Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, et M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur le projet de loi sur l'utilisation de parties du corps humain, l'assistance médicale à la procréation et le diagnostic prénatal, à l'Assemblée nationale le 7 avril et au Sénat le 17 mai 1994.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi sur l'utilisation des parties de corps humain, l'assistance médicale à la procréation et le diagnostic prénatal, à l'Assemblée nationale le 7 avril, au Sénat le 17 mai 1994.

Texte intégral

Projet de loi relatif au don et à l'utilisation des éléments et produits de corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. Présentation par Madame Simone Veil, ministre d'État, ministre des Affaires sociales, de la santé et de la ville.

Monsieur le Président,
Madame le Président de la commission spéciale,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Messieurs les rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les députés,

L'examen des textes relatifs à l'éthique biomédicale vient en premier dans l'ordre du jour de la session de printemps. C'est dire l'importance que l'Assemblée comme le Gouvernement y attachent.

Les questions de principe que vous aurez à trancher sont essentielles. Elles touchent à la vie, à l'intégrité du corps humain, à la souffrance et à l'idée même que l'on se fait de l'homme. Je sais que votre commission spéciale a examiné ces problèmes avec beaucoup de profondeur, et je tiens à rendre hommage à son travail et à celui de son rapporteur, M. Mattéi.

Certes, en marge des questions éthiques, nous aborderons aussi des problèmes de santé publique, d'organisation sanitaire ou de pratiques médicales.

Nous examinerons par exemple les modalités concrètes des prélèvements d'organes, des greffes, et de la fécondation in vitro.

Nous le ferons avec la volonté de garantir la sécurité des traitements, comme nous nous efforçons de le faire en matière de transfusion sanguine ou de médicament.

Mais si les objectifs de sécurité sanitaire appellent une grande vigilance, ils ne soulèvent à vrai dire que peu d'interrogations autres que techniques.

L'ambition des textes qui vous sont présentés va beaucoup plus loin.

Nous assistons depuis quelques années à de formidables progrès, en particulier dans le domaine de la génétique, que le rapporteur de votre commission spéciale connaît bien.

Une révolution scientifique s'accomplit sous nos yeux. Elle annonce une ère nouvelle. Riche en promesse, mais lourde de risques, c'est l'ère des thérapies génétiques et de la médecine prédictive. Des affections fatales seront un jour dominées. Nous en avons maintenant la certitude. Que d'espoirs vont ainsi s'ouvrir pour l'humanité !

Mais soyons lucides : dans le même mouvement de progrès, l'intégrité et l'identité du genre humain pourraient à terme être emportés. Nous ne pouvons prendre encore la mesure exacte des changements à venir. Pourtant, il est aisé de le constater, ce qui n'était hier que science-fiction est susceptible de devenir réalité scientifique. Demain, tout pourrait devenir possible et par exemple choisir à l'avance les caractéristiques de l'enfant à naître : son sexe ou la couleur de ses yeux.

J'ignore, Mesdames et Messieurs les députés, ce qui pourrait entrer un jour dans le champ du réel. Mais nous en savons aujourd'hui assez pour considérer que les possibilités eugéniques qu'on redoute à juste titre relèvent autant du développement de connaissances déjà acquises que de découvertes encore incertaines et imprévisibles. Il faut donc dès maintenant poser un ensemble de principes rigoureux tant en ce qui concerne les recherches et les expérimentations, que l'exploitation des découvertes à venir, dont personne ne peut prédire encore le contenu.

Une fois de plus, le progrès des connaissances est un défi pour la conscience collective.

Ce ne sera pas la première fois dans l'histoire de l'humanité. Depuis la préhistoire jusqu'à la découverte de l'atome, l'homme a souvent eu l'occasion de vérifier l'ambivalence du progrès scientifique.

Forts de cette expérience multiséculaire, nous pourrions, bien-sûr, nous voiler la face et refuser d'avancer, en invoquant les dangers, réels ou supposés, dont le progrès est nécessairement porteur. La tentation en est forte à certaines innovations. Mais une société qui rejette la science se condamne à ne plus enregistrer ni progrès dans la lutte contre la maladie, ni allongement de l'espérance de vie, ni amélioration des conditions d'existence. Une telle attitude tourne le dos à tous les acquis de notre civilisation depuis les débuts de l'aventure humaine.

Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Ma réponse est : non !

Je crois que faire le pari du progrès scientifique est la seule attitude à la fois raisonnable et conforme aux valeurs de notre société. Pour autant, il convient de ne pas méconnaitre les risques de la science, qui est affaire trop sérieuse pour être abandonnée aux seuls savants ! C'est la dignité et l'honneur de la représentation nationale, dans un débat comme le nôtre, que de savoir trouver des points d'équilibre pour assurer la poursuite du progrès en faisant obstacle à des dérives que nous craignons à juste titre.

Cela le Parlement seul peut le faire !

Dans le domaine biomédical, les pratiques ont précédé l'éthique, et l'éthique aura largement devancé le droit.

Des avis du comité national consultatif d'éthique au rapport de Mme Noëlle Lenoir, l'élaboration des projets qui vous sont présentés aura en effet été nourrie par une large réflexion préalable, également marquée par un important rapport du Conseil d'État intitulé "de l'éthique au droit".

La mission parlementaire confiée par le Premier ministre à M. Jean-François Mattéi, rapporteur de votre commission spéciale, a permis de procéder à un examen approfondi des textes amendés par la précédente assemblée.

Il en est ressorti avec clarté que des solutions devaient sans retard être apportées aux questions d'éthique que posent les progrès de la médecine, auxquelles seule la pratique apporte aujourd'hui des réponses, d'ailleurs partielles. Le corps médical lui-même appelle de ses vœux votre intervention, seule légitime pour établir des règles et des garde-fous dans ces domaines où l'avenir de l'homme est en jeu.

Le Gouvernement a donc estimé que le débat devait être repris, au Sénat puis devant vous. Il est clair en effet que des précautions rigoureuses doivent être imposées pour que les percées scientifiques qui ont ouvert la voie à des traitements nouveaux ne donnent pas lieu à des pratiques mettant en cause les valeurs sur lesquelles notre société est fondée.

