Texte intégral
Installé le 2 avril 1993 au sixième étage de l'hôtel des ministres à Bercy, avec vue plongeante sur la Seine, Edmond Alphandéry s'est vite jeté à l'eau pour mettre en œuvre les réformes prévues par le programme de la nouvelle majorité parlementaire. En moins de huit mois, le ministre de l'Économie a en effet enchaîné les textes de loi et mis en musique les grandes décisions financières arrêtées par Édouard Balladur. Réforme de la Banque de France, loi de privatisations, lancement emprunt Balladur, mise en œuvre d'une nouvelle politique de l'épargne, privatisation de la BNP puis de Rhône-Poulenc… Un bilan conséquent, compte tenu de la difficulté des temps, et qui fait du ministre de l'Économie notre financier de l'année 1993. En exclusivité pour Option Finance, il remet ici en perspective la politique économique suivie depuis avril par le gouvernement Balladur et en commente les principales orientations.
Option Finance : Sept mois déjà que vous êtes installé au ministère de l'Économie. Pouvez-vous resituer les principales mesures que vous avez prises depuis avril dans la cohérence de la politique économique et financière du gouvernement et faire un premier bilan ?
Edmond Alphandéry : Lorsque nous sommes arrivés au gouvernement, quelle était la situation ? Nous traversions une récession importante dont il s'agissait de sortir au plus vite. Pour ce faire, il fallait trouver les marges de manœuvre nécessaires. Or, étant donné le poids des prélèvements obligatoires d'un côté, le déficit très important dont nous héritions de l'autre, il n'était possible ni de laisser filer le budget, ni de trouver de nouvelles ressources fiscales. Nous avons décidé d'augmenter la CSG parce qu'il était indispensable, pour restaurer un climat de confiance, d'afficher notre volonté d'assainir les comptes, et notamment les comptes sociaux qui étaient les plus déséquilibrés. Mais il était exclu de rechercher d'autres ressources en augmentant les impôts, ce qui n'aurait de toute manière pas été efficace pour le redressement de l'activité. Bref, nous n'avions pas de ressources, nous avions des dettes et des déficits à gérer, mais aucune marge de manœuvre pour financer la relance. Il nous a donc fallu faire preuve d'imagination : d'où l'idée de mettre au service du redressement économique l'épargne courte détenue par les ménages et par les entreprises pour un montant qui s'élève, respectivement, à 800 et 490 milliards de francs.
Au cours de ces dernières années, les Français ont en effet accumulé beaucoup d'épargne sous forme de sicav de trésorerie. Ils l'ont fait d'abord en raison du profil très particulier de la courbe des taux d'intérêt. Les taux courts étaient en effet, jusqu'à récemment, dans l'ensemble de l'Europe, très nettement supérieurs aux taux longs. Cela rendait évidemment les placements courts très intéressants. Mais ils l'ont fait aussi parce que la fiscalité sur les placements à court terme était devenue anormalement avantageuse. Pouvait-on remettre cet argent dans le circuit et l'utiliser pour faire repartir l'économie ? Cette question fut le point de départ de notre réflexion. Elle a donné lieu à un ensemble de mesures diversifiées, mais qui ont une grande cohérence financière : une politique monétaire visant à restaurer une courbe des taux plus classique, un grand emprunt, l'emprunt Balladur, visant à consolider des placements courts en placements longs et à financer des opérations utiles à la reprise économique, une réforme de la fiscalité de l'épargne et, pour couronner le tout, un ambitieux programme de privatisations visant à conduire les placements à court terme vers des emplois productifs. Tout cela procède d'une même philosophie.
Option Finance : Une des premières priorités que vous avez affichées lors de votre arrivée au ministère de l'Économie, c'est la baisse des taux d'intérêt. Vous estimez-vous satisfait des premiers résultats obtenus et pensez-vous qu'à leur niveau actuel les taux ne constituent plus un obstacle à la reprise ?
