Interviews de M. Lucien Rebuffel, président de la CGPME, à Europe 1 le 29 mars 1993, France-Inter le 16 avril, Europe 1 le 29 et RTL le 30, sur les difficultés des entreprises, la revendication d'un moratoire pour les dettes des entreprises et d'un gel pour l'installation des grandes surfaces et les propositions de la CGPME pour l'emploi.

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Intervenant(s) : 

Média : Europe 1 - France Inter - RTL

Texte intégral

J.-P. Elkabbach : 58 000 entreprises ont déposé leur bilan en 1992, comment résistent les petites entreprises ?

L. Rebuffel : Mal, bien entendu, essentiellement du fait du loyer de l'argent. Également du fait que les grandes entreprises fermant, les entreprises sous-traitantes tombent comme des dominos.

J.-P. Elkabbach : N'y a-t-il pas trop de petites entreprises en France qui n'ont pas su prévoir les transformations économiques et sociales ?

L. Rebuffel : Les consommateurs se plaignent de l'absence de commerces de proximité. Dans le domaine de l'industrie, il faut remarquer qu'avant la réunification, quand on pouvait faire des comparaisons, dans la catégorie des 200 à 500 salariés, il y avait 8 000 entreprises en Allemagne et seulement 4 200 en France.

J.-P. Elkabbach : Ce n'est pas l'aide de l'État qui vous a manqué ? En tout, combien de milliards touchés par les PME-PMI ?

L. Rebuffel : L'année Cresson 25 milliards, l'année Bérégovoy 26 milliards. Ce ne sont pas des cadeaux, ce sont des crédits qu'il faut rembourser. Ces crédits à taux bonifiés le sont au niveau de 8,75 % pendant que nos concurrents allemands ont des taux inférieurs de 4 point.

J.-P. Elkabbach : Qu'attendez-vous de la future majorité dans les 100 premiers jours ?

L. Rebuffel : Plus de liberté, notamment dans le domaine de la législation du travail. On ne peut pas traiter les problèmes sociaux de la boulangerie du coin comme ceux de Renault, donc il faut une législation à deux vitesses, dans tous les domaines et par branche. En même temps, dans le cadre d'un libéralisme tempéré, je demande l'intervention de l'État car le libéralisme tempéré que nous définissons pose le problème de la place et du rôle de l'État.

J.-P. Elkabbach : Vous demandez au prochain gouvernement de stopper la dégradation de l'emploi, de baisser les taux d'intérêt, mais ce gouvernement ne peut pas agir tout seul, comment faire ?

L. Rebuffel : Sur le plan des taux d'intérêt, la France doit rester fidèle à son alliance avec l'Allemagne.

J.-P. Elkabbach : Vous voulez un moratoire pour toutes les dettes des PME-PMI ?

L. Rebuffel : On ne peut pas chiffrer, mais je demande que le gouvernement accorde un moratoire c'est-à-dire un échelonnement des dettes sociales et fiscales et également la discussion d'un rééchelonnement des emprunts avec les banques pour toutes les entreprises qui le méritent.

J.-P. Elkabbach : Vous réclamez le gel pendant deux ans de la création de toute grande surface ?

L. Rebuffel : Je ne sais pas si ça passera, je le réclame, et je dirai à mes adhérents de choisir les candidats qui leur promettront. Nous l'avons vu dans Paris, il n'y a eu aucune grande surface, et nous avons des commerces de proximité maintenus et un service au consommateur correct. Si nous avions eu deux grandes surfaces, une rive droite, une rive gauche, il y aurait eu au moins 50 000 personnes sur le tapis.

J.-P. Elkabbach : Avez-vous chiffré le coût de vos demandes ?

L. Rebuffel : Ce sont des propositions. Je ne suis pas tenu par l'article 40, et je n'ai pas à chiffrer les propositions que je fais. Au demeurant, ce manifeste est un contrat de législature.

J.-P. Elkabbach : À quelle contrepartie vous engagez-vous ?

L. Rebuffel : Nous sommes prêts à déférer à toutes les invitations du gouvernement, en présence même des syndicats ouvriers, car je suis pour la politique contractuelle et pour le paritarisme.

J.-P. Elkabbach : Vous engagez-vous à créer un certain nombre d'emplois ?

