Rapport de M. Daniel Soulez-Larivière, membre du conseil de l'ordre des avocats, intitulé : "La réforme des professions juridiques et judiciaires - 20 propositions", daté de juin 1988.

Prononcé le 1er juin 1988

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Remerciements

Le rapporteur remercie les quarante personnes (Ministres, Hauts fonctionnaires, Experts comptables, Avocats étrangers, Avocats français, Conseils juridiques, Magistrats) qui l'ont aidé à penser ce rapport nourri de 60 heures d'entretien.

Ces remerciements très vifs restent anonymes dans le souci de protéger des sources d'informations et de ne gêner personne.

D. S.L.

21 décisions d'orientation prises par le Conseil de l'Ordre au vu du rapport de Monsieur Daniel SOULEZ-LARIVIÈRE

1. Règlement de l'exercice du Droit dans les termes du projet soumis aux observations de l'Ordre en décembre 1987.
2. Fusion des conseils juridiques et des avocats, sous réserve d'une déclaration écrite des conseils juridiques par laquelle ils s'engagent sur l'honneur à ne pas dépendre d'une structure comptable.
3. Création de sociétés commerciales à objet civil pour l'exercice libéral.
4. Interdiction aux sociétés d'exercice juridique et judiciaire de faire référence à des sigles communs aux sociétés d'expertise comptable.
5. Mise en oeuvre d'un contrôle des capitaux sur les sociétés d'exercice juridique et judiciaire.
6. Reconnaissance et autorisation d'identification des cabinets par des dénominations composées du nom de plusieurs membres y compris décédés.
7. Publicité fonctionnelle des cabinets soumise à l'autorisation de l'Ordre.
8. Possibilité de salariat interne avec clause de conscience et maintien d'un contrat de collaboration spécifique.
9. Création d'associations régionales à financement et administration mixte États-Barreaux pour gérer les fonds d'aide légale. Conventions à durée déterminée permettant d'assurer une collaboration à temps plein d'avocats normalement rémunérés.
10. Fusion avec les avoués à la Cour.
11. Disparition des articles 55 et 64 de la loi du 31 décembre 1971 ainsi que prévu dans le projet de loi portant réglementation de l'exercice du droit (ces articles prévoient le statut actuel des avocats étrangers exerçant en France leur activité en tant que conseil juridique).
12. Intégration des avocats de la communauté dans les barreaux français avec la déontologie, le statut et la capacité des avocats français. Cette intégration sera automatique, dès la création de la profession unique née de la fusion pour les confrères de la communauté qui sont ou seront inscrits sur la liste des conseils juridiques. Elle le sera au terme d'un stockage ou d'un examen pour les autres, sauf évolution communautaire ou bilatérale encore plus favorable.
13. Intégration des avocats étrangers hors CEE dans les barreaux français sur un deuxième tableau avec la déontologie, le statut et la capacité des avocats français à l'exception de la représentation en justice. Cette intégration sera automatique pour les confrères étrangers actuellement inscrits sur la liste des conseils juridiques ou bénéficiant de l'article 64 de la loi du 31 décembre 1971. Pour l'avenir, ouverture de ce deuxième tableau en fonction d'accords inter barreaux ou de conventions bilatérales spécifiques.
14. Autorisation pour les avocats européens intégrés et pour les avocats étrangers hors CEE inscrits au deuxième tableau de s'associer ou de collaborer avec des avocats français.
15. Création d'un cadre d'extinction pour les avocats européens exerçant actuellement en France les fonctions de conseil juridique et qui ne désirent pas s'intégrer immédiatement dans les barreaux français. Ils disposeront de cinq ans pour le faire (conséquence de la décision n° 11).
16. Accueil des juristes d'entreprises dans la profession unique avec définition de leurs conditions d'exercice.
17. Recherche avec les conseils juridiques de la meilleure définition des rapports entre la fonction d'administrateur dans les entreprises et la nouvelle profession unique.
18. Harmonisation de la fixation des honoraires de l'avocat en Europe et définition de l'honoraire de résultat.
19. Possibilité de création de sociétés interprofessionnelles avec les avocats aux conseils, les notaires et d'autres professions juridiques réglementées.
20. Voeu de voir aboutir la réorganisation des structures de la profession d'avocat autour de la création d'Ordres régionaux et réflexion sur la possibilité de coordonner la nouvelle profession au plan national et européen.
21. Réforme de la formation avec ouverture la plus large du barreau aux diplômés des grandes écoles.


Paris, le 9 mai 1988

Bâtonnier de l'Ordre des avocats à la cour de Paris à la veille de 1992, à l'aube du 3e millénaire, mon premier et unique rendez-vous est avec l'avocat. Riche de son passé, de ses traditions et de sa culture, surmontant toutes les contradictions d'une histoire commencée pour lui dans ce pays bien avant Yves TREGUIER, il veut affronter la réalité européenne et la concurrence d'une pluralité de professions aussi semblables que différentes en se fondant dans le corps unique d'un juriste paradoxalement protéiforme.

Défi lancé aussi bien à l'institution ordinale qu'à chacun d'entre nous, qui exclut tout droit à l'erreur et impose un pari sans alternative puisque l'avocat français sera européen et unique, ou disparaîtra.

Mais également ambition légitime qui suppose une réflexion lucide et le courage d'une action concertée nécessairement inscrite dans un vaste projet de réformes de la justice et de son service.

Pour les favoriser, j'ai demandé à Monsieur Daniel SOULEZ LARIVIÈRE de préparer pour le Conseil de l'Ordre auquel il appartient, un rapport sur la réforme des professions juridiques et judiciaires, premier volet d'un ensemble d'études destinées à s'insérer dans une construction réfléchie sur ces vastes sujets, contribution que le barreau de Paris veut apporter à l'évolution nécessaire de la profession à laquelle il est fondamentalement attaché.

Le rapport de Monsieur Daniel SOULEZ LARIVIÈRE est d'abord et avant tout l'oeuvre d'un homme qui depuis des années concilie l'action exercée au quotidien et au plus haut niveau, en même temps que la réflexion prospective. Il pose sur notre profession le regard sans complaisance de l'acteur sur son propre jeu.

Il est riche d'une ample vision de notre exercice professionnel, confronté simultanément à l'ouverture grand marché européen et à l'afflux des jeunes. Il est fort de propositions pour l'avenir.

Ce travail est livré à votre méditation, tel qu'il m'a été remis et soumis au Conseil de l'Ordre sans retranchement ni correction pour qu'il nourrisse votre réflexion comme il participe de celle de l'Ordre tant il me semble que ce qui doit être fait doit l'être en accord avec vous ou ne pas être.

Votre contribution est donc essentielle à ce premier jalon de notre oeuvre commune. Nous retiendrons tous les commentaires et observations que vous voudrez bien nous adresser, persuadé qu'ils aideront à nos travaux. Nous devons aboutir à la définition d'un avocat, unique professionnel du droit, dont le destin sera de se mouvoir dans l'espace européen, libre et responsable, conseiller et défenseur d'un citoyen nécessairement mieux protégé.

Philippe LAFARGE, bâtonnier de l'Ordre


Le diagnostic

I. - 1. L'histoire

Comme beaucoup de corporations constituées en ordre et soumises à une déontologie rigide, la profession d'avocat pêche parfois par un excès de suffisance.

Une longue tradition née au XVIe siècle et fleurissant au milieu du XIXe, présente notre activité comme un sacerdoce détaché de toute préoccupation matérielle ente dépendant d'aucune circonstance historique.

Notre profession dispose d'un talent particulier pour dissimuler sous des grands principes moraux ce qu'elle imagine, parfois à tort, être la sauvegarde de ses intérêts.

Ainsi en 1579, lorsque Henry III voulut imposer un tarif, les avocats firent grève pour protester contre un règlement qu'ils estimaient « contraire à leur honneur ».

Voici quelques années, les avocats défilèrent dans les rues parce qu'ils craignaient que leur intervention dans les divorces ne soit plus obligatoire.

Les avocats démontrent également un amour excessif pour le suicide collectif. Il n'est que de se rappeler la délectation morose avec laquelle l'Ordre des Avocats se fit « hara-kiri » sous la révolution.

Ils adorent aussi les attitudes, se faisant les adeptes de l'adage « que périsse le navire pourvu que vivent les principes ».

Ce ne serait que très honorable, s'ils étaient capables de trouver les traductions modernes à des préoccupations légitimes d'indépendance, d'égalité ou de désintéressement.

Mais chaque année on s'aperçoit, à l'analyse de propos de certains jeunes, comme par exemple au sein de la Conférence du Stage, de l'extraordinaire capacité de répétition des lieux communs inventés par les ancêtres.

Le même phénomène se rencontre à l'École nationale de la magistrature. Les auditeurs encore très fragiles qui arrivent dans ce moule, recherchent des modèles identificatoires.

Les images modernes n'étant pas encore consolidées, c'est tout naturellement vers le corpus idéologique le plus désuet que la jeunesse se dirige en épousant les querelles et surtout les gadgets intellectuels des anciens.

Le discours fourre-tout sur l'indépendance de la magistrature a son symétrique : celui sur l'indépendance du barreau. Il est même extraordinaire d'entendre dans les organisations syndicales dites progressistes des propos sur le mode d'exercice professionnel répétant mot à mot des discours de bâtonniers de province déjà vieux en 1971.

C'est le propre de toutes les vieilles corporations que de se crisper sur des paroles et des pratiques archaïques.

Mais la dernière caractéristique dangereusement mortelle de la corporation des avocats tient à sa souveraine indifférence au marché.

Le postulat est le suivant. Nous existons depuis toujours car notre métier est indispensable au fonctionnement de la société. Donc cette société qui nous doit tant s'organisera pour nous permettre d'éviter la concurrence des avocats étrangers, pratiquant un exercice impur et des professions subalternes, telles par exemple celle des conseils juridiques.

Les idées nouvelles devenant des idées conventionnelles au bout de 20 ans, le projet de fusion avec les conseils juridiques fait moins peur.

Mais trop souvent les perspectives adoptées restent les mêmes. Comment défendre notre monopole ? Notre rente même maigre de situation ?

Très peut d'avocats raisonnent à l'endroit à partir du marché juridique et judiciaire en s'interrogeant sur les moyens de s'y adapter.

Ils tentent trop souvent de penser le marché tel qu'il résulte de leurs traditions, c'est à dire souvent de leur paresse.

Mis à part des cas particuliers, il n'existe pas d'esprit d'entreprise chez la plupart des avocats français.

Au mieux, cet esprit d'entreprise s'apparente à celui de la chasse et de la garde d'un animal qui s'appellerait le client.

Il faut le capturer, le placer dans un enclos et le tondre. On se préoccupe qu'il ne s'échappe pas, ça c'est pour la défense contre la concurrence ; on s'interroge sur l'importance de la tonte, ça c'est pour l'honoraire ; on prend soin de la santé de la bête, car si elle crevait on ne pourrait plus en vivre.

Voilà l'attitude de la plupart des avocats par rapport au marché, qu'il s'agisse des petits qui dépendent de la bête divorce, de la bête accident corporal ou des plus gros, qui ont capté des clientèles institutionnelles, compagnies d'assurances, administrations ou quelques grosse entreprises.

Comment expliquer autrement aujourd'hui l'absence de croissance en taille des avocats qui pour les 3/4 exercent individuellement et qui ne présentent que deux ou trois cabinets de dimension internationale.

Cette vérité dans le constat explique tout.

Il faut considérer que la corporation des avocats n'est pas la seule à présenter de comportements archaïques.

Ceux-ci s'inscrivent bien dans une logique française protectionniste qui habite encore trop les agents économiques et dont le pays souffre.

Parce qu'appliqués à un monde plus petit, ces comportements corporatistes sont plus voyants que dans d'autres secteurs d'activité comme par exemple l'éducation nationale, l'aviation civile, le commerce maritime, l'industrie, prisonniers qu'ils sont d'un syndicalisme destiné essentiellement à protéger des situations acquises mais dénué d'imagination pour assurer l'avenir.

D'autre part et surtout, le marché juridique et judiciaire français lui-même s'est développé très différemment des marchés étrangers.

La responsabilité du retard français dans l'organisation des professions s'explique ainsi d'une manière qui échappe à la compréhension des avocats qui n'aiment pas que la réflexion sur leur activité s'opère dans le sens marché-profession.

I. - 2. La situation des opérateurs professionnels en matière juridique et judiciaire

Voici les chiffres en 1987 :

États-Unis : 675 000 lawyers, 1 pour 500 habitants (y compris les 2 800 juges et les juristes d'entreprises)

RFA : 50 000 Rechtsanwälte, 1 pour 1 200 habitants

Japon : 20 000 Bengoshi, 1 pour 5 600 habitants (sans compter les juristes d'entreprises)

Espagne : 30 000, 1 pour 1 000 habitants

Grande-Bretagne : 48 000 Solicitors, 5 500 Barristers, 1 pour 1 000 habitants

Hollande : 4 100, 1 pour 3 400 habitants

France : 16 800 avocats, 4 900 conseils juridiques, 7 316 notaires, 83 avocats au Conseil
Total France : 29 099, 1 pour 2 000 habitants

Comment lire ces différences ?

L'explication tient à la façon dont l'État français s'est créé et a perduré par comparaison avec l'étranger.

Aux États-Unis, pays de common law, l'avocat est déjà sur le plan culturel un partenaire social important puisqu'il bénéficie d'une valorisation pus grande du rôle du juge.

Toutefois il faut noter que la place du lawyer est restée presque constante jusque vers les années 1930. C'est à partir du New deal que la progression du lawyer a été géométrique. Ainsi par exemple, dans la seule ville de Philadelphie, au cours de ces 20 dernières années, le nombre de lawyers est passé de 5 000 à 30 000, pourquoi ?

Parce que c'est à partir de 1930 devant la faillite économique qu'un redistribution des pouvoirs s'est effectuée aux États-Unis entre le gouvernement fédéral et les autorités locales.

Or qui pouvait servir de relais entre le citoyen et l'État, intervenant désormais beaucoup plus dans la vie économique et sociale ?

Certainement pas les fonctionnaires qui n'existaient pas en nombre suffisant ou ne disposaient pas de tradition et de légitimité.

Ce furent les lawyers qui remplirent ce rôle tampon entre la base et le sommet et qui finalement assurèrent la régulation sociale.

Au contraire en France, pays de droit écrit, le juge est à l'origine moins important comme l'avocat qui en dépend. Mais surtout très tôt au milieu du XVIIe siècle, l'État a cessé d'être un État de justice géré par des gens de robe pour devenir un État de finances et de police géré par des fonctionnaires.

Parce que les parlements qui avaient pourtant à l'origine un rôle non seulement judiciaire mais aussi de police générale se sont sclérosés à causse de la vénalité des charges, le Roi a choisi de s'appuyer sur un corps d'intendants.

Notre École nationale d'administration aujourd'hui, est la lointaine héritière de la grande Ordonnance de Louis XIV du 16 septembre 1663 sur les intendants.

La haute fonction publique est en France le pouvoir régulateur. Elle y tient presque la même place que les plus grands lawyers aux États-Unis.

Qu'il s'agisse de la banque, des grandes entreprises nationales, des cabinets ministériels, de l'armature des partis politiques, le fonctionnement est partout.

Sa perspective sociale telle qu'elle résulte de sa formation et de la tradition historique, n'a rien de juridique. Elle est celle du commandement et du recours selon l'expression consacrée à « l'autorité de l'État ».

La place du juriste dans l'appareil d'État est faible voire nulle.

Même dans la préparation de lois, rares sont les juristes organiquement consultés. Il appartient parfois à la chancellerie d'éviter des naufrages en rattrapant in extremis des textes pour des raisons techniques.

A la limite on concède aux juristes un rôle d'écrivains publics chargé de mettre en forme des décisions prises sans leur intervention.

L'administration (déteignant parfois sur la magistrature elle-même) vit encore sur le mythe du contact direct avec l'administré qui ne songe guère à avoir recours à un conseil pour ne pas l'indisposer.

Jusque voici encore une dizaine d'années, il n'était pas rare de voir confier des postes de « directeur du contentieux » dans de grosses entreprises à l'ancienne secrétaire du patron parti à la retraite.

Le juriste a été longtemps vécu comme non créatif, censeur et relégué dans l'entreprise derrière le technicien et le commercial, appréciés eux comme des éléments productifs.

De surcroît, la Nation française étant, de par l'histoire de sa création, une société centralisée sans aucun fédéralisme, le marché du juridique et du judiciaire qui se loge souvent, comme en Allemagne ou en Italie, dans  ce secteur des conflits de lois, est plus faible chez nous.

Il reste que sur le plan économique, le juriste n'a pas été valorisé en tant que technicien.

En revanche, le royaume de l'avocat a été longtemps celui de la parole.

La naissance de la démocratie sous la IIIe République requérait l'utilisation de professionnels de ce savoir faire. Les avocats étaient les seuls à posséder cette technique du discours.

Comme les problèmes politiques n'étaient ni économiques ni financiers jusqu'au Front Populaire, les avocats trouvaient matière à exercice de leur talent sur des idées générales ou des problèmes de moeurs ou de sociétés.

Ils ont occupé le haut du pavé pendant un siècle et demi. Le marché des avocats était celui de la politique.

Ainsi, 110 à 150 avocats ont régné sur le Parlement de 1881 à 1936. Une soixantaine de 1946 à 1958.

Ce chiffre est tombé à moins de 34 à partir de 1962.

Ce marché politique a donc aujourd'hui presque disparu à cause de la technicité plus grande des problèmes à traiter et de la conquête achevée du pouvoir par les fonctionnaires qui, par leur formation et leur implantation dans la société, bénéficient en tant que technocrates de la position du « sujet supposé savoir » tandis que l'avocat est relégué au rang des tableurs.

Éliminé de sa réserve de chasse, l'avocat tout enivré des principes qu'il célébrait au temps de sa puissance, s'est laissé, sans réagir, tailler des croupières par d'autres professions nées de la nécessité, tels les conseils juridiques. Certains de ces conseils se sont organisés en sociétés commerciales prospères qui ressemblent un peu à certaines structures étrangères (cabinet LEFEBVRE, FIDUCIAIRE DE FRANCE, etc.).

Ces sociétés ainsi que quelques organisations libérales ont fait, avec le marché juridique français très retardataire, ce qu'elles pouvaient de mieux. Il n'en reste pas moins vrai que le marché juridique et judiciaire en France représente encore 1 % du produit national brut alors qu'aux États-Unis, il en constitue 3 %.

I. - 3. L'échec de la réforme de 1971

L'arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958 a marqué pour la France une étape vers la modernisation dont le rapport Armand RUEFF a constitué l'une des chartes.

Le judiciaire a bénéficié de cette révolution comme en témoignent la revalorisation des fonctions de juge, la création de l'ENM et le souci, dix ans plus tard, de rationaliser les professions dans ce secteur d'activités juridique et judiciaire.

Contraint à la réflexion sous la pression des gouvernements, les Ordres d'avocats engoncés dans leurs préjugés, victimes de la volonté réactionnaire de leurs « bouilleurs de crus » et des adeptes de « l'épicerie fine » ont laissé passer leur chance.