Les trois projets de loi dont vous êtes saisis ont été adoptés, en première lecture, par l'Assemblée, en novembre 1992. Les débats, marqués par la recherche d'un large accord sur les principes fondamentaux de la bioéthique, avaient permis à l'opposition d'alors de contribuer à la recherche de solutions. Il était cependant nécessaire que le travail législatif accompli en novembre 1992 fût complété sur plusieurs points. Le Sénat s'y est employé avec le soutien du Gouvernement. Certaines questions n'ont pas encore trouvé de solutions pleinement satisfaisantes, mais sur tous les sujets délicats, nous nous sommes fortement rapprochés des objectifs que nous nous étions assignés : progrès de la santé et protection de l'homme.

Le texte du ministère de la santé devra être lu et discuté en gardant présents à l'esprit les principes posés par le projet de loi que M. le garde des sceaux vous a présenté, car les deux projets forment un tout et devront être adoptés en cohérence.

Sur le fond, ces textes concernent principalement deux types d'activité : les greffes et l'assistance médicale à la protection.

En ce qui concerne les prélèvements d'organes et les greffes, le Sénat a confirmé le principe du consentement présumé posé par la loi Caillavet. Tout défunt est présumé avoir consenti au prélèvement d'organe, sauf s'il a fait connaitre de son vivant son refus. La solidarité en faveur des malades en attente de greffe qui est souvent leur seule chance de survie doit l'emporter sur toute autre considération, sauf opposition expresse du défunt. Le praticien, s'il n'a pas directement connaissance de la volonté du défunt, devra s'efforcer de recueillir le témoignage de sa famille. Je précise qu'il ne s'agit pas de demander le consentement de la famille, mais de vérifier auprès d'elle que la personne décédée ne se serait pas opposée au prélèvement d'organes.

Le Sénat a écarté, avec l'accord du Gouvernement, les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale en novembre 1992 prévoyant la mise en place d'un registre national informatisé sur lequel chacun aurait pu faire connaitre sa volonté. Je sais que votre commission est d'un avis différent. Mais je reste persuadée que si les personnes faisant connaître leur volonté à l'avance sont rares, ce n'est pas parce que les moyens d'expression de cette volonté fond défaut, mais parce qu'il n'est pas naturel, surtout lorsqu'il s'agit d'individus jeunes, d'anticiper les situations accidentelles, heureusement exceptionnelles, dans lesquelles la question du don d'organe peut se poser.

Deux autres points devront être examinés s'agissant des prélèvements d'organes.

Il s'agit en premier lieu de la répartition des tâches entre les praticiens (constat de la mort, décision du prélèvement, prélèvement et greffe).

Je sais que la rédaction adoptée par le Sénat avec l'accord du Gouvernement a suscité des réserves de la part des praticiens concernés – aussi suis-je consciente qu'elle doive encore être améliorée, avec trois objectifs :

– garantir formellement aux familles que la perspective d'un prélèvement d'organes ne peut en aucun cas interférer avec le constat de la mort cérébrale ;

– veiller à ce que l'organe prélevé soit bien affecté, grâce au concours de l'établissement national des greffes créé par la loi du 20 janvier 1994, au malade qui en a le plus besoin ;

– s'assurer enfin, que le prélèvement est fait dans des conditions techniques qui donnent à la greffe les meilleures chances de réussite.

Il serait, par ailleurs, utile d'examiner de manière approfondie le problème des autopsies médicales, auxquelles le Sénat a décidé, avec l'accord du Gouvernement, d'appliquer le même régime qu'aux prélèvements en vue de greffes. L'autopsie médicale est une condition essentielle de l'amélioration de la qualité de la médecine. En déterminant avec précision les causes de la mort, le médecin peut perfectionner les traitements qu'il met en œuvre auprès d'autres patients. L'Assemblée nationale devra donc se prononcer sur le point de savoir s'il faut réellement, dans ce cas, imposer au médecin de s'efforcer de recueillir le témoignage de la famille. Votre commission spéciale, suivant son rapporteur, estime qu'il convient, dans l'intérêt des malades, de ne pas mettre d'obstacles à l'autopsie médicale, qui peut être considérée comme le prolongement ultime du traitement. Le Gouvernement partage cette analyse.

Le second volet du projet concerne l'assistance médicale à la procréation. Il sera entièrement nouveau dans notre droit. Le législateur n'avait jamais été amené à se prononcer sur cette question.

Pourtant des pratiques nouvelles se sont développées au cours des vingt dernières années. Certains pays, parmi lesquels l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suède ou l'Espagne, ont déjà légiféré. D'autres, comme les États-Unis, s'apprêtent à le faire.

C'est un sujet dont la portée est considérable puisqu'il s'agit non seulement de questions de principe, mais aussi de la mise en œuvre de pratiques médicales qui pourraient, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, avoir des conséquences sur l'avenir du genre humain.

Je souhaite commencer mon propos sur ce point par une précision. À la demande du Gouvernement, le Sénat a remplacé dans le titre du texte les mots : "procréation médicalement assistée" par l'expression "assistance médicale à la procréation".

Cette option n'est évidemment pas neutre ; la différence n'est pas uniquement de forme. Le législateur n'est pas invité à régir la procréation elle-même, à laquelle ne saurait s'appliquer de norme juridique.

La loi ne peut avoir d'autre objet que de régir les pratiques médicales facilitant la procréation.

Les règles que nous allons discuter sont essentiellement destinées aux médecins et aux établissements dans lesquels ils exercent. C'est leur responsabilité propre que nous avons voulu définir, leur activité que nous avons voulu encadrer et, le cas échéant, sanctionner.

Nous sommes en effet en présence de situations dans lesquelles l'intervention médicale ne devra être mise en œuvre que si elle respecte les règles que le législateur aura estimé indispensables pour assurer le respect de valeurs supérieures.

Je tiens de nouveau à souligner à quel point ce texte présente un caractère exceptionnel en raison de tout ce qu'il implique.