L. Rebuffel : Vous m'accordez beaucoup de puissance. Je suis prêt à dire que toutes les entreprises s'efforceront d'employer. Sur les 3,5 millions d'entreprises que représentent l'agriculture, les professions libérales, l'artisanat et les PME, il y en a 1,2 million qui n'ont aucun employé. Si on peut délocaliser le bulletin de salaire, si on le fait faire ailleurs, ces entreprises-là pourraient en employer de 5 % à 20 %, c'est-à-dire 120 000 par exemple. Avec 120 000 vous équilibrez l'UNEDIC.

J.-P. Elkabbach : Vous donnez des consignes de vote ?

L. Rebuffel : Non, mais implicitement nous demandons plus de liberté.

J.-P. Elkabbach : Si la majorité actuelle vous répond favorablement, vous faites voter pour elle ?

L. Rebuffel : Chacun connaît mes choix personnels, si j'ai une quelconque autorité morale sur mes adhérents et qu'ils veulent bien me faire confiance, ils sauront pour qui voter.

 

16 avril 1993
France Inter

France Inter : On parle d'un gel de l'implantation des supermarchés, ce n'est pas une suppression !

L. Rebuffel : C'est déjà un pas et je suis sûr de me faire l'interprète de centaines de milliers de petits et moyens commerçants et artisans de France devant cette mesure de bon sens, qui a été prononcée devant les sénateurs. Pourquoi ? Parce que le Sénat est la représentativité par excellence des 36 000 communes de France et de toutes les collectivités territoriales. Il y a eu dans la démarche du Premier ministre un souci d'intérêt général qui touche à la désertification des campagnes, la déstructuration des centres villes et de l'approvisionnement des consommateurs.

France Inter : La loi Royer n'a pas été un succès. Balladur a-t-il une chance de faire mieux ?

L. Rebuffel : La loi Royer a eu un effet certain. Elle a été souvent détournée et d'une manière grossière, en contravention grave avec la loi, en forme de délits. Il s'agit de la réécrire et non pas comme une loi de protection mais comme une loi d'équilibre. Il ne s'agit pas de supprimer les grandes surfaces. Je pense qu'il y a encore en France la place pour des grandes surfaces.

France Inter : Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui considèrent que la mesure Balladur est une mesure de poujadisme ?

L. Rebuffel : Je récuse le terme. Il est insultant. Il faut une pause des grandes surfaces pour que tous les acteurs de la vie économique puissent se réunir pour arrêter cette folie qui consiste à faire en sorte que désormais les campagnes se désertifient.

France Inter : Vous ne pensez pas que les grandes surfaces vont s'implanter à l'étranger et créer des emplois ailleurs ?

L. Rebuffel : Vous partez d'un postulat : développer de l'emploi. Si c'était cela, je le regretterais. Je m'inscris en faux: elles détruisent les emplois, des dizaines de milliers de PME qui sont allées au tapis à cause d'elles.

France Inter : L'épicier de village ne pourra jamais pratiquer les prix de la grande surface !

L. Rebuffel : Ce que vous dites comporte une part de vérité et de contre-vérité, comme ma réponse. Vous ne pouvez pas faire de telles comparaisons. Un commerçant centre-ville paye par exemple un loyer extraordinairement levé par rapport à une grande surface qui s'est installée en rase campagne. Le consommateur est condamné à faire des kilomètres pour aller s'approvisionner. Je ne dis pas que les grandes surfaces ne puissent pas vendre certains produits moins chers que le commerçant de proximité mais la chose me parait naturelle. C'est une notion de service. Et si au bout du compte on devait considérer qu'il ne doit plus y avoir qu'une grande surface par département qui satisfasse les Français, eh bien soit !


29 avril 1993
Europe 1

S. Paoli : Est-ce que vous pouvez mesurer les effets de la baisse des taux sur la dynamique des entreprises ?

L. Rebuffel : À ce jour non. Mais il y a toujours des délais de latence. L'analyse de G. Milési est excellente, je l'épouse totalement. J'y ajouterai un autre constat positif. C'est qu'historiquement, les taux à long terme n'ont jamais été aussi bas. Par conséquent, deux rayons de soleil importants. Le fait que tout cela s'accompagne d'une décrue des taux allemands fait qu'il y a confiance dans les taux. C'est au-delà de ce que nous pouvions espérer.