La fusion avec les conseils juridiques a été écartée sous la pression de la province, des tenants de la « tradition » à Paris et malgré la bataille menée par les militants réformistes syndicaux de l'Association nationale des avocats (ANA).

L'un des prétextes utilisé fut l'existence des sociétés fiduciaires dont les avocats pensaient qu'elles étaient inassimilables par leur profession et incompatibles avec celle-ci.

En d'autres termes, les Barreaux torpillent la création d'une grande profession comparable à ce qui existe dans d'autres pays industrialisés en dénonçant les juristes organisés de façon moderne pour servir un marché à l'abandon.

C'est dire la puissance du corporatisme sur le plan négatif, de la défense la plus obscurantiste d'intérêts stériles et à court terme.

Les politiques plus avisés que ces professionnels, s'efforcèrent malgré cet obstacle de faire une oeuvre législative utile.

C'est ainsi que René PLEVEN présenta la loi du 31 décembre 1971 comme un cadre extrêmement libéral susceptible de créer à Paris un nouveau marché international du droit.

Puisque les avocats refusaient la fusion avec les conseils juridiques, l'État permettait à ceux-ci de devenir une profession à part entière, mieux construite,  dotée d'organismes régionaux, et nationaux.

Mais surtout le garde des sceaux de l'époque ainsi les conditions les plus larges pour l'installation des juristes  étrangers.

Ainsi la loi du 31 décembre 1971, consacre-t-elle l'échec des juristes français pour se moderniser mais constitue-t-elle des conditions paradoxales de cette modernisation unique du marché juridique national grâce à l'arrivée des juristes étrangers.

Pourquoi ?

Dans les autres pays européens, la profession d'avocat est bien assise, unique et prospère donc suffisamment forte pour avoir obtenu le bénéfice d'un protectionnisme solide.

Dans la France depuis 1971 est donc, en Europe avec la Belgique, l'État le plus favorable à l'installation des avocats étrangers.

La France depuis 1971 est donc, en Europe avec la Belgique, l'Etat le plus favorable à l'installation des Avocats étrangers.

L'article 64 de la loi du 31 décembre 1971 a régularisé la présence des individus et groupements étrangers installés avant le 1er juillet pour exercer le droit.

L'article 55 de cette loi autorise « les personnes de nationalité étrangère » à donner des consultations rédiger des actes en droit étranger et international à condition d'être inscrites sur la liste des conseils juridiques prévu à l'article 54.

Quant aux ressortissants de la CEE, ils n'ont même pas besoin de s'inscrire sur cette liste.

La survivance des conseils juridiques a donc permis l'installation en France de juristes étrangers dans l'indifférence des Barreaux ravis de serrer plus fort dans leurs poches les clés de leur Palais.

Dix-huit ans après, les avocats se réveillent et crient devant la concurrence « des avocats américains » sans comprendre d'une part que leur aveuglement est la cause directe de cette situation, et en concevant encore moins que l'installation de ces confrères d'outre Atlantique ou de la CEE est un atout à long terme parce qu'il est la condition d'une révolution par la création d'un marché nouveau.

I. - 4. Le marché juridique et judiciaire français

Il s'agit d'un marché tellement en retard qu'il est en pleine expansion.

Tout d'abord sur le plan international, la place de Paris ainsi qu'il l'a été dit, est devenue privilégiée.

Compte tenu de l'importance des cabinets internationaux exceptionnels en Europe, une très grande quantité de contrats internationaux prévoient la capitale comme lieu d'un arbitrage éventuel.

Les entreprises étrangères et notamment américaines trouvent sur place leur conseil et développent l'activité locale au lieu d'emporter avec eux leurs avocats.

Les agents économiques important de l'Afrique et du Moyen-Orient francophones ou parfois francophiles, et en tout cas avides de spécialistes du droit, se dirigent sur Paris pour choisir de conseils.

Sur le plan national, on assiste à une modification importante des comportements des agents économiques par rapport au juridique.

L'internationalisation des affaires a eu des effets pédagogiques.

Depuis 5 ans, les entreprises se rendent compte que le conseil est nécessaire.

Certains cabinets d'avocats français importants et particulièrement versés dans le juridique ont vu leur chiffre d'affaires et leur personnel se multiplier, parfois doubler dans les trois dernières années.

Les anciennes secrétaires de patron parties à la retraite laissent la place, à la tête des services juridiques des entreprises, à de jeunes juristes brillants ou même à des anciens avocats qui n'ont pas échoué et qui se voient offrir des situations très remarquables.

L'État n'hésite plus à avoir recours à des avocats ou des conseils pour certaines de ses grandes opérations économiques ou ses sinistres internationaux.

Il est vrai qu'il est souvent recours à des professionnels étrangers, car les nationaux sont parfois encore de taille insuffisante pour supporter le choc de prestations nécessitant un investissement en personnel et en temps très considérable.

La création d'un fédéralisme européen qui va partiellement s'accomplir en 1992 crée un marché très fort, hautement spécialisé et fortement générateur de chiffre d'affaires pour le secteur juridique.

Ce fait historique est une chance considérable pour l'activité française trop longtemps sclérosée à cause de la centralisation de l'autorité étatique et administrative.

En outre, sans pour autant rêver à la fin du Colbertisme dans ce pays, on ne peut que constater que les français ont de plus en plus recours aux juges pour arbitrer leurs conflits entre eux et même entre eux et l'administration.

Malgré les résistances dont une des plus récentes caricatures est celle relative à l'intervention des tribunaux dans la grève des pilotes d'Air-Inter, une certaine habitude se prend de considérer le juge comme un régulateur social possible avec pour corollaire l'intervention des auxiliaires de justice.

La société change et l'explosion judiciaire, aussi bien dans le contentieux civil qu'administratif, en porte témoignage.

Des secteurs entiers très importants sont en friche, comme par exemple le marché assisté. La demande judiciaire, civile et pénale, croît considérablement.

En quinze ans, le nombre des bénéficiaires de l'aide judiciaire partielle et totale est passé de 54 196 à 244 376. Le budget de cette assistance judiciaire est passé de 94 800 000 F en 81 à 300 000 000 en 1986 grâce à une politique irréversible.

Et nous somme encore dans des rapports de 1 à 7 en comparaison avec les autres grandes démocraties.

Quant aux Commissions d'office pénales, elles ont commencé à être prise en compte financièrement par l'État en 1981.

Le budget avant cette date était égale à zéro. Le nombre d'indemnités versées était de 16 787 en 1983 et de 111 487 en 1986. Le budget total est de 29 286 000 F soit trois fois moins que dans la seule ville de Philadelphie aux États-Unis qui compte 2 000 000 d'habitants. Sur le plan pénal, le rapport avec d'autres démocraties est de 1 à 50.

Mais le mouvement mis en branle en 1981 est impossible à arrêter. Il s'agit d'un besoin de société.

Malgré leur organisation désuète, les avocats voient leurs revenus grandir de 10 % chaque année.

Il est vrai qu'une des causes de cette apparence statistique tient à une vérité et une moralité fiscale de plus en plus grande.

Mais contrairement à une idée reçue, l'avocat français ne voit pas ses rémunération diminuer mais augmenter.

En 1980, 60 % des avocats avaient un revenu inférieur à 100 000 F par an (statistiques de la CNBF).

Aujourd'hui 60 % disposent d'un bénéfice inférieur à 180 000 F.

Pour les cabinets soumis au régime de la déclaration contrôlée, soit près de 80 % le niveau moyen des chiffres d'affaires se situe à environ 600 000 F (statistiques de l'ANAAFA).

En 10 ans, le chiffre d'affaires moyen des avocats a doublé, passant de 301 286 F à 635 471 F et les bénéfices triplés, passant de 117 031 F à 300 484 F de même que celui des conseils juridiques, passant de 292 546 F à 722 765 F et 96 506 F à 281 779 F (statistiques de la DGI 1975-1985 non publiées et communiquées au rédacteur du rapport).

Ces chiffres restent faibles par rapport aux standards internationaux qui montrent qu'un avocat produit environ 1 600 000 F de chiffre d'affaires en travaillant seul.

Les statistiques ne tiennent pas compte d'un peu plus de 1 800 confrères au forfait, dont les chiffres d'affaires s'établissent au-dessous de la barre des 175 000 F.

Quoi qu'il en soit, même si une frange de 20 à 25 % des avocats reste au dessous du seuil de la prolétarisation en col blanc, le mythe de la paupérisation du grand nombre est faux.

Depuis trois ans, chaque année, la profession génère 200 employeurs de plus et 1 000 emplois de salariés nouveaux (statistiques de la CREPA).

C'est dire que la situation n'est pas du tout catastrophique. Elle est simplement terriblement médiocre car les professionnels souffrent d'une sous-organisation qui ne leur permet pas de profiter de l'élargissement d'un marché qui offre de très larges perspectives.

Il est absolument fou de constater que la rentabilité de près de la moitié des cabinets français est encore fondée sur l'exploitation d'un monopole de représentation en matière de divorce et d'accidents corporels alors que le marché français est en pleine évolution aussi bien du côté national (grandes entreprises, PME, PMI, particuliers non assistés, particuliers assistés) qu'au plan international.

Aucun pays industrialisé ne part d'aussi bas et n'offre de perspectives de croissance plus forte alors qu'en revanche, des pays comme les États-Unis ont un marché qui commence à se saturer.

Tous les chiffres d'affaires sont là pour démontrer que malgré leur archaïsme féroce, les avocats profitent des miettes de ce « boom » faut d'être adaptés à la demande du marché qui exige une autre formation professionnelle, une autre organisation matérielle et une attitude mentale différente de celle de la tonte d'un animal captif.

En résumé, la problématique française est la suivante : sur une infrastructure très en retard, mais au potentiel de développement considérable, un marché international du droit extrêmement sophistiqué s'est créé.

C'est un peu, en caricature, la situation des pays en voie de développement qui, vivant encore des fruits d'une activité dans le secteur primaire, voient s'installer sur leur territoire un secteur  tertiaire international de très haute qualité.

Pour les pays sous-développés, ce type de situation est souvent générateur de catastrophes économiques et humaines. Cela ne peut être le cas en France dans le secteur juridique malgré tous les corporatismes qui empêchent de voir clair et valorisent à l'excès de pratiques archaïques.

La profession d'avocat est au coeur de cette problématique.

La réalisation de l'acte unique européen la plonge comme les autres secteurs d'activités dans un débat qui peut être mortel ou salvateur.

I. - 5. La situation des juristes français et étrangers perspective européenne

Fin 1986, on dénombrait 16 484 avocats dont 2 581 stagiaires. En 10 ans, leur nombre a crû de près de 20 %. A Paris, il n'existe que 200 SCP et 160 associations qui regroupent 1 200 avocats soit moins d'un cinquième. Sur le territoire national les chiffres sont moins importants mais n'ont pu être calculés.

En revanche, les comptes de l'ANAAFA montent que le nombre moyen par association ou SCP est de l'ordre de 2,7, ce ratio est identique pour 84, 85, 86.

A la même date (86), on trouve 4 691 conseils juridiques dont 3 712 associés. Leur nombre de 4 047 voici 10 ans a stagné pour chuter à 3 995 en 1985 et remonter à 4 691 en 1986.

Les notaires sont 7 316 dont 3 294 associés.

Il existe 330 avoués près les cours d'appel.

Ainsi que 2 872 conseils.

Et 83 avocats au conseil.

A Paris sur 1 100 conseils juridiques inscrits sur la liste du Parquet, 100 au moins sont des conseils étrangers.

Sur 154 sociétés de conseils, 32 sont étrangères. Enfin sur 300 conseils juridiques inscrits et répertoriés comme collaborateurs, 90 qui figurent sur les listes, collaborent à des cabinets étrangers.

Par « étrangers », il faut entendre juristes ou avocats hors CEE ou avocats CEE qui ans y être obligés par la loi du 31 décembre 1971 ont quand même voulu s'inscrire sur la liste de conseils juridiques prévus à l'article 54 de la loi.

Il n'existe pas de statistiques sur les étrangers non inscrits sur la liste du Parquet, puisque par définition leur recensement n'est pas obligatoire.

La première observation à propos de ces chiffres tient à ce fait absolument aberrant : il n'existe pas de statistiques faites systématiquement sur les professions juridiques et judiciaires. Mis à part les trois pages de l'annuaire statistique de la Chancellerie, qui comporte quelques indications très incomplètes sur quelques professionnels, le travail doit être fait à la plume à partir soit des documents bruts de la DGI ou de l'ANAAFA soit des annuaires de conseils juridiques, qui ne tiennent pas de catégories à part pour les étrangers, soit des annuaires des avocats.

C'est une bonne indication du sous-développement dans lequel le juridique et le judiciaire est tenu.

La deuxième observation tient à ce que toute profession juridique et judiciaire significative confondue, on arrive à un chiffre de 29 000 personnes soit environ un juriste pour 2 000 habitants c'est à dire quatre fois moins qu'aux États-Unis, deux fois moins qu'en Espagne et 80 % de moins qu'en Allemagne qui ne connaît pas de division aussi hétéroclite. Il est donc faux de dire que le nombre des juristes est suffisant en France. Il est notoirement insuffisant par rapport à nos concurrents directs.

La troisième observation tient à la taille des cabinets. A la vérité, il n'existe, hormis les fiduciaires, aucune structure de taille européenne, mis à part deux ou trois cabinets d'avocats et une petite douzaine de cabinets de conseils juridiques. La majorité des associations ou SCP d'Avocats ne sont que le jumelage de deux ou trois activités individuelles. Encore bien souvent on ne peut parler d'association que par un abus de langage. Il s'agit la plupart du temps de groupements de moyens et de cabinets juxtaposés qui souvent explosent à la première tension.

Quant aux deux ou trois cabinets importants, ils sont complètement hétérogènes par rapport à la profession. Celle-ci ne connaît nullement l'entreprise au sens où les américains et les britanniques l'envisagent.

Les 10 cabinets américains qui dominent le marché juridique mondial (BACKER & MC KENZIE 1 050 avocats, JONES DAY 800 avocats, SKADDEN ARPS 700 avocats, SHERMAN & STERLING, CLEARY GOTTLIEB, etc.) rassemblent environ 6 000 avocats.

En Angleterre, la firme de Solicitors CLIFFORD TURNER vient de fusionner avec COWARD CHANCE. Elle constitue le premier cabinet anglais devant LINKLATERS & PAYNES.

Ce nouveau cabinet comporte 160 assolés et 470 juristes. Il emploie 1 350 personnes.

En Hollande, cinq associations regroupent 375 avocats et 75 notaires.

En Allemagne, 41 % des avocats sont associés.

La seule « Fiduciaire de Suisse » emploie 1 700 personnes et fait un chiffre d'affaires de 208 millions de francs suisses (810 millions de francs français) dont 14 % (soit 120 millions de francs français) en conseils juridiques. Ce chiffre est supérieur au chiffre d'affaires du plus important des cabinets d'avocats français.

Enfin, les principaux cabinets étrangers, essentiellement américains et déjà installés en France, excèdent très largement la taille française, mis à part les deux cabinets d'avocats français le plus gros et les cabinets de conseils juridiques du type cabinet Francis LEFEBVRE ou FIDUCIAIRE DE FRANCE.

Devant une telle avalanche de chiffres, l'avocat français a tendance à crier au géant anglo-saxon « small is beautiful » et à se recroqueviller sur son petit monopole en astiquant les clefs de ses palais. Mais il n'a pas encore tout vu ni tout compris.

Voici qu'une nouvelle menace pointe à l'horizon. Celle de la conquête du marché juridique par une profession qu'il ignore : les grands cabinets d'audit et d'expertise comptable internationaux.

I. - 6. L'OPA des cabinets d'audit anglo-saxons sur le marché juridique international : les BIG EIGHT

I. - 6.A. Les prémisses

Le retard français par rapport au juridique, trouve naturellement son symétrique pour l'expertise comptable. Dans les années de l'après-guerre, les experts comptables préparaient la comptabilité en vue de la présentation des comptes des sociétés aux associés et au fisc. Ils n'étaient pas toujours crédibles en Bourse, non plus que vis à vis de l'administration. La profession a commencé à se moderniser sérieusement après la loi de 1966.

Mais à ce moment-là, l'évolution était déjà faite aux États-Unis et les firmes américaines étaient déjà placées sous le contrôle de la COB américaine et des grands cabinets d'audit. Ceux-ci ont connus un développement considérable, étant soumis à une concentration radicale. On les appelle aujourd'hui les « BIG EIGHT ».

Les voici :
 Nom du cabinet : ARTHUR ANDERSEN
Chiffres d'affaires en 1986 : 1,924 M $ Nombre de personnes : 36 100 Nombre d'associés : 1 630 Nombre de bureaux : 191
Nom du cabinet : PEAT MARWICK + KLYNWELD MAIN GOERDELER = KPMG Chiffres d'affaires en 1986 : 1,672 M $ Nombre de personnes : 32 200 Nombre d'associés : 2 553 Nombre de bureaux : 335
Nom du cabinet : COOPER & LYBRAND Chiffres d'affaires en 1986 : 1,700 M $ Nombre de personnes : 38 500 Nombre d'associés : 5 000 Nombre de bureaux : 600
Nom du cabinet : PRICE WATERHOUSE Chiffres d'affaires en 1986 : 1,488 M $ Nombre de personnes : 32 700 Nombre d'associés : 2 850 Nombre de bureaux : 519
Nom du cabinet : ERNST & WHINNEY Chiffres d'affaires en 1986 : 1,492 M $ Nombre de personnes : 28 800 Nombre d'associés : 2 199 Nombre de bureaux : 359
Nom du cabinet : ARTHUR YOUNG Chiffres d'affaires en 1986 : 1,160 M $ Nombre de personnes : 27 400 Nombre d'associés : 2 560 Nombre de bureaux : 370
Nom du cabinet : TOUCHE ROSS Chiffres d'affaires en 1986 : 1,151 M $ Nombre de personnes : 27 500 Nombre d'associés : 2 550 Nombre de bureaux : 463
Nom du cabinet : DELOITTE HASKINS ?& SELLS Chiffres d'affaires en 1986 : 1,188 M $ Nombre de personnes : 26 800 Nombre d'associés : 2 125 Nombre de bureaux : 433
TOTAUX (sans tenir compte de KPMG) Chiffres d'affaires en 1986 : 12 MM $ Nombre de personnes : 250 00 Nombre d'associés : 18 600 Nombre de bureaux : 3 044.

(Situation en 1986)

On peut considérer qu'en deux ans, l'ensemble de ces chiffres a subit une augmentation de 30 % à 40 %.

Depuis quelque cinq ou six ans, le marché américain de l'expertise et de l'audit est saturé. La croissance des BIG EIGHT dans ce secteur est égale à zéro. Ils se sont donc attaqués au marché européen et notamment aux firmes françaises.

Un modus vivendi avait été trouvé dans les années 70 à la suite de l'action du président de la commission régionale de Paris.