Les progrès de la médecine ont rendu l'espoir à de nombreux foyers sans enfant. Ils apportent aujourd'hui la vie quand la nature la refusait. Comment ne pas s'en émerveiller, mais aussi comment ne pas s'inquiéter des dérives possibles, qu'il convient d'imaginer, d'anticiper et de proscrire ?

Parce qu'elle constitue la forme la plus achevée d'assistance médicale à la procréation, mais aussi parce que l'intervention extérieure dans le processus de procréation y est plus forte qu'avec toute autre technique, la fécondation in vitro appelle des positions claires.

Elle représente incontestablement un progrès déterminant pour rétablir les chances des couples infertiles. Mais si nous n'y veillions pas, elle pourrait aussi devenir l'instrument médical de toutes les dérives.

Techniquement, la fécondation in vitro ouvrira de nombreuses possibilités. Déjà, rien n'empêche, sur le plan strictement médical, de réunir les gamètes de donneurs inconnus qui permettront à une femme, quels que soient son âge et ses conditions de vie, d'avoir un enfant qui lui sera génétiquement étranger mais qu'elle mettra au monde, et dont elle sera ainsi la mère légale, avant d'en être la mère affective. Ces perspectives ne peuvent être envisagées sans trouble.

L'éclatement de la notion de maternité – légale, biologique, génétique, affective –, et le relâchement, voire la dissociation, du lien entre maternité et paternité, constituent incontestablement des perspectives inquiétantes.

Dans ces conditions, le Parlement doit-il légiféré sur la fécondation in vitro ? Telle est bien la première question que vous aurez à vous poser avant même de vous interroger sur le devenir des embryons humains issus de cette technique.

J'ai dit : "légiférer". Il ne s'agit, en l'espèce, ni d'approuver ni d'encourager. Il ne s'agit pas non plus d'interdire.

Examinons d'abord cette dernière hypothèse. Chacun a dans sa famille ou dans son entourage, l'exemple de jeunes foyers affligés par l'absence d'un enfant espéré parfois depuis de longues années. Cet enfant refusé par la nature, la médecine peut aider à sa naissance, rétablissant la vocation du couple à donner la vie.

Le législateur ne saurait faire obstacle à cette aspiration essentielle lorsque sa réalisation devient enfin possible. Comment imaginer que nous pourrions, par un retour en arrière de plus de dix ans, réinstaller le désespoir là ou l'espérance avait reparu ?

Ne doit-on pas redouter aussi les graves perturbations que la loi pourrait provoquer si elle en venait à prohiber la fécondation in vitro et le don de gamètes ?

Le Gouvernement, soutenu par votre commission spéciale, refusera de s'engager dans cette impasse.

Pour autant, il n'est question ni d'approuver la fécondation in vitro, ni a fortiori de l'encourager.

Sous réserve d'être régulée, cette pratique est aisément admise lorsqu'elle bénéficie à des couples qui seront les parents génétiques de l'enfant à naître. En revanche, on ne peut ignorer les réserves plus ou moins marquées qu'elle appelle de la part de certains – philosophes, théologiens ou moralistes – lorsqu'elle implique un tiers donneur, surtout s'il s'agit d'un don d'ovocytes.

Dans ce cas, les problèmes éthiques prennent une dimension plus grande encore car, sur le plan génétique, l'enfant ne pourra être le fils ou la fille que d'un des deux membres du couple. C'est alors un apport extérieur qui permettra la naissance et ce fait n'est pas anodin pour le développement de l'enfant.

Ces problèmes soulèvent des questions de conscience à l'égard desquelles nous avons tous nos convictions personnelles, et souvent des convictions fortes. Il est normal et souhaitable que ces convictions s'expriment au cours de nos discussions. Mais, quelles qu'elles soient, nous devons aussi savoir observer la ligne de partage entre ce qui appartient au premier chef à la conscience individuelle et ce qui relève de l'intervention législative. Le choix des couples, qu'on l'approuve ou non, devra être respecté, dès lors qu'il ne mettra en cause aucune des valeurs fondamentales que nous avons aujourd'hui à inscrire dans la loi.

En reconnaissant la fécondation in vitro, le législateur ne fera que se donner les moyens d'encadrer les pratiques pour éviter des dérives contraires à nos valeurs et assurer la sécurité sanitaire.

Bien sûr, il faut rendre ici hommage au travail éthique remarquable accompli depuis longtemps par les CECOS et, plus récemment, par les autres centres d'assistance médicale à la procréation. Par les chartes qu'ils ont adoptées et mises en œuvre, ils ont tenté, avec un grand succès, de canaliser les pratiques médicales pour éviter les débordements, en attendant l'intervention du législateur. Mais convenons que le silence de la loi deviendrait bientôt inacceptable face à la multiplication des cas de dérives manifestes qui interrogent notre conscience. Même s'il est vrai que ces exemples sont presque toujours venus de l'étranger, personne ne peut affirmer que de telles dérives ne pourraient se produire en France. Convenons aussi que, face à la gravité des questions posées, le législateur ne peut abandonner au colloque singulier entre médecins et patients, par une sorte d'autorégulation, la définition des principes auxquels doivent être subordonnées les pratiques d'assistance médicale à la procréation. Les médecins eux-mêmes sont bien conscients qu'il leur est de plus en plus difficile d'assumer des décisions dont la portée dépasse leur seule responsabilité et celle des personnes directement concernées.

Les dispositions adoptées en première lecture par les deux assemblées pour réserver l'assistance médicale à la procréation à des couples stériles, vivants et en âge de procréer sont particulièrement importantes.

On peut admettre de corriger des défaillances de la nature, mais non d'aller à son encontre en permettant, comme on l'a vu récemment en Italie, des maternités tardives, préjudiciables à l'enfant et dangereuses pour la santé de la mère. On ne peut non plus organiser la naissance d'enfants orphelins de père en permettant l'insémination post-mortem ou l'implantation d'un embryon après le décès du conjoint.

