Interviews de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à RTL le 24 juin 1994, France-Inter le 28, RMC le 1er juillet et France 2 le 5, sur l'augmentation du SMIC, les engagements à demander aux entreprises en contrepartie de la baisse des charges sociales, sur le financement de la Sécurité sociale (idée d'une TVA sociale), et sur la lutte contre le chômage.

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Intervenant(s) : 

Média : RTL - France Inter - RMC - France 2

Texte intégral

RTL : Vendredi 24 juin 1994

Q. : La revalorisation du SMIC interviendra le 1er juillet et la traditionnelle négociation entre partenaires sociaux se tiendra lundi prochain. Il n'y aura pas de coup de pouce pour le SMIC. La loi sera appliquée rigoureusement. Le SMIC passera à 6 900 francs. Vous auriez souhaité que le gouvernement donne un petit coup de pouce ?

R. : Bien sûr. Nous aurions tout simplement souhaité que le gouvernement convienne qu'il est normal que des salariés qui sont payés au SMIC soient augmentés dans leur pouvoir d'achat de la même façon que la moyenne des autres salariés. Il faut donc augmenter le SMIC de 2,7 % au 1er juillet et non de 2,1 % comme le propose le gouvernement. C'est la position que nous défendrons fermement. Pas tous seuls, avec les autres syndicats aussi, lundi, devant le ministre du Travail.

Q. : Vous avez une chance que ces 0,6 % soient « coupés », que l'on vous donne 0,3 % par exemple ?

R. : Oui. Je sens le gouvernement déterminé… à ne pas nous suivre ! Mais je trouve cet argument cynique car il donne le sentiment que c'est en augmentant le SMIC qu'on portera atteinte au développement de l'emploi. Or, de ce point de vue-là, vraiment, il y a d'autres sujets sur lesquels on peut travailler pour obtenir des impacts sur l'emploi.

Q. : Le CNPF a ouvert, début juin, avec vous, des rencontres bilatérales avec les syndicats pour trouver les moyens de favoriser les initiatives sur l'emploi. Vous êtes plutôt favorables à ces rencontres bilatérales, vous trouvez que c'est la fin de la grand-messe ?

R. : Les rencontres entre patronat et syndicats, c'est la moindre des choses dans un pays où les relations sociales sont à peu près normales. Le CNPF a affiché une intention de développer les négociations, de s'occuper de l'emploi. Mais franchement, je peux vous dire que nous n'avons obtenu aucun engagement du CNPF pour que véritablement les négociations se développent sur l'emploi. Finalement qu'est-ce que nous lui avons dit ? Messieurs les chefs d'entreprise, ce gouvernement vous a fourni des allégements de charges fiscales, vous a réduit les cotisations sur les allocations familiales, vous avez des primes à l'embauche des jeunes. Tout cela a été fait du point de vue du gouvernement pour favoriser l'emploi. Alors où est-il ? Il n'est pas au rendez-vous. Négocions dans chaque branche pour être sûr que les contreparties-emploi soient là.

Q. : C'est ce que vous attendez comme « retombées » ?

R. : Comme retombées ou comme impulsions, pour que véritablement l'emploi soit au rendez-vous. On va faire un peu plus à la rentrée à la CFDT. On voudrait que notre point de vue soit bien compris et bien entendu. On nous parle d'une croissance qui revient…

Q. : … vous y croyez ? Cette « relance » est suffisante pour relancer l'emploi ?

R. : Ce qui est déjà sûr, c'est que la dégradation est derrière nous. Il y a quelques signes de reprise. Donc, raison de plus, s'il y a un petit peu de reprise… Même les patrons sont optimistes.

Q. : Non, le CNPF trouve la reprise « lente, partielle et fragile ».

R. : Ils savent que si la croissance revient nous allons accroître la pression pour que, à nouveau, nous ayons les résultats sur l'emploi que nous n'avons pas eus.

Q. : Si la reprise est là, vous souhaitez qu'on augmente les salaires, comme le demande FO, ou souhaitez-vous qu'on en profite pour arranger les problèmes de l'emploi ?

R. : Ce n'est pas « tout sur les salaires » ou « tout sur l'emploi ». Négocions la part qui doit être affectée à l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés, c'est normal, mais en même temps réservons une part qui devrait être affectée à l'augmentation de l'emploi pour permettre à des jeunes, des chômeurs, de rentrer dans l'entreprise. Un bon équilibre entre l'augmentation du pouvoir d'achat et l'augmentation de l'emploi.