Deux sociétés d'expertises américaines avaient été poursuivies au motif qu'elles faisaient de la révision et de l'expertise. Elles avaient toutes deux été condamnées à un an de suspension. Puis à la suite d'un traité de paix, il fut convenu que les cabinets d'expertise en France ne pourraient se référer à des firmes anglo-saxonnes. Les apparences étaient sauves. Toujours est-il que depuis le cinq dernières années et avec la bénédiction du ministère des finances qui apprécie la signature et la compétence des BIG EIGHT, il n'existe plus que deux cabinets français parmi les 11 premiers cabinets d'expertise comptable, selon le tableau suivant :
 Nom du cabinet : HELIOS STRECO DURANDO (ARTHUR YOUNG) Chiffres d'affaires en 1986 : 249 889 MF Nombre de personnes : 517 Nombre de bureaux : 8
Nom du cabinet : PETITEAU SCACCHI & ASSOCIES (PRICE WATERHOUSE Chiffres d'affaires en 1986 : 228 500 MF Nombre de personnes : 470 Nombre de bureaux : 9

Nom du cabinet : FIDUCIAIRE DE France (AUDIT) (KPMG) Chiffres d'affaires en 1986 : 184 000 MF Nombre de personnes : 408 Nombre de bureaux : 200

Nom du cabinet : GUY BARBIER ET ASSOCIES (ARTHUR ANDERSEN) Chiffres d'affaires en 1986 : 182 000 MF Nombre de personnes : 358 Nombre de bureaux : 3
Nom du cabinet : DEBOIS DIETERLE ET ASSOCIES (TOUCHE ROSS) Chiffres d'affaires en 1986 : 163 000 MF Nombre de personnes : 363 Nombre de bureaux : 4
Nom du cabinet : ACL AUDIT (COOPER LYBRAND) Chiffres d'affaires en 1986 : 152 000 MF Nombre de personnes : 356 Nombre de bureaux : 12
Nom du cabinet : BEFEC MULQUIN ET ASSOCIES * FRANÇAIS LIE AU CABINET LEFEBVRE Chiffres d'affaires en 1986 : 140 000 MF Nombre de personnes : 272 Nombre de bureaux : 1 Nom du cabinet : FRINAULT FIDUCIAIRE (ARTHUR ANDERSEN) Chiffres d'affaires en 1986 : 117 326 MF Nombre de personnes : 216 Nombre de bureaux : 1
Nom du cabinet : CASTEL JAQUET ET ASSOCIES MONTEC (ERNST & WHINNEY) Chiffres d'affaires en 1986 : 113 000 MF Nombre de personnes : 229 Nombre de bureaux : 2
Nom du cabinet : SECOR ET DRA (FRANÇAIS) * Chiffres d'affaires en 1986 : 110 000 MF Nombre de personnes : 271 Nombre de bureaux : 5
Nom du cabinet : AUDIT CONTINENTAL (PEAT MARWICK) (KPMG) Chiffres d'affaires en 1986 : 92 000 MF Nombre de personnes : 160 Nombre de bureaux : 3

Sur les onze cabinets suivants dont le chiffre d'affaires s'étale entre 89 millions de francs et 51 millions de francs, 3 ont été déjà rachetés par les BIG EIGHT.

Le mouvement va en s'amplifiant et normalement dans moins de 10 ans, la quasi-totalité de l'audit et de l'expertise comptable en France sera possédée par les 8 grandes firmes internationales. La conquête du marché des PME et PMI est déjà commencée. Le rachat des petits cabinets de province est en cours. ARTHUR YOUNG vient de racheter des cabinets à Tours, Blois, Romorantin.

La situation française ressemblera donc dans quelques années à la situation américaine. Tous les cabinets seront américains et aucun ne sera individuel.

I. - 6.B. Le principe de la conquête par les BIG EIGHT

En quoi ces chiffres concernent-ils les avocats ?

Pour une raison très simple. C'est qu'avec toute leur puissance, ces firmes qui totalisent un chiffre d'affaires de 12 milliards de dollars, soit près de 70 milliards de francs (plus de la moitié du budget du ministère de la défense en France), qui rassemblent 25 000 associés et 300 000 personnes de par le monde, s'attaquent au marché juridique en France.

Ainsi qu'il a été rappelé, leur croissance aux USA est égale à 0. Dans leur pays d'origine, il leur est interdit de faire du droit. La profession de lawyer est suffisamment forte sur le plan social pour faire respecter la frontière entre la comptabilité, l'expertise, l'audit, le commissariat aux comptes d'une part, et le juridique d'autre part.

Aux États-Unis, les États locaux ont adopté des textes législatifs réservant aux juristes (lawyers) le droit exclusif d'exercer la profession d'avocat et de conseil juridique. Ce monopole est surveillé par la profession juridique américaine elle-même qui a établi de nombreuses commissions chargées d'empêcher l'exercice non autorisé de la profession (Unlawful Pratice of Law).

Le rapport de forces est donc stabilisé aux États-Unis.

Le marché américain étant insuffisance et n'offrant aucune perspective de croissance, les Big Eight se sont donc attaqués au marché européen de l'expertise et de l'audit.

La conquête est pratiquement terminée. Mais ce n'est pas suffisant. Il reste à dévorer le marché du juridique dont il a été dit précédemment qu'il est encore en friche.

Cette conquête n'est pas simplement un désir de la part des Big Eight. C'est une nécessité.

Certains de ces mastodontes ont des problèmes financiers qui vont se révéler tragiques dans les années qui viennent. D'eux d'entre eux par exemple, n'auraient pas provisionné la retraite de leurs associés.

La concentration n'est pas encore arrivée à son terme.

Les spécialistes pensent que dans les prochaines années, les Big Eight ne seront plus que quatre.

Ainsi, la conquête du juridique n'est ni un caprice ni un luxe mais une nécessité économique pour eux.

I. - 6.C. Les méthodes de la conquête

Il faut d'abord considérer que le marché français n'est même pas occupé complètement par les professionnels, qu'il s'agisse des conseils juridiques ou des avocats.

Prenons un exemple. La création du MATIF en France, n'a guère éveillé la curiosité des nationaux. En revanche, les américains l'ont étudié six mois avant son installation et sont venus proposer aux clients intéressés tout un service, alors que les juristes ignoraient encore son existence.

Le droit de la bourse, le droit fiscal, le droit international, ne sont pas exploités complètement par des professionnels trop divisés et incapables de présenter sur le marché, des services juridiques complets et articulés.

Donc, la profession, à la fois, est molle dans ces structures et n'occupe pas le terrain.

Dans un premier temps, l'expertise comptable française a traditionnellement fait déborder son activité sur le juridique.

Certes, l'article 22 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 stipule :
« Ils (experts comptables) peuvent donner des consultations, effectuer toutes études et tous travaux d'ordre statistique, économique, administratif, juridique ou fiscal et apporter leur avis devant toute autorité ou organisme public ou privé qui les y autorise, mais sans pourvoir en faire l'objet principal de leur activité et seulement s'il s'agit d'entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d'ordre comptable de caractère permanent ou habituel, ou dans la mesure où lesdites consultations, études ou travaux sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés ».

L'expertise comptable française a donc exploité gentiment le secteur juridique, mais avec la taille familiale et une certaine réserve de la part des agents traditionnels.

En revanche les Big Eight ont très rapidement compris le parti à tirer de la situation.

Dans un premier temps, ils ont agit avec prudence, utilisant des réflexes appris aux États-Unis.

A chaque occasion lorsqu'ils préconisaient un certain nombre de mesures de montage ou de remontage juridique pour des raisons comptables, ils orientaient les clients vers des juristes.

Parfois, ils leur en trouvaient un.

Puis très rapidement ils ont pris conscience d'un environnement défaillant, d'un sous-développement des firmes d'avocats et de conseils et de leur incapacité à renvoyer l'ascenseur, faute d'avoir le goût et la clientèle pour le faire.

La solution la plus simple a donc consisté à créer des sociétés de conseils juridiques, parfois dans le même immeuble (la tour Fiat pour PEAT MARWICK et la tour GAN pour ARTHUR ANDERDEN).

La lettre de la loi est respectée.

Le capital appartient pour 51 % à des professionnels. La publicité est faite par des sociétés du groupe qui ont le droit d'en effectuer comme par exemple par ARTHUR ANDERSEN par la société de conseil en management.

Mais en réalité, l'appartenance au groupe permet la présentation à la clientèle, d'une seule entité sous une signature prestigieuse.

Qu'on ne croit pas qu'il s'agisse seulement de la capture de grosses affaires et que les Barreaux de Draguignan et de Coutances échapperont à cette concurrence. Il n'y a pas de petites affaires mais seulement des bonnes et des mauvaises. Un marché de petites et moyennes affaires correctement géré peut apporter un profit substantiel.

L'organisation + la publicité + la puissance financière, sont un atout considérable pour ces cabinets.

Certains de leurs dirigeants parlant des avocats français, disent en riant « ne vous faites aucun souci, nous vous rachèterons tous par immeuble ou par appartements ». Il est vrai que cela commence même en province pour les cabinets de conseils juridiques avec des bonheurs divers, comme par exemple à Lyon (le cabinet RATEAU a été racheté par PEAT MARWICK puis revendu).

Indépendamment de la publicité et des OPA sur les cabinets existants, les Big Eight sont accusés, en France, de pratiquer un large politique de dumping.

La fonction d'expertise comptable amène à connaître les comptes de dépenses des entreprises pour le juridique. Il est alors assez facile de présenter un budget pour le juridique inférieur, même éventuellement à perte, ce qui constitue un investissement pour l'avenir.

Certes, les Big Eight ne sont pas encore présents sur le front de toutes les plus grosses affaires.

Ils ont commencé à dévorer le juridique moyen, par exemple la gestion ordinaire des sociétés. Toutefois ce mouvement, par la base, est complété d'une manière redoutable par le haut.

C'est ainsi que lorsqu'une société française est placée sur le marché boursier de New York ou crée une filiale américaine, elle a nécessairement recours à l'un des Big Eight pour cette introduction. Une fois dans la place, le cabinet américain remonte à la tête, déloge l'audit français à Paris, et commence à vendre son juridique. Il en va de même lorsqu'une société américaine s'implante en France.

Elle amène dans ses bagages, l'un des Big Eight qui fait le ménage tout autour de la société achetée.

Une fois que le cabinet d'audit est en place, son rayonnement n'est pas seulement national mais international. En effet, les mécanismes d'affiliation et de correspondance permettent a prescription obligatoire d'un membre du groupe pour le client qui cherche un conseil sur n'importe quelle partie du globe.

Enfin, il arrive même parfois que la firme contrôlée passe sous la gestion directe du cabinet d'audit, dans la mesure ou celui-ci lui fournit des cadres administratifs supérieurs de direction puisés en son sein.

I. - 6.D. La situation actuelle

Les avis sont partagés sur le nombre actuel des juristes travaillant pour l'audit. Les Big Eight emploient près de 2 000 juristes en France (y compris la Fiduciaire de France, KPMG).

La question est de savoir combien de ces juristes font autre chose que du droit fiscal.

Certains estiment au moins la moitié, d'autres pensent que cela ne dépasse pas les 200.

Toujours est-il que ces cabinets drainent beaucoup de jeunes dès la formation.

Il a été vu qu'en 1986, COOPER & LYBRAND a recruté 17 des 30 étudiants formés par le diplôme de juriste conseil d'entreprise à Montpellier. 80 % des étudiants formés à Dijon au DEA de fiscal enseigné par Monsieur GOZIAN partent vers des cabinets d'audit étrangers.

Un important débauchage s'opère chez les jeunes juristes employés, notamment dans les cabinets américains, grâce à des offres de salaire de 30 à 60 % supérieur au marché.

Mais ce débauchage n'a pas encore atteint le niveau des associés. Aujourd'hui, si ont fait le compte des cabinets d'affaires réunissant plus de 30 professionnels du droit, on observe la présence de :
- 4 cabinets d'avocats ;
- 6 cabinets étrangers ;
- 7 cabinets de conseils juridiques dépendant d'experts comptables étrangers à raison de 4 sur 7.

II. - Les politiques

II. - 1. Le repliement

La première attitude qui vient à l'esprit est celle du repliement. Puisque les avocats disposent d'un monopole, autant s'y accrocher.

Puisque la fusion avec les conseils juridiques va permettre d'introduire les loups dans la bergerie, gardons-les à l'extérieur.

Luttons contre l'installation des avocats CEE par tous les moyens et freinons l'activité des « cabinet américains ».

Dénonçons les transformations de structures et la création de sociétés commerciale incompatibles avec les principes traditionnels de la profession.

En résumé, pour reprendre l'expression d'un Bâtonnier « gardons les clefs de nos palais ».

Vingt ans plus tard, ce serait la répétition du même cri qui détruisit les possibilités de réforme en 1971.

Un moins grand nombre d'avocats que voici 20 ans, partage cette analyse.

Tout d'abord, certains d'entre eux concèdent que cette politique a été suicidaire puisqu'elle a permis d'une part la consolidation de la profession de conseil juridique d'autre part, l'invasion des cabinets américains et des cabinets d'audit.

Par ailleurs, les idées nouvelles prennent environ 20 ans en France pour devenir des idées conventionnelles. La fusion est aujourd'hui devenue cette idée conventionnelle même si pour en apprécier la pertinence, il faut se reporter à un contexte nouveau par rapport à 1971.

Néanmoins, il faut objectivement analyser cette position dite réactionnaire sans dogmatiser.

II. - 1.A. Les délices du monopole

L'argument le plus fort est très terre à terre.

En fait qu'est-ce que les avocats ont à vendre de plus et mieux que les conseils juridiques français ou étrangers et les audits ? Une seule chose, leur connaissance du judiciaire.

Les cabinets d'audit ou de conseils juridiques ont un peu la même approche de nos moeurs judiciaires que les colonisateurs devant les rites Bantous en Afrique.

Il leur faut des guides locaux. Nous sommes ceux-là. Puisque nous avons la chance d'avoir un monopole sur un marché réel que nous connaissons, ce serait folie que de le brader et de vouloir prétendre faire autre chose que ce que nous savons.

Certes, nous perdrons le marché du conseil juridique, mais ce n'est pas grave puisqu'il est déjà perdu. Donc cela ne peut pas être pire, sauf si nous cédons bêtement et pour rien notre petit marché judiciaire.

Les quelques très gros cabinets d'avocats n'osent pas tenir ce langage mais en fait ils y pensent tandis que les petits le disent.

Qu'est-ce qui fait la spécificité d'un très gros cabinet d'avocats par rapport à un cabinet équivalent de conseils juridiques ? C'est sa capacité de plus vis à vis du judiciaire.

Qu'est-ce que redoute le petit avocat de province qui vit sur une compagnie d'assurance ? C'est de voir une structure mieux organisée que la sienne faire après la fusion son travail à sa place.

La position qui consiste à camper sur le monopole en se disant que le juridique produisant nécessairement du judiciaire, profitera à la profession, n'est pas forcément sotte.

Pour la génération des 40-50 ans, elle est peut être la pus raisonnable.

Mais la question est de savoir si une politique professionnelle doit être menée pour le confort des 20 ou 30 dernières années d'exercice de ses membres ou par rapport à un objectif plus lointain, celui de la génération d'après.

L'expérience du repliement existe en Grande-Bretagne où à côté des 48 000 solicitors existent 5 500 barristers. Elle est cruelle pour ces derniers.

Seuls 10 % à 20 % arrivent à vivre confortablement.

Ce monopole est d'abord une illusion car il ne porte que sur la « HIGH COURT » et non pas sur les « TRIBUNALS ».

Or, en France le monopole des plaidoiries n'existe pas non plus devant les tribunaux de commerce, les prud'hommes, le tribunal de police, le tribunal administratif.

Nous sommes près de 18 000. C'est insuffisant pour les deux marchés juridiques et judiciaires mais c'est beaucoup trop pour l'exploitation du seul marché judiciaire réservé.

Au mieux, on pourra envisager que 4 ou 6 000 avocats, à long terme, suffiraient dans cette hypothèse du repliement pour une exploitation rationnelle du marché.

Encore faut-il pousser la comparaison avec les barristers.

En Angleterre, ce sont des personnages professionnels beaucoup plus prestigieux que les avocats en France. Les barristers occupent un magistère proche des grands consultants que nous connaissons avec certains professeurs agrégés. Le QUEEN'S CONSEL est un point de passage obligé vers la haute magistrature.

Les avocats français n'occupent même pas une place de ce genre.

Avec le repliement, vient aussi nécessairement la crise dans le recrutement.

D'abord, l'offre de rémunération plus élevée ferait se diriger vers des cabinets juridiques les meilleurs étudiants, ensuite une profession sans expansion perd peu de son prestige attire moins les jeunes et finalement meurt.

Le repliement sur le monopole, le maintient de deux professions dont l'une exploiterait en maître, avec des moyens considérables, le marché juridique est une vision avantageuse à court terme mais suicidaire à moyen et long terme.

Les barristers anglais finiront bien par fusionner avec les solicitors car l'évolution les y condamne.

De même, cette évolution en France suivra-t-elle probablement la même voie.

Si l'on peut dire que la fusion de deux professions aurait été nettement plus avantageuse pour les avocats en 1971, il est pratiquement certain que si elle devait se faire dans 20 ans, ce serait sur la ruine de la plupart des cabinets.

II. - 1.B. La peur

Les apôtres du repliement adoptent cette position parce qu'ils ont peur.

Cette peur doit être purgée de ses fantasmes mais ramenée à son objet réel.

Le fantasme, c'est l'idée que la fusion et l'évolution supprimeront le mode d'exercice individuel beaucoup plus choisi pour des raisons de mode de vie que pour des raisons de mode de production.

C'est faux.

Aux États-Unis, 50 % de lawyers exercent individuellement. Il n'existe aucune raison pour que l'avocat français qui le désire ne puisse poursuivre un exercice individuel. Il se limite simplement dans ses revenus.

Le maximum de chiffre d'affaires pour quelqu'un qui travaille seul est de 1 600 000 F pour 1300 heures par an facturées 1 300 F, soit 226 jours ouvrables, 5 heures 3/4 de travail facturable par jour. Selon le marché local, l'heure peut tomber à 250 ou 300 F, ce qui produit un chiffre d'affaires de 325 000 à 390 000 F au minimum.

Avec des charges qui peuvent varier de 30 % pour les plus petits cabinets et de 50 à 60 % pour les plus importants, on arrive à dégager une fourchette de revenus comprise entre 227 et 680 000 F.

Voici donc ce qu'un avocat individuel sans collaborateur peut gagner. Ce n'est pas extraordinaire mais c'est très raisonnable.

A partir de ces chiffres, on peut construire une simulation de revenus intégrant la plus value produite par chaque collaborateur payé naturellement de 20 à 50 % au-dessous de son heure de production.

Il faut bien comprendre que chez nous, la plus value se fait essentiellement sur le client lorsque c'est possible.

On lui facture parfois des prestations sans aucun rapport avec la durée du travail, dans un sens comme dans l'autre.

Le mythe de l'avocat artiste qui se fait rémunérer un prix fort comme si son travail était une oeuvre d'art, est aujourd'hui en voie d'extinction.

Il n'est pas possible d'accumuler une fortune de cette manière. Le marché se rationalise.