Le texte adopté en première lecture faisait référence à l'exigence d'un projet parental, – expression d'un français discutable, mais qui va plus loin que la notion de "désir d'enfant", en introduisant une intention altruiste et une dimension de durée. Le Gouvernement préférait parler de stabilité des couples demandeurs. Le Sénat, soucieux de plus de précision a prévu que l'assistance médicale à la procréation serait réservée à des couples mariés ou formés depuis deux ans au moins. Quelle que soit la rédaction retenue, ce qui nous paraît souhaitable, c'est de prendre des précautions pour que l'enfant à naître soit accueilli dans un véritable foyer.

Ayant admis la possibilité de la fécondation in vitro et défini les conditions d'accès des couples infertiles à cette technologie médicale, vous aurez à vous prononcer sur une question encore plus délicate, celle de la conservation d'embryons humains et de l'éventuel arrêt de cette conservation. Cette question ne peut évidemment être éludée.

La réussite des fécondations in vitro serait aujourd'hui compromise si plusieurs embryons n'étaient pas simultanément conçus pour chaque couple demandeur, et conservés.

L'arrêt de la conservation des embryons sur lesquels, après un certain délai, ne s'exercerait plus aucun projet de naissance, avec toutes les précautions qui s'imposent, permettrait d'éviter de conserver pendant des décennies des embryons "abandonnés", expressément ou non, par leurs auteurs. Ces embryons risqueraient de servir un jour de matériaux tentants pour des expériences indignes.

Dans ces conditions, le Gouvernement avait préconisé devant le Sénat que la possibilité de mettre fin à la conservation après un certain délai soit admise.

Le Sénat a préféré donner au Parlement un temps de réflexion supplémentaire afin d'envisager de nouveau cette question à la lumière d'éventuels progrès scientifiques.

Toutefois, nous ne disposons pas actuellement d'indications permettant de supposer que ces progrès sont imminents.

Or, Mesdames et Messieurs les Députés si la fécondation in vitro, notamment en ce qu'elle aboutit à la création de ces embryons dits "surnuméraires", a suscité des positions très tranchées, de voix autorisées, au sein même de l'Église catholique, estiment que l'arrêt de la conservation ne serait pas par lui-même fautif, puisque les embryons conservés sont placés en état de survie artificielle et ne sont pas naturellement viables.

Dès lors, le Gouvernement approuvera l'amendement que vous présentera votre commission spéciale, qui fixe à cinq ans le terme de la conservation.

Je rappelle au demeurant que ce problème ne concerne qu'une très petite minorité d'embryons, car plus de 96 % des embryons conservés font effectivement l'objet de tentatives d'implantation en vue d'une naissance dans les mois qui suivent la fécondation.

Autre question : celle du don et de l'accueil d'embryons. C'est peut-être le cas le plus difficile en matière d'assistance médicale à la procréation.

Conformément aux souhaits du Gouvernement, le Sénat a accepté de ne le permettre qu'à condition de l'organiser strictement.

Je tiens à souligner qu'actuellement, ces pratiques ne concernent que quelques cas chaque année. Il n'est pas certain qu'à l'avenir, la situation soit très différente.

Il faut souligner – ce dont le public non informé n'a pas bien conscience – que dans l'hypothèse de l'accueil d'embryons, il n'y a aucun lien génétique entre l'enfant et ses parents.

Il s'agit donc d'une situation dont ceux-ci devront avoir bien mesuré les conséquences pour l'enfant et pour eux-mêmes. Il importe qu'une telle pratique ne se développe pas sans être assortie de garanties sérieuses, en pensant au couple lui-même et à l'intérêt de l'enfant à naître.

Le projet initial prévoyait seulement de recueillir le consentement exprès du couple donneur et du couple receveur. Cette simple précaution était insuffisante compte tenu du caractère très particulier et très nouveau de la situation qu'il s'agit de traiter. Le texte que vous aurez à examiner prévoit donc qu'une autorisation judiciaire devra intervenir. Elle sera précédée d'investigations conduites par le juge, pour s'assurer que l'enfant serait accueilli dans de bonnes conditions.

Vous aurez aussi à discuter des dispositions nouvelles qui interdisent la recherche sur l'embryon.

Cette interdiction est nécessaire car il serait inadmissible que des embryons soient détruits ou fassent l'objet de manipulations génétiques dans un but scientifique. Cependant, des études pourraient exceptionnellement être permises, à condition de ne pas porter atteinte à l'embryon, d'avoir une finalité médicale, et d'être étroitement contrôlées. Ces études lorsqu'elles visent à améliorer l'efficacité de la fécondation in vitro présentent un intérêt réel.

Enfin, le Gouvernement avait préconisé devant le Sénat qu'une disposition soit prise sur le diagnostic préimplantatoire, c'est-à-dire le diagnostic qui s'applique à l'embryon avant son implantation. Ce diagnostic biologique est fondé sur des méthodes d'analyse génétique dont le développement, s'il est loin d'être achevé, est à tout le moins très rapide. Il suppose le prélèvement d'une cellule de l'embryon.

C'est là un problème très difficile puisqu'un tel diagnostic est porteur de graves risques de sélection eugénique que nous ne pourrions maîtriser. Dans ces conditions, le Sénat a décidé de l'interdire totalement. Approuvant cette interdiction, le Gouvernement avait cependant souligné qu'il faudrait encore s'interroger sur certaines situations très particulières que M. Douste-Blazy pourra vous décrire.

Nous serons donc ouverts à une discussion sur ce point, en pensant notamment à des foyers qui ont vu naître et mourir plusieurs enfants atteints d'une affection génétique très grave et qui, souhaitant une nouvelle naissance, ne veulent pas courir le risque de voir se reproduire ces drames. De tels cas ne peuvent laisser indifférents. Il faut cependant les traiter avec beaucoup de prudence.

Toutes ces dispositions, ajoutées aux règles posées en première lecture par l'Assemblée, visent à reconnaitre l'apport positif des progrès de la lutte contre la stérilité, dans des conditions conformes aux exigences éthiques les plus élevées. Le Gouvernement sera attentif aux amendements que vous serez amenés à présenter dans la même intention.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, les textes sur l'éthique biomédicale permettront d'apporter un cadre juridique à des activités pour lesquelles l'absence de normes avait mis les médecins dans l'obligation de prendre des responsabilités très lourdes, qui n'étaient pas toutes les leurs.

