Interview de M. René Monory, président du Sénat, dans "Les Dernières nouvelles d'Alsace" du 31 juillet 1998, sur le rôle du Sénat et le mode d'élection des sénateurs, la modernisation de la vie politique et l'état de l'opposition.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Les Dernières Nouvelles d'Alsace

Texte intégral

DNA - Alors, dissipée cette brouille de printemps avec Jospin, après ses propos un peu rudes sur le Sénat, « une anomalie parmi les démocrates » ?

René Monory
Je n’ai jamais été fâché avec Jospin, il nous a attaqués. Nous nous sommes revus et je crois que nous trouverons à la rentrée des rapprochements significatifs. La loi anti-cumul, en tant que loi organique, n’a aucune chance de passer si le Sénat est hostile. De deux choses l’une : ou le premier ministre laisse les choses en l’état, puisque son projet de réforme (un seul mandat) ne passera pas. Ou il se range à la proposition sénatoriale – un mandat national et un mandat local. Ce serait la sagesse, puisqu’en réalité il y a encore plus de députés que de sénateurs favorables à cette issue.

DNA - Et pour la réforme du mode d’élection des sénateurs, accusé de ne plus refléter la réalité sociologique du pays ?

René Monory - Je suis ouvert à la discussion, sans pour autant accepter de diktat. Les députés n’ont pas à nous imposer notre mode d’élection. Mais nous verrons cela après notre renouvellement de septembre.

DNA - Après ces élections, le Sénat élira son nouveau président. Vous avez déjà accompli deux mandats et dépassé largement l’âge légal de la retraite. Pourtant, vous envisagez de vous représenter à un moment où l’opinion réclame renouvellement et rajeunissement de ses hommes politiques.

René Monory - Il y a des hommes politiques qui sont vieux très jeunes et d’autres qui restent jeunes un peu plus longtemps. Je voyage beaucoup, je reviens de Pologne, frais comme un gardon. Mon emploi du temps est déjà une réponse en soi. Tout dépend de la façon dont on travaille. Ceux qui ne font rien se ramollissent. Moi je suis toujours en mouvement. Et puis, on verra bien : si mes sénateurs ne veulent pas de moi, ils me le diront en temps voulu. S’ils veulent de moi, j’essaierai de faire mes trois ans et ce sera fini après.

DNA - Et pour ce dernier mandat, un projet fort ?

René Monory - Oui, développer la dimension internationale du Sénat. Sur ce point, nous sommes devenus, ici, un interlocuteur privilégié. Et surtout, achever la rénovation du travail intérieur du Sénat. C’est nécessaire, car la modernisation va très vite. Je crois pouvoir dire que nous sommes à la pointe du combat.

DNA - Il y a aussi un débat très nourri sur le rôle du Sénat. François Grignon, sénateur du Bas-Rhin, se montre très novateur en proposant que le Sénat devienne, pour les questions, touchant la décentralisation du territoire, la chambre déterminante, celle qui a le dernier mot. Qu’en pensez-vous ?

René Monory - François Grignon est un sénateur de grand talent dont je connais en effet les idées. En matière d’aménagement du territoire, le Sénat a finalement toujours été le patron. N’allons pas trop loin dans la volonté de la réforme pour ne pas heurter l’Assemblée, surtout que ces six derniers mois, plus de 50 % des amendements définitivement votés émanaient du Sénat. N’en demandons pas trop. Et puis, nous allons avoir du travail ! La réforme Voynet sur l’aménagement du territoire arrive, et nous devons combattre, car le ministre ne comprend pas grand-chose à la notion de territoire.

DNA - Dernier « grand chantier » qui se dessine, la modernisation de la vie politique, qui passe par un toilettage de la Constitution.

René Monory - Je dis d’emblée « attention ! ne touchons pas trop la Constitution », car on va finir par ne plus la reconnaître. Ou alors il faudrait carrément passer à la « sixième » (République) et moi je ne suis pas trop d’accord. Ne soyons pas des boulimiques de la réforme constitutionnelle.

DNA - Le président Chirac vient de verrouiller le projet du quinquennat. La réforme ne se fera pas. Votre avis ?

René Monory - De toute manière, ce n’est pas le moment, en pleine cohabitation. C’est une réforme qu’il faut faire au moment d’une élection présidentielle. Elle viendra sûrement un jour. Mais il faut savoir qu’alors on entrera dans le régime présidentiel, à l’américaine.

DNA - L’opposition part en vacances plutôt mal en point. Votre diagnostic ?

René Monory - Quand on part en vacances, c’est généralement parce qu’on est fatigué… alors ne dramatisons pas. La droite est un peu déboussolée en ce moment. On le serait à moins après la dissolution et les régionales ! Mais n’oublions pas dans quel état était le PS en 1993 ! Simplement, je pense que l’opposition doit s’efforcer de trouver des réponses aux problèmes cruciaux et nouveaux posés par la mondialisation plutôt que de se déchirer sur les problèmes de personnes. C’est ce que les gens attendent de nous : être des hommes d’action et non des politiciens dans le mauvais sens du terme. Et puis, dans les circonstances, les hommes se révèlent. Je ne suis ni inquiet, ni ému par le bulletin de santé de l’opposition.