Certes, quelques très rares artistes pourront se livrer à cet exercice peut-être au pénal, pour quelques affaires prestigieuses, mais c'est sur ce mythe que continue à vivre l'avocat individuel.

C'est ce qui lui provoque son identité, son espoir. Il a raison d'avoir peur de la fin de cette illusion.

En revanche, rien ne vaudra tarir la source d'activité de l'avocat de proximité, de quartier.

Rien ne vaudra détruire les quelques spécialistes qui dans tel ou tel secteur particulier constitueront un recours plus intuitif personae que les gros cabinets où demeureront des correspondants attitrés de ceux-ci.

Donc, la peur de la disparition de l'avocat individuel est fantasmatique.

En revanche, ce qui ne l'est pas du tout c'est la crainte que les 18 000 avocats français ne pourront pas, à moyen terme, continuer à tous exercer sur un mode individuel ou artisanal comme c'est le cas aujourd'hui pour leur plus grand nombre.

La peur de voir le statut de 8 ou 9 000 avocats français se transformer d'employeurs en employés est tout à fait fondée.

Il est évident que ce ne sont pas les avocats qui vont tous dominer et organiser des structures nouvelles.

D'une manière ou d'une autre, directement par l'intégration ou indirectement par le biais de correspondances, une majorité d'avocats français constituera objectivement le salariat des gros cabinets qui les alimenteront en affaires.

Le fait est là. Inutile de se cacher derrière son doigt.

Cette peur est donc bien réelle, et pour la relativiser on peut soutenir deux idées.

La première est qu'il n'est pas du tout sûr que le repliement sur un monopole freine efficacement un tel mouvement, tout au contraire.

La situation actuelle facilite les manoeuvres les plus audacieuses des experts comptables pour conquérir le marché juridique et isole de plus en plus les avocats avant que, franchement ou hypocritement, les cabinets d'audit ne les rachètent selon leur expression « par immeuble ou par appartement ».

La deuxième idée est que la fusion, sauf exception rare, ne va pas d'un seul coup tout changer.

Les positions actuelles des avocats, subsisteront probablement le temps d'une génération.

Ce sont les étudiants qui rentrent en faculté aujourd'hui, qui connaîtront la vraie profession nouvelle dès lors que leur formation, leur recrutement, leur début dans la vie professionnelle, seront différents.

Ne seront pénalisés fortement par la réforme que ceux des avocats qui occupent mal le créneau que leur procure le monopole.

En effet, dès la fusion, ils seront éliminés par la simple possibilité de se passer d'eux.

Mais pour les autres, l'analyse rationnelle permet de penser qu'ils mourront tranquillement  dans des modes de production qui se confondent avec le genre de vie sans grande croissance mais sans drame immédiat.

II. - 2. L'abandon

L'autre idée symétrique qu'il convient d'analyser est celle de l'abandon de toute spécificité de la profession d'avocat. Selon l'expression anglaise « if you can't lick'em, join'em » : « Si vous ne pouvez les battre, faites alliance avec eux ».

Estimant que le mouvement est irréversible, les partisans de cette solution extrême, considèrent que le problème de la fusion est déjà dépassé et que la vraie solution est de créer des associations ouvertes avec les cabinets d'audit pour profiter au maximum de leur dynamisme, de leur contact avec l'entreprise et de leur capacité d'investissement.

Les tenants de cette école ultra libérale, très peu nombreux à défendre cette thèse en public mais plus importants qu'on ne le croit in petto, n'ont pas forcément tort.

La vie est un fleuve contre lequel les digues juridiques ne servent à rien.

Si le marché juridique et judiciaire à vocation à être dévoré par les experts comptables, il est inutile de se battre et de croire que les textes leur interdisant de faire du droit, seront appliqués.

D'abord, on sait que ces textes ne seront pas votés. Ensuite, s'ils l'étaient ils seraient tournés car aucune loi, aucun décret, ne peuvent empêcher la réalité du pouvoir de triompher.

D'ailleurs le problème n'est pas seulement français. Les associations avec les experts comptables existent en Allemagne sur le papier.

En Angleterre Madame THATCHER met en discussion cette éventualité.

La Hollande la pratique.

A quoi servirait-il donc d'initier une réglementation propre à la France, si dans les autres États européens la pratique du droit n'est plus une activité obéissant à des règles spécifiques mais simplement un exercice commercial comme un autre.

D'ailleurs, avec la fusion nous savons déjà qu'entre 1 000 et 2 000 conseils juridiques dépendant des experts comptables, seront avocats. Alors à quoi bon lutter ?

Là encore, il faut éviter tout dogmatisme et se référer au marché car ce ne sont pas les professionnels qui façonneront le marché dans une époque où le protectionnisme est moribond.

C'est tout au contraire la demande du marché qui déterminera certains modes d'exercice.

La question qui se pose donc, consiste à savoir si les agents économiques ont besoin des services d'une profession spécifique, celle d'avocat conseil obéissant à certaines règles déontologiques.

Est-ce que les clients ont besoin de nous ?

Qu'est-ce qu'ils nous achètent à part de la compétence technique ?

Evidemment il n'existe pas de réponse scientifique à cette question.

Les avocats ont préféré dépenser une fortune à faire de la publicité fonctionnelle pour convaincre les lecteurs de magazines que les chefs d'entreprises avaient besoin d'eux, plutôt que d'investir cette somme dans la recherche systématique avec l'aide du CNRS afin de trouver quelles étaient les raisons du choix d'un conseil par les personnes physiques ou morales.

Comme d'habitude pour répondre à la question de fond, il faut donc faire confiance à son intuition et à des observations individuelles.

II. - 2.A. L'exemple américain

Tout d'abord, l'exemple américain démontre dans les faits que les plus grands marchés juridiques (qui correspond à 3 % du PNB) observent de façon nette la frontière entre les accountants et les auditors d'une part et les lawyers d'autre part.

Certes, la profession de lawyer est infiniment plus puissante depuis les années 30, qu'elle ne l'est en France.

D'autre part, l'État fédéral américain et les États locaux pour des raisons de cultures différentes, ne favorisent pas les experts comptables comme c'est le cas en France.

Mais il était naturel que dans un État de police et de finance comme la France, le ministère des finances joue plus la carte des comptables que des juristes. Le réflexe étatique encore une  fois n'est pas juridique.

Ainsi, quand par exemple Philippe SEGUIN a convoqué les experts au ministère des affaires sociales pour déterminer les conséquences de la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, il a dans un premier temps consulté les experts comptables et non point les avocats ni les conseils juridiques.

Cependant, malgré les différences de culture et de tradition historique, la division comptables-juristes fait réfléchir. Elle signe l'existence de deux spécialités, de deux activités différentes que la clientèle a acceptées et sur lesquelles il ne paraît pas possible de revenir.

II. - 2.B. Quelles sont ces spécificités ?

1. La profession d'expert comptable consiste à organiser, vérifier, apprécier, redresser des comptabilités et analyser par des procédés de la technique comptable, la situation et le fonctionnement des entreprises sous les aspects économiques et financiers. Cette activité n'a évidemment aucun rapport avec celle de la défense des personnes physiques et morales.

Elle n'a que peu de rapports avec le traitement de la relation contractuelle statique ou dynamique entre plusieurs partenaires.

2. Les experts comptables qui révisent, surveillent et contrôlent ne peuvent avoir pour tâche aussi de conseiller. On ne peut plus assurer deux fonctions antagonistes. L'une de l'ordre du pilotage, l'autre de l'ordre du contrôle de ce pilotage.

3. Enfin, les commissaires aux comptes ont un rôle de délation et là encore, on ne peut concevoir qu'un conseil ou un défenseur puisse remplir une obligation de dénonciation de ses clients et être agent du Parquet.

4. Des contradictions d'intérêts surgissent entre les fonctions antagonistes des cabinets d'audit. Or, nous savons que le fondement de l'activité d'avocat conseil tient à cet enracinement dans une déontologie très stricte du refus d'intervention en cas de conflit d'intérêts. Les américains poussent cette déontologie jusqu'à des formes presqu'obsessionnelles.

Combien d'avocats français ont-ils reçus ce genre de télex de cabinets de lawyers leur demandant sans aucun commentaire, par exemple :
- « Etes-vous l'avocat de COCA-COLA » ?
- « Pourquoi demandez-vous cela » ?

Re-télex US :
- « Merci de nous répondre par oui ou non ! »
- « Non »

Réponse des lawyers :
- « Bien, nous pouvons dans ce cas vous confier la défense des intérêts de PEPSI COLA ».

Pour les audits, ce conflit d'intérêts est au coeur de leur double activité avec le même client.

Il est à observer que le mouvement de clientèle vers l'audit, se renverse parfois.

Quelques gros cabinets français, anglais ou américains en France, voient revenir vers eux (rarement mais cela se produit) certains clients qui comprennent parfaitement le rôle spécifique de chaque activité et ne veulent pas perdre leur pouvoir de prendre une position juridique par rapport à leur audit. Pour assurer leur responsabilité de chef d'entreprise, ils préfèrent avoir recours à un conseil indépendant.

II. - 2.C. La commercialisation et ses limites

Enfin, il n'est pas certain que la commercialisation à outrance et la perte de spécificité de l'activité juridique qui en fait autre chose qu'un simple business, soient l'avenir.

Il ne s'agit pas de prôner l'actuelle modalité d'exercice commercialement infirme de l'avocat français, qui ne peut même pas éditer une plaquette pour écrire au moins ce qu'il fait.

Non.

Il s'agit de voir le résultat de la création de cabinets aux USA, fondés uniquement sur le business aussi bien dans les rapports avec la clientèle qu'entre associés. « Eat what you kill » - « Mangez ce que vous tuez ». C'est la loi de ces nouveaux venus qui paradoxalement retrouvent, de manière plus grossière et violente, la théorie de la tonte d'un animal chère à beaucoup d'avocats français.

Pratiquant un débauchage énorme parmi les cabinets traditionnels, surpayant les associés, répartissant les bénéfices en fonction de l'apport des affaires, le cabinet FINLEY KUMBLE prétendait voici quelques années, dévorer le marché du juridique américain en faisant table rase des principes et des pratiques de ce métier à part.

Le résultat a été une flambée de prospérité à très court terme, puis l'explosion et depuis la fin de l'année 1987, la faillite.

Les juristes américains sont très soulagés par cet échec.

Beaucoup d'entres eux  considèrent que si le but de l'activité est uniquement de « faire de l'argent », alors il vaut mieux aller directement dans le secteur industriel et commercial.

Certes, les cabinets d'audit conquérant le marché français ne sont pas des diables uniquement assoiffés de pouvoir et d'argent.

Mais il n'en reste pas moins vrai qu'ils approchent le marché avec une délicatesse qui parfois fait défaut. Ce n'est pas forcément, à long terme, la bonne méthode.

II. - 2.D. Est-il trop tard ?

Enfin, la dernière question qui se pose pour prendre une décision, consiste à savoir s'il n'est pas trop tard pour réagir.

Le mouvement de conquête du juridique par les audits est-il irréversible pour la simple raison qu'il serait déjà accompli ?

La réponse est négative. Les affaires très difficiles, ne sont pas encore majoritairement entre les mains de cabinets d'audit.

C'est le cas par exemple pour les OPA.

Si dans le travail de gestion juridique, les audits ne rencontrent pas de difficultés, en revanche beaucoup de spécialistes confirmés qui prennent connaissance de leur travail dans les affaires compliquées, considèrent que la qualité de leur production, sauf exception, n'est pas toujours au point.

La raison est simple. Ces cabinets n'ont entrepris la conquête du marché que depuis 4 ou 5 ans.

Or, l'activité juridique suppose, comme toute entreprise humaine efficace, une culture.

Celle-ci s'apprend non pas à la faculté mais au sein de gros cabinets qui sont gérés très soigneusement sur le plan de la pyramide des âges. Les générations de 30-45-60 ans se mêlent et correspondent en gros à trois grades, Associate, Partner, Senior Partner, auxquels correspondent des niveaux de rémunérations différentes.

Généralement on reste 6 ou 7 ans Associate c'est à dire collaborateur, et si la firme est satisfaite on devient Partner avec une rémunération qui passe de 15 000 à 50 000 F entre la première et la septième année de collaboration à 120 000 F par mois pour la première année de partenariat.

Or, il semble bien que le débauchage fait par les audits chez des gros cabinets, ne se produise qu'au niveau des 7 premières années.

C'est en effet là que les offres de salaires mirifiques coûtent le moins cher.

En majorité, ce sont donc les jeunes qui rejoignent les cabinets d'audit.

Débaucher des Partners est beaucoup plus cher, peut-être trop. Ensuite, les Partners sont déjà assurés pratiquement de leur carrière dans les cabinets d'avocats. L'aventure qu'on leur offre est moins excitante que pour un jeune qui ne sait pas s'il deviendra lui-même Partner.

Et puis, il existe un certain attachement à la firme, qu'une augmentation substantielle des revenus ne peut pas toujours contrebalancer.

Enfin, le renouvellement des cadres chez certains cabinets d'audits est de l'ordre de 50 % (TURN OVER). C'est intéressant à observer, comme si ce débauchage dans un sens pouvait aussi exister dans l'autre.

II. - 2.E. Alors ?

Il semble donc que pour le moment, l'outil de travail juridique constitué par les sociétés d'audit ne soit pas aussi complet et performant que celui des gros cabinets français ou américains qui maîtrisent l'expérience professionnelle de plusieurs vingtaines d'années et chez qui la pluralité des générations aujourd'hui offre une meilleure sécurité.

Plus le temps passe et plus ce handicap va se réduire.

Dans les 5 ou 10 ans qui viennent, la politique de recrutement systématique des meilleurs jeunes et une tentative de débauchage ponctuelle des Partners finira par amener les audits au même niveau que les avocats conseils français et étrangers.

Dans ces quelques toutes proches années, le mouvement peut être enrayé à condition de suivre une politique courageuse et réaliste.

II. - 3. Une politique courageuse et réaliste

II. - 3.A. La déontologie, fondement de toute revendication à la différence

Le gros avantage des situations apparemment désespérées, est qu'elles donnent l'occasion de reconstruire sans avoir besoin de détruire soi-même puisque les circonstances s'en chargent.

Ces circonstances, nous les connaissons. Elles résultent d'une part de l'ouverture des frontières françaises aux juristes étrangers à partir de la loi du 31 décembre 1971. Elles procèdent également de l'acte unique européen et de sa concrétisation en 1992.

Ces deux mouvements sont irréversibles.

Le niveau de la mer monte et va monter encore.

Si les 18 000 avocats français ne se décident pas à définir et suivre une politique courageuse et réaliste, un grand nombre mourront dans les années qui viennent, et la profession en tant que telle disparaîtra faute d'avoir pu donner une version moderne et vendable sur le marché de ses vertus traditionnelles.

Une politique réaliste signifie éviter de mener des combats perdus.

Les avocats adorent cela. C'est un de leurs péchés mignons.

« Nous avons perdu, mais j'ai vraiment bien plaidé », dit l'avocat à son client effondré.

Soyons, pour une fois, notre propre client, et tentons de nous abstraire de cette pernicieuse jouissance de la parole qui pervertit toute notre vision du monde.

Les combats perdus sont tous ceux qui visent à nous protéger de la concurrence que nous nous faisons entre nous sur notre propre territoire, et à nous prémunir contre la concurrence étrangère sur une activité identique.

Au moment, par exemple, où l'on pourra faire une procédure directement avec les greffes dans toute la France grâce au Minitel, il est évident que la postulation, telle que nous la connaissons, disparaîtra. Tout ceux qui perdent leur temps à défendre cet octroi, périront avec sa fin inéluctable.

Sur le plan international, l'installation des cabinets étrangers est un fait sur lequel on ne peut revenir. De surcroît, sur le plan juridique, les droits acquis sont constitués et reconnus d'ailleurs par la jurisprudence sur le « standstill » de la cour de justice des communautés européennes.

Une politique courageuse consiste à définir notre utilité et non pas ce qui procède de notre confort, ou de notre plaisir. On n'organise pas une profession en fonction du mode de vie qu'elle a pu procurer pendant un siècle et demi. Or, quelle est cette utilité ? C'est celle que l'on peut observer dans toutes les démocraties modernes.

La défense et le conseil sont fonctionnellement liés. De même qu'un psychanalyste a pour rôle de permettre à un patient d'accéder à son désir, ou tout au moins de l'assumer, l'avocat conseil a pour tâche sociale de se préoccuper uniquement de l'intérêt de son client qu'il représente face aux autres, qu'il s'agisse de partenaires, d'adversaires, de l'État, ou de l'appareil répressif. Il est l'un des moyens nécessaires à la démocratie. C'est là ce qui fonde son activité économique, mais aussi sa déontologie.

L'analyse fonctionnelle de l'avocat part donc de la déontologie elle-même et non pas d'un intérêt corporatiste. L'avocat conseil vend de la compétence mais aussi de la rigueur morale, du secret, de la loyauté et de la délicatesse.

Toute politique courageuse ne peut se fonder que là-dessus.

S'il faut se distinguer des experts comptables, ce n'est pas parce qu'ils viennent tondre notre animal. C'est parce que sur le plan déontologique, ils n'exercent pas le même métier que nous. Parce que leur déontologie est différente.

Autant il convient d'être le plus ouvert possible à toutes les formes d'activités commerciales, semi-commerciales, à toutes les associations possibles et imaginables, autant la seule ligne de partage entre ce qui est permis et défendu, c'est la ligne déontologique.

Elle est ce qui donne sa spécificité à l'activité d'avocat conseil.

Une politique courageuse ne consiste donc pas à renier les fonctions d'avocat dans le principe de ce qui la fait perdurer depuis trois siècles et demi en France.

Elle suppose de regarder autour de nous pour examiner avec qui on peut reconstruire une profession capable de faire vivre ces principes utiles pour autrui et correspondant à un besoin social.

II. - 3.B. Les alliés objectifs

Dans cette perspective, il est évident que la fusion avec les conseils juridiques s'impose non pas dans quelques années mais tout de suite.

Le plut tôt sera le mieux car sur le plan international, cette division est un handicap incompréhensible.

Elle nuit aux conseils juridiques sans pour autant profiter aux avocats. Elle freine la constitution de cabinets et de réseaux puissants pour ce qui est de soutenir la concurrence. Elle est aussi la cause de la faiblesse du Barreau dans ses rapports avec l'État.

Pourquoi l'avocat américain, même au judiciaire, même au pénal, dispose-t-il d'une autorité sans commune mesure avec celle de son collègue français ?

Parce que l'Américain Bar Association qui regroupe tous les avocats et conseils et même les juges, est derrière lui en cas de conflit ou en cas de simple confrontation.

Une profession unifiée, riche avec un ordre unique confèrera aux avocats conseils une puissance spécifique et considérable.

Sur le plan déontologique, les conseils juridiques d'aujourd'hui vivent professionnellement dans un cadre qui n'a rien à envier à celui du Barreau.

Si un alignement devait se faire, il est probable qu'il devrait s'opérer dans le sens contraire de ce que beaucoup d'avocats imaginent.