Il est temps que le législateur fasse connaître ses exigences afin que le progrès médical soit recherché et mis en œuvre avec discernement, et qu'il ne soit pas détourné de ses fins pour satisfaire des demandes que la société jugerait inadmissibles.

Nous devrons constamment être attentifs à la protection de l'enfant, de la famille et des générations futures.

Il n'est pas sans intérêt, face aux progrès accélérés des connaissances, que le Parlement s'assigne une échéance rapprochée pour faire le bilan des dispositions qu'il aura adoptées.

Mais les textes que nous vous présentons aujourd'hui ne sont pas des projets de circonstance. Ils découlent de principes simples que M. le Garde des Sceaux nous a exposés. Au demeurant, si les données scientifiques des problèmes que nous allons traiter se renouvelle constamment, leur dimension éthique, elle repose sur des paramètres stables, car les rapports entre science et morale ont depuis longtemps été explorés. Le Gouvernement a conscience, en vous soumettant ces projets, de travailler pour le long terme. Il compte sur vos débats pour que nous puissions tous ensemble faire œuvre utile et durable, dans un domaine où le droit à l'erreur n'est pas permis.

À nouveau, je tiens à rendre hommage à tous ceux qui par leur travail ont permis d'aborder les débats dans de meilleures conditions.


DISCOURS DE MONSIEUR PHILIPPE DOUSTE-BLAZY, MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA SANTÉ À L'ASSEMBLÉE NATIONALE
LE JEUDI 7 AVRIL 1994

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Madame le ministre d'État vient de le rappeler avec force : le projet de loi dont nous allons débattre dans les jours qui viennent n'est pas un texte de circonstance.

Rarement, je crois, la responsabilité qui pèse sur le législateur aura été aussi écrasante ; et quand je dis responsabilité, je veux bien sûr parler de responsabilité sociale mais aussi de responsabilité morale.

Le travail très important qui a été accompli au sein de la commission spéciale est à cet égard de bon augure pour les débats qui vont s'engager, et je tiens à rendre ici hommage au Président de la Commission, Madame Élisabeth Hubert, à son rapporteur, le professeur Jean-François Mattéi, ainsi qu'à tous ses membres.

Nous allons devoir, dans les jours qui viennent nous interroger sur la manière dont la loi doit encadrer l'assistance médicale à la procréation – puisque, comme Madame le ministre d'État vient de le dire, telle est l'expression que le Gouvernement vous propose de substituer à celle de procréation médicalement assistée, afin de bien marquer que l'objet de la loi ne peut être que d'encadrer des pratiques médicales, et non, bien sûr, de légiférer sur la procréation elle-même.

Nous allons également réfléchir à la manière dont il convient d'organiser le don des produits et parties du corps humain.

C'est dire qu'en portant à cette occasion notre regard sur les mécanismes intimes de la vie, et sur la solidarité entre les êtres humaine, nous allons rencontrer des questions qui touchent au plus essentiel des individus et de l'espèce.

Sachons donc, au-delà du caractère parfois technique des dispositions législatives dont nous aurons à débattre, garder toujours présent à l'esprit ceci : la loi que nous allons voter, par ce qu'elle autorisera et ce qu'elle interdira, engagera non seulement le présent mais aussi l'avenir – dans une mesure qu'il est difficile de prévoir mais qui peut être considérable.

C'est pour nous tous, Parlement et Gouvernement, comme un surcroît d'exigence, un surcroît de responsabilité – qui doit nous inciter à l'ambition, à la lucidité au courage, mais aussi à la modestie et à l'humilité.

Soyez assurés, Mesdames et Messieurs les députés, que j'aborde ce débat avec la pleine conscience des difficultés que nous allons affronter, mais aussi avec sérénité.

J'écouterai avec la plus grande attention, Mesdames et Messieurs les députés, vos observations, vos critiques, vos interrogations, vos doute – car, pourquoi ne pas l'avouer ? – j'ai parfois longuement hésité moi-même sur le parti qu'il convenait de prendre en des matières aussi fondamentales ; en conscience, j'ai souvent douté, et plus j'approfondissais mes interrogations, plus il me paraissait que dans certains cas, la vérité ou, en tous cas, la notion du licite et de l'illicite, ne pouvait être tenue pour immédiate, pour évidente.

Avant d'exposer et d'analyser les principales dispositions du projet de loi qui vous est soumis, je crois utile de répondre à deux questions préalables.

La première question est simple en apparence : fallait-il légiférer ?

À cette question, je réponds, sans nulle hésitation, oui !

Oui, d'abord, parce que nous n'avons que trop tardé, et chacun sait combien le reproche en a été fait aux pouvoirs publics durant les derniers mois et les dernières années.

On pouvait, à la rigueur, sinon admettre, du moins comprendre, le silence de la loi, lorsque l'assistance médicale à la procréation renvoyait pour ainsi dire à des situations d'exceptions, à des cas-limites.

Mais aujourd'hui, et depuis longtemps déjà, tel n'est plus le cas : chaque année, ce sont plusieurs milliers d'embryons qui sont conçus grâce aux techniques d'assistance médicale à la procréation. Nous sommes donc en présence de ce qu'il faut bien appeler, d'un mot que je n'aime guère, un phénomène de société ou, plus précisément, d'une demande collective, qu'il n'est plus possible d'ignorer.

Il fallait – il faut – légiférer pour une deuxième raison : il n'est pas bon – je le dis sans détours, Mesdames et Messieurs les députés – que la science nous prenne de vitesse, même s'il faut se garder de l'excès inverse qui consiste pour le droit à anticiper, de manière parfois prématurée, sur la science.

Non, il n'est pas bon que le droit soit mis devant le fait accompli par la technique !

Que l'on me comprenne bien : il n'entre nullement dans mon propos de soutenir que la loi doive brider ou, pire, contrôler la science.