S. Paoli : Et les entreprises ?

L. Rebuffel : Pour le moral, c'est bon. Le carburant, c'est la confiance. Pour les décisions d'investissement, il y a beaucoup d'entreprises en France qui sont concurrentielles et cela fera des frais financiers infiniment moindres lorsqu'elles auront à emprunter. Pas de doute et c'est heureux. Il faut savoir qu'aujourd'hui nous traversons une période catastrophique pour les PME. Nous restons toujours demandeurs vis-à-vis du gouvernement sur deux points. Le premier point, ce sont des mesures de soutien dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. Ce sont de bonnes décisions. Mais il y a des entreprises qui n'ont pas encore de marché et qui meurent d'infarctus de trésorerie. Nous demandons pour elles des mesures propres à leur permettre de tenir. Ce sont des mesures d'urgence. J'estime que la première des mesures est de garder les entreprises en vie. Le gouvernement doit intervenir pour faire la police dans les délais de paiement entre les entreprises elles-mêmes, il y a des délais de paiement trop longs.


30 avril 1993
RTL

J.-J. Bourdin : Les PME sont les plus touchées ces derniers mois ?

L. Rebuffel : Ce sont elles qui, jusqu'ici, représentaient l'espoir suprême de création d'emploi. Aujourd'hui, le tissu des PME se déchire en profondeur dans notre pays: 150 000 PME sont allées au tapis en 3 ans, 60 000 l'année dernière (dont 10 000 industrielles) et nous sommes sur la pente des 70 000 cette année.

J.-J. Bourdin : Vous recevez en permanence des lettres et des témoignages de cadres ou d'employés au chômage. Vous avez même reçu le témoignage de deux polytechniciens au chômage.

L. Rebuffel : Je reçois en effet des CV impressionnants. Je rappelle qu'à l'ANPE sont inscrits 2 200 médecins ainsi que 2 000 dentistes.

J.-J. Bourdin : Que vous a dit M. Giraud ce matin ?

L. Rebuffel : Je lui ai fait huit propositions. J'ai très vigoureusement demandé une lutte accrue contre les faux chômeurs. Le mot ne plaît pas aux hommes politiques en général !

J.-J. Bourdin : Que vous a-t-il répondu ?

L. Rebuffel : Oui. Même si le mot ne lui a pas plu. À l'UNEDIC, il est arrivé qu'on puisse à hauteur de 28 % attribuer des indemnités de chômage à des gens qui avaient déjà trouvé un emploi. J'ai demandé également des coups de poing forts contre le travail au noir.

J.-J. Bourdin : Il y a beaucoup de chefs d'entreprises qui emploient des travailleurs au noir ?

L. Rebuffel : Comme dans tous les corps sociaux. J'ai demandé aussi la protection de nos frontières, il n'y a pas de raisons que les Américains protègent leurs frontières. Nous avons des différences de salaires dans le domaine du textile, à compétence égale, de un à 70.

J.-J. Bourdin : Où en êtes-vous pour les charges fiscales concernant les PME ?

L. Rebuffel : Les ministres eux-mêmes n'en savent rien. Nous avons un Premier ministre qui semble être autoritaire et dur, comme son nom l'indique. Il a raison car les arbitrages ne sont pas achevés. J'espère que nous pourrons avoir satisfaction sur la relance dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. Je pense qu'il y aura quelque chose pour assurer des mesures incitatives à l'emploi.

J.-J. Bourdin : Rien ne semble être annoncé pour les PME ?

L. Rebuffel : Je sais que le gouvernement a un plan quinquennal pour les PME et que des mesures seront prises concernant probablement les exonérations de charges.

J.-J. Bourdin : Si le gouvernement fait des efforts, vous engagez-vous solennellement à embaucher ?

L. Rebuffel : Bien sûr. Aujourd'hui même je lance un appel public à toutes les entreprises avec force les appelant à un effort national car il s'agit d'un fléau. Tous ces jeunes qui sont désormais au chômage, ce sont nos fils. Voilà ce que nous devons tous comprendre collectivement. Ce qui est en cause, c'est la paix sociale : il ne faut pas que tout cela se termine dans la rue.