Le conseiller juridique actuel n'est pas l'agent d'affaires ni l'écrivain public que nos grands-pères se représentaient.

La situation a changé depuis 1971.

Il ne faut pas s'imaginer que les particularités que l'on peut observer dans telle ou telle petite ville de province, ont valeur d'exemple national.

Allons plus loin. Très souvent les avocats qui se lancent dans le domaine du droit des affaires, lorsqu'ils débutent, auraient souvent bien à apprendre sur le plan déontologique, de cabinets de conseils juridiques fort connus et appréciés sur la place.

Mais tout ceci reste insuffisant.

II. - 3.C. Quels alliés objectifs ?

Ainsi qu'il a été appelé, la France pour des raisons historiques est un pays qui s'est sous-développé sur le plan juridique.

Aussi, les formes d'exercice professionnel ont-elles une quinzaine d'années de retard par rapport à des pays comme l'Allemagne ou même l'Espagne, et sans doute une cinquantaine d'années de retard par rapport aux cabinets anglo-saxons.

Cela signifie qu'en tant que telle, la structure française même après la fusion, ne pourra pas faire le poids face aux étrangers qui font le même métier mais surtout face à la conquête des gros cabinets d'audit des Big Eight.

Le pire est encore que la situation ne peut facilement se régénérer. Pour une simple raison qui tient à la formation.

Dans quels cabinets, les 1 000 jeunes stagiaires qui débarquent sur le marché, trouvent-ils à s'embaucher ?

Moins d'une centaine dans des cabinets importants qui leur assurent une formation permettant la constitution d'un agrégat venant grossir la taille de la structure qui les emplois.

Mais les 900 autres, où vont-ils ?

Dans des cabinets petits ou moyens qui, très vite, leur donnent l'appétit de « se mettre à leur compte » en ouvrant un cabinet comme on ouvre un « bar de l'espérance » ou « un comptoir d'épicerie fine ».

En bref, la situation est trop sous-développée pour permettre au système actuel de se régénérer avec les seuls moyens nationaux.

Alors il faut se retourner et regarder autour de nous quels sont ceux des confrères étrangers qui, sur le plan déontologique, font le même métier.

Quels sont les avocats étrangers qui sont en butte exactement aux mêmes problèmes que nous et qui les dénoncent avec pratiquement les mêmes mots ?

Ces confrères ont des noms, ils s'appellent par exemple :
- ARCHIBARD ;
- BACKER et MACKENZIE ;
- CAHILL, GORDON et REINDEL ;
- CLEARY GOTTLIEB, STEEL, HAMILTON ;
- CLIFFORD-CHANCE ;
- COUDERT FRERES ;
- CURTIS, MALLET, PREVOST, COLT & MOSLE ;
- DAVIS POLK & WARDWELL ;
- DEBEVOISE et PLIMPTON ;
- DONOVAN, LEISURE, NEWTON & IRVINE ;
- GIBSON, DUNN & CRUTCHER ;
- HERBERT SMITH ;
- JONES DAY ;
- KEVORKIAN & CALDWELL ;
- LADAS & PARRY ;
- LAW OFFICE OF WILLIAM REZAC ;
- MEADE & WASERMAN FREMAN ;
- MUDGE, ROSE, GUTHRIE, ALEXANDER ;
- PAUL, WEISS, RIFKIND, WHARTON & GARRISON ;
- ROGER & WELLS ;
- SALANS, HERTZFELD, HEILBRONN, BEARDSLEY & VAN RIEL ;
- SAMUEL PISAR ;
- SHEARMAN & STERLING ;
- SULLIVAN & CROMWELL ;
- WHITE & CASE ;
- WILKIE FARR & GALLAGHER.

Certes, ces avocats étrangers, « avocats américains ou avocats anglais » sont installés depuis si longtemps en France qu'ils sont plus français qu'étrangers bien souvent.

Ils disposent pour la plupart d'une éthique professionnelle et d'une déontologie qui n'a rien à envier à la nôtre.

Ils ont démontré chez eux qu'ils pouvaient résister à la conquête d'autres professionnels, tels les éditeurs.

Une politique courageuse consiste à prendre acte de cette réalité et à considérer les solidarités objectives.

Aujourd'hui, dans le secteur juridique qui est, de par sa nature, plus international qu'aucun autre secteur, les divisions se se feront plus sur des critères nationaux mais sur des critères fonctionnels.

Or les avocats américains, allemands et pour ceux qui acceptent la discipline commune, anglais et hollandais font le même métier que les futurs avocats conseils. Si nous voulons en France, défendre la spécificité de notre activité qui se fonde sur la déontologie, c'est vers eux que nous devrons chercher une alliance. C'est seulement en créant une grande profession du droit solidaire que nous pourrons sauvegarder cette identité qui est la nôtre.

Seule cette grande profession disposera d'un poids spécifique suffisant auprès de la clientèle et de l'État, pour empêcher les OPA sauvages des cabinets d'audit.

Nous leur avons ouvert les portes en 1971. Il faut profiter de leur présence unique en Europe pour que le marché international du droit créé à Paris soit la condition de la dégénérescence des professions juridiques et judiciaires dans notre pays.

Si une osmose se crée entre ces grands cabinets et le Barreau français, le problème de la formation ne se présentera plus de la même façon.

Les offres d'emploi de grosses structures atteindront un seuil suffisant pour modifier le mode d'exercice professionnel français archaïque.

La politique courageuse consiste donc à ouvrir autant que possible le Barreau aux cabinets américains et étrangers qui acceptent sa discipline soit par une intégration partielle ou complète quand elle est possible, soit par la voie d'association entre avocats français et étrangers.

Ce système préconisé pour la France est à peu de choses près celui en vigueur aux États-Unis à New York depuis le 6 juin 1974.

Ceux des juristes étrangers qui ne prennent pas les mesures nécessaires pour s'intégrer au Barreau de New York ont la possibilité de devenir conseils juridiques (Legal Consultant) contrôlés par les mêmes cours qui ont compétence sur le Barreau.

Ils ne peuvent pas plaider. Mais leur compétence est plénière pour les avis et consultations ; restreinte pour la rédaction de certains actes (successions américaines, ventes de propriétés sur le territoire américain, divorces et garde des enfants américains).

Les membres de cette liste B sont autorisés à s'associer avec les membres du Barreau de New York et même à les employer comme collaborateurs.

La discipline applicable aux juristes de la liste B est la même que pour les avocats américains.

Fin 1987, 90 étrangers ainsi que leurs collaborateurs exercent à New York dans ces conditions, à la satisfaction générale.

II. - 3.D. Les amis ennemis

En revanche, cette même politique doit se montrer impitoyable pour repousser les activités de ceux qui n'observent pas un certain nombre de critères déontologiques.

Aussi convient-il de se montrer ferme à l'égard de certaines professions juridiques européennes et par rapport à l'expertise comptable.

II. - 3.D. a) Experts comptables

Par rapport à l'expertise comptable, il ne peut être question de laisser durer la situation actuelle, d'autant plus que lors de la fusion avocats-conseils juridiques, certaines têtes de ponts de cabinets d'audit vont se retrouver ipso-facto avocats conseils.

Cette intégration n'est possible que si un contrôle des capitaux est mis en place, permettant de prouver avec certitude que 75 % au moins du capital appartient au professionnel juriste.

Il convient aussi d'interdire à ceux-ci de faire référence à un seul sigle, celui du cabinet d'audit ou de succursale de conseils en management et d'interdire toute publicité commune directe ou indirecte.

En bref, il convient de faire simplement respecter la loi, c'est à dire l'article 56 de la loi du 31 décembre 1971 qui stipule :
« La profession de conseil juridique est incompatible avec toutes les activités de nature à porter atteinte au caractère libéral de cette profession et à l'indépendance de celui qui l'exerce… »

De même, il conviendra de faire respecter l'article 22 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 qui soumet l'activité des comptables au plan juridique à deux conditions :
1. Qu'il ne s'agisse pas d'une activité principale ;
2. Que cette activité s'opère au sein des entreprises « dans lesquelles les cabinets assurent des missions d'ordre comptable, de caractère permanent habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés ».

Il ne faut pas imaginer obtenir davantage mais s'assurer au moins de l'application de la loi. Aujourd'hui, elle n'est pas respectée.

Le Barreau, les conseils juridiques, les avocats étrangers, chacun de leur côté, n'ont pas le poids spécifique suffisant pour obtenir que les textes soient appliqués. Mais en s'y mettant à 3, la grande profession d'avocat conseil, largement ouverte aux étrangers, peut y parvenir. Il faudra simplement qu'elle engage la bataille au moment opportun. Encore faut-il que la profession se décide pendant qu'il en est encore temps.

II. - 3.D. b) Avocats européens refusant l'intégration

Sur le plan européen, la situation se présente de la manière suivante :

Aujourd'hui, l'article 55 de la loi du 31 décembre 1971, autorise les avocats du marché commun à s'installer en France sans être soumis à l'obligation de s'inscrire sur la liste des conseils juridiques prévue par l'article 54.

Le projet de loi sur la protection des usagers du droit, supprime cette possibilité. Cette position est juste.

En effet, si la France crée une profession unique d'avocats conseils, ce n'est évidemment pas pour voir se créer une nouvelle profession de conseils juridiques européens, d'autant plus que les conditions de nationalité étant supprimées pour s'inscrire au Barreau, rien n'empêche nos futurs confrères de le faire, sous réserve de conditions libérales d'examen et/ou de stage qui seront prochainement édictés par la directive européenne « diplômes ».

Il faut savoir que lorsque la fusion avocats-conseils juridiques sera opérée, tous les avocats ou juristes de la CEE exerçant en France et inscrits sur la liste des conseils juridiques, seront intégrés automatiquement au Barreau et donc soumis aux obligations et à la discipline de celui-ci. Les seuls qui ne pourront être intégrés automatiquement et plaider s'ils le souhaitent, seront les « avocats américains » et hors CEE.

II. - 3.E. L'ouverture maximale à tous les professionnels acceptant la déontologie de la nouvelle profession

C'est pourquoi il est vivement conseillé de faire en sorte que cette discrimination fondée simplement sur la nationalité soit gommée ou atténuée le plus rapidement.

Il est en effet absurde de ne pas laisser s'intégrer des gens compétents, organisés et puissants dès lors qu'ils acceptent de jouer la carte française avec tous les avantages que notre marché leur offre mais aussi toutes les disciplines déontologiques qu'il leur impose.

En revanche, et c'est tout le problème qui nous sépare de certains solicitors anglais ; il serait tout à fait inadmissible d'accepter que des professionnels désirent s'installer chez nous, pour exercer une activité sans contrôle disciplinaire autre que celui du pays d'origine, sans déontologie commune, et sans intégration organique dans la communauté française et franco-internationale. Nous penserions la même chose s'il s'agissait de nous intégrer dans d'autres pays européens.

Précisément dans la bataille européenne actuelle, en vue de la création de la directive sur la liberté d'établissement, l'enjeu se situe bien là. Les anglais veulent que les solicitors qui ne font pas toujours le même métier que les autres avocats européens ou américains, s'installent en France dans des conditions sauvages, ne dépendant que de leurs règles d'origine. Or ces règles ne sont pas les mêmes que les nôtres, et c'est la raison pour laquelle ils ne souhaitent pas s'intégrer à nos futurs Ordres. Cela n'est pas possible à accepter, non pas pour des raisons corporatistes, mais déontologiques qui sont celles qui constituent le fondement de toute action de notre politique professionnelle.

Fort heureusement la cour de justice des communautés européennes, dans son arrêt GULLUNG, du mois de février 1988, a, semble t-il, écarté cette revendication britannique. Il faut comme le traité de ROME nous y autorise, que le droit interne, précise très clairement cette position. C'est le mérite du projet de loi sur l'exercice du droit préparé actuellement par la chancellerie.

Quant aux droits acquis par ceux des juristes européens qui sont installés en France sous le régime de l'article 55, 2e alinéa, ou 64 qui doivent être supprimés dans le projet de loi, il conviendra de proposer l'intégration ou un cadre d'extinction sur une liste C.

La liste B sera réservée aux cabinets d'avocats américains et hors CEE qui ont vocation à s'intégrer directement au Barreau mais ne peuvent le faire pour des questions de nationalité et de réciprocité.

II. - 3.F. Une reconstruction complète de la chaîne juridique et judiciaire

Une politique courageuse et réaliste ne doit pas simplement se préoccuper d'une seule partie du marché du juridique et du judiciaire, celui qui concerne les grands circuits économiques.

La caractéristique de la situation française est, nous l'avons su, le sous-développement sur ce marché là.

Mais le sous-développement s'observe aussi à l'autre bout de la chaîne dans les secteurs de la défense individuelle, pénale et civile.

II. - 3.F. a) Commission d'office

Sur le plan pénal la situation de notre pays est tout simplement honteuse. Certes des raisons de procédure expliquent que la défense pénale en France soit aussi nulle. La procédure inquisitoire n'implique pas en effet l'existence d'un avocat.

Souvenons-nous que jusqu'en 1897, l'avocat n'était même pas présent à l'instruction. Ce n'était pas nécessaire dans la logique du système puisque le juge d'instruction est censé faire son travail en instruisant en principe autant à charge qu'à décharge.

Dans la procédure inquisitoire, l'avocat est un élément décoratif plus qu'efficace. Au mieux c'est un accessoire, au pire un alibi.

« Un bon avocat » est en réalité aux yeux du juge, celui qui ne fait rien et qui laisse le juge accomplir son travail tranquillement avec le parquet et ses consultants spécialisés, les experts.

Il ne faut pas s'étonner que l'avocat au pénal ne soit pas payé.

Il faut se rappeler qu'avant 1981, le budget des commissions d'office pour la défense des indigents en France, était égal à zéro.

Tout un système odieux et pervers est mis en place.

Les jeunes pénalisées prennent des commissions d'office pour entrer dans la prison et tenter de créer un petit fonds de commerce en espérant se faire envoyer des clients payants par un client gratuit.

Une affaire pénale gratuite devient un investissement commercial, un moyen de briller au feu de l'actualité pou ramasser quelques clients ensuite.

Cette situation indigne d'un pays moderne induit tous les racolages les plus variés, sape l'autorité de l'avocat par rapport au justiciable défendu et le ridiculise en face du juge.

Quant au travail qui n'est pas payé, il est évidemment mal fait ou en tout cas mesuré à l'aune de l'investissement commercial envisagé.

Bien sûr, il y a des exceptions : tout profession possède des militants et des saints qui acceptent de se ruiner en travaillant.

Ils ne peuvent racheter un système vicieux.

En 1987, le montant total de la dépense publique pour les commissions d'office aurait été d'environ 31 millions de francs pour 110 253 missions, soit 281 francs par mission en moyenne !

Pour reprendre l'expression de Bruno BOCCARA dans son ouvrage « L'Honoraire de l'Avocat » (1981) : « si vous n'offrez que des cacahuètes, vous n'aurez que des singes ».

Les chiffres forcent l'indignation et incitent à la polémique.

Pensons que la France dépense trois fois moins sur son territoire pour la défense de ses indigents qu'une seule ville de l'Est des États-Unis pour 2 millions d'habitants.

Or, les ingrédients complets ou partiels représentent naturellement plus des deux tiers de la population pénale. En outre, dans le dernier tiers capable d'honorer timidement au tarif minium de 300 francs de l'heure ses avocats, il y a tous ceux qui présentent parfois des cas très difficiles nécessitant un temps de travail énorme et la présence d'avocats chevronnés.

Si l'on prend par exemple une récente affaire d'assises (Poitiers), elle se déroule sur trois ans et 4 mois d'instruction à 300 kms de Paris.

 

 

Elle dure trois semaines d'audience. Elle oblige la préparation d'audition de 150 témoins. Ramené sur une seule tête d'avocat le temps de travail réel d'une affaire de ce genre sans compter ce que les italiens appellent « les soucis de la nuit », s'élève à environ 1 000 heures de travail.

Le tarif moyen horaire d'un avocat capable de traiter une affaire de cette nature est au moins de 1 000 francs.

Compte tenu d'un cabinet qui présente 60 % de charges, ce serait un avocat qui, sur cette base tarifaire et travaillant 1 300 heures facturantes par an, gagnerait 520 000 francs par an, soit 43 000 francs par mois, avant impôts.

Cette somme est cohérente par rapport aux revenus des français pour une personnalité arrivée au fait de sa notoriété.

L'honoraire à facturer serait pour le client d'une somme de 1 million de francs.

Il est évident que le client n'est pas en mesure, même avec des collectes, d'assurer ne serait-ce que 20 % de ce montant.

Cela signifie donc que dans une circonstance comme celle qui est simulée, l'avocat qui prend une affaire de ce genre, compte tenu des charges de fonctionnement de son cabinet, a dépensé tout ce qu'il n'a pas reçu en honoraires brut au-dessous de 600 000 francs.

Cette simulation et encore au-dessous de la réalité puisqu'en fait 5 avocats défendaient les deux principaux accusés dans cette affaire (à Poitiers).

Certes il n'est pas possible de résoudre toutes les situations extrêmes, telle celle qui vient d'être évoquée. Tout au plus peut-on améliorer substantiellement le système pour le grand nombre et trouver des palliatifs pour les cas particuliers.

Toujours est-il aujourd'hui qu'aucune réforme de la procédure pénale n'est possible, sans une transformation radicale du système de commissions d'office.

Beaucoup de magistrats posent la question : est-ce que les Barreaux sont prêts à faire évoluer la procédure inquisitoire en procédure accusatoire ?

Non, ils ne sont pas prêts, ni sur le plan des mentalités ni sur le plan de la méthode.

Mais ils ne seront jamais prêts si on ne leur donne pas les moyens matériels d'abandonner une défense de figuration au profit d'une défense réelle qui est indispensable à la transformation du système inquisitoire.

C'est un problème politique. Ce n'est pas un problème corporatiste.

II. - 3.F. b) Aide judiciaire

De même l'aide judiciaire civile pose un problème politique : celui de l'accès au droit dans une démocratie.

Les résultats d'une étude du CREDOC « Les Français et la justice civile », publiés en 1973 à la documentation française, sont soigneusement oubliés.

62,5 % à l'époque contre 27,3 % des justiciables s'étaient prononcés en faveur d'un régime de sécurité judiciaire, comme il existe une sécurité sociale. Ceci ne plaît ni aux avocats pour lesquels ces chiffres font planer l'ombre du conventionnement des honoraires, comme pour les médecins, ni à l'État qui n'a aucune envie d'avoir sur les bras de nouvelles dépenses budgétaires.

Toutefois, là encore, depuis 1981 de gros progrès auront été accomplis puisque 85 millions de francs en 1979 ce budget est passé à 300 millions de francs en 1986 pour 244 376 missions, soit 1 227 francs par mission.

Ces chiffres restent de 5 à 15 points inférieurs à ce qui se constate aux États-Unis, en Allemagne ou en Angleterre, mais les progrès sont notables.

Les budgets, en dix ans, auront été multipliés par 5. Tout permet de penser qu'ils pourront être multipliés par 3 dans les cinq ans qui viennent de manière à ce que les avocats qui traitent ces dossiers ne soient pas des prolétaires en col blanc.

