Interviews de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, à Europe 1 et RTL le 2 mars 1998 et dans "Le Quotidien du salon de l'agriculture" du 3 mars 1998, sur le rôle des agriculteurs dans l'aménagement du territoire, la notion d'"agriculture raisonnée", l'évolution de l'agriculture, et l'opposition de la FNSEA à la réforme de la PAC.

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Circonstance : 35ème Salon international de l'agriculture (SIA) à Paris du 1er au 8 mars 1998. Parution du livre de M. Luc Guyau "La Terre, les paysages et notre alimentation"

Média : Emission Journal de 8h - Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - Le Quotidien du salon de l'agriculture - RTL

Texte intégral

Europe 1 - lundi 2 mars 1998

J.-P. Elkabbach
Le Salon de l’agriculture a donc bien commencé : on peut lui prédire un vrai succès populaire. Les agriculteurs rêvaient, rêvent d’être aimés : ils le sont – la preuve est déjà faite. Cela veut dire que Paris vous aime, Paris les aiment ?

L. Guyau – « Paris nous aime certes mais les agriculteurs sont heureux de faire voir à l'ensemble des Français et des Parisiens tout le bon travail qui a été réalisé cette année. Mais aussi toute cette relation qu’il doit y avoir entre les agriculteurs et le consommateur sur différents produits, sur toutes les évolutions de l'agriculture. »

J.-P. Elkabbach
Vous dites, dans le livre que vous avez publié, qui s'appelle La terre, les paysages et notre alimentation : « l’image sociale de l’agriculteur est moins négative, par exemple dans les embouteillages on traite moins les chauffards de paysans » ?

L. Guyau –– « C'est sans doute que le terme de paysan est devenu un peu plus noble que par le passé concernant les citadins mais moi, je me sens tout à fait paysan mais pas uniquement les agriculteurs, les commerçants, les artisans, et tous ceux qui vivent au pays et font vivre le pays. Parce que ce n’est pas suffisant d'y vivre, il faut le faire vivre. »

J.-P. Elkabbach
Est-ce qu’il s'agit du même agriculteur ?

L. Guyau –– « Non, comme dans toute la société, les agriculteurs ont évolué : ils étaient peut-être hier plus renfermés sur eux-mêmes, aujourd’hui, ils sont ouverts au marché mondial, aux nouvelles technologies, à l'alimentation. »

J.-P. Elkabbach
Ce sont des managers, ils sont associés aux chercheurs ou font eux-mêmes de la recherche.

L. Guyau –– « Ils sont à la fois tout cela un peu parce qu’ils sont managers, chefs d’entreprise, chercheurs, manuels. Moi-même, de temps en temps, quand le loisir m'est donné, je suis bien sûr à la FNSEA mais je suis aussi avec mon troupeau à traire les vaches. II faut tout faire dans l’agriculture. »

J.-P. Elkabbach
Vous avez connu une évolution considérable depuis que. Vous êtres, vous-même, dans l’action agricole ?

L. Guyau – « Oui, tout à fait, je crois que depuis 30 ans, il n’y a eu aucun secteur en France et même en Europe qui a connu une telle évolution sociale certes, mais aussi technologique. »

J.-P. Elkabbach
Le titre du livre que vous publiez – un livre intéressant, direct, sans fioritures –, la terre, les paysages et notre alimentation : il n’y a plus de paysans ?

L. Guyau –– « Les paysans sont ceux qui gèrent tout cela, parce que pour faire ce lien entre la terre, les paysages et notre alimentation, il faut des hommes et je crois que c'est ce qu'on oublie trop souvent : il n'y aura pas d'aménagement du territoire s'il n'y a pas des hommes actifs, des hommes et des femmes actifs dans leurs exploitations. Nous ne pouvons pas envisager une agriculture demain qui soit statique : elle doit être dynamique. Donc pour toutes ces orientations : la terre, les paysages et l'alimentation. »

J.-P. Elkabbach
Dans 15 jours, la Commission de Bruxelles va annoncer sa réforme de la PAC, la politique agricole commune, qui prévoit de réduire pour 2000, 2006 les prix garantis pour les céréales, la viande bovine et le lait. Cette réduction étant accompagnée de compensation partielle. Cela ne vous plaît pas ?

