Texte intégral
L'outre-mer français, ces dix collectivités, départements et territoires sans lesquels notre Nation n'aurait ni la même âme, ni les mêmes atouts, l'outre-mer français et ses quelques deux millions d'habitants connaissent aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, des difficultés sans précédent.
Dans leur nature, ces difficultés sont le plus souvent semblables à celles que rencontre la métropole ; comme ici, elles se nomment chômage, exclusion sociale, immigration, essoufflement de l'activité économique, crise de l'agriculture et du monde rural, difficulté à maîtriser la croissance urbaine, défi de la formation et de l'éducation des jeunes, nécessité de contrôler l'intégration dans l'ensemble communautaire européen…
Mais l'outre-mer ajoute, par ses spécificités, par ses handicaps structurels propres, une dimension caricaturale – et parfois oppressante – à ces difficultés qui sont celles de la France.
Sait-on, parlant de chômage, que la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion connaissent des taux de chômage oscillant entre trente et quarante pour cent de la population active ? La situation actuelle de la Réunion serait celle d'une France métropolitaine connaissant 12 millions de chômeurs !
Sait-on, s'agissant d'immigration, que d'ici quelques mois en Guyane, la population étrangère l'emportera en nombre sur la population française ?
Sait-on, lorsque l'on réfléchit aux problèmes de formation et d'emploi des jeunes que plus de 40 % de la population d'outre-mer a moins de 20 ans et qu'à Mayotte, par exemple, ce taux dépasse 60 % ?
Sait-on, lorsqu'on évoque la crise agricole que la disparition des deux filières d'exportation que représentent pour les DOM la banane et les produits dérivés de la canne à sucre amputerait leur économie de 120 000 emplois ?
Sait-on, lorsque l'on se penche sur les difficultés du bâtiment et des travaux publics, qu'en outre-mer on assiste sur 1992-1993 à des taux des replis d'activité compris entre 25 et 30 %, là où en métropole une baisse de 5 % suffit à faire parler de crise grave ?
L'une des tâches les plus essentielles que je m'assigne en tant que ministre des Départements et Territoires d'outre-mer est de faire connaître aux Français de métropole et d'abord à la représentation nationale, la réalité de ces difficultés trop souvent ignorées ou évoquées parfois avec trop de désinvolture ou de légèreté.
L'outre-mer, ses populations, ses élus attendent légitimement que la France apporte une réponse à la mesure des problèmes qu'ils rencontrent.
Une réponse qui, au-delà des slogans et des démagogies, dessine une approche nouvelle du développement économique et social fondé certes sur la solidarité mais aussi sur la responsabilité et la confiance dans les capacités humaines, culturelles, économiques des populations et des collectivités de l'outre-mer.
Cette priorité du développement requiert de l'audace, de la stabilité, de la sécurité.
De l'audace car ce n'est pas en appliquant à nouveau les recettes du passé ou les routines administratives que l'on donnera à l'outre-mer sa chance de succès.
Le retard de développement que connaît l'outre-mer doit avoir au moins pour conséquence positive que l'on n'essaye pas d'y mettre en œuvre des approches, des démarches, des politiques qui ont fait en métropole la démonstration de leur inefficacité et que l'on accepte de traiter, enfin, des situations spécifiques avec des moyens spécifiques.
De la stabilité ce qui suppose de mettre fin à la remise en cause permanente des institutions de l'outre-mer. Au cours des années passées, les réformes statutaires ont trop souvent servi de prétexte pour masquer l'absence de projets réels. Aujourd'hui le développement économique et social justifie la mobilisation à son profit de toutes les énergies : il faut décréter la paix institutionnelle.
L'image que présente la Nouvelle-Calédonie, depuis qu'avec les Accords de Matignon un cadre stable a été offert à son développement, nous y encourage et je saisis l'occasion qui m'est données de réaffirmer la volonté du Gouvernement et de tous les signataires de ces accords que j'ai rencontrés d'en respecter scrupuleusement l'application.
De la sécurité enfin, ce qui exige que l'État assume les missions qui sont les siennes et qu'il veille, au premier chef, au respect de la légalité républicaine, de l'ordre public et du bon fonctionnement de la justice.