Edmond Alphandéry : Le ralentissement de l'activité économique se conjuguant à une maîtrise de l'inflation presque partout en Europe devait se traduire, à un moment où à un autre, par une baisse des taux d'intérêt. Elle s'est produite : les taux d'intérêt, qu'ils soient au jour le jour, à trois mois, à deux ans, à dix ans, à trente ans ont baissé. Les taux de marché sont tous aujourd'hui en dessous de 7 %. Mais aussi – et je dirai surtout – la structure des taux est revenue progressivement à une situation plus normale, même si les taux courts sont toujours légèrement supérieurs aux taux longs. Ce deuxième phénomène, sans doute moins visible que le premier pour les non-professionnels, est aussi important. C'est lui qui nous a permis de lancer – avec le succès que l'on sait – l'emprunt "Balladur", en profitant de l'opportunité que représentait le fait que le différentiel de taux d'intérêt entre taux courts et taux longs était en train de se réduire. Encore fallait accélérer le mouvement. C'est pour cela que j'ai pris l'initiative de proposer d'exonérer de plus-values de cession les personnes qui plaçaient leur sicav de trésorerie dans un PEA en attente de l'emprunt Balladur. Les Français ont admirablement compris l'intérêt de cet avantage fiscal. Tout cela va dans le bon sens, et n'est pas seulement le fruit des circonstances mais aussi le résultat d'une politique économique et monétaire sérieuse et crédible. Tant mieux !
Pour autant, tout n'est pas joué. Beaucoup trop de gens s'imaginent que l'économie fonctionne comme une voiture : on met le contact, on enclenche la vitesse, on appuie sur l'accélérateur et la voiture part à toute allure ! Mais les économistes savent bien qu'il faut un certain délai avant que la politique monétaire ne commence à produire ses effets. Rien n'est immédiat.
Option Finance : La réforme de la fiscalité de l'épargne constitue l'autre volet de votre politique de mobilisation financière. Dans quel esprit avez-vous pris les premières mesures ? Quelles sont celles que vous souhaitez prendre dans les prochains mois ?
Edmond Alphandéry : Les premières mesures s'inscrivaient dans la logique dont je viens de parler : recycler l'épargne "courte" vers des placements plus longs, utiles au soutien de l'activité économique. L'emprunt Balladur a drainé 110 milliards de francs : c'est le plus gros montant jamais placé en France. La première raison de ce succès est évidemment l'effet de confiance envers le Premier ministre, Mais il est probable que le "coup de pouce" qui a été donné à cette occasion à la sortie des sicav de trésorerie était le signal qu'attendaient les Français. J'en veux pour preuve que sur ces 110 milliards, 70 milliards sont venus des sicav de trésorerie. C'était exactement le but recherché.
Au-delà de cette première initiative, mon ambition était de procéder à une réforme plus en profondeur de la fiscalité de l'épargne, placée sous le triple signe de l'efficacité, de l'équité et de la simplicité. J'ai pour ma part toujours été convaincu qu'une bonne fiscalité de l'épargne était une fiscalité aussi neutre que possible, qui ne perturbe pas les rentabilités "naturelles" des divers placements. Le drame de la fiscalité de l'épargne à la française, c'est que l'on a toujours voulu des produits nouveaux bénéficiant d'avantages spécifiques sans veiller à préserver cette hiérarchie naturelle. Le résultat est que la fiscalité de l'épargne était devenue un véritable "maquis fiscal". Il était urgent de rétablir l'équilibre et de rendre leur attractivité aux placements longs ou risqués, afin d'inciter les ménages à aller, par exemple, vers le logement ou le financement de l'investissement.
À partir de cette idée simple, nous avons procédé avec persévérance et cohérence. Première étape, au printemps, nous avons décidé d'exonérer des plus-values de cession les sicav de trésorerie qui étaient transférées dans un PEA, donc vers des placements en actions. Nous avons poursuivi cet effort dans la loi de Finances pour 1994 en prenant la même disposition en faveur du logement. Cela s'inscrit dans la logique du recyclage des placements courts vers les placements longs.
