Article de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, dans "Revue politique et parlementaire" de mai 1998, intitulé : "La Société de l'information au service de l'aménagement du territoire".

Prononcé le 1er mai 1998

Intervenant(s) : 
  • Dominique Voynet - ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral


Cette société du tout numérique, issue de la convergence d'abord de l'informatique et des télécommunications, puis progressivement de l'audiovisuel, génère une dématérialisation de l'économie et bouleverse tous les processus de production et de consommation. Elle fait apparaître de nouveaux métiers, transforme les métiers traditionnels et exige une nouvelle organisation du travail.

Cette mutation globale évoque dans son ampleur et son impact ce que fut au XIXe la révolution industrielle. Elle peut être particulièrement favorable au développement régional sur les plans économique, social et culturel.

En effet, le traitement de l'information, base de cette révolution, concerne tous les processus de production marchands ou non marchands (dans l'agro-alimentaire, l'industrie, la médecine, les transports, l'enseignement, la culture...). Il s'immisce autant dans la conception des biens et des services que dans la fabrication, la gestion, la distribution ou le service après-vente. Ce traitement de l'information prend la forme de ce que l'on a coutume d'appeler les téléservices et les téléactivités. Rien ne s'oppose à ce que ceux-ci, compte tenu de la présence de différents réseaux de télécommunication, puissent être accueillis sur la quasi-totalité des territoires et créer des emplois.

Cette opportunité résultant de l'abolition de la contrainte spatiale devrait être facile à saisir pour les aménageurs du territoire, puisque le traitement de l'information s'accompagne d'une gestion du processus de production et de localisation, segment par segment, de telle sorte que la localisation territoriale de chaque segment permette une optimisation en termes de qualité et de coût. Il faut cependant bien avoir à l'esprit que cette pratique peut inciter à la localisation d'activités hors de notre territoire, mais elle peut également provoquer l'inverse, c'est-à-dire attirer des activités étrangères en France.

On peut noter que ces activités tertiaires sont d'autant plus intéressantes qu'elles occupent à la fois une place de plus en plus stratégique dans le système productif et qu'elles représentent une proportion très importante des coûts de production des biens et des services.

En termes de consommation, il en va de même. L'accès aux téléactivités et aux téléservices (télé-enseignement, commerce électronique, téléconseil, télémédecine...) n'a aucune raison a priori de ne pas être identique pour tout citoyen, qui devrait pouvoir bénéficier de l'expertise des réseaux de compétence.

En termes d'emploi, les effets de développement des techniques de l'information et des télécommunications sont multiples.

Dans certains secteurs, ce développement s'accompagne d'une réduction d'emplois, comme dans le secteur bancaire ou celui des agences de voyage, par exemple. Mais il est extrêmement difficile de mesurer le solde net d'emplois puisque la disparition d'emplois dans un secteur peut s'accompagner de création d'emplois dans des filiales ou dans la sous-traitance. Ainsi en va-t-il de la disparition de certains emplois bancaires, de guichets, alors que se développent les centres de téléconseil en ligne. Dans d'autres domaines, l'essor des technologies de l'information et de la communication (TIC) a incontestablement un effet positif sur l'emploi. C'est le cas notamment des télécommunications, de l'informatique mais aussi des téléservices et des téléactivités... L'exemple des Etats-Unis - où près de 65 % des emplois créés aujourd'hui le sont dans les technologies de l'information - et de la Grande-Bretagne est à ce sujet édifiant. Les centres d'appel d'Ecosse ont créé ces dernières années 45 000 emplois.

Ce qui paraît acquis dans le contexte de la mondialisation, c'est que les effets négatifs sur l'emploi, subis à défaut d'être acceptés, seront plus que compensés par les effets positifs, à condition d'une mobilisation de tous les acteurs. Au premier rang d'entre eux figure l'individu, dans sa capacité et sa volonté à s'approprier ces technologies, mais aussi les entreprises, les collectivités et l'Etat.