Je sais trop que le progrès des connaissances a sa logique et sa force propre – qui peuvent être irrésistibles.

Mais je sais aussi qu'il n'est d'autre finalité de la science que l'homme : lorsque la science, en se développant, touche à l'homme, au plus intime de l'homme, alors elle ne peut être laissée face à elle-même. Le Gouvernement, la représentation nationale, doivent avoir le courage de dire jusqu'où la science peut aller et les pratiques de ne pas aller !

Il fallait – il faut – enfin, légiférer pour une autre raison encore : lorsque la loi fait silence sur des sujets aussi fondamentaux que le respect dû à la personne humaine, à son corps, elle fait plus que s'abstenir : elle renvoie à d'autres – aux consciences individuelles, aux médecins, à la communauté scientifique – le soin (j'allais dire : la charge) de distinguer le licite de l'illicite, le juste et l'injuste, le normal et l'anormal.

C'est trop demander à l'individu, c'est trop demander aux médecins et aux scientifiques !

Bien sûr, depuis les Lumières et la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, l'individu est la pierre angulaire de la société dans laquelle nous vivons.

Mais nous savons aussi qu'il est des sujets qui ne peuvent être laissés aux convenances de chacun : bref, je dirais qu'il existe des matières qui sont irréductiblement d'ordre public, qui appellent inévitablement l'intervention du législateur.

De nombreuses voix se sont d'ailleurs élevées, au cours des derniers mois, au sein de la communauté scientifique et médicale, pour presser le Gouvernement et le Parlement d'agir, pour leur demander d'adopter les dispositions législatives indispensables à la prévention de dérives graves – que chacun d'entre nous redoute.

Il était donc nécessaire – il était donc urgent – de légiférer.

Le Premier ministre et le Gouvernement ont pris leurs responsabilités, et je crois que cela doit être porté à leur crédit.

J'en viens à ma deuxième question : quels sont les principes essentiels qui devront guider nos réflexions et nos débats durant les jours qui viennent ?

Je crois en un mot, que la difficulté essentielle que nous aurons à surmonter, consiste à concilier des principes d'apparence contradictoire.

C'est en réfléchissant à la portée de ces principes, à leurs conséquences concrètes, tout en gardant constamment présent à l'esprit notre double objectif de protection de l'homme et de préservation de la santé publique, que nous pourrons adopter les dispositions susceptibles de prévenir les dérives graves dont je parlais à l'instant : certaines dénaturent en effet l'objet même de l'assistance médicale à la procréation, et constituent des menaces tant pour la dignité et l'intégrité des personnes que pour la collectivité elle-même. Il sera de notre responsabilité à tous, Gouvernement et Parlement, d'y mettre un terme.

D'une matière plus générale, nous allons, presque à chaque pas, rencontrer une interrogation essentielle. Elle peut être résumée ainsi : qu'est-ce qui doit être encadré par la loi, autorisé ou défendu ?

Ce sera tout l'enjeu de nos débats.

J'en viens maintenant aux dispositions essentielles du texte dont nous allons débattre.

Le premier point fondamental concerne les indications de l'assistance médicale à la procréation.

L'assistance médicale à la procréation a, "pour objet exclusif, selon le texte adopté par le Sénat en première lecture, de remédier à la stérilité médicalement constatée. Toutefois, elle peut aussi avoir pour objet d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie particulièrement grave et incurable".

Je laisserai momentanément cette deuxième indication de côté pour parler de la stérilité.

Il est de cruciale importance que l'assistance médicale à la procréation continue de répondre à une indication strictement médicale – et le texte est très clair sur ce point – et qu'elle ne dérive pas vers des indications de pure convenance sociale ou personnelle.

Nous pourrons débattre ensemble du terme le plus approprié : stérilité ou infertilité. Votre Commission, sur la proposition du Professeur Jean-François Mattéi, préfère le terme d'infertilité.

Mais le fait essentiel est là : il s'agit d'une indication médicale.

Je suis médecin. Je connais la souffrance des femmes, et la souffrance des couples, qui souhaitent avoir un enfant, et auxquels cet enfant est refusé. Ce qui est en cause en pareil cas, ce n'est pas seulement la frustration d'un désir – c'est le don même de la vie qui est dénié à un couple, c'est l'amour qui est privé de son fruit le plus beau.

Et face à cette situation, la science est là, avec ses promesses.

Pourtant je le dis avec force, gardons-nous des mirages de la science, gardons-nous de régler la loi sur le seul désir des individus, si pressant, si justifié qu'il puisse être.

Il ne doit y avoir aucune dérive dans les indications de l'assistance médicale à la procréation : faute de quoi, les médecins se trouveront inévitablement confrontés à des demandes individuelles irrépressibles.

Pour la même raison, je crois qu'on ne peut – Madame le ministre d'État vient de le dire avec force – approuver l'insémination post-mortem ou l'implantation d'un embryon après le décès du conjoint.

Si le Gouvernement et le Parlement entraient dans cette voie, cela reviendrait à accepter que l'assistance médicale à la procréation sorte du champ de la thérapeutique, et donc de la médecine ! De cela, de cette dérive, je suis sûr que personne ici ne veut.

Il est une question fondamentale : celle de nos droits sur l'être humain – et, au-delà, sur les générations futures.

Cette question en enveloppe deux autres : jusqu'où peut-on autoriser la recherche sur l'embryon ; faut-il légiférer sur le diagnostic préimplantatoire ?

Le Gouvernement a proposé d'interdire absolument toute expérimentation sur l'embryon humain.

J'ai constaté avec plaisir, mais sans surprise, que votre Commission, malgré quelques modifications rédactionnelles, entendait suivre le Gouvernement, et le Sénat, sur ce point fondamental.

Comment admettre, en effet, que les embryons humains servent de matériau à des expérimentations – c'est-à-dire à des actes et des protocoles supposant des manipulations ?

Pour autant, nous devons prendre en compte les légitimes exigences de la science, dès lors qu'elle prend l'amélioration des connaissances médicales, et donc l'homme, pour fin.