Q. : Vous considérez toujours que la réduction du temps de l'emploi est la solution au chômage ?

R. : Oui. Il y a des mesures très audacieuses qu'il faut prendre pour obtenir une autre distribution du temps de travail. Quelque chose qui permette à des individus de libérer du temps de travail, qui permette à d'autres de travailler.

Q. : Vous pensez aux 35 heures ?

R. : Non. 35 heures, pourquoi pas ? 32 heures a-t-on même entendu. Mais il faut diversifier les mesures. Les salariés aujourd'hui ont besoin de partir souvent en formation. Développons la formation sur le temps de travail des salariés. Cela libère du temps pour embaucher d'autres personnes. L'épargne-temps, la possibilité donnée à des salariés de prendre des congés spéciaux tout au long de leur vie pour des problèmes familiaux… Tout cela, ce sont des idées qui sont favorables à l'emploi.

Q. : Tension prévisible avec le gouvernement : un décret paru au « JO » du 21 juin organise différemment la représentativité des salariés dans les PME, puisqu'on envisage qu'il n'y ait qu'un seul collège de représentants du personnel et de délégués au CE dans les PME de 50 à 200 salariés. Pourquoi êtes-vous contre ? C'est un allégement des choses pour les PME ?

R. : C'est un contresens total. On est contre parce que le problème que nous rencontrons en France ce n'est pas un trop-plein de délégués ou de CE qui existent : 4 millions de salariés aujourd'hui n'ont aucun délégué du personnel et n'ont pas de CE chez eux. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'il fallait déjà s'employer à combler ce vide. S'il faut simplifier – on peut comprendre que dans les petites et moyennes entreprises le dialogue social s'organise autrement que dans les grandes –, on peut adapter les procédures. Par la négociation. Pas en se faisant imposer cela par le chef d'entreprise et en généralisant là où il n'y en a pas.

Q. : Qu'allez-vous faire contre ce décret ?

R. : Je voudrais déjà informer tous les délégués des entreprises concernées que si leur convention collective indique des dispositions qui sont supérieures à ce décret — ce qui est souvent le cas –, le décret ne s'applique pas. Donc on va faire en sorte que le décret ne s'applique pas là où les conditions sont meilleures pour le dialogue social.

Q. : On ne vous a pas beaucoup entendu parler pendant les élections européennes. Pourquoi ? Vous pensez que ces élections étaient une affaire de politique ? Pourtant cela vous concerne l'Europe ?

R. : Cela nous concerne complètement. C'est plutôt que cette campagne électorale était très consternante, de mon point de vue. L'Europe nous concerne justement sur les questions de l'emploi. L'Europe sociale est paralysée. C'est la dernière roue du carrosse. Il est grand temps de relancer la dimension sociale dans la construction de l'Europe.

Q. : Le départ de M. Rocard, pour la CFDT qui était proche de lui, c'est un handicap ?

R. : C'est surtout un peu attristant de voir ce qui se passe dans ce parti qui est le parti qui est finalement le seul aujourd'hui qui peut prétendre créer une alternative à une majorité au pouvoir. Toute majorité au pouvoir a besoin d'une alternative. Lorsqu'elle n'est plus là, la majorité au pouvoir fait dans la facilité et dans la paresse. Ce n'est pas bon pour la démocratie. Cette sorte d'autodestruction collective du PS n'est pas bonne pour la vie politique française.


France Inter : Mardi 28 juin 1994

Q. : Êtes-vous déçue que l'on n'augmente pas plus le SMIC ?

R. : Oui, parce qu'il n'y a aucune raison, qu'au motif que des salariés soient payés au SMIC, leur pouvoir d'achat soit moins important ou que leur augmentation de pouvoir d'achat soit moins importante que la moyenne des autres salariés.

Q. : Quand on vous dit que c'est un choix à faire entre un maximum d'emplois et l'inflation, que dites-vous ?

R. : C'est un argument que je trouve un peu cynique. Parce que bien sûr s'il s'agit de favoriser l'emploi, de permettre à tant de gens qui veulent entrer sur le marché du travail de pouvoir le faire et que c'est à ce motif-là que l'on demande aux gens de freiner leur pouvoir d'achat, alors on a bien sûr envie d'entendre cet argument-là. Mais il ne faut pas commencer par ceux qui sont les plus bas payés. C'est une question de justice et d'égalité. Oui, à l'augmentation normale et comme les autres du pouvoir d'achat pour les smicards et en même temps oui à une autre répartition des fruits de la croissance.