L. Guyau –– « Non, cela ne nous plaît pas parce qu'il n'y a pas d'orientations politiques pour l'agriculture européenne. Le modèle agricole européen que nous voulons défendre justement répond à la demande des citoyens européens. C'est-à-dire un équilibre entre les hommes, les produits et le territoire. Alors que là on ne fait que le schéma américain : on en a marre ! »

J.-P. Elkabbach
Mais quand il y a la réforme, quand on décide d’une réforme de la PAC : vous protestez. Quand on l'a modifié : vous protestez. Vous protestez tout le temps, quoi ?

L. Guyau –– « C'est simplement parce que justement, c'est l'Europe qui détermine les orientations politiques pour l'agriculture. Si tous les citoyens français avaient leur devenir qui dépendait chaque année d’une réforme, je ne suis pas sûr que nous serions les seuls à protester. »

J.-P. Elkabbach
Les agriculteurs dans leur ensemble, pour leur vie, ont probablement plus bénéficié de l'Europe qu'ils en ont souffert.

L. Guyau –« Oui, tout à fait et les agriculteurs sont des Européens convaincus et c'est bien pourquoi nous nous battons encore plus fort contre cette réforme parce qu'elle détruit l’idée que nous avons de l'Europe, de la solidarité financière, de l'unicité de prix et du travail en commun. »

J.-P. Elkabbach
Vous reconnaissez dans le livre que les paysans ont la manifestation facile – vous vous rappelez de cela. Cette fois, vous allez nous menacer encore de manifs ?

L. Guyau –– « Non, je ne vais pas vous menacer mais je vous garantis que si la Commission ne change pas ses propositions et si le Gouvernement n'est pas ferme, il y aura des manifs, encore, dans l'année qui vient. Parce qu’il n'est pas possible que l'agriculture – je dirais même toute la société – accepte sans broncher cette orientation permanente de dire : le prix mondial, que le prix mondial ! Non, ce n'est pas une politique. Le prix mondial, c'est quoi ? Quand on ne respecte pas le social dans certains endroits, quand on ne respecte pas l'environnement, quand il y a des distorsions monétaires. »

J.-P. Elkabbach
C'est un habillage pour dire qu'il faut encore des subventions. C'est un chapitre aussi du livre : les subventions ?

L. Guyau –– « Justement, c'est cela qui est le plus grave. On nous dit : on vous baisse le prix mais on va vous donner des subventions. Et au consommateur que vous êtes et que je suis, on va vous faire payer deux fois : en tant que consommateur et en tant que contribuable. De grâce, la vérité des prix, la valorisation des produits, je crois que c'est ce que demande toute la société aujourd'hui. »

J.-P. Elkabbach
Mais vous avez peur aujourd'hui de l'ouverture du marché mondial ?

L. Guyau –– « Non, on n'a pas peur de l'ouverture sur le marché mondial, on veut la transparence du marché mondial. Comment voulez-vous que demain, nos éleveurs du Massif central et d'ailleurs puissent être en concurrence avec les Gauchos en Argentine ? On n'est pas dans la même situation. Personne ne voudrait d'ailleurs en France être payé au prix où sont payés les gauchos en Argentine. »

J.-P. Elkabbach
L'Elysée, Matignon et M. Le Pensec vont arrêter la même position à l'égard de Bruxelles. M. Chirac l'a dit hier.

– « Oui, j’espère bien qu'il y aura une seule position française car si nous voulons qu'au niveau européen, nous soyons entendus, la France ne peut être divisée sur son agriculture ou sur sa politique agricole. »

J.-P. Elkabbach
M. Chirac a jugé hier – il paraît qu’il l’a dit au Salon de l’agriculture – que la PAC est difficilement recevable telle qu’elle est. « Passez poliment, vous a-t-il, mais haut et clair. » Il vous autorise à gueuler poliment ?

L. Guyau –– « Je crois que c'est un appel à la raison dans le cas des manifestations. Chose que nous avons toujours dite. Nous n'envisageons pas des manifestations violentes, nous voulons simplement montrer notre détermination et prendre à témoin l'opinion publique pour dire : voilà ce qu'il se passe. Pas que pour nous mais pour vous. On nous demande la sécurité alimentaire : qu'en sera-t-il demain si nous importons tous les produits de 1 000, 5 000, 10 000 kilomètres ? »

J.-P. Elkabbach
Vous rêvez de manifestations comme celle qui a eu lieu à Londres hier avec 250 000 personnes, surtout pour défendre la chasse à courre d’ailleurs ?

