Interview de M. Alain Madelin, ministre des entreprises et du développement économique chargé des PME et du commerce et de l'artisanat et vice-président du PR, à France-Inter le 7 septembre 1994, sur le décret instituant des exonérations de cotisation sociale aux entreprises individuelles, et sur la mise en examen du PDG de Saint-Gobain.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Alain Madelin - Ministre des entreprises et du développement économique, chargé des PME et du commerce et de l'artisanat ;
  • Annette Ardisson - Journaliste

Média : France Inter

Texte intégral

Q. : Cette affaire Beffa, j'ai le sentiment que le juge tient le début d'une pelote qu'il a envie de dévider jusqu'au bout ? 

R. : Vous ne connaissez rien du fond de l'affaire, moi non plus. J'exprime un souhait : que l'on fasse le plus vite possible toute la lumière sur cette affaire. Il y a une somme suspecte. Le juge fait son travail. Il veut savoir d'où elle vient et où elle a été mais, s'agissant de J.-L. BEFFA, personne ne peut mettre en doute son intégrité ou son honnêteté. C'est un système qui est à condamner. C'est ce système qui, au fil des ans, a mélangé l'argent public, les décisions politiques et les affaires. Je suis un libéral. Je souhaite la plus grande séparation possible de la politique et de l'économie et, faire reculer le pouvoir de la politique sur l'économie, c'est aussi faire reculer la corruption. 

Q. : Vous êtes aussi membre du PR ? 

R. : En tant que membre du PR, je souhaite que toute la lumière soit faite. 

Q. : Le juge a le PR dans le collimateur. 

R. : Le juge a le PR dans le collimateur. Il fait son travail. Il veut savoir pourquoi un membre du PR à Nantes, dans une affaire qui implique bien d'autres partis, a touché une somme suspecte. Ceci pose un problème lorsque je vois des dirigeants de grandes entreprises qui se retrouvent placés sous le collimateur de la justice, il faut faire attention. Il faut regarder à maintenir une certaine forme de secret de l'instruction car, quand on s'aperçoit ensuite qu'il n'y a rien, il en résulte parfois une tache pour les grandes entreprises françaises. Il faut faire preuve d'un peu de prudence.

Q. : Le décret publié hier n'est pas rien. Il devrait permettre de créer des emplois. Comment ? 

R. : Nous avons vraiment fait, pour la forme la plus naturelle de l'entreprise, qui est l'entreprise individuelle et ils sont 1,7 millions, en sorte de donner enfin une vraie protection sociale en leur permettant de déduire les assurances complémentaires qu'ils peuvent prendre de l'assiette de leur impôt sur le revenu. C'est une grande avancée sociale. Dès lors qu'il y a égalité en matière de protection sociale, entre la forme de l'emploi salarié et le travail indépendant, on ouvre la voie à un formidable développement du travail indépendant. Aujourd'hui, on dit que l'on ne retrouvera pas le plein emploi des Trente glorieuses. C'est vrai mais on peut retrouver une société française où il y a du travail pour tous, à condition de faire preuve d'un peu d'imagination sur les nouvelles formes d'emplois. Il y a l'emploi salarié mais, partout dans le monde, il y a un développement très fort de nouvelles formes d'emplois, le travail indépendant en est une. Si la France avait le développement du travail indépendant qui est celui aujourd'hui des grands pays, on reculerait le chômage de 200 000 à 300 000 chaque année. 

Q. : Le but est donc moins de faire créer des emplois par ceux qui sont indépendants que de permettre à un certain nombre de gens de se mettre à leur compte ? 

R. : Les deux. Il faut que les entreprises indépendantes grandissent. Il y a bien d'autres choses dans la loi qui porte mon nom : la protection du patrimoine familial, la simplification des procédures administratives et comptables, l'amélioration du statut du conjoint etc. En facilitant la vie des professions indépendantes, on leur permet de se développer mais aussi d'ouvrir de nouvelles formes d'emplois. Les emplois de service coûtent trop cher, dit-on. Oui, mais dans le cadre de l'emploi salarié. Beaucoup d'emplois de service peuvent être développés sous forme de travail indépendant parce que c'est plus léger. On remplace le contrat salarié avec ses rigidités par un contrat commercial de prestations de service. On n'a pratiquement pas de frais de structure donc le coût est plus léger. On a la valeur ajoutée de l'initiative individuelle. Il y a là une formidable développement, un gisement d'emplois au travers du travail indépendant. J'ai fait faire un sondage pour demander aux Français s'ils préféraient avoir un emploi salarié ou être à leur compte. A son compte, pour 45 % des Français. C'est une révolution culturelle fantastique. Il y a un formidable appétit d'autonomie. Chez les jeunes, c'est plus que l’inverse : 60 % des jeunes aimeraient être à leur compte. Cela prouve qu’entre le dire et le faire, il y a un fossé mais cela prouve que c'est une aspiration à un genre de vie nouveau et le travail indépendant, on le disait survivance du passé, mais au contraire, c'est une préfiguration de l'avenir. Je suis heureux de faciliter la vie des travailleurs indépendants.

Q. : Il y a manifestement des signes de reprise dans certains secteurs industriels et également une amélioration de l'emploi. Entre reprise et mesures de relance, il y a un pas à franchir : est-ce que vous êtes partisan de réinjecter de l'argent dans la machine pour profiter justement de cette reprise ? 

R. : Quel argent ? Le vôtre ? Celui des contribuables ? C'est une ponction sur votre pouvoir d'achat : alors je réduis la consommation, je réduis votre capacité d'épargne. Je ne peux pas le faire : tout le monde comprend que ce n'est pas une bonne solution que d'augmenter les impôts et les charges. En empruntant ? On a été à l'extrême limite de nos capacités d'emprunt. Et aujourd'hui, pour la France et pour l'ensemble des pays européens, la question n'est pas de pouvoir emprunter plus pour dépenser plus, mais de pouvoir un jour rembourser leurs dettes.