Q. : Êtes-vous d'accord avec Marc Blondel qui trouve Édouard Balladur pas très logique de demander, alors que la situation s'améliore, de se serrer la ceinture ?

R. : J'ai trouvé dans la prestation du Premier ministre beaucoup de logique. Il a dit hier qu'il avait une politique depuis quinze mois, et qu'il a l'intention de la poursuivre, donc je n'ai pas été étonnée de la cohérence et de la logique qu'a exprimées le Premier ministre. D'ailleurs nous avions depuis le début sur un certain nombre de choses des désaccords et des divergences avec certaines des propositions de ce gouvernement. Je veux parler en particulier de la manière dont il réduit les charges sociales sans s'assurer qu'il y ait de vrais résultats sur l'emploi. Nous avions cette divergence dès que nous nous sommes entretenus avec le Premier ministre. Et puisque le Premier ministre dit qu'il va encore poursuivre dans cette logique de réduction des charges, je dis que ce n'est pas possible.

Q. : Qu'allez-vous lui dire le 5 juillet ?

R. : Le gouvernement et sa majorité partent d'une thèse, selon laquelle lorsque l'on réduit le coût du travail, que l'on baisse systématiquement les charges des entreprises, cela va être automatiquement positif pour l'emploi. Or ce n'est pas automatiquement favorable à l'emploi. Ce que nous avons toujours dit au Premier ministre, c'est pas de chèque en blanc aux entreprises, pas d'allégement des charges sociales sans engagement précis, sans suivi, sans contrôle. Par exemple, il ne faut pas de nouvel engagement de l'État en matière de baisse des charges sociales sans engagement des entreprises à insérer, à former, à embaucher des jeunes. Et cela on le contrôle. Comment ? Le gouvernement ne peut pas suivre entreprise par entreprise si ce point est bien respecté. Les partenaires sociaux, les syndicats, le patronat sont là pour cela. On négocie, et on décide des conditions dans lesquelles effectivement il y aura plus de jeunes dans les entreprises. Deuxième illustration avec la formation des salariés, dont on sait qu'ils ont besoin d'évoluer dans leur formation afin d'éviter le licenciement. De même, un coup de pouce pour la formation des salariés autour d'une table dans la négociation entre patronat et syndicat. Si le gouvernement n'exige pas ces procédures-là, ces engagements du patronat, une nouvelle fois il va prendre une mesure qui n'aura pas d'efficacité sur l'emploi.

Q. : Le gouvernement défend-il bien les acquis sociaux, comme l'a dit le Premier ministre hier ?

R. : Cela dépend de quels acquis sociaux on parle. L'acquis social fondamental est pour moi d'avoir un emploi et du travail. Or cet acquis-là n'est plus un acquis à préserver mais un acquis à obtenir. Sur ce terrain-là, il est clair que nous avons des divergences. Peut-être nous n'avons pas mis le même état d'urgence que le Premier ministre sur les mesures qu'il convenait de prendre. Nous pensons que de ce point de vue-là, tout n'a pas été fait qui garantissait l'impact maximum sur le chômage. Et je ne fais pas partie de ces illusionnistes qui pensent que l'on veut résoudre le chômage d'un coup de baguette magique, ou Bernard Tapie quand il déclare qu'il faut déclarer le chômage illégal. Le problème que pose cette idée est quels moyens va mettre en œuvre Bernard Tapie pour rendre le chômage illégal, car il ne suffit pas de séduire les électeurs et d'utiliser des formules simplistes et démagogiques pour faire quelques voix aux élections. Il faut annoncer ce que l'on fera si par hasard on accède au pouvoir.

Q. : Pensez-vous que l'instauration d'une TVA sociale soit une bonne chose ?

R. : Il y a encore deux parties dans la déclaration du Premier ministre. La première qui consiste à dire, il faut faire évoluer la manière dont on finance la protection sociale. C'est-à-dire que pour garantir une bonne assurance-maladie à tous les Français, il faut pouvoir modifier et élargir les bases du financement actuel. Cela c'est vrai et nous sommes d'accord. Mais quelles solutions préconise-t-on ? Si j'entends bien le Premier ministre, d'un côté on va baisser les charges des cotisations sociales des entreprises, de l'autre côté il hésite à choisir une TVA sociale. Cette TVA va faire payer les consommateurs, alors que les entreprises voient leurs charges sociales baisser et qu'elles ne garantissent pas l'emploi au bout. Trop, c'est trop ! Que l'on aille le plus loin possible pour un autre financement de la protection possible en pesant le moins possible sur le coût du travail, oui. Mais à condition que l'on n'exonère pas les entreprises de leur participation aux dépenses collectives de la société. Nous continuons à penser qu'un financement sur la richesse produite par les entreprises, plutôt que sur les revenus du travail, est sans doute une voie à explorer.