Revendiquer 1,5 milliards de francs pour l'aide judiciaire civile et la même chose pour les commissions d'office n'est pas irréaliste.

Cela représente 3 milliards, soit moins d'un quart du budget de la justice qui lui-même étant de 13,5 milliards représente 1,35 % du budget de la Nation (souvenons-nous que le déficit de la régie Renault en 1984 était de 12,5 milliards de francs).

Un fonds d'aide légale civile et pénale total de l'ordre de 3,5 milliards représente ce niveau approximatif de ce qui est nécessaire pour que l'on puisse parler décemment d'un véritable accès au droit dans une démocratie moderne.

C'est un effort important demandé à la collectivité pour satisfaire un vrai besoin social.

Encore faut-il que les avocats soient organisés pour servir correctement ces besoins. Or tant que séviront le bricolage et le système D, tant que les revenus seront distribués comme ils le sont aujourd'hui, individuellement, sans contrôle véritable, sans structure, servant parfois d'appoint ou de manne à de cabinets individuels en difficultés on ne pourra parler d'un véritable service public (même privé), de défense. Les politiques se feront tirer l'oreille et les demi-mesures continueront à sévir.

II. - 3.F. c) La création d'un fonds d'aide légale et sa contrepartie : l'organisation

Les avocats ont raison de revendiquer la création d'un ou plusieurs grands fonds d'aide légale en France. Mais la contrepartie indispensable de cette création c'est l'organisation.

Ce ne serait pas assassiner la profession libérale que de créer dans chaque région, ou du moins dans chaque cour d'appel une association chargée de gérer l'aide judiciaire civile ou pénale.

Les américains ou les canadiens connaissent ce genre d'entreprise libérale subventionnée par l'État central, les États locaux ou les villes.

Sous la direction d'avocats chevronnés et l'administration d'un conseil mixte (barreau + mairies + TPG en fonction des subventions) ces associations pourraient employer à plein temps, avec des contrats à durée déterminée, tous ceux des jeunes avocats qui en seraient dignes.

Certes les dogmatiques protesteront en invoquant qu'il s'agit de créer là une profession à deux vitesses, l'une pour les riches, l'autre pour les pauvres.

C'est avec ce genre d'argument stupide que l'on parvient, comme c'est le cas aujourd'hui, à n'assurer aucune défense correcte, ni pour les riches ni pour les pauvres.

L'expérience démontre qu'aux États-Unis, ce type d'organisation rend des services considérables et tend à améliorer de façon constante la qualité de la défense du secteur assisté.

Ensuite les avocats qui exercent dans ce cadre prennent à la sortie de leur CFPP des habitudes de travail en groupe qu'ils reproduisent lorsqu'ils quittent l'association.

Or aujourd'hui, la caractéristique de l'embauche des jeunes est de leur apprendre tous les mauvais réflexes dans les premières années, ceux du bricolage et de l'individualisme forcené.

En trois ans, le système de stage français saccage toute possibilité pour un jeune de travailler dans une structure collective.

Si les premiers gestes professionnels ne sont pas accomplis correctement dans un cadre de travail organisé, ils ne le seront jamais.

La profession a donc tout avantage à s'organiser pour être la matrice de telles structures puisque ce sera à la fois excellent pour accomplir sa mission et formateur pour une partie des jeunes y compris des futurs magistrats qui y trouveront le moyen d'une expérience antérieure à leur arrivée à l'école.

Aux États-Unis, la carrière des jeunes commence souvent dans de telles associations. Les meilleurs trouvent ensuite tout naturellement à s'embaucher dans des cabinets importants pour qui ces cinq premières années constituent un excellent banc d'essai.

Certains protesteront encore en agitant l'exigence du libre choix de l'avocat par le client.

L'idéal serait évidemment que tous les clients puissent choisir les ténors de leur choix, fixant librement leurs honoraires et que ceux-ci leur soient intégralement remboursés par l'État.

C'est évidemment une revendication irréaliste, moyennant quoi nous voyons aujourd'hui des avocats sous-payés pour des tâches écrasantes, des clients souvent mécontents et qui ne choisissent pas non plus librement leur conseil.

La solution proposée n'empêcherait d'ailleurs nullement dans quelques cas particuliers l'association locale de payer en dehors de ses membres un avocat de grande notoriété pour éviter des situations du type de celle qui a été simulée précédemment (Poitiers).

Là encore des critiques feront valoir qu'il serait inadmissible de faire passer une sorte d'examen aux justiciables pour savoir s'ils méritent une grand avocat.

La contrepartie aujourd'hui de ce raisonnement c'est que le justiciable ne dispose jamais d'un grand avocat ou que lorsqu'il s'en offre un, l'avocat en question n'est pas payé.

C'est un argumentaire bien connu selon lequel « que périsse le navire, pourvu que vivent les principes ».

Le barreau crève de ce genre d'attitude.

II. - 3.F. d) Les assurances Procès

On observe encore ces attitudes d'autruche lorsqu'il s'agit de l'assurance-procès.

Cette technique ne concerne pas le même marché que l'aide judiciaire mais d'abord le marché des petits ou moyens litiges qui rendent parfois la vie impossible aux gens et sont rarement soutenus à cause de la disproportion entre le coût d'un procès et son résultat.

Le marché étendu à d'autres affaires plus importantes s'est beaucoup développé en Europe au point de donner matière à l'établissement d'une directive du conseil des ministres de la CEE le 22 juin 1987 avec mise en application au 1er juillet 1990.

Les avocats français ont largement fait triompher leur thèse sur le libre choix du conseil par l'assuré aux termes de l'article 3, alinéa 2, paragraphe C. Mais la question de la liberté du choix de l'honoraire par l'avocat, elle, n'a pas été évoquée par la directive.

Or il est évident qu'aucun système d'assurance n'est possible si le montant des prestations s'établit dans une fourchette de prix trop incertaine.

Tôt ou tard, les Barreaux français seront contraints de définir des conventions sur le montant des honoraires exigibles par les avocats ou pour le moins le montant des remboursements opérés par les compagnies.

Plus les ordres repousseront leur participation à des accords avec les compagnies d'assurance, plus ceux-ci seront désavantageux pour la profession.

Le mouvement étant inéluctable mieux vaut l'accompagner.

Encore faut-il dans ce domaine comme dans tous les autres se donner les moyens de sa politique.

III. - Les moyens d'une politique

III. - 1. La règlementation de l'exercice du droit

Le projet de loi préparé par la Chancellerie n'a pas pour objet impossible de faire la révolution dans les professions juridiques et judiciaires.

Il a pour but :

a) D'éviter la poursuite d'une dégénérescence de l'activité en limitant l'exercice du droit à certaines professions, à titre principal, et à quelques professions réglementées à titre accessoire (agents immobiliers, banques, experts-comptables, etc.) et de réitérer les principes contenus dans l'article 22 de l'ordonnant du 19 septembre 1945 ;
b) D'affirmer la position du droit interne français qui est celle d'un refus de voir s'instaurer une nouvelle catégorie de conseils juridiques inommée, constituée par les avocats européens s'installant en France de manière sauvage sans aucun contrôle des Ordres.

Ce texte qui est littéralement inspiré des travaux de l'ANA de 1970 est raisonnable.

Il est hautement souhaitable qu'il soit très rapidement voté.

Certes ce texte sera critiqué par ceux des avocats et conseils juridiques qui le trouvent insuffisant alors que les circonstances historiques et le rapport de force actuel ne permettent pas de faire mieux.

Il sera aussi critiqué par ceux qui considèrent qu'il ne sert à rien de marquer les frontières entre les activités puisqu'aucune digue juridique ne peut empêcher une évolution inéluctable de se produire : celle de la perte de tout caractère spécifique de l'exercice du métier de juriste.

Les uns et les autres ne devront pas être suivis pour être ou bien excessivement optimistes, ou bien trop pessimistes.

III. - 2. Les sociétés professionnelles

Le projet de loi préparé par la délégation aux professions libérales est indispensable. Certes il n'est aucunement un remède magique.

L'avocat individuel, contrairement aux illusions de certains ne retirera guère de bénéfice de sa transformation en entreprise individuelle.

En revanche, les sociétés commerciales à objet civil, d'une part répondent bien à la spécificité de l'exercice d'un nouveau métier d'avocat conseil, résultant de la fusion, et d'autre part permettent, avec des contraintes minimum, l'intégration des grosses structures judiciaires ou assimilées dans la nouvelle profession.

Certes, beaucoup de critiques se manifestent contre la participation des capitaux extérieurs à concurrence de 25 % dans ces sociétés. Ces critiques font remarquer qu'aux États-Unis les participations extérieures sont interdites.

Enfin, il serait plus simple pour les nouvelles sociétés d'avoir recours aux banques. C'est raisonner sans tenir compte des fiduciaires dont le capital est pour certaines encore aux mains de 49 % de personnes autres que des professionnels.

Les associés de Fidal auraient déjà racheté jusqu'à 75 % de capital selon les obligations prévues dans le projet de loi. Cela aurait coûté 80 millions de francs… alors peut-être faut-il se montrer raisonnable.

On se souvient que l'un des écueils sur lequel le projet de loi de réforme de 1971 a buté sur l'intégration des fiduciaires et assimilés.

Autant ne pas récidiver en 1988.

Outre et avantage, les futures sociétés faciliteront la constitution de grosses structures pour lesquelles les règles fiscales et comptables applicables aux seules professions libérales actuelles sont totalement inadaptées.

III. - 3. Le salariat interne

Depuis 20 ans, beaucoup d'avocats protestent contre le projet d'établir un salariat interne, toujours au nom des grands principes.

La vérité tient à ceci : ce ne sont pas les principes d'indépendance et de dignité qui font obstacle à l'instauration du salariat, mais bien plus le désir des avocats de ne pas faire baisser leur ratio de bénéfice par rapport au chiffre d'affaires et pour certains, l'impossibilité financière dans laquelle ils se trouvent d'en assumer la charge.

Par un réflexe habituel, on camoufle sa misère ou son appétit.

Or les ressources du droit du travail sont telles aujourd'hui qu'il est pratiquement très facile de créer un contrat sur mesure.

Les journalistes qui disposent de la clause de conscience en sont certainement le meilleur exemple. Leur statut est plus protecteur que celui apporté par le contrat de collaboration salarié-patron dans les Barreaux.

Le seul gros problème apparent aujourd'hui concerne les régimes sociaux.

En réalité la profession nouvelle risque de voir coexister deux régimes sociaux, celui des « non-non », c'est à dire non salarié, non agricole, et le régime général.

Il est vrai que ce n'est pas satisfaisant pour l'esprit mais la réalité se présente ainsi. Il n'est point besoin d'épiloguer. Cette absence de régime social unique n'est pas en soi un obstacle suffisant pour empêcher la réalisation d'une réforme indispensable. Ceci d'autant plus que dans les dix années qui viennent le régime général absorbera très probablement tous les autres régimes.

III. - 4. Le salariat externe

La plupart des entreprises importantes disposent en leur sein d'un service juridique. Le temps est révolu où ces fonctions étaient occupés par des secrétaires des anciens patrons partis à la retraite ou par des cas sociaux.

Le personnel qui remplit ces activités est de plus en plus qualifié.

Certains avocats ayant mieux réussi que ceux qui rentrent dans la magistrature intègrent ce métier et le recrutement chez les « civils » est de plus en plus remarquable. Aux États-Unis, depuis longtemps, les lawyers ont investi ces postes. Ils parlent à leurs homologues étrangers de leurs « clients » en évoquant l'entreprise qui les emploie.

Loin d'être une concurrence pour les futurs avocats conseils, ces juristes sont des partenaires, des prescripteurs avisés. Il faut les considérer comme des membres de la famille.

Plus facilement, ils pourront quitter le Barreau pour exercer leur métier de juristes à l'intérieur de l'entreprise, plus facilement ils pourront réintégrer le Barreau pour y retrouver une place libérale, mieux la grande Profession se portera.

Tant il est vrai que ce qui compte est l'existence dans une communauté bien soudée de praticiens du droit plutôt que de corporations où se dressent des embuscades.

Si l'avocat conseil de demain est destiné à être un décideur associés à la marche de l'économie, il faut lui permettre d'exercer ses talents selon toutes les modalités les plus souples en fonction des différents âges de la vie et de ses circonstances.

Il apparaît ainsi souhaitable de permettre ou de faciliter l'intégration en titre de tous les juristes d'entreprise au sein du Barreau pourvu que certaines conditions de diplômes et de pratique soient réunies.

Pour les titulaires du CAPA, pas de problème. L'onction ainsi donnée pourra, comme tous les diplômes, servir toute la vie.

Pour ceux, titulaires d'un diplôme de grande école, HEC, sciences po, ENA, etc. aucune difficulté non plus. Cinq années de pratique dans l'entreprise devraient permettre l'intégration dans les Barreaux.

Pour les simples licenciés en droit ou équivalent, cinq années d'entreprise pourraient être suffisantes, accompagnées d'une ou deux années de stage dans un cabinet d'avocat.

Pour les non diplômés, on pourrait prévoir jusqu'à 10 ou 15 ans d'entreprise et 5 années de stage chez un avocat.

Les portes de la profession seraient ainsi ouvertes. Le seul problème réel, là encore, est la déontologie.

Si les mêmes règles de confidentialité d'échanges de correspondances, si les mêmes disposions relatives aux contradictions d'intérêts sont observées, si la même exigence de ne pas conseiller contre un ancien client est imposée, rien ne s'oppose à maintenir en l'état de réserve des juristes d'entreprise afin de leur permettre, le moment venu, de revenir vers leur Ordre.

Naturellement étant juristes d'entreprise, ils ne pourront pas plaider eux-mêmes, ni voter au conseil de l'Ordre. Mais pourquoi leur interdire de participer à la vie de la communauté juridique dans tout ce qui reste de celle-ci, hormis ces deux incapacités provisoires.

L'expérience américaine est à cet égard encore pleine d'enseignement, non pour des raisons dogmatiques mais pragmatiques.

L'expérience démontre que loin de diminuer le poids des professionnels du droit, de telles ouvertures la renforcent considérablement au plan du chiffre d'affaires, de l'autorité et du poids dans la collectivité.

II. - 5. Les dénominations sociales

Pourquoi donc les cabinets anglo-saxons portent-ils des dénominations sociales ? Pour la simple raison qu'ils existent en tant que personnes morales. Ils ont créé une véritable patrimonialité par leur activité.

En France, la plupart des cabinets individuels n'ont aucune espèce de valeurs transmissibles. Donc les avocats français reconstruisent la réalité à l'envers en survalorisant le sigle de l'identification des cabinets.

Le raisonnement est le suivant : puisque mon cabinet n'a aucune valeur nous n'allons pas permettre à ceux qui possèdent une raison sociale contre toutes nos règles de nous faire concurrence.

Ce raisonnement est un sophisme. La vérité est qu'une raison sociale en elle-même ne crée aucune espèce de plus value dès lors qu'elle couvre une réalité qui ne ressemble pas à une personne morale.

En revanche, un cabinet très important pratiquant une politique de recrutement large prévoyant la durée de l'entreprise avec des embauches de générations successives, a absolument besoin de cette abstraction qui symbolise une volonté de continuité.

Donc la création de cette société commerciale à objet civil commande l'utilisation de la raison sociale.

Ainsi par exemple, GIDE LOYRETE NOUEL, nom de ses fondateurs, restera GIDE LOYRETTE NOUEL dans deux ou trois générations et sans doute davantage.

Le sigle représente l'effort de création d'une entreprise avec un certain type de traditions, de savoir-faire, passé de génération en génération, signe distinctif entre les autres et dont on sait qu'il ne va pas s'éteindre avec les deux derniers fondateurs.

L'article 2 du projet de loi prévoyant que la dénomination sociale des nouvelles sociétés d'exercice libéral sera constituée « par le nom d'un ou plusieurs associés ou anciens associés exerçant ou ayant exercé la profession au sein de la société » est parfaitement logique.

Il faudra aller encore plus loin et mettre en discussion la possibilité de raisons sociales autres que résultant de la juxtaposition des noms d'associés. En effet, beaucoup de tentatives d'associations échouent à cause du problème du nombre de noms ou l'ordre des noms retenus dans la raison sociale. C'est absurde.

III. - 6. La publicité

C'est un sujet sensible. Son interdiction se fonde sur l'idée juste qu'il ne convient pas de substituer à la règle de la compétence celle de la réclame dans un secteur où le bouche à oreille est la seule communication légitime du savoir-faire.

Cette règle était parfaitement valable dans un étroit marché réservé à une élite qui savait se repérer dans un milieu où tout le monde se connaissait.

Aujourd'hui ce marché a explosé.

L'exercice juridique devient de plus en plus spécialisé. Déjà les prescriptions internes d'avocat à avocat sont de plus en plus difficiles.

Même les professionnels sont soumis à des cas de conscience redoutables lorsqu'il s'agit de fournir à un parent, un ami, le nom d'un confrère.

Les résultats d'un choix conseillé ne répondent pas toujours aux espérances.

Alors imaginons la détresse de celui qui est envoyé à un professionnel par une « relation ». C'est de la prescription « au petit bonheur la chance ».

Dans quelle mesure un minimum de publicité peut-elle améliorer les conditions de ce choix ?

Déjà, le Barreau de Paris, par la voie intérieure, a décidé de créer un annuaire des spécialités. C'est déjà un progrès au terme duquel la profession a considéré que la sanction d'une déclaration abusive par le marché serait suffisante.

Cette voie est sans doute la meilleure solution pour permettre la communication du savoir-faire des avocats.

Sans envisager les placards dans les journaux, rien ne semble s'opposer à ce que des cabinets, sous le contrôle de leur bâtonnier, fassent dans un premier temps, éditer, s'ils le souhaitent, des plaquettes exposant les branches d'activité qui leur sont favorites et le sursis de leurs membres.

On envisagera mieux ensuite qu'une publicité minimum est inévitable et souhaitable. La délicatesse de cette manipulation de la communication l'est tout autant, mais ce n'est pas un motif pour laisser la situation actuelle en l'état.

III. - 7. Les ordres

Une nouvelle organisation des Ordres est rendue nécessaire par la fusion et par l'indispensable organisation collective destinée à assurer un traitement correct des problèmes d'aide judiciaire, civile et pénale.

Les conseillers juridiques disposent déjà d'une organisation de 20 commissions régionales et une Commission nationale.

On ne peut raisonnablement faire passer une population de professionnels au nombre de 4 900 gérée par 20 commissions dans une organisation de 178 Barreaux au sein d'une profession de 18 000 membres, alors que dans certains cas, dans les tous petits Barreaux, beaucoup d'entre eux seront complètement isolés.

Par ailleurs, toute réforme de la procédure pénale suppose une organisation qui elle-même implique une réforme des Ordres.

Ainsi, la réforme de l'instruction (juillet 1984) instituant le débat contradictoire avant toute mise en détention, a été quasi échec.

Malgré certaines tentatives, les Barreaux de province n'ont pas pu assumer l'organisation collective qu'une telle réforme supposait.