L. Guyau –– « Je ne sais pas si j'en rêve mais cela montre que même dans un pays comme celui-là, rassembler 250 000 personnes du milieu rural à Londres est quand même un événement. Il faut le regarder et je crois que toute la notion d'aménagement du territoire et de relation avec la nature est quelque chose de plus en plus important chez les citoyens. »

J.-P. Elkabbach
Vous avez dit ce que l'Europe vous a apporté ; l'euro c'est pour bientôt. Est-ce que vous continuez, vous, à dire que l’euro sera bon contre le monopole du dollar ?

L. Guyau –– « Tout à fait, c'est un des trois éléments sur lequel nous nous défendons. Demain, pour le marché international, l'euro doit pouvoir prendre pleinement sa place et ne pas nous contraindre en permanence à subir le dollar. Mais aussi en intérieur, ça évitera les distorsions monétaires avec certains pays par rapport aux dévaluations compétitives et je crois que ça sera aussi une occasion d'avoir un peu plus d'unité au niveau de l'économie européenne. »

J.-P. Elkabbach
Je sais que vous lisez les journaux : dans Le Figaro de ce matin, il y a un titre : « la Corse, la piste agricole. » L'enquête sur meurtre de C. Erignac s'oriente vers des nationalistes évoluant dans le monde paysan.

L. Guyau –– « Les Corses sont des Français, les agriculteurs corses sont des Français et des Européens, ils doivent subir et avoir les mêmes règles que les autres agriculteurs. »

J.-P. Elkabbach
Justement, pourquoi vous ne protestez jamais contre les détournements d'aide agricole en Corse, des aides nationales ou européennes, pourquoi ?
L. Guyau –– « Parce que nous demandons simplement qu'en Corse, les agriculteurs soient traités comme ailleurs, la transparence et les contrôles de justice, je le dis haut et fort : si la Corse peut avoir plus de transparence, il faut qu'en matière agricole comme dans les autres secteurs, elle se plie aux exigences des contrôles français et européens. »


RTL - lundi 2 mars 1998

J.-P. Defrain- Dans votre livre (« La terre, les paysages et notre alimentation », Ndlr) vous n'évitez aucun des sujets qui fâchent pour parler de ceux qui furent longtemps taxés de privilégiés, une optique productiviste et corporatiste : vous n'allez pas vous faire que des amis avec ce livre, non ?

L. Guyau –– « Mon objectif est avant tout de parler vrai, à mes confrères agriculteurs bien sûr, mais surtout aux consommateurs. Nous sommes tous pour leur dire que l’alliance entre les producteurs et les consommateurs est essentielle si l'on veut affronter les grands défis de demain, que ce soit celui de la santé, de la sécurité alimentaire, de l'environnement, de l'emploi. C'est un peu tout cela l'agriculture. Alors j’ai pensé qu'il était bon d'engager ce dialogue de façon franche et directe avec la reconnaissance de ce qu'on n'a pas toujours bien fait, de ce qu'on est capable de faire. C'est surtout l'avenir qui compte. »

J.-P. Defrain - Croyez-vous que tous les agriculteurs aujourd'hui l'aient compris ?

L. Guyau –– « Tous sans doute pas, mais le président de la FNSEA a comme mission bien sûr de défendre les agriculteurs, mais d'être aussi un peu devant et de leur dire : attendez, ici, il y a des évolutions qui sont essentielles, vous devez en prendre en compte, en prendre connaissance et surtout vous acclimater à ces évolutions-là. Je dois dire quand même qu'une grande majorité des agriculteurs doivent se retrouver dans ce que j’ai écrit. »

J.-P. Defrain - C'est quand même nouveau qu'un responsable d'un syndicat agricole – et pas n'importe lequel – écrive : « La pollution dans certaines régions, c'est devenu intolérable. »

L. Guyau –– « Oui, tout à fait parce que c'est la réalité. Cela ne veut pas dire qu'il fait n'importe quoi et qu'il faut traiter cela de façon légère en disant : il faut tout interdire. Il faut que chacun d'entre nous – les agriculteurs les premiers, mais aussi les citadins des villes moyennes et des grandes villes qui sont autour de nous – s'y mette pour que progressivement on puisse arriver à maîtriser cela. L'essentiel est que, tant qu'il y a des hommes, il y a de l'espoir. Et c'est avec eux qu'on peut arriver à récupérer ou à remettre en place ce qui peut avoir été un peu parfois mal maîtrisé. »

J.-P. Defrain
Et également, peut-être un peu nouveau, cette gestion collective des paysages : ce ne sont plus les agriculteurs, mais aussi les gens qui habitent encore en région rurale. Il y a aussi une volonté d'élargir peut-être ?