RMC : Vendredi 1er juillet 1994

Q. : Le mauvais chiffre du chômage en France pour le mois de mai, accident ou chiffres prévisibles ?

R. : Accident, en tout cas poussée de fièvre du chômage alors même que d'autres signes sont mis en avant pour montrer que la reprise économique pourrait montrer le bout de son nez, donc signe contradictoire et cela veut dire peut-être qu'il faut tempérer trop d'optimisme par rapport à ce que la croissance, si elle revient, pourrait produire comme effet sur le chômage et c'est une nouvelle démonstration qu'il ne faut pas trop espérer, trop attendre de cette croissance nécessaire. Entendons-nous bien, c'est tout à fait important que nous ayons un peu plus de marge de manœuvre par rapport à l'activité économique, mais l'emploi ne sera pas automatiquement au rendez-vous, mécaniquement au rendez-vous, si les moyens ne sont pas pris pour que les effets, l'impact, les embauches, les mesures sur l'emploi ne deviennent pas des réalités concrètes dans les entreprises.

Q. : Hier le gouvernement disait pour expliquer ce mauvais chiffre, qu'il y avait eu des inscriptions de précaution à l'ANPE, est-ce que c'est vrai ?

R. : Oui, visiblement dans les chiffres que nous avons eus hier le nombre de jeunes qui sont venus s'inscrire à l'ANPE est relativement important. Alors qu'ils se soient inscrits un petit peu plus tôt ou plus tard de toute façon ils sont là. Et de toute façon cela montre que le chômage des jeunes, les difficultés qu'ont les jeunes aujourd'hui d'entrer dans la vie active, de s'insérer sur le marché du travail, sont des difficultés qui deviennent de plus en plus lourdes et de plus en plus préoccupantes pour eux d'abord, parce que ne pas trouver de travail, c'est ne pas trouver d'autonomie, c'est ne pas trouver de logement, c'est finalement rester à la marge d'une société alors que les jeunes sont quand même pour une société ce qu'elle a de plus précieux pour l'avenir, donc il y a un problème majeur du chômage des jeunes en France qu'il faut traiter avec d'autres mesures, avec une autre dynamique, avec une autre volonté que celle qui est présente aujourd'hui au niveau politique et des entreprises.

Q. : Pour ce mauvais chiffre qui est coupable ? Le gouvernement ou les entreprises ou la crise ?

R. : Tout le monde un petit peu à la fois. Le gouvernement, moi j'ai une seule et toujours une question de fond qui devient lancinante, elle est présente dans les débats que nous avons avec le Premier ministre depuis qu'il est au gouvernement. La manière dont le Premier ministre a considéré qu'il fallait baisser les charges, c'est-à-dire baisser les cotisations, d'abord d'allocations familiales. Maintenant il réfléchit sur les cotisations d'assurance-maladie. Avec quel objectif ? Un seul a-t-il dit ! Je baisse les charges des entreprises en pensant qu'elles vont embaucher. Regardons les chiffres, il serait maintenant temps que l'on voie le résultat de ces mesures. Le chômage, certes, progresse moins vite, je pense que maintenant il est temps de ne plus avancer dans une réduction des charges sociales sans avoir des engagements précis pour que cela se transforme, que cela se convertisse en emplois réels et que les entreprises, et c'est là que la responsabilité des entreprises est entière, transforme ces aides qui lui sont faites en embauches, en efforts réels pour l'emploi des jeunes et d'autres demandeurs d'emploi d'ailleurs.

Q. : Est-ce que vous mettez dans ce cadre la décision prise par le gouvernement de ne pas donner un coup de pouce au salaire minimum, c'est une erreur ?

R. : Oui, c'est une erreur, et c'est une logique qui n'est pas juste dans la manière dont le gouvernement explique cela. Pourquoi ‘? Parce que ce n'est pas sur le pouvoir d'achat des gens qui sont le plus mal payés qu'il faut faire les efforts pour ne pas augmenter le coût du travail global et donc là il y a une contradiction dans la manière dont le gouvernement a agi. Puisqu'il réfléchit à la question de la réduction des charges, eh bien il pouvait très bien procéder à une augmentation normale, c'est-à-dire équivalente à celle que les autres salariés ont eue pour les smicards et en même temps réfléchir à une réduction, par exemple en priorité sur ces salaires-là, des charges sociales pour garder un coût du travail équivalent.