Mais nous avons été beaucoup plus loin dans le sens de la neutralité et de la simplicité : les mesures que je viens de proposer au Parlement dans le cadre du budget pour 1994 ont, en effet, pour résultat de ramener de 85 % à 15 % le prélèvement libératoire sur les revenus de la quasi-totalité des placements financiers et bancaires, et d'élargir abattement général de 8 000 francs pour un célibataire (et 16 000 francs pour un couple) dont disposaient actions et obligations à de nombreux produits bancaires. En bref, les distorsions fiscales qui existaient entre les divers placements disparaissent pour la plupart !
C'est une grande réforme, favorable à l'épargne et aux épargnants !
Option Finance : Le choix de la BNP comme première entreprise privatisée, était-ce pour assurer le succès grâce au réseau bancaire ?
Edmond Alphandéry : Si j'en crois les sondages, ce n'était pas une banque que les petits porteurs s'attendaient à se voir proposer comme première entreprise privatisée. Mais la BNP est une excellente entreprise ; elle était prête, et il m'a semblé que c'était là un signe très fort de notre détermination dans la politique de privatisation que de commencer par l'une de nos plus grandes banques, connue de tous, et ayant un grand poids dans l'économie du pays. Il est évident que le réseau de la BNP s'est beaucoup mobilisé. Mais les autres réseaux ont aussi réussi des performances de placement tout à fait remarquables, alors même qu'il s'agissait de placer les titres d'un concurrent. Je n'ai jamais douté du succès mais, très franchement, je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait 2,8 millions d'actionnaires. J'ai été très frappé d'apprendre que 39 % d'entre eux n'avaient encore jamais détenu d'actions.
Option Finance : Le choix de Rhône-Poulenc comme deuxième entreprise privatisée a-t-il été dicté par le souci de choisir une entreprise dont la privatisation réussisse à tous les coups ?
Edmond Alphandéry : Rhône-Poulenc est effectivement aussi une excellente entreprise, qui a su faire évoluer son portefeuille d'activités de manière dynamique. C'était donc un choix assez naturel. De surcroît, j'ai souhaité qu'après la BNP, ce soit de préférence une entreprise industrielle qui soit privatisée et Rhône-Poulenc m'a paru tout à fait prête à rejoindre le secteur privé. Tous les atouts étaient donc a priori réunis. Mais, vous savez, une privatisation, ce n'est jamais gagné d'avance !
Option Finance : Quelles sont maintenant les prochaines privatisations ?
Edmond Alphandéry : Vous savez que le décret de privatisation pris l'été dernier comportait quatre entreprises. Il en reste deux à privatiser : Elf, qui fera l'objet d'une opération de marché, et la Banque Hervet, établissement de taille moyenne qui sera privatisé hors marché. La privatisation d'Elf Aquitaine interviendra en fonction des conditions de marché. Il ne m'est donc pas possible, à ce stade, de faire d'annonce sur un calendrier précis. Quant à la Banque Hervet, la Commission de la privatisation a commencé à travailler sur le dossier. Le cahier des larges pour l'appel d'offres sera bientôt prêt. Il sera alors immédiatement rendu public.
Option Finance : Quelles leçons tirez-vous de votre politique de privatisation ?