Il en sera de même de toute réforme de procédure qui butera contre le fait que 89 % des commissions d'office sont assurées par la province.

De même toute rationalisation et extension de l'aide judiciaire ne pourra s'opérer que si les Barreaux veulent la gérer au sein d'Ordres beaucoup plus grands.

Ainsi, la juste revendication par les Barreaux de voir se créer un grand fonds d'aide légale passe par leur propre réforme.

A défaut, l'aide légale se fera en dehors d'eux ou ne se fera pas du tout.

A ceci, il convient d'ajouter encore que le contrôle disciplinaire au sein des petites villes et des tout petits Barreaux est forcément très malsain, dès lors que chaque avocat a vocation à devenir membre du conseil de l'Ordre, et chaque membre du conseil de l'Ordre à devenir Bâtonnier.

Déjà, dans les petits Barreaux, les avocats locaux éprouvent les plus grandes difficultés à mettre les poings sur la table quand il le faut en cas de conflit avec des magistrats.

Ils ne peuvent à l'évidence se « mettre mal avec eu » puisqu'ils ont vocation à plaider entre devant les mêmes personnes pendant cinq ou six ans. Une difficulté symétrique existe pour sanctionner des confrères que l'on voit tous les jours.

Il faut à cet égard, un minimum de recul pour qu'un pouvoir disciplinaire puisse s'exercer correctement. Au sein d'un conseil de l'Ordre de grande ville, il n'est pas rare de voir un membre se faire excuser lorsque vient une affaire ou un confrère dont il a eu à connaître. En province c'est beaucoup plus difficile.

Enfin la multiplicité des Barreaux affaiblit considérablement leurs voix, aussi bien vis à vis des pouvoirs publics que de l'étranger.

Le poids spécifique du Barreau de Paris qui compte 40 % des avocats français, l'oblige souvent à parler dans les faits au nom de la profession toute entière sans qu'il en ait pourtant la légitimité.

Quant à la conférence des bâtonniers, elle prétend abusivement présenter un contre-poids de la province, puisque c'est par une aberration égalitaire bien française que le bâtonnier de telle ou telle petite ville du Sud-Ouest ou de l'Ouest malgré une relative pondération des votes, fera pièce à celui de Strasbourg, de Marseille, de Toulouse ou de Paris.

Mais il est vrai que le sous-développement de l'appareil juridique en France est cohérent. On le retrouve à tous les niveaux jusque dans les organismes représentatifs.

Si on examine la situation en Europe, très logiquement la France est le seul pays à ne pas disposer d'un Ordre national. Tous nos confrères voisins vivent sous une organisation unique depuis au moins vingt ans.

Les solutions d'avenir pourraient tenir en quatre points :

a) Conserver les circonscriptions locales des Barreaux actuels pour l'élection d'un bâtonnier, sans conseil de l'Ordre. Son pouvoir serait de représentation et d'arbitrage immédiat des difficultés avec les magistrats sous réserve d'approbation du conseil de l'Ordre de la Cour ;
b) Créer un Barreau de Cours avec un conseil de l'Ordre élu au suffrage direct dont feraient partie de droit les bâtonniers locaux. Le nombre des membres du conseil de l'Ordre varierait en fonction du nombre des professionnels recensés dans la juridiction ;
c) Election d'un Conseil national au sein des Barreaux de Cours, avec une représentation proportionnelle à leurs membres ;
d) Election du Bâtonnier national au suffrage direct. L'organisation nationale aurait tous les pouvoirs autres que disciplinaires, sauf en cas de conflits entre jurisprudence d'ordres régionaux.

Les avantage de cette solution seraient tout d'abord de ne pas perdre le contact avec les avocats dans les tribunaux, de disposer d'une structure d'accueil au niveau des 30 cours d'appels ce qui pourrait être acceptable pour les conseils juridiques et suffisant pour gérer certaines organisations de services communs.

L'organisation nationale définirait la politique de la nouvelle profession et la représenterait auprès de l'État et de l'étranger.

Aucun bâtonnier ne serait supprimé. Au contraire on en créerait 35.

D'autres schémas peuvent évidemment être encore envisagés pour aboutir à une organisation nationale qui permettra d'une part de ne pas constituer un nouveau sanctuaire du conservatisme et d'autre part de faire en sorte que le Barreau, face à l'État et à l'étranger puisse parler d'une seule voix.

Il s'agit d'un problème terriblement délicat. Il est clair en tout cas que la situation actuelle ne peut plus durer et que de manière urgente des Barreaux de cour doivent au moins être organisés.

III. - 8. L'unité professionnelle et interprofessionnelle

Après la fusion des conseils juridiques et des avocats, la question se pose de savoir jusqu'où on peut aller le souci de transformer le paysage juridique de notre pays en « jardin à la française ».

La position caporalisme « je ne veux voir qu'une seule tête », n'est peut-être pas la meilleure.

La question reste toujours la même. Quelle est la fonction de l'homme juridique nouveau ?

Existe-t-il des particularités susceptibles de maintenir en vie pour des raisons solides les avocats au Conseil, les huissiers, les notaires, les avoués à la Cour ?

L'expérience a démontré que la suppression des avoués au tribunal a été une bonne chose car leur monopole ne reposait sur absolument rien de fonctionnel mais simplement sur la survivance d'une étape vers la profession d'avocat : les « avant parliers » devenus vers le 13e siècle les « avoués » pour la raison que les parties ne pouvaient plus les « désavouer » une fois qu'ils avaient exposé les prétentions des parties.

III. - 8.A. Les avoués à la Cour

Commençons par le plus simple : nos amis Avoués à la Cour.

Ils nous déchargent de tâches que nous pourrions bien faire à leur place.

Survivance historique archaïque, ils ne représentent, sauf cas particuliers, aucune force suffisante autour de laquelle nous pourrions nous organiser et créer des pôles d'attraction, des matrices d'entreprises.

L'amitié que nous leur portons pour le confort qu'ils nous procurent parfois ne trouve pas sa contrepartie économique surtout lorsqu'il s'agit de faire régler par les clients les frais de postulation.

Nombre d'avocats en rapport avec des collègues étrangers ne dévoilent pas l'existence de ces professionnels dont l'existence est difficile à comprendre et les dissimulent dans une note de frais légèrement aggravée.

Les avoués à la Cour utiles trouveront toujours une activité au sein des gros cabinets. Il serait hautement souhaitable qu'une fusion avocats-avoués s'effectue. Le coût de rachat des charges représenterait une année de tarif. C'est abordable.

III. - 8.B. Les huissiers

L'huissier en revanche représente cet avantage de procurer aux parties une sorte de professionnel spécifique à moitié détective, à moitié facteur.

Certains d'entre eux ont une clientèle.

On découvre parfois avec stupéfaction dans telle ou telle entreprise française et même chez l'une des plus importantes personnes morales à capitaux publics, que les dominus litis dans les recouvrements sont les huissiers de justice qui choisissent la procédure et désignent les avocats (non cela ne se passe pas en 1930 dans la France profonde, mais en 1988 à Paris 7e).

Ces professionnels disposent maintenant d'une possibilité de représentation des parties au tribunal de commerce.

Il est évident que les huissiers effectuent un travail qui est une véritable spécialité fonctionnelle. Ce « facteur-détective » intelligent, débarrasse l'avocat d'une activité qui l'obligerait à créer lui-même un service commun pour effectuer ce même travail.

Il s'agit d'un problème différent de celui des Avoués à la Cour.

L'inconvénient du maintien des huissiers tient à l'impression donnée au justiciable d'être cet animal que l'on passe de pré-carré en pré-carré, de mains en mains et de tondeuses en tondeuses.

Si les huissiers devaient échapper à l'unicité des professions peut-être conviendrait-il de revoir certaines règles relatives par exemple aux référés sur procès-verbaux, et qui les conduisent à accomplir pour leur seul profit des fonctions antagonistes.

De même, il convient de revoir les délais d'encaissement et de transmission des fonds beaucoup trop longs et incompréhensibles pour le justiciable qui pense que l'avocat ment lorsqu'il lui dit « je n'ai pas l'argent », alors que le débiteur a payé.

Peut-être en cas de maintien des huissiers, faudrait-il aussi leur permettre de s'associer ou de se grouper avec les quelques cabinets d'avocats susceptibles de les employer à plein temps.

Sur 2 872 huissiers, une centaine pourraient ainsi se consacrer entièrement à un correspondant ce qui, sur le plan de la rationalité du service serait utile.

De surcroît, cette association facultative permettrait dans les dix années qui viennent de voir se dessiner un mouvement d'absorption ou de rejet par la nouvelle profession.

Les avocats nouveaux ne semblent pas être prêts actuellement compte tenu de leurs structures, à devenir aussi des huissiers ou à intégrer ceux-ci. L'attente de l'évolution serait peut être la sagesse politique.

III. - 8.C. Les avocats au conseil et les notaires

Leurs cas est volontairement examiné ensemble bien que leur nombre (83 contre 7 316) laisse à penser que ce rapprochement est saugrenu.

Ces deux catégories de professionnels exercent de fonctions spécifiques.

1. Les avocats au Conseil représentent un élément logique de la façon dont est monté le système judiciaire français.

Nous fonctionnons sur une mécanique à double degré de juridiction.

Le rôle de notre cour d'appel est très différent de celui des anglo-saxons par exemple, puisque les Cours révisent les décisions des Tribunaux et jouent par rapport à la première instance le rôle que la Cour de cassation chez nous joue vis à vis des Cours d'Appel.

Outre-Atlantique, le double degré de juridiction s'exprime plus particulièrement à l'égard du droit qu'à l'égard du fond pour la bonne raison que le fond a été plus souvent jugé par un jury.

Le rôle de la Cour suprême est à la fois beaucoup plus important que celui de la cour de cassation pour des motifs historiques et constitutionnels mais aussi beaucoup plus mince par le nombre des recours examinés.

La Cour suprême fonctionne avec une sorte de Chambre des requête qui rejette toutes les affaires qui ne présentent pas sur le plan de la doctrine un intérêt particulier.

Naturellement les 9 juges sont débordés et avant de démissionner en 1986, le Chief Justice Burger avait envisagé de créer plusieurs Cours Suprêmes décentralisées. Il pestait aussi contre l'incompétence des avocats qui se présentaient, ignorant tout de la technique de cassation. C'est pourquoi un examen a été créé pour filtrer les avocats accrédités à la Cour.

En France, la cour de cassation est étranglée sous le nombre des pourvois malgré ses 112 magistrats.

La suppression de la Chambre des requêtes a réouvert les vannes.

Le pourvoi en Cassation est devenu le troisième degré de la justice en France.

Dans ces conditions, les 83 avocats au Conseil ont objectivement un rôle de filtre de ces pourvois. Non seulement ils rassurent les magistrats de la Cour parce qu'ils possèdent une technique spécifique et parce que leurs visages sont connus, mais on compte en plus fermement sur eux pour dissuader les plaideurs.

Certains magistrats de la Cour de Cassation envisagent donc avec une sorte de panique la suppression des avocats au Conseil.

Cette situation est paradoxale d'autant plus qu'en Europe, mis à part l'Allemagne, pays fédéral qui connaît un corps spécialisé de 60 avocats, la situation française est unique.

2. Quant aux 7 316 notaires, leur rôle vis à vis de l'État, consiste à assumer la sécurité dans les transactions immobilières.

Ils tentent aujourd'hui, par une publicité fonctionnelle de donner dans le public l'image d'une profession moderne de conseils. Mais très probablement, la nouvelle profession portera à cette  ambition un coup fatal.

La propriété foncière a été très longtemps un point d'ancrage de la clientèle à partir de laquelle une activité de conseils pouvait se développer.

Dans 10 ans, une bonne partie des charges vaudront moins cher qu'aujourd'hui, ce qui pourrait donner à l'État le désir d'attendre avant de racheter, si nécessaire, des charges dont beaucoup ont été créées en 1815 pour permettre à l'État français de payer ses dettes aux alliés. En fait, la situation des avocats au Conseil et des notaires ne doit pas être prise sous cet angle.

3. Le gros problème auquel va se trouver confrontée la France dans les toutes prochaines années, sera de trouver des matrices pour créer des entreprises de droit.

Or cela ne se fabrique pas de toutes pièces.

Ce n'est pas parce que 50 professionnels du même âge, bons camarades ou bons correspondants, vont fonder une association, qu'ils créeront pour autant une entreprise. Il y a toute chance qu'ils ne puissent créer qu'une « pétaudière ».

Une entreprise comporte un patron, un minimum de hiérarchie, un recrutement avec des couches d'âge différentes, une politique des revenus, une fidélité du personnel.

Bref, il s'agit d'une communauté organisée. Certes il existe des fondateurs d'entreprises qui commencent jeunes et notre future profession verra se constituer progressivement ces groupes par ceux qui en auront pris le goût bien souvent au sein des plus gros cabinets français ou « américains ».

Mais ces entreprises pour atteindre leur maturité exigent un minimum de temps (au moins 10 ou 15 ans).

Même les experts comptables qui disposent déjà de la taille, de la finance et de la structure n'ont pu immédiatement, en mettant les bouchées doubles ou triples, créer des outils de travail  aussi performants que les gros cabinets juridiques.

Il est illusoire de penser que, par miracle, les jeunes sortis du CFPP vont par la seule grâce du génie français créer des cabinets capables de soutenir la concurrence.

Il est donc vital de recenser très précisément où se trouvent les quelques communautés professionnelles capable, comme pour une armée, d'en constituer le corps expéditionnaire.

On trouve chez 4 ou 5 avocats au Conseil, et certainement chez une bonne trentaine de notaires, des pôles d'attractions virtuels. Tout est en place, le patron, l'équipe, l'habitude de raisonner en tant qu'entreprises, les couches d'âge, les revenus, les chiffres d'affaires, les capacités d'investissement.

Ces quelques rares structures qui emploient entre 20 et 50 personnes, parfois davantage, peuvent très rapidement grandir et servir d'armature à la nouvelle profession.

Le nombre est insuffisant chez les seuls avocats d'aujourd'hui et même chez les seuls conseillers juridiques. Il est donc essentiel de regarder du côté des notaires et des avocats au Conseil ceux qui pourraient participer à cet effort.

Dès lors le problème de l'examen de la situation de ces deux catégories de professionnels apparaît de façon très différente. On ne mettrait plus à l'ordre du jour leur suppression ou leur maintien, mais leur utilisation par la voie des associations au service de la grande profession.

III. - 9. Les sociétés de moyens avec d'autres professionnels

La question des sociétés de moyens avec agents immobiliers, banques, experts-comptables, architectes ou géomètres ne peut être passée sous silence.

Certes, ce mode d'organisation n'est pas exclusivement, bien que cela puisse exister, de nature locative ou matérielle.

Au moment où tout un mouvement professionnel s'efforce de lutter contre la conquête du marché par les experts-comptables, il peut paraître inconséquent d'envisager des structures matérielles communes, celles que précisément nous dénonçons lorsqu'il s'agit des Big Eight et de leurs succursales juridiques.

Il reste néanmoins à préciser que ce qui est mis en cause, ce ne sont pas les liens de correspondance ou d'organisation matérielle entre les professionnels différents, mais les sujétions associatives.

Ce qui est mis en cause à la tour Fiat ou à la tour Gan (KP MG et Arthur ANDERSEN) c'est qu'une structure comptable soit imbriquée dans une structure juridique se traduisant par une identité de capitaux, de dirigeants, de participation aux résultats, de dénomination et même de dépendance hiérarchique.

Ce qui est mis en cause ce n'est pas le fait que deux professions qui chacune ont besoin de l'autre, travaillent ensemble mais c'est la confusion de ces professions.

La position que l'avocat conseil devra adopter sur ce sujet est très périlleuse.

Laxiste, il risque d'en périr en se laissant dévorer.

Trop rigide, il sera débordé par la réalité nationale et européenne.

Il n'existe pas de remède miracle.

Seul un contrôle réel, quasiment douanier, des sociétés d'exercice du droit permettront de respecter l'exigence de la spécificité du juridique alors même que le principe des groupements de moyens pourrait être autorisé.

Si la profession accepte ce principe, pour les sociétés de moyens avec les experts comptables, on voit mal ce qui pourrait l'interdire dans les cas où elle est opportune avec d'autres professions réglementées.

Mais il y a là un débat crucial que ces seules observations ne concluent évidemment pas.

III. - 10. La formation

Il faut se rendre à l'évidence. Ce ne sont pas les meilleurs étudiants qui se dirigent vers le Barreau et la magistrature.

III. - 10 a) Au moins la magistrature dispose-t-elle d'un filtre avec le concours où est accepté un étudiant sur sept, soit 215 personnes chaque année.

70 % des étudiants sont issus du bac A, B ou G. Seuls 12 % ont fait Sciences Po, ce qui correspond d'ailleurs aux 11 % de collés à l'ENA.

III. - 10 b) Pour le Barreau c'est encore pis. En 1988, 55 % des étudiants du CFPP à Paris n'ont qu'une maîtrise. 15 % ont un DESS et 30 % ont un DEA. Moins de 5 % d'entre eux sont diplômés d'une grande école dont Sciences Po.

Le sous-développement français est évidemment cohérent.

Il est partout. Faible part du marché juridique dans le PNB, faible taille des cabinets, atomisation des Ordres ridiculement petits, mentalités poujadistes d'une forte minorité, refuge dans les principes abstraits, cache-misère et suicidaires… et faible niveau des étudiants.

A bon chat, bon rat.

A profession sous-développés étudiants médiocres ou moyens. Sur les mille jeunes formés par les CFPP en 1988, environ les deux tiers se dirigent vers la profession d'avocat parce qu'ils ne leur est pas permis de faire autre chose.

Avec ce seul recrutement nous n'irons pas loin au moment où les grands cabinets d'expertise comptable recrutent ce qui se fait de mieux sur le marché des études juridiques, mais aussi scientifiques, administratives et commerciales (agrégatifs, énarques, polytechniciens, HEC sont aujourd'hui recrutés par les Big Eight).

Ces jeunes gens sont tout à fait capables de se mettre assez vite au droit qui ne présente pas en tant que tel un niveau de difficulté d'étude considérable pour un individu brillant.

Pourtant nous en sommes encore à refuser l'inscription au CFP (centre de formation professionnelle) des énarques, HEC ou X !

Quant à laisser sauter le CAPA par les élèves des grandes écoles disposant d'une maîtrise en droit, il n'en est évidemment pas question, pas plus d'ailleurs que pour ceux des français qui ont eu la bonne idée de décrocher au bout de trois ans d'études un diplôme d'une université étrangère prestigieuse (Harvard-Law School par exemple).

Cette situation est aberrante.

Ce système éducatif en place ne permet pas de choisir les meilleurs, mais au contraire de les éliminer.

Une réforme urgente consisterait à revoir les modalités d'accès à la profession avec intégration directe pour les diplômés prestigieux sous des conditions de stage de un ou deux ans dans un cabinet.

De même il serait indispensable de permettre à des juristes salariés titulaires des meilleurs diplômes de devenir avocat après un stage de trois ou cinq ans dans les cabinets.