L. Guyau –– « Je ne voudrais pas me permettre de faire de l’histoire, mais lorsque nous étions au siècle dernier 60 % de la population, ce sont des sujets dont on ne parlait pas parce que c'était tout à fait naturel, parce que c'était à l’intérieur même de notre métier. Et puis au début des années 1950-1960, quand la France avait faim on nous a demandé de produire rapidement, le moins cher possible et en quantités plus importantes. Et on doit reconnaître, quelque peu parfois un peu oublié, tous ces aspects. On a mis la rentabilité. Aujourd'hui, l'essentiel est que dans les campagnes où il y a encore des agriculteurs on peut remettre les choses en place. Par contre certaines campagnes qui ne sont pas du tout modernisées, qui n'ont pas évolué – bien sûr on a peut-être gardé des caractères complètement naturels – mais derrière y a-t-il de l'emploi, de la vie ? Je crois que l’aménagement c'est tout cet amalgame entre la terre, les paysages, l'alimentation, l’activité, la richesse, la valeur ajoutée. S'il n'y a pas de création de valeur ajoutée, il n'y aura pas de vie. »

J.-P. Defrain - Vous avez employé deux fois le mot « évoluer », « évolution ». On parle des 35 heures aujourd'hui. Comment les agriculteurs vont mettre en place les 35 heures ?

L. Guyau –– « Les agriculteurs sont des citoyens comme les autres. Ils souhaitent pouvoir travailler moins tout en gagnant plus. Aujourd'hui, la réalité pour les 35 heures, appliquées l'agriculture – si on doit leur mettre des charges supplémentaires, en particulier dans des secteurs qui sont confrontés à la concurrence internationale, et en particulier du bassin méditerranéen – on court à la catastrophe. Donc si on nous permet à la fois de diminuer les charges, de faire en sorte que les charges ne soient pas augmentées, et que surtout on intègre ces 35 heures dans une flexibilité annuelle et pendant qu’il y a du travail, je crois qu'on peut avancer. Mais l'objectif aujourd'hui est qu'on est des salariés qui travaillent de façon satisfaisante sans exagérer le temps de travail, mais quand il y a du travail. Mais la saisonnalité pour l'agriculture c'est quelque chose d'essentiel. Dans ces conditions-là, on peut discuter. »

J.-P. Defrain - Vous plaidez pour l’agriculture raisonnée. Cela veut dire quoi ?

L. Guyau –– « Ce que font déjà beaucoup d'agriculteurs aujourd'hui, y compris dans les exploitations très modernes : faire en sorte, par exemple pour l'utilisation des engrais, d'utiliser les engrais à bon escient, pas n'importe comment. Faire de l'analyse de sol, de voir tout ce qu'on apporte au sol et voir aussi les exportations par les cultures, de façon à éviter que dans le sol il y ait plus de produits qui peuvent être transportés par l'eau, qui sont en excédent et qui vont polluer ici ou là les nappes phréatiques. C'est aussi maîtriser l’apport de tout ce qui est phytosanitaire, de faire de la lutte intégrée. Ce n'est pas uniquement l'agriculture biologique : c'est aussi l'agriculture dynamique, productive, mais maîtrisée. »

J.-P. Defrain - Êtes-vous inquiet de Bruxelles sur la nouvelle loi agricole ?

L. Guyau –– « Oui, très très inquiet, parce qu'encore une fois, Bruxelles organise une orientation de la réforme de la politique agricole commune sans véritable politique. On dirait qu'on est tout à fait contaminé par un mimétisme américain qui nous fait froid dans le dos. Si ce doit être la culture américaine ou argentine, avec le lien avec le territoire, l'espace, qui doit se laisser développer en Europe, les citoyens français ou européens doivent le refuser. C'est ce que nous disons aujourd'hui : nous souhaitons pouvoir vivre d'abord de la valorisation de nos produits ; ensuite, nous avons besoin de soutien de la nation, mais pas n'importe comment. »

J.-P. Defrain - Ce soutien, vous l'attendez peut-être de la nouvelle loi d'orientation agricole qui est en préparation ?