Edmond Alphandéry : La politique de privatisation s'avère être un succès pour trois raisons. D'abord, le gouvernement a su créer un climat favorable. La politique de consolidation de l'épargne que nous avons menée n'y est évidemment pas étrangère. Alliée à la baisse des taux d'intérêt, elle a permis une bonne santé du marché boursier. Par ailleurs, le pari fait sur l'actionnariat populaire s'est révélé un bon choix. Et pourtant, que n'avait-on entendu à ce sujet avant l'été ! On nous disait que cela ne marcherait pas, que les Français n'avaient plus d'appétit pour la Bourse… La deuxième raison du succès c'est, bien entendu, la qualité des entreprises privatisées. La troisième c'est incontestablement le savoir-faire avec lequel ces opérations sont menées. Les investisseurs, tant individuels qu'institutionnels, ont d'ailleurs très bien réagi aux innovations que nous avons introduites : le préplacement pour les particuliers, la construction du livre d'ordres (book-building) pour les institutionnels. Cela nécessite beaucoup de professionnalisme. Tout cela fait qu'après la privatisation de Rhône-Poulenc, nous allons dépasser l'objectif que nous nous étions fixé de 40 milliards de francs d'ici à la fin de l'année. J'en suis évidemment très satisfait. Notre objectif 94, à savoir 55 milliards, me paraît également réaliste.
Option Finance : Dans sa dernière note de conjoncture, l'Insee évoquait un raffermissement de l'activité économique. La reprise est-elle au coin de la rue ?
Edmond Alphandéry : Il est vrai que depuis cet été on observe un faisceau d'indices favorables de plus en plus large. Sans que l'on puisse véritablement parler de reprise, il semble bien que la confiance se raffermit. Qu'il s'agisse de la production industrielle ou de la consommation de biens durables, tout se passe comme si les premiers effets de la politique de soutien à l'activité économique se faisaient sentir. La construction de logements neufs donne aussi des signes d'amélioration. Les promoteurs immobiliers signalent ainsi qu'à l'heure actuelle les ménages sont prêts à consacrer d'importants moyens de financement à l'acquisition d'un logement. Je note également que les chefs d'entreprise de l'industrie tablent sur une stabilisation de l'investissement en 1994, après trois ans de forte baisse. La baisse des taux d'intérêt observée au cours des douze derniers mois n'est probablement pas étrangère à ce dégel progressif de la demande. Il y a donc aujourd'hui dans l'économie française de nombreux éléments favorables à un redémarrage. Cela suffit-il pour prédire une reprise de l'activité en 1994 ? Personnellement, j'ai dit, dès le mois de septembre, que j'étais confiant à ce sujet. Dans l'ensemble, les signaux actuels indiquent une sortie probable de la récession. Rien aujourd'hui ne me conduit donc à revenir sur cette prévision. Cela signifie-t-il pour autant que notre scénario soit à l'abri des aléas de la conjoncture ? Certes non. En période de redémarrage, les progrès ne sont pas rectilignes. Le chaud alterne parfois avec le plus frais. Ce qui importe, c'est que la tendance générale soit orientée dans le bon sens. Certes, il faut également prendre en compte les tendances de fond chez nos partenaires : la reprise de l'économie française dépend en partie de celle de nos voisins. Si le redémarrage de l'économie allemande se faisait attendre, nous en subirions probablement quelques conséquences. Mais je pense que l'économie allemande repartira progressivement dans le courant de l'année prochaine.
Option Finance : Les entreprises françaises vous semblent-elles bien placées pour profiter d'une amélioration de la conjoncture internationale ?
Edmond Alphandéry : Je le pense. De nombreuses entreprises françaises sont dans les starting blocks. Pourquoi ? Parce que leur compétitivité est bonne en raison d'un coût du travail dont la progression est restée modérée. Sur une base 100 en 1987, les coûts salariaux sont aujourd'hui de 119,4 dans l'Union européenne, de 132,7 en Allemagne et de 110,8 en France. Bref, les entreprises françaises sont performantes à l'exportation. Les statistiques du commerce extérieur en témoigneraient à l'évidence, même si elles doivent être interprétées avec un peu plus de précaution que d'habitude en raison du nouveau système de comptabilisation des importations et des exportations introduit avec l'entrée en vigueur du marché unique. On observe par ailleurs un faible endettement des entreprises et des taux d'utilisation des capacités de production relativement faibles, ce qui signifie que nos entreprises sont prêtes à réagir à la moindre étincelle de la demande de nos partenaires.