Q. : Qu'allez-vous dire au Premier ministre, mardi prochain lors de votre rencontre avec lui ?

R. : Exactement cela, ce que je viens de vous dire. À la CFDT nous n'aurons de cesse de dire au Premier ministre que la manière dont il mène sa politique de réduction des charges sans prendre de garantie ne sera pas couronnée de succès en matière d'effets sur l'emploi, cela ne peut plus durer.

Q. : Si je comprends bien, c'est une chose que vous lui aviez déjà dite, que dit-il ?

R. : Le Premier ministre dit toujours qu'il a fait confiance aux entreprises, c'était un raisonnement, il disait : « Je fais confiance, je prends ces mesures pour que les entreprises puissent derrière faire la démonstration que l'embauche sera possible. » Il pensait que cela irait naturellement dans ce sens-là. Il a fait confiance aux entreprises, or les entreprises ne cessent de revendiquer toujours plus de réduction de charges sociales, mais au bout les résultats ne sont pas là. Le Premier ministre est donc encore plus fondé qu'hier de demander des engagements précis, et de s'assurer du contrôle et du suivi sur les résultats qu'il prend.

Q. : Pensez-vous qu'il y ait des solutions de sortie de crise pour faire diminuer le chômage ?

R. : Il y a bien évidemment des solutions de sortie de crise et ces solutions doivent être mises en œuvre sur plusieurs registres à la fois. Il faut déjà écarter toutes les prescriptions qui visent à présenter les solutions au chômage comme autant de solutions magiques. Prendre le dossier de l'insertion des jeunes pour que nous le traitions complètement, pour que nous prenions des mesures par la négociation entre patronat et syndicats articulés sur des aides et un effort de l'État. Voilà un domaine dans lequel il y a des solutions. Deuxième terrain, il faut que dans les entreprises nous réfléchissions sur les conditions de l'organisation du travail pour savoir si celui-ci ne provoque pas toujours des réductions d'effectifs systématiques. Répartissons le temps travail autrement, de telle manière que dans les entreprises qui ont une enveloppe de richesse à distribuer il y ait une négociation entre ce qui peut être affecté au pouvoir d'achat des salariés et ce qui peut être à de nouvelles embauches.

Q. : Faut-il changer la loi Giraud ?

R. : Sur le plan social, si cette loi existe c'est que la qualité des plans sociaux devenait défectueuse. C'est une responsabilité des entreprises que les conditions dans lesquelles elles se modernisent ne se fassent pas sur le dos des salariés et a fortiori des licenciés. Ceci dit je ne pense que cette loi soit parfaite, et en particulier que nous assistions au recours en cas de litige. Maintenant ce sont les juges qui arbitrent et ceci n'est pas très sain.


France 2 : Mardi 5 juillet 1994

Q. : Ça ne s'arrange pas pour la Sécu, avec un nouveau trou de 56,6 milliards pour 94. Que se passe-t-il ?

R. : C'est une décision sans surprise pour nous. Il ne faut pas être étonné de ce qui nous arrive aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que finalement, tous les ans, au rythme de la réunion des Commissions des comptes de la Sécurité sociale, on voit qu'il y a un vrai problème d'équilibre entre les recettes et les dépenses, en particulier dans l'assurance-maladie. Et à faire du coup par coup, simplement tous les ans le déficit nous rattrape. Il est urgent que l'on mette à plat les problèmes de l'assurance-maladie en particulier, que l'on traite en profondeur et sur plusieurs années les solutions en profondeur à ce système d'assurance-maladie.

Q. : Il faut trouver dans l'immédiat 56 milliards pour combler le déficit ; l'an dernier, il y a eu un plan de sauvetage avec l'augmentation de la CSG, une baisse des remboursements. Il va falloir refaire la même chose dans les mois qui viennent ?