En outre-mer, comme ailleurs, l'autorité de l'État doit être restaurée pour assurer à chacun le respect de ses droits et l'égalité devant la loi.
La politique conduite par le gouvernement depuis quelques semaines s'inspire de ces principes et témoigne d'une prise en compte pleine et entière des préoccupations de l'outre-mer.
L'outre-mer a ainsi bénéficié de façon équitable des dispositifs de relance du logement et des travaux publics. Je n'emploie à ce qu'il en soit de même dans le cadre des mesures décidées en faveur de la politique de la ville.
Dès le collectif budgétaire, une relance très forte de la défiscalisation des investissements en outre-mer a été actée qui constitue un dispositif nouveau et ambitieux marquant la doublé volonté du gouvernement de corriger les abus spéculatifs parfois constatés dans le passé et d'encourager fortement les investissements productifs dont l'outre-mer a besoin.
S'agissant de la situation financière catastrophique des régions de Martinique, Guadeloupe et Guyane, j'en ai mesuré sur place les effets terriblement dépressifs sur l'activité économique locale.
J'ai donc, dès mon retour, mis à l'étude un dispositif qui permettrait aux régions de régler leurs dettes à l'égard de leurs fournisseurs, de disposer de marges de manœuvre pour l'avenir, et de retrouver la confiance des prêteurs. Après concertation nouvelle avec les régions concernées, je proposerai dans les toutes prochaines semaines un tel dispositif au Gouvernement et au Parlement. Il exigera de la part des régions rigueur et maîtrise durable de leur gestion.
En matière agricole, j'ai conduit, à la demande du Premier ministre, une démarche qui s'est révélée efficace auprès de la Commission Européenne pour que la France puisse enrayer la très grave crise commerciale qui menaçait l'existence même de la production bananière antillaise.
M. Édouard Balladur, s'est personnellement mobilisé pour obtenir des autorités canadiennes une relance des négociations qui sont déterminantes pour l'avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon et il m'a demandé d'en assumer personnellement la conduite du côté français.
Dans les mois à venir, le gouvernement poursuivra cette action résolue en faveur du développement de l'outre-mer autour de deux axes forts qui sont autant de défis :
Premier défi : mieux intégrer l'outre-mer dans l'Europe.
En quelques années, la dimension européenne est devenue essentielle pour l'outre-mer français. Comme toujours cette irruption est porteuse à la fois de chances et de menaces.
L'Europe, grâce aux fonds structurels, apporte à nos départements d'outre-mer des chances accrues de développement. Dans la conjoncture difficile que nous traversons, les financements nationaux et locaux doivent se structurer autour de ces financements communautaires pour les compléter et en maximiser l'effet sur l'économie des DOM.
Mais la France doit rester vigilante notamment dans la défense des productions agricoles traditionnelles de l'outre-mer qui doivent bénéficier d'une légitime préférence communautaire dont le sacrifice au profit de conceptions ultra libérales du commerce international serait désastreux.
Deuxième défi : lutter contre l'instauration progressive dans l'outre-mer d'une société d'assistanat.
Les transferts sociaux de la métropole vers l'outre-mer sont nécessaires et légitimes. Mais, plus qu'aujourd'hui, il faut trouver les moyens d'investir les ressources de la solidarité nationale dans la création d'emplois et le développement économique, plutôt que dans une assistance destructrice sur le plan social.
C'est un vaste chantier qui demande réflexion et concertation mais qui appelle également une action rapide et déterminée. Je sais que les élus de l'outre-mer y sont prêts et qu'ils s'y consacrent déjà. Le Gouvernement dans sa réflexion tiendra le plus grand compte de leurs propositions. Dès l'automne, j'espère pouvoir développer devant vous des projets qui marqueront les premiers pas sur cette voie.
Telles sont les orientations de mon action, elles sont très clairement fondées sur un principe de responsabilité et de partenariat.
C'est tous ensemble, avec les responsables politiques et économiques de l'outre-mer que nous pourrons construire le redressement de l'outre-mer.