Option Finance : Vous avez mis en chantier en avril dernier la réforme de la Banque de France. Certains estiment aujourd'hui qu'il n'y a pas d'urgence à installer l'indépendance de l'institut d'émission avant la phase 3 de l'UEM. Estimez-vous que le débat puisse rebondir au cours des prochaines semaines par un nouveau recours devant le Conseil constitutionnel ?
Edmond Alphandéry : La réforme de la Banque de France me tient particulièrement à cœur. C'est une grande et vraie réforme. Nous aurions pu nous contenter d'une "réformette" et laisser la politique monétaire dans les mains du pouvoir politique. Tel n'a pas été le cas. À l'été, le Conseil constitutionnel s'était contenté de dire que certaines dispositions n'étaient pas conformes à notre Constitution tant que le traité de Maastricht n'était pas ratifié. Dès lors que le traité sur l'Union européenne est entré en vigueur le 1er novembre dernier, cet argument disparaît. Il est donc naturel que le gouvernement soumette à nouveau sans attendre au Parlement les dispositions en cause. Le traité prévoit que les États membres doivent entamer le processus conduisant à l'indépendance de leur banque centrale au cours de la seconde phase qui débute le 1er janvier 1994. La France entend ainsi donner l'exemple. Elle se trouvera en situation de pouvoir participer en bonne position aux travaux nécessaires pour l'entrée en troisième phase.
Option Finance : Quelles sont les réformes que vous souhaitez mettre en chantier au cours des mois qui viennent ?
Edmond Alphandéry : Vous avez pu constater que le gouvernement était animé d'un esprit de modernisation et de réforme. En ce qui concerne les domaines de ma compétence, la réforme de la Banque de France et la mise en chantier des privatisations en donnent de bons exemples. Pour l'avenir, parmi les grands dossiers qui figurent sur mon bureau, on trouve notamment celui des fonds de pension et celui de la Caisse des dépôts et consignations. Car j'entends bien poursuivre l'effort de modernisation du secteur financier français.
Option Finance : Quand serez-vous prêt à présenter un projet de loi pour les fonds de pension à la française ?
Edmond Alphandéry : Mon souhait est d'être prêt au printemps. Le dossier des fonds de pension va demander beaucoup de concertation. J'ai demandé au Premier ministre de me confier cette mission. Il a accepté et m'a demandé d'engager les consultations nécessaires, d'organiser une réflexion interministérielle à laquelle seront parties prenantes notamment Simone Veil et Nicolas Sarkozy. Il est naturel d'y associer tout particulièrement les partenaires sociaux, les banquiers et les assureurs. La France doit rattraper son retard en la matière, retard qui est d'abord préjudiciable aux retraités eux-mêmes. Dès l'instant où notre pays a durablement vaincu l'inflation, il est dommage de voir délaissé cet immense secteur qui est un moyen pour les Français de se constituer des retraites complémentaires. Il ne s'agit évidemment en aucun cas d'ébranler le régime par répartition. J'entends bien montrer en quoi la capitalisation peut constituer un moyen de consolider les retraites par répartition. Et non un moyen de s'y substituer. En pratique, les fonds de pension sont utiles pour les retraites mais également pour le succès des privatisations, pour les marchés financiers, pour la consolidation de l'épargne longue, pour les investissements des entreprises, pour le financement global de l'économie française. C'est un magnifique chantier que je suis très heureux d'ouvrir.
Option Finance : La récente publication des propositions AFB a relancé le débat sur la réforme de la Caisse des dépôts et consignations. Que comptez-vous faire ?