Le bilan chiffré de ces nouvelles pratiques est actuellement impossible à estimer, mais il semble acquis que les emplois créés seront supérieurs aux emplois détruits. Mais il n'est pas sûr que la France sera en situation de bénéficier de cette opportunité. Les nouveaux métiers exigent des qualifications spécifiques et des formations professionnelles et continues de proximité. Et le développement du télétravail, dont l'intérêt pour l'aménagement du territoire a été souvent démontré par la DATAR, exige une profonde remise en cause de l'organisation même du travail.

Cette mutation en profondeur de la société induite par les nouvelles technologies de l'information renvoie à un nouveau rapport de l'individu au travail, mais aussi à la connaissance et au temps libre. Il s'agit là d'une révolution culturelle, affectant les mécanismes et les structures du pouvoir au sein des entreprises et plus généralement les modalités des échanges et les rapports de force dans l'ensemble de la société.

Le problème posé par cette révolution technologique et culturelle ne peut se résumer à une analyse en termes de gains de productivité et d'emplois résiduels, il se pose aussi en termes de création de nouvelles activités, à partir de nouveaux usages, dont la reconnaissance échappe pour partie aux critères de l'économie marchande d'aujourd'hui.

Il y a dans cette perspective, incontestablement, une spécificité européenne à défendre, reposant sur des pratiques sociales innovantes, une coopération nouvelle entre les membres de la société et des choix politiques clairement assumés.

Cela passe selon moi, notamment, par des efforts de sensibilisation, de formation, d'innovation, et par un engagement financier à la mesure des défis qu'il nous appartient de relever : effort de positionnement stratégique de nos industries, effort de solidarité, garantissant l'utilisation de cet outil au bénéfice d'une plus grande cohésion sociale et territoriale.

La dynamique du changement en cours devra vraisemblablement plus encore au mouvement social qu'à la technologie de l'information stricto sensu.

Dans ce nouveau contexte, l'action de mon ministère s'élabore autour de la notion d'équité territoriale susceptible de garantir les conditions d'attractivité et de compétitivité des territoires. L'attractivité des territoires est fondée sur la capacité d'accès à des services d'intérêt général modernes, de qualité et à un coût abordable. Leur compétitivité est liée à la possibilité d'avoir accès à des bouquets de services, à des bases de données spécialisées, aux marchés mondiaux, et à des services publics efficaces. Ces facteurs influent aussi bien sur la localisation des téléservices et téléactivités marchands que sur l'implantation des entreprises dans leur ensemble.

En décembre l997, le gouvernement a lancé le premier plan devant faciliter l'entrée de la France dans la société de l'information. Ce plan fait une large place à l'aménagement du territoire, à qui il est demandé de très nombreuses actions tendant à l'équité territoriale.

Dans cet esprit, j'ai souhaité faire publier à la Documentation française 26 évaluations significatives de projets de téléservices et de téléactivités dans des domaines aussi divers que ceux de l'administration des collectivités locales, de la santé, de la formation ou des PMI-PME. L'extrême diversité des porteurs de projets confirme le fait que tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle sont concernés par le développement de la société de l'information.

Par leur qualité, ces évaluations auront, j'en suis certaine, un effet d'entraînement qui incitera de nombreux acteurs de la vie économique ou administrative à se lancer dans ces nouvelles méthodes de production et d'échange.

J'ai également, le 14 avril 1998, lancé trois appels à projet dans des domaines que j'ai jugé prioritaires. Ces appels à projet ont pour objectif de cofinancer des projets innovants, démonstratifs et reproductibles, à développer dans les zones rurales et de reconversion.

Ces appels à projets concernent :

• Les bibliothèques, qui sont un lieu privilégié pour démocratiser l'usage des nouveaux outils, et l'accès aux contenus culturels numérisés. Il s'agit de ne pas créer une nouvelle population d'exclus : les exclus de la société de l'information.
• Les nouvelles pratiques pédagogiques, qui sont essentielles pour l'avenir de nos enfants. Il s'agit de donner à chaque élève, quel que soit son lieu de vie, accès à des savoirs et à des connaissances qui ne sont pas proposés dans son établissement scolaire et qu'il souhaite acquérir.
• La formation à l'usage des téléservices pour les très petites PMI-PME correspond à leur nécessaire adaptation aux nouvelles règles du marché et, comme je l'ai dit précédemment, aux requalifications indispensables face aux bouleversements des modes de production. En effet, la pratique de la télémaintenance, de la télé-assistance, du commerce électronique, des échanges de données informatisées, permet l'adaptation de ces entreprises à leur environnement économique et facilite la création de nouveaux emplois.