R. : Je ne crois pas, car précisément, les solutions qui ont été prises l'année dernière ont maintenant fait la preuve de leur inefficacité. Donc, on ne va pas mettre deux fois, alors que c'était déjà injuste à l'époque, les assurés sociaux à contribution pour financer et pour être moins remboursés. Il faut dire les choses comme elles sont. Que se passe-t-il avec ce déficit ? C'est le coût du chômage que l'on voit d'abord grandeur nature sur les régimes de sécurité sociale. Et la meilleure illustration que c'est bien le chômage en ce moment qui est en train de mettre en difficultés ces régimes de protection sociale. Ce sont les allocations familiales, la branche famille. Pour la première fois elle est en déficit. Pourquoi ? Deux raisons : 1) Le nombre des cotisations que les entreprises payent sur la masse salariale a diminué car les effectifs ont diminué et donc le chômage. 2) II y a un certain nombre de prestations – prestation à l'allocation logement, prestation d'allocation de rentrée scolaire – ce sont des prestations auxquelles les familles ont droit, sous condition de ressources, à savoir en dessous d'un certain niveau de ressources. Et comme les familles ont des ressources – à cause du chômage toujours – qui diminuent, le nombre de ces familles qui peuvent prétendre à ces allocations augmente. Donc coût supplémentaire et donc déficit. C'est bien le chômage qui est vraiment au cœur du problème du régime de protection sociale.

Q. : Il y a des réformes de fond qui sont proposées par Valéry Giscard d'Estaing et Édouard Balladur, notamment celle de remplacer une part des cotisations par une augmentation de la TVA par exemple. Votre avis ?

R. : J'ai peur que ce soit un marché de dupes. Autant aujourd'hui, tous les gens sérieux savent – pour notre part, nous y sommes favorables depuis longtemps – qu'il faut changer la manière dont on finance notre protection sociale. Il ne faut pas seulement que ce soit les salariés ou les entreprises sur le revenu du travail qui financent la Sécurité sociale, en particulier l'assurance-maladie. Il est normal qu'elle soit financée sur tous les revenus. Mais quand on mène une opération de changement d'assiette, il faut s'assurer que le résultat au bout soit celui que l'on attend. Par rapport à des entreprises qui paieraient moins demain, si on transfère les cotisations sur les ménages par exemple, soit par CSG, soit par la TVA. Il faut savoir que la TVA nous y sommes défavorables, car c'est une façon de taxer le consommateur de manière indolore. Et en tout état de cause donc, les entreprises ne peuvent pas être exonérées complètement d'une contribution et d'une participation à des efforts collectifs, à des besoins collectifs que la société doit assumer. Il faut donc trouver une manière de faire contribuer les entreprises autrement que sur les revenus du travail. Je pense par exemple à la valeur ajoutée, à savoir la richesse produite par une entreprise. Il serait normal qu'une partie de ces richesses aille au financement des régimes de protection sociale.

Q. : Vous rencontrez aujourd'hui Édouard Balladur. Quel message allez-vous faire passer, qu'attendez-vous de lui, notamment en matière d'emploi ? Croyez-vous à la fameuse reprise ?

R. : La reprise est apparemment là, et pointe le bout de son nez, mais ses effets ne sont pas encore très évidents. Ce dont je suis sûre, c'est que nous allons dire à Édouard Balladur. Ce sera, hélas, le discours que nous lui tenons depuis maintenant plus d'un an. Nous allons lui dire : « Monsieur le Premier ministre, vous avez fait le choix d'une logique qui consistait à penser qu'en baissant les charges des entreprises, en allégeant celles-ci, en apportant des aides substantielles pour embaucher des jeunes, pour favoriser l'emploi, vous alliez avoir un résultat franc sur l'emploi. » Regardons aujourd'hui : il n'y a pas eu d'impact sur l'emploi des mesures prises par Balladur et son gouvernement sur la baisse des charges sociales. Donc nous allons lui dire : « arrêtez », puisque j'ai entendu dire qu'il était peut-être même tenté de continuer dans ce sens. Donc, pas de nouvelle baisse de charges sociales, tant qu'il n'obtient pas du patronat des engagements précis. Et des engagements précis qui ne sont pas seulement des engagements devant une caméra de télévision, mais des engagements précis, concrets, palpables, dans les entreprises. Sur quoi ? par exemple, sur cette question préoccupante de la formation, de l'insertion, de l'embauche des jeunes.

Q. : Pierre Suard a été mis en examen, qu'en pensez-vous ?

R. : Je trouve cela tout à fait inquiétant, si ce que met la justice en évidence se révèle réel ! Un chef d'entreprise a des responsabilités, il manie beaucoup d'argent. S'il n'y a plus d'honnêteté, s'il n'y a pas d'éthique, c'est la responsabilité, la crédibilité purement et simplement, des chefs d'entreprise qui sont en cause. Pour tous les hommes publics qui manient de l'argent, l'intégrité et l'honnêteté doivent être au cœur de leurs comportements.