Edmond Alphandéry : Là encore, mon souhait est de pouvoir proposer un texte au printemps. J'ai demandé au Premier ministre de me donner le temps nécessaire pour regarder en profondeur un dossier qui ne m'est pas étranger puisque j'ai été membre de la commission de surveillance de la CDC pendant cinq ans. La Caisse des dépôts est une institution vaste et compliquée, à laquelle incombent des missions d'intérêt général et des activités qui sont plus ou moins d'ordre concurrentiel. Il y a donc un problème de clarification des missions, de simplification, et aussi de meilleur contrôle des opérations. Lorsqu'on aborde la réforme d'une institution aussi ancienne – la CDC est née en 1816 – il faut être à la fois audacieux et prudent. Audacieux parce que ce n'est pas la peine de faire la réforme d'un établissement de cette importance pour "accoucher d'une souris" et prudent parce que la Caisse des dépôts remplit un rôle spécifique, utile au fonctionnement des pouvoirs publics. C'est dans cet esprit que ma réflexion s'engage. Je tiens également à ne pas démotiver un personnel tout à fait compétent. La réforme devra se faire avec lui ; elle ne peut se faire sans lui.
Option Finance : Les revendications des banquiers commerciaux traditionnels et qui sont en filigrane du document AFB vous paraissent-elles légitimes ?
Edmond Alphandéry : Ces propos n'engageaient que l'AFB.
Option Finance : Le président de la Bundesbank affirmait récemment qu'il ne voyait plus tellement de marge de baisse pour les taux longs allemands. Diriez-vous la même chose des taux longs français et le niveau atteint aujourd'hui est-il suffisant pour relancer l'investissement ?
Edmond Alphandéry : Sur les taux d'intérêt, la comparaison avec les pays voisins est éclairante. Nos taux longs sont parmi les plus bas en Europe, à peine supérieurs aux taux allemands et inférieurs aux taux britanniques. Nos taux courts sont juste supérieurs aux taux allemands et britanniques, mais inférieurs aux taux belges, italiens et scandinaves. Pour l'avenir, nous entendons maintenir le cap de la stabilité interne et externe de la monnaie, qui constitue le fondement de notre politique monétaire.
Option Finance : De nombreux observateurs notent aujourd'hui la différence d'état d'esprit qui règne de chaque côté du Rhin : les Allemands réagissant de manière plus offensive que les Français à la crise. Que souhaitez-vous dire aux acteurs de la vie économique française dans cette période difficile ?
Edmond Alphandéry : Je veux leur dire qu'ils doivent avoir confiance en eux. Les étrangers qui observent notre économie pensent que nous avons des atouts exceptionnels que nous avons tendance à sous-estimer. J'en veux pour preuve l'immense intérêt que représente notre pays pour les investisseurs étrangers. Les Français n'ont donc aucune raison de perdre le moral. C'est vrai qu'il y a des entreprises qui sont en difficulté, des licenciements. Mais notre appareil de production est très compétitif. La France marche ! … La machine repartira, si elle ne l'a pas déjà fait.
Option Finance : D'un point de vue personnel, quelle expérience retirez-vous de vos premiers mois à Bercy ? Vous avez utilisé un jour l'expression "se colleter avec la réalité". Qu'en est-il aujourd'hui ?
Edmond Alphandéry : Quand vous acceptez un poste comme celui que j'occupe, en période de récession alors même que le budget est très déficitaire, donc sans marge de manœuvre, que le chômage augmente, que la société est impatiente et souhaite voir des résultats que vous ne pouvez lui donner dans l'immédiat, il est évident que la tâche est lourde. Je savais donc que j'acceptais une responsabilité difficile. De ce point de vue, l'expression "se colleter avec la réalité" est tout à fait appropriée. Mais la tâche est exaltante. Être ministre de l'Économie, c'est l'occasion pour moi de transcrire dans l'action la somme des expériences et des convictions que j'ai acquises. En tant qu'économiste, j'avais beaucoup réfléchi aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. En tant que parlementaire et élu local, j'ai acquis une certaine vision des réalités du terrain. J'y tiens beaucoup. J'ai aussi vu de près ce qu'était la gestion d'une entreprise puisque j'ai présidé la CNP pendant cinq ans. C'est une grande mission que d'être à la tête d'un outil fantastique de professionnalisme et d'efficacité. Car "Bercy", comme vous dites, est réellement une grande maison !