Voilà pourquoi je crois qu'à titre exceptionnel, des études fondées sur l'observation des embryons – c'est-à-dire n'impliquant pas de manipulation – peuvent être autorisées, à deux conditions : d'abord, elles ne doivent pas avoir pour effet de porter atteinte à l'embryon ; elles doivent ensuite avoir une finalité médicale.

Deuxième condition : ces études, ainsi comprises, doivent être effectuées dans la transparence et sous le contrôle des pouvoirs publics. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Deuxième question grave : faut-il autoriser ou non le diagnostic préimplantatoire ?

Il s'agit, comme vous le savez, Mesdames et Messieurs les députés, d'une technique récente et encore peu fiable, mais en plein développement.

Elle consiste à prélever sur l'embryon une ou deux cellules puis, après "amplification" de l'ADN de ces cellules par génie génétique, à identifier le sexe de l'embryon et, le cas échéant, de déterminer s'il est porteur du gêne de certaines maladies graves.

Des juristes, des moralistes, des philosophes, des théologiens ont posé la question : de quel prix allons-nous payer cette avancée médicale ?

On voit bien en effet la logique, ou plutôt l'engrenage qu'ils dénoncent : après avoir subi les épreuves physiques liées à la fécondation in vitro, les couples ne comprendront pas qu'on ne leur restitue pas les embryons "les meilleurs".

En légalisant le DPI, la loi ne risque-t-elle pas alors de légitimer la sélection biologique de l'espèce humaine ?

Mais réfléchissons ensemble à certaines situations dramatiques.

Je pense, par exemple, à ces couples qui, après avoir donné naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique grave, souhaitent avoir recours à la fécondation in vitro.

Qui, quelle autorité, pourrait prendre la responsabilité écrasante d'exiger que les embryons obtenus in vitro soient implantés sans examen préalable, alors même qu'ils peuvent être porteurs du gène de certaines maladies à pronostic fatal – et alors que la science nous donne aujourd'hui la possibilité d'identifier ces gènes sur l'embryon ?

Dans cette situation le législateur placerait-il alors les médecins, qui pourraient alors, malgré eux, être indirectement conduits à donner la mort en interdisant purement et simplement le diagnostic préimplantatoire ?

Voilà pourquoi je souhaite, pour apporter réponse à de tels cas exceptionnels, que la loi prévoie, sous des conditions extrêmement strictes, la possibilité de réaliser des diagnostics préimplantatoires.

Mais cette faculté, qui sera, bien entendu, subordonnée au consentement du couple, doit être réservée – compte tenu du caractère encore largement expérimental de cette technique, comme d'ailleurs des risques qu'elle peut faire courir à l'embryon – à un centre spécialement agréé à cet effet – à deux centres nationaux au maximum.

Sur ce sujet essentiel, les dispositions que nous allons adopter engagent l'avenir et nul ne peut prétendre avoir de certitudes définitives : j'attends beaucoup du débat qui s'engagera entre nous.

Telles sont, Mesdames et Messieurs les députés, les principales réflexions dont je souhaitais vous faire part à l'orée du débat qui s'engage aujourd'hui.

Notre responsabilité est immense, tant il est vrai que la loi ne vaut pas seulement par ce qu'elle dit – ce qu'elle édicte, permet ou défend – mais aussi par ce vers quoi elle fait signe, bref : par sa valeur morale.

C'est en gardant constamment présent à l'esprit cette double exigence que nous parviendrons à trouver le nécessaire point d'équilibre entre la préservation des intérêts de la société et le respect des individus.

Je vous remercie.


17 mai 1994
SÉNAT

Monsieur le Président,
Messieurs les Présidents des Commissions,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Les débats du Parlement sur l'éthique biomédicale touchent à leur terme. L'Assemblée nationale élue en mars dernier s'est à son tour prononcée. Elle l'a fait avec le souci de prolonger le climat de sérénité, de dignité et de respect mutuel dont vos délibérations avaient donné l'exemple en janvier. Elle a accepté, pour l'essentiel les orientations que vous aviez dégagées.

L'accord des deux Assemblées est déjà largement acquis sur les principales dispositions du projet que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui en seconde lecture.

Dans le domaine biomédical, les pratiques ont précédé l'éthique, et l'éthique aura largement devancé le droit. Du rapport du Conseil d'État aux avis du comité national d'éthique l'élaboration des projets de loi aura été nourrie par une large réflexion préalable. La mission parlementaire confiée par le Premier ministre à M. Jean-François Mattéi a permis de procéder à un nouvel examen des problèmes. Il est ressorti avec clarté de tous ces travaux que seul le législateur pouvait apporter des réponses aux questions que posent certains progrès de la médecine. Le corps médical lui-même appelle de ses vœux notre intervention.

Une fois de plus, dans l'histoire de l'humanité, l'avancée des connaissances défie la conscience collective. Nous pourrions, bien sûr, nous voiler la face et refuser le progrès en invoquant ses dangers réels ou supposés. Mais une société qui rejette la science se condamne à ne plus progresser dans la lutte contre la maladie et à ne plus allonger l'espérance de vie, ni améliorer les conditions d'existence. Ce serait tourner le dos à tout le mouvement de notre civilisation, et ce n'est pas ce que nous voulons.

Pour autant il ne faut pas méconnaitre les risques de la science ! Il est de la responsabilité de la représentation nationale de trouver des points d'équilibre pour assurer la poursuite du progrès en faisant obstacle aux dérives que nous redoutons.

Tel est le sens des textes dont vous allez de nouveau débattre !

Sur le sujet si délicat des greffes d'organes, de cellules et de tissus, quelques grands principes ont aisément été dégagés conformément aux règles générales prévues par le projet de loi relatif au respect du corps humain présenté par M. le Garde des Sceaux. Je pense d'abord aux principes de gratuité, d'anonymat, de consentement au prélèvement, mais aussi aux règles de sécurité sanitaire qui devront être scrupuleusement observées.

Les conditions du consentement en cas de prélèvement d'organes sur une personne décédée ont été précisées. La règle du consentement présumé continuera à s'appliquer, mais le médecin devra désormais s'efforcer de recueillir le témoignage de la famille ou des proches sur la volonté du défunt à chaque fois qu'il n'en aura pas eu directement connaissance.