L. Guyau –– « La loi d'orientation agricole peut nous permettre justement d'améliorer notre compétitivité. Surtout, ce qui est innovant dans la proposition du ministre – à condition que ce soit dans un cadre dynamique et ouvert – c'est de faire reconnaître tout ce qui n'apparaît pas directement comme marchand dans l'agriculture. L'agriculture produit des biens alimentaires et industriels, mais aussi des services, de l'emploi. Les agriculteurs aujourd'hui ne peuvent pas forcément le faire sans rémunération. Si cette loi permet d'ajouter à la fonction de production de biens alimentaires et industriels la notion de services, d'accueil, d'emplois dans le milieu rural, d'aménagement et d'environnement, nous disons qu'il y a là une nouveauté qui peut être intéressante pour l'avenir de, l'agriculture, et son intégration dans la société. »

J.-P. Defrain - Les agriculteurs sont contents d'avoir Mme Voynet comme ministre de l'environnement ?

L. Guyau –– « Les agriculteurs ne choisissent pas leur ministre, ni l'agriculture, ni l'environnement. »

J.-P. Defrain - Ni leur sexe ?

L. Guyau –– « Avec Mme Voynet, nous essayons de travailler le mieux possible, mais en ce qui concerne le ministre de l'environnement, ce n'est pas la première fois que nous avons une femme ; nous savons que nous pouvons malgré tout travailler, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout. »

Le quotidien du salon de l'agriculture - 3 mars 1998

Le Quotidien : cette 35e édition du SIA est très axée sur la qualité de l’élevage et des produits agricoles. Comment une organisation syndicale comme la vôtre peut-elle s’impliquer dans cette démarche ?

Luc Guyau : La qualité tout au long de la chaîne alimentaire est essentielle si nous voulons maintenir un lien vivant entre les producteurs et les consommateurs. La FNSEA soutient l’action quotidienne de ses associations spécialisées, comme la Fédération nationale bovine sur l’étiquetage des viandes et la traçabilité par exemple. Nous cherchons également à impliquer la grande distribution dans notre démarche, afin qu’elle joue loyalement le jeu de la qualité avec les producteurs, lors des promotions notamment. Nous espérons déboucher un jour avec elle sur les règles partenariales de constitution et de répartition de la valeur ajoutée.

Le Quotidien : Il y a quelque temps, la FNSEA a lancé l’idée d’un « Contrat d’initiatives et de développement territorial ». Ce Salon de l’agriculture ne symbolise-t-il pas parfaitement cette idée de contrat ?

Luc Guyau : A l’image de cette formidable vitrine professionnelle qu’est le SIA, les agriculteurs doivent mieux faire connaître et valoriser les différentes missions qu’ils remplissent. Car nous ne sommes pas uniquement des producteurs de biens agricoles et alimentaires. Nous remplissons aussi de multiples services en matière d’occupation du territoire, de gestion des ressources naturelles, d’accueil, de préservation des paysages, de maintien d’activités économiques et d’emplois dans les zones rurales. Pendant plus de trente ans, les agriculteurs se sont concentrés sur la seule fonction de production pour assurer le développement de leurs exploitations. Ils répondaient ainsi à la demande de la société, qui voulait que l’on produise toujours plus, et moins cher. Ce but est aujourd’hui atteint.

En France et en Europe, les clés du développement agricole de demain sont à rechercher du côté des nouvelles attentes de la société. Elles sont désormais plus qualitatives, aussi bien en matière de sûreté, de qualité et de diversité des produits, qu’en matière d’environnement et de développement durable.

Le Quotidien : Bruxelles travaille sur la réforme de la PAC, le Gouvernement français sur une Loi d’orientation. Quel message le président de la FNSEA souhaite-t-il adresser aux nombreux responsables politiques présents sur ce salon ?

Luc Guyau : Je leur dirai : « Mesdames et Messieurs les politiques, ne faisons pas table rase du passé sous prétexte que la politique agricole doit s’adapter, à la fois aux évolutions des marchés et de la société ! » Certes, les organisations communes de marchés européennes doivent être réformées pour tenir compte de la mondialisation des échanges agricoles. Pour autant, nous refusons le libéralisme absolu et le démantèlement des garde-fous qui permettent d’organiser les marchés européens : prix institutionnels, intervention publique, etc. Chaque OCM doit s’adapter en fonction de ses besoins propres, notamment à l’exportation sur les marchés internationaux. N’oublions surtout pas que l’agriculture est une activité économique et que les agriculteurs doivent d’abord tirer leur revenu des prix à la production.

En revanche, il ne fait pas de doute que la politique agricole sera plus axée à l’avenir sur les territoires à mettre en valeur et les emplois à créer ou à préserver. Il faut donc inventer de nouveaux instruments pour conforter l’agriculture multifonctionnelle en Europe, fondée sur l’équilibre entre les hommes, les produits et les territoires.