Mais au delà du suivi de l'ensemble de ces opérations, j'ai souhaité, dans le cadre du programme gouvernemental pour la société de l'information, que la DATAR assure un suivi des conditions de déploiement des réseaux et services de communication sur tout le territoire, afin de pouvoir constater les disparités existantes et que soit recommandées les actions nécessaires pour y remédier.

Il me paraît nécessaire de se montrer vigilant à l'égard des disparités autant territoriales que sociales. C'est la dynamique même du processus d'entrée dans la société de l'information qui est en jeu, autant que le bénéfice que l'on peut en attendre collectivement.

Le développement des technologies de l'information sur l'ensemble du territoire, au plus près des besoins de chacun, doit bénéficier d'une politique d'accompagnement des pouvoirs publics, et d'un contrôle démocratique sur les choix de société et les arbitrages qu'il induit au plan local comme au plan national.

Les opérateurs, en privilégiant la conquête des parts de marché mais aussi la rentabilité, n'ont pas vocation à aménager le territoire, ni à intégrer et à former les populations à ces technologies. L'offre et la demande spontanées ne suffisent pas, il faut contribuer à organiser la demande, par la prise de conscience par tous les acteurs des enjeux attachés à ces technologies.

Les discussions sur la convergence conduites par la France à partir du Livre Vert élaboré par la Commission européenne, soulignent que le libre jeu des forces du marché ne permettra pas, seul, d'atteindre des objectifs d'intérêt général, d'efficacité ou d'optimum économique.

La société de l'information ne sera pas seulement ce que les forces du marché en feront, elle sera aussi la résultante de la volonté des politiques. Il en va de leur responsabilité.

Les travaux conduits sur l'état du déploiement des réseaux et des services de communication sur l'ensemble du territoire, serviront de base à l'élaboration d'un schéma de services collectifs de l'information et de la communication.

Ce schéma renvoie aux conditions d'accessibilité géographique de l'ensemble du territoire, à celles de l'accessibilité économique - les services doivent rester à un coût non discriminant pour l'usager - et au calendrier de déploiement des services offerts aux usagers en matière de services administratifs, d'éducation, de santé ou de culture.

Il vise à assurer une mise en cohérence du processus de développement des technologies de l'information sur ensemble du territoire. Ainsi, ce schéma devra définir les principes et les orientations sur lesquels s'appuiera le processus d'élaboration des schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire, et la négociation des futurs contrats de plan Etat-Régions.

Cet argumentaire m'amène tout naturellement, au-delà des constats et des analyses. à souligner la volonté de l'Etat de corriger les disparités constatées, et à soulever la question du financement de l'égalité territoriale.

Cette question peut être traitée dans le service universel et la prise en compte, par ce service, des enjeux d'équité territoriale. Elle peut aussi justifier, compte tenu des difficultés et des délais attachés à la modification du contenu du service universel au plan européen. la mobilisation de moyens financiers spécifiques.

Le projet de loi pour l'aménagement durable du territoire prévoit un schéma de services collectifs de l'information et de la communication destiné à définir les orientations pour garantir un développement simultané et cohérent de l'usage des téléservices sur l'ensemble du territoire, dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la culture et des services administratifs.

Ce schéma reprend le dispositif de suivi des conditions d'accès aux services d'information et de communication sur l'ensemble du territoire, sous la forme d'un rapport bi-annuel au Parlement, qui devrait proposer les modalités financières permettant de satisfaire à l'exigence d'égalité des territoires en remédiant progressivement aux disparités territoriales constatées.

Je reste convaincue qu'en mobilisant tous les départements ministériels concernés, aux côtés des collectivités locales, nous parviendrons à faire de la révolution numérique une chance pour renforcer l'attractivité de tous les territoires, mais aussi améliorer la qualité de vie de chacun.