III. - 10 c) En amont, il paraît aussi nécessaire que les Ordres fassent des opérations de relations publiques dans les classes terminales pour faire connaître à des adolescents le type de travail et rémunération que peuvent offrir des cabinets d'avocats importants, afin de modifier l'image d'une profession défenseur de la veuve et de l'orphelin ou de la veuve contre l'orphelin.

Enfin reste le lancinant  problème de la formation commune des magistrats et des avocats.

La situation qui se propage actuellement est tragique. On fabrique tous les ans 215 juges qui, à la fin de leurs deux ans d'études ignorent tout de la profession d'avocat, mais de surcroît développent un esprit sectaire à l'égard de leur futur partenaire de justice.

Les jeunes juges n'ont aucune espèce de connaissance du juridique et de la réalité internationale.

Ils ne sont confrontés à rien d'autre que ce dont ils peuvent connaître à l'école. Leur provincialisme réel (76 %) se double d'un provincialisme quasi idéologique.

Le divorce entre la réalité de la magistrature française et la réalité internationale dans laquelle se trouve plongé le pays est stupéfiant.

Si les jeunes magistrats devaient pour présenter le concours être contraints à faire cinq années de pratique professionnelle chez les avocats, l'ensemble de la profession juridique et judiciaire s'en porterait mieux.

La symétrique est vrai pour les avocats dont les stages en juridiction sont notoirement insuffisants.

III. - 11. La déontologie

Un certain nombre de règles ont déjà été assouplies pour permettre aux avocats de ne pas rester en dehors de l'entreprise.

Il faudra aller plus loin dès la fusion et la création de la grande profession. Bien que cela heurte beaucoup de principes traditionnels, il est indispensable de permettre à l'avocat d'être administrateur d'une société tout en demeurant son conseil.

Le règlement intérieur soumet actuellement l'avocat qui désire devenir administrateur à des conditions très strictes. Rien n'empêche de les rendre encore plus rigoureuse, notamment dans le contrôle de son activité par l'Ordre.

En revanche, interdire à l'avocat de devenir l'administrateur de la société qu'il conseille, lorsque celle-ci le lui demande, aboutit souvent à lui faire perdre le client. Soit parce qu'il accepte de siéger, mais ne peut plus être conseil, soit parce qu'il refusera et l'entreprise (surtout s'agissant de filiales de sociétés étrangères) se retournera vers d'autres professionnels.

Dans les grandes entreprises françaises siègent une forte minorité de hauts fonctionnaires, mais peu d'avocats pour la raison qui vient d'être évoquée.

Laisser subsister la situation présente, revient à abandonner ce domaine d'activité à d'autres que ceux qui sont pourtant fonctionnellement les mieux adaptés à la tâche.

En outre, perdurent des situations hypocrites où l'avocat participe aux réunions du conseil d'administration de son client en qualité de secrétaire du conseil, sans pouvoir se prendre en compte dans le calcul du quorum et résoudre les problèmes posés par l'article 93 et la loi sur les sociétés fixant au tiers le nombre maximum des salariés administrateurs.

Certains confrères mettent en cause la possibilité d'être Trustee. Cette revendication légitime à laquelle il faut se ranger passe d'abord par l'organisation juridique de ce mode d'intervention peu connu en France, bien que fort répandu aux Etats-Unis et en Angleterre.

Ces questions mettent en cause la possibilité pour l'avocat d'être conseil et en même temps partie fonctionnelle intégrée à la décision. C'est une question de fond qui doit faire l'objet d'un débat presque à part.

III. - 12. L'honoraire

L'Ordre des avocats de Paris a déjà beaucoup fait pour mener une évolution considérable dans ce domaine depuis maintenant 10 ans.

Les travaux de Bruno BOCCARA (L'Honoraire de l'Avocat, édité en 1981) sont une lecture indispensable.

La connaissance de la jurisprudence de la première Chambre du tribunal et le Cour l'est aussi.

Le fondement de cette jurisprudence est la reconnaissance de l'existence de relations contractuelles avec le client, généralement sur une base de rémunérations horaires.

Cette rémunération peut tomber dans les cas extrêmes à 300 francs de l'heure. Elle s'établit à un chiffre moyen de 1 100 à 1 600 francs de l'heure sur le plan international. Elle atteint, dans certains cas particuliers, la somme de 3 000 francs par exemple dans les arbitrages.

Tôt ou tard, les Ordres seront obligés, pour des raisons qui tiennent au développement de l'assurance procès, à établir des barèmes de remboursement dans des conditions qui n'attirent pas la critique de la Commission de la concurrence.

Enfin, tôt ou tard aussi, il faudra se résoudre à déchirer le voile hypocrite que les avocats placent entre l'honoraire de résultat et le pacte de quotas litis.

Il existe toute une série d'affaires contentieuses (expropriation, accidents corporels, récupération de créance douteuse, dommages et intérêts), dans lesquelles l'honoraire de l'avocat se calcule dans sa tête, en fait, sous une forme de pacte de quotas litis inavoué parce que généralement dérisoire.

Pour l'exercice juridique, cela se pratique également bien que le principe soit dans certains cas beaucoup plus critiquable, notamment lorsque l'honoraire dépend du succès d'une négociation qui peut, mais aussi peut ne pas dépendre de la qualité des conseils donnés.

La doctrine de l'Ordre consiste à distinguer l'honoraire de diligence et l'honoraire de résultat. Mais dès lors faudrait-il assumer la responsabilité de dire et non pas d'induire que cet honoraire de résultat suppose la définition d'un pourcentage.

L'article 3-3 du projet de code communautaire de déontologie arrêté à Milan le 6 novembre 1987 par la Commission consultative des Barreaux de la communauté européenne prévoit cette ambiguïté sans la résoudre :
« 3-3-1 L'avocat ne peut pas fixer ses honoraires sur la base d'un pacte de quotas litis.

3-3-2 Le pacte des quotas litis est une convention passée entre l'avocat et son client avant la conclusion définitive d'une affaire intéressant ce client, par laquelle le client s'engage à verser à l'avocat une part du résultat de l'affaire, que celle-ci consiste en une somme d'argent ou en tout autre bien ou valeur.

3-3-3 Ne constitue pas un tel pacte la convention qui prévoit la détermination de l'honoraire en fonction de la valeur des litiges si celle-ci est conforme à un tarif officiel ou approuvé par l'autorité compétente dont dépend l'avocat. »

Voilà la perspective dans laquelle les Ordres vont être obligés de travailler, étant précisé que ce texte de la CCBE n'évoque que le problème du judiciaire « valeur du litige » et non le problème du juridique.

Cette approche est évidemment d'un intérêt qui relègue le problème de la répétibilité au deuxième plan.

Ce n'est que lorsque des Ordres auront résolu le premier problème de la définition de l'honoraire qu'ils pourront aborder le deuxième, celui de répétibilité. Sinon la solution de l'un entraînera par effet mécanique la solution de l'autre, dans des conditions nécessairement désavantageuses puisque la répétibilité pour « passer », se fait la plus petite possible.

III. - 13. Les 20 propositions

Les propositions faisant l'objet d'un astérisque ont été, dans leur principe, adoptées le 23 avril 1988 par le Conseil de l'Ordre des avocats à la Cour de Paris. Les autres seront étudiées prochainement et toutes feront l'objet d'études complémentaires pour définir les conditions et modalités de leur mise en oeuvre.

1. Règlement de l'exercice du Droit dans les termes du projet soumis aux observations de l'Ordre en décembre 1987.
 2. Fusion des conseils juridiques et avocats, sous réserve d'une déclaration écrite des conseils juridiques par laquelle ils s'engagent sur l'honneur à ne pas dépendre d'une structure comptable.
3. Création de sociétés commerciales à objet civil pour l'exercice libéral.
4. Interdiction aux sociétés d'exercice de faire référence à des sigles communs aux sociétés d'expertise comptable.
5. Mise en oeuvre d'un contrôle des capitaux sur les sociétés d'exercice juridique.
6. Création d'une liste B pour les avocats hors CEE qui ne pourront plaider, ainsi que d'une liste C provisoire ouverte aux européens qui possèdent de droits acquis pour s'être installés en France dans les conditions prévues par l'article 55 de la loi du 31 décembre 1971, prochainement supprimé.
7. Autorisation pour les avocats de la liste B, de s'associer ou de collaborer avec les avocats français.
8. Reconnaissance et autorisation d'identification des cabinets par des dénominations composées du nom de plusieurs membres y compris décédés.
9. Publicité fonctionnelle des cabinets soumise à l'autorisation de l'Ordre.
10. Possibilité de salariat interne avec clause de conscience et maintien d'un contrat de collaboration spécifique.
11. Salariat externe avec possibilité d'intégration ou de réintégration des juristes d'entreprises au sein des Barreaux.
12. Sociétés interprofessionnelles avec les autres professions juridiques réglementées.
13. Création d'Ordres de Cours et d'un Ordre national.
14. Création d'associations régionales à financement et administration mixte, État-Barreaux pour gérer les fonds d'aide légale. Conventions à durée déterminée permettant d'assurer une collaboration à temps plein d'avocats normalement rémunérés.
15. Fusion avec les avoués à la Cour.
16. Autorisation des associations ou des groupements avec les huissiers.
17. Autorisation des associations ou des groupements avec les avocats au Conseil et les notaires.
18. Réforme de la formation avec l'ouverture la plus large du Barreau aux diplômés des grandes écoles.
19. Assouplissement des règles déontologiques dans les rapports des avocats et des entreprises.
20. Définition de l'honoraire de résultat.

Conclusion générale

L'avantage de la situation française tient peut-être à son défaut essentiel : l'archaïsme.

L'organisation des marchés juridiques et judiciaires est tellement irrationnelle qu'il n'est même plus possible d'envisager une simple amélioration mais seulement une reconstruction.

Par une curieuse ironie de l'histoire, les avocats français en refusant la modernité en 1971, ont contribué à faire de Paris une place juridique internationale unique au monde.

Par ailleurs, 1992 va instiller dans nos Ordres toute une catégorie de confrères européens hyper-organisés. La profession est donc contrainte à une ouverture sans précédent.

La fusion avec les conseils juridiques est une nécessité déjà très ancienne tout autant que l'ouverture aux avocats étrangers qui loin de nous « manger notre pain », contribueront à développer le marché et créeront des emplois nouveaux et modernes pour les plus jeunes.

Cette solidarité des professions juridiques permettra de faire respecter la frontière avec les activités comptables qui actuellement débordent en raz de marée de leur cadre.

Ce mouvement s'accompagnera d'une modernisation des Ordres et des modalités d'exercice ainsi que d'une mise à jour de la déontologie.

Comment imaginer le paysage professionnel des avocats conseils dans les 15 ans qui viennent ?

Dans un premier temps, on ne sentira pas le choc. Les avocats « moyens » continueront comme avant, les gros et les petits aussi.

Les avocats conseil, les ex-conseils juridiques, et les avocats étrangers, continueront à distribuer les dossiers judiciaires à leurs correspondants habituels. Mais très rapidement ils vont avoir à choisir la création d'un département judiciaire au sein de leur entreprise.

Ils ne pourront pas recruter pour cela, des jeunes qui manquent d'expérience.

Ils vont donc intégrer l'élite de cabinets d'avocats à l'échelle de leur taille.

Ceux-ci seront la matrice d'une organisation qui se créera progressivement.

L'avocat patron dans la société d'avocats conseils, choisira des correspondants extérieurs lui-même, puis en intégrera quelques-uns, puis recrutera des jeunes et reconstituera au niveau du judiciaire, un service au sein de l'entreprise.

Il faudra 10 ou 15 ans pour que ce mouvement soit accompli.

Naturellement cette évolution s'effectuera dans l'autre sens, dans les secteurs géographiques où le judiciaire est dominant sur le juridique.

Toutes les simulations sont évidemment hasardeuses, mais on peut imaginer qu'environ 100 structures de taille importante à très importante pourront employer 5 à 6 000 membres de la profession.

Les autres se répartiront entre les avocats individuels généralistes et de proximité, les spécialistes du Pénal et les quelques très rares artistes.

Ce sera pour beaucoup le marché du milieu. Ni très grosses affaires, sauf pour les artistes, ni affaires assistées.

L'assurance procès alimentera une partie de ces avocats. Les services communs des Ordres leur permettront de prospérer, l'informatisation aussi. Il leur faudra trouver la taille de rentabilité maximum, ni trop grande, ni trop petite.

Ce secteur nécessite une rénovation du concept de cabinet groupe encore trop considéré aujourd'hui sous l'angle de la colocation hasardeuse et non pas encore comme base de réflexion pour la création d'un nouveau produit immobilier sur mesure.

Pour aider cette masse importante d'avocats, essentielle au marché juridique et judiciaire moyen, les Ordres devraient réfléchir au financement de ces cabinets modèles offrant des services collectifs est articulés sur les moyens communs ordinaux. Ceux-ci présentent une originalité très moderne de l'organisation française et tout particulièrement parisienne.

Il serait ainsi possible de concilier l'exercice individuel avec une infrastructure suffisante.

Enfin, il faudra compter environ 4 000 à 5 000 avocats exerçant leur activité au sein de futures associations de défense dans le secteur assisté.

Disparaîtront assez rapidement les amateurs ou les bricoleurs, ainsi que les mauvais qui bénéficient d'une rente de situation sans créer de valeur ajoutée.

Disparaîtront aussi sauf exception, les cabinets moyens de moins de 10 associés dans des structures demi-lourdes, chassés vers la fuite en avant par leur coût de production et qui ne pourront jamais accéder à un certain type de clientèle nécessaire mais captive entre les mains de beaucoup plus gros cabinets.

Il appartient aujourd'hui à chaque avocat de choisir en fonction de cet avenir, une politique cohérente.

C'est vrai, un certain type de professionnel est aujourd'hui en voie de disparition.

Cet homme travaillant seul ou presque, souvent très diplômé mais non spécialiste, notable local ou notable intellectuel d'un niveau national, traitant parfois de grosses affaires, sollicitant des honoraires exorbitants et les obtenant.

Certains confrères célèbres brillent encore des derniers feux de ce genre de carrière ; mais ils ont entre 55 et 75 ans.

Ceux de 30 ou 40 ans ne pourront répéter cette expérience.

Le malheur est que cet idéal professionnel, qui ne constitue que le modèle idéalisé de l'avocat de la fin du 19e siècle, anime encore beaucoup de jeunes qui entrent dans la profession.

Ils rêvent d'être des Maurice GARÇON de temps modernes.

Ils se retrouveront petits épiciers vite ruinés par la concurrence des hypermarchés.

Peut-être faudra-t-il enseigner aux jeunes des centres de formation professionnelle, que l'esprit d'entreprise ne consiste pas forcément à rêver de « se mettre à son compte », mais à choisir d'exploiter ses compétences de la manière la plus complète.

Cet idéal d'accomplissement de soi-même est aussi exaltant que le culte des signes extérieurs d'un mode d'exercice périmé.

Sur le plan de la politique nationale, ces transformations se situent à une très bonne période.

La justice et le droit vont être à l'ordre du jour dans les sept ans qui viennent.

Faute d'une maîtrise de certains problèmes politiques ou économiques qui leur échappent pour des raisons internationales, ou parce que les délais de transformation sont très longs, les politiques vont s'intéresser au secteur juridique et judiciaire.

L'investissement dans ce domaine, est plus de l'ordre de la matière grise que de la finance.

La représentation nationale est prête à faire un effort important pour moderniser ce secteur.

Encore faudra-t-il l'informer et ne pas la laisser se faire circonvenir soit par des lobbies proches du ministère des finances, soit par les courants les plus conservateurs d'entre nous et qui disposent d'un poids électoral certain.

Souhaitons que la bataille de 1992 ne ressemble pas à celle de 1971. Cette fois-ci la profession d'avocat ne s'en relèverait pas.

En revanche, si une reconstruction s'opère à l'occasion de cette révolution silencieuse, la France se retrouvera probablement en 15 ans, dans le groupe des pays du monde disposant des meilleurs professionnels du droit sur un marché particulièrement florissant.

Il s'agit là d'une loi historique propre à tout secteur économique et social apparemment sinistré par l'évolution moderne mais en fait stimulé plus que les autres par son renouvellement.

Le défi est à la mesure de la remarquable vitalité dont les avocats font preuve depuis plus de 10 ans.

Il est une occasion d'employer nos forces dans la direction de l'espoir et non pas du suicide.

Pour y parvenir, il suffira d'utiliser notre angoisse, non point comme une occasion de se paralyser, mais comme un moteur pour la création.

La seule condition est de ne pas avoir peur de la réalité.

Daniel SOULEZ LARIVIERE

 

TABLE DES MATIÈRES

I. - Le diagnostic

I. - 1. L'histoire
I. - 2. La situation des opérateurs professionnels en matière juridique et judiciaire
I. - 3. L'échec de la réforme de 1971
I. - 4. Le marché juridique et judiciaire français
I. - 5. La situation des juristes français et étrangers, perspective européenne
I. - 6. Le marché juridique international : les Big Eight
    I. - 6 - A. Les prémisses
    I. - 6 - B. Le principe de la conquête par les Big Eight
    I. - 6 - C. Les méthodes de la conquête
    I. - 6 - D. La situation actuelle


II. - Les politiques

II. - 1. Le repliement
    II. - 1 - A. Les délices du monopole
    II. - 2 - B. La peur

II. - 2. L'abandon
    II. - 2 - A. L'exemple américain
    II. - 2 - B. Quelles sont ces spécificités
    II. - 2 - C. La commercialisation et ses limites
    II. - 2 - D. Est-il trop tard ?
    II. - 2 - E. Alors ?

II. - 3. Une politique courageuse et réaliste
    II. - 3 - A. La déontologie, fondement de toute revendication à la différence
    II. - 3 - B. Les alliés objectifs ?
    II. - 3 - C. Quels alliés objectifs ?
    II. - 3 - D. Les amis ennemis
        II. - 3 - D - a) Experts comptables
        II. - 3 - D - b) Avocats européens refusant l'intégration
    II. - 3 - E. L'ouverture maximale à tous les professionnels acceptant la déontologie de la nouvelle profession
    II. - 3 - F. Une reconstruction complète de la chaîne juridique et judiciaire
        II. - 3 - F - a) Commission d'office
        II. - 3 - F - b) Aide judiciaire
        II. - 3 - F - c) La création d'un fond d'aide légale et sa contre-partie : l'organisation
        II. - 3 - F - d) Les assurances procès

 

III. - Les moyens d'une politique

III. - 1. La réglementation de l'exercice du droit
III. - 2. Les sociétés professionnelles
III. - 3. Le salariat interne
III. - 4. Le salariat externe
III. - 5. Les dénominations sociales
III. - 6. La publicité
III. - 7. Les Ordres
III. - 8. L'unité professionnelle et inter-professionnelle
    III. - 8 - A. Les Avoués à la Cour
    III. - 8 - B. Les Huissiers
    III. - 8 - C. Les avocats au conseil et les notaires
III. - 9. Les sociétés de moyens avec d'autres professionnels
III. - 10. La formation
III. - 11. La déontologie
III. - 12. L'honoraire
III. - 13. Les vingt propositions

Conclusion générale