche du PS, autrement dit la Gauche socialiste. Quand vous voyez tout l'émoi autour du livre d'O. Schrameck, le directeur de cabinet de L. Jospin, que dites-vous ? C'est normal, il a eu raison d'écrire ? Ou dites-vous, comme les chevènementistes, qu'il n'aurait pas dû le faire ?
- "C'est un homme libre. Je me méfie de l'Etat qui est chape de plomb, "on ne dit rien". Je crois que l'Etat peut être fort, la cohérence du pays peut être acquise, avec beaucoup de transparence, beaucoup de spontanéité, je dirais de démocratie normale. Et quand j'entends les amis de J. Chirac nous rappeler les bonnes heures du gaullisme, je leur rappelle que c'était la période de la censure, où il n'y avait pas la décentralisation, où les hauts fonctionnaires décidaient en lieu et place des politiques. Donc, il est sain que chacun s'exprime. A partir du moment où l'image de la France n'a pas été atteinte, et ne l'est pas, par le livre de monsieur Schrameck, il faut faire très attention de ne pas revenir aux vieilles lunes, toutes ces tentations de bâillonner les uns et les autres. On l'a vu, pour les plus anciens d'entre nous, c'était la période dite "faste" du gaullisme. Je préfère la démocratie moderne et ouverte d'aujourd'hui."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 octobre 2001)