Deux points méritent cependant que vous leur accordiez une attention particulière.

Le premier concerne la création éventuelle d'un registre national des refus. Vous connaissez les réserves du Gouvernement sur un tel registre, et je sais que vous êtes nombreux à les partager.

Le deuxième point est relatif aux autopsies médicales. Elles constituent dans de nombreux cas le seul contrôle possible de la qualité des soins administrés à la personne décédée, et prennent place dans la chaîne des actes thérapeutiques comme l'ultime intervention médicale. L'Assemblée nationale, à la demande du Gouvernement, a souhaité que les prélèvements faits dans le cadre de ces autopsies pour déterminer les causes de la mort obéissent à une procédure simple que les prélèvements en vue de dons et qu'on se borne à appliquer, comme c'est le cas aujourd'hui, la règle du consentement présumé. Il me parait important que cette disposition soit maintenue.

Mais ce sont l'assistance médicale à la procréation, et le diagnostic préimplantatoire qui ont suscité le plus d'interrogations et de débats.

Certains se sont interrogés ou s'interrogent encore sur la nécessité de légiférer dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation.

Pourtant, comment ne pas voir qu'en l'absence de loi tout serait permis, y compris les dérives qui nous inquiètent le plus les uns et les autres ?

N'importe qui pourrait tenter d'obtenir de son médecin une assistance à la procréation sans avoir à justifier d'une raison médicale.

On pourrait le plus légalement du monde faire naître des enfants sans père.

Les expérimentations sur l'embryon et le diagnostic préimplantatoire seraient libres.

Le diagnostic prénatal se développerait sans aucune garantie.

Aucune règle spécifique de sécurité sanitaire ne serait imposée aux centres d'assistance médicale à la procréation.

Sur tous ces points, il faut avoir bien conscience que refuser de légiférer aurait été prendre le parti du laissez-faire.

Le Sénat, je le sais, en est convaincu, et les positions des deux Assemblées sont d'ailleurs très proches sur ces questions.

Le Parlement dans son ensemble a en effet clairement exprimé son souhait que l'assistance médicale à la procréation soit réservée à des couples stériles, stables, vivants et en âge de procréer, même si les formulations retenues diffèrent d'une assemblée à l'autre. J'espère que vos débats permettront de progresser encore sur la voie d'une rédaction aussi parfaite que possible.

L'Assemblée nationale a également suivi le Sénat dans sa volonté de réserver la procédure de l'accueil d'embryons à des cas tout-à-fait exceptionnels, en prévoyant une décision judiciaire.

Reste le problème très difficile de l'arrêt de la conservation d'embryons qui, après plusieurs années, ne feraient plus l'objet d'un projet de naissance. Beaucoup a déjà été dit sur ce sujet et vous connaissez la position du Gouvernement et de l'Assemblée nationale.

En première lecture, le Sénat, considérant que le problème de la conservation d'embryons pourrait se poser différemment dans quelques années en raison des progrès scientifiques, avait estimé qu'il était préférable de ne pas trancher la question immédiatement. Ce faisant, il n'avait pas préjugé de la solution qui pourrait finalement être apportée à ce problème. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement ne s'était pas opposé à la formule du "moratoire" de trois ans que votre Commission des affaires sociales avait proposée. Il vous appartient de réexaminer cette difficulté à la lumière des arguments échangés depuis quelques mois.

Vous le savez, la réussite des fécondations in vitro serait aujourd'hui compromise si plusieurs embryons n'étaient pas simultanément conçus pour chaque couple demandeur. La possibilité d'arrêter la conservation des embryons sur lesquels, après un certain délai, ne s'exercerait plus aucun projet de naissance permettrait d'éviter de conserver pendant des décennies des embryons qui risqueraient de devenir un jour des sujets d'expériences interdites par la loi. De cela, personne ne veut !

Par ailleurs, des voix autorisées, au sein même de l'église catholique, estiment que l'arrêt de la conservation ne serait pas par lui-même fautif, puisque les embryons conservés sont placés en état de survie artificielle et ne sont pas naturellement viables.

Sur cette question délicate, il revient à chacun de se prononcer en conscience.

Nous serons tous d'accord pour souhaiter qu'à l'avenir, grâce à l'effort des médecins et des chercheurs, le problème cesse de se poser. Mais nous légiférons d'abord pour le présent, en fonction des réalités que nous constatons et que je viens de rappeler. Puisque la loi devra être réexaminée dans un délai de cinq ans, la sagesse ne serai-elle pas de prendre aujourd'hui les dispositions qui permettront de régler les difficultés du présent, quitte à ne pas reconduire ces dispositions dans cinq ans si le contexte scientifique a évolué ? C'est option que vous soumet le Gouvernement.

Enfin le diagnostic préimplantatoire fait maintenant l'objet d'une disposition que nous avions envisagée à l'occasion de l'examen du texte en première lecture, mais qui n'avait pas pu donner lieu à une proposition précise. Le Gouvernement estime que le diagnostic préimplantatoire ne peut être autorisé que dans des circonstances tout-à-fait exceptionnelles, et en raison d'antécédents familiaux très graves. Il devra être fait dans le respect de conditions rigoureuses et étroitement contrôlées, dans un nombre restreint d'établissements. En dehors des cas très douloureux pour lesquels il pourra être pratiqué, la règle doit demeurer l'interdiction, pour prévenir toute dérive eugénique.

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Tel qu'il vous revient de l'Assemblée nationale, le projet voit ses principales options consolidées. L'approche prudente et mesurée qui a été la vôtre a été respectée. Certes, plusieurs difficultés subsistent. Mais aucune ne me paraît aujourd'hui insurmontable, tant les points d'accord sont déjà nombreux !

Je souhaite que cette seconde lecture nous permette de progresser encore dans l'affirmation de la primauté de l'éthique sur la technique et de donner enfin un cadre au développement du progrès médical, mais sans le ralentir ni en restreindre l'accès.