Texte intégral
Q. : Le procès Touvier est-il celui d'un homme ou celui du régime de Vichy ?
R. : Je crois qu'un procès est nécessairement celui d'un homme. La justice intervient, elle est saisie de faits précis et en l'espèce, compte tenu des deux arrêts successifs de la Cour de Cassation, la tâche des tribunaux est très difficile. La définition du crime contre l'humanité est extrêmement restreinte. Donc on voit déjà que ce procès n'est peut-être pas très bien annoncé.
Au surplus, là j'ai une position un peu atypique parmi les anciens déportés et les anciennes victimes, non pas que je prône l'oubli, pas du tout, puisque à toutes les occasions, cela depuis plus de quarante ans, je témoigne. Je témoigne et en même temps je mets en garde. Parce que je crois que c'est ça qui est important dans le témoignage, c'est de mettre en garde contre toute possibilité de revenir à des faits aussi horribles ou même moins graves que ceux-là. Tout ultranationalisme, tout ce qui se passe en Algérie, en ex-Yougoslavie, on voit très bien comment ça peut dégénérer. Donc il faut lutter, car ça peut se répandre comme une épidémie jusque chez nous. Il faut rester vigilant.
Mais en même temps, là où je suis atypique, c'est que je n'ai jamais beaucoup cru au procès. D'abord, en 64, quand est intervenue la loi qui a déclaré imprescriptibles les crimes contre l'humanité, j'étais très sceptique. Et ce qui se passe aujourd'hui au procès Touvier confirme absolument les craintes que j'avais. J'étais sceptique sur le plan des principes. Et au surplus aussi parce que les accusés eux-mêmes ne sont plus les mêmes, ce sont des vieillards, ce ne sont plus les mêmes personnages, les magistrats, nécessairement, n'appartiennent pas à la même génération, ils n'ont pas vécu ces faits, ne les comprennent pas parfaitement, les jurés non plus. Donc je crois que le décalage est très difficile. Et puis, même aujourd'hui, on voit les choses différemment, au regard d'une histoire différente, peut-être mieux connue, mais aussi par certains aspects, moins connue. Moi j'aspire, je suis beaucoup plus intéressé par l'Histoire pour comprendre, car comprendre, c'est déjà faire de la prévention.
Q. : Êtes-vous choquée par les « trous de mémoire » de Touvier, et par certains arguments de la défense ?
R. : Ça fait partie du procès ! Quand on fait des procès, on admet que les gens naturellement se défendent et invoquent leurs arguments. Sur le plan du fond, je suis très choquée parce que Touvier n'a jamais un repentir. C'est le cas, d'ailleurs pour tous ces gens qu'on juge. Je me suis dit que s'ils avaient abordé 20 ou 30 ans après la justice en disant : on ne s'est pas rendu compte, on n'a pas su, on a été naïf, mais c'est affreux ce qu'on a fait ! Je crois que là, on aborderait les choses différemment. Jamais une parole de repentir, jamais une parole de responsabilité, jamais une part de regret pour les victimes, rien ! Et ça, c'est grave !
En plus, s'agissant de Touvier, on peut dire qu'il a été au-devant de son procès, puisqu'on ne le recherchait plus, la peine était prescrite ; il serait resté tranquille et n'aurait pas voulu qu'en plus il soit gracié de l'interdiction de séjour, c'est tout de même extraordinaire ! Et ensuite récupérer ces biens, au fond, il aurait mené une vie tranquille et on n'en parlerait plus.
Je crois que ça prouve bien qu'il n'a rien compris et qu'aujourd'hui sa défense a quelque chose de choquant. Mais quand on a fait des procès, on prend le risque de ce genre de situations. Elles sont horriblement choquantes ! Ça me paraît abominable qu'il n'exprime aucun regret de ce qu'il a fait. Mais je dois dire que c'était le risque du procès.
Q. : Certains considèrent que le gouvernement a commis une erreur sur le fond avec le CIP en s'en prenant au symbole très fort qu'est le Smic ainsi qu'aux diplômes. D'autres disent qu'il y a surtout erreur sur la forme et sur le manque de concertation ; quelle est votre analyse ?
R. : Je crois que c'est difficile de distinguer les deux choses. Il y a peut-être un petit peu des deux. Non pas d'avoir touché au Smic, il n'est pas question de remettre en cause le Smic : c'est u contrat d'insertion qui est plus favorable que ne l'étaient d'autres dispositions d'entrée dans le travail des jeunes. J'observe d'ailleurs que lorsque j'ai eu l'occasion de parler de la politique de la ville ou de la politique sociale à l'Assemblée, on m'a dit, a plusieurs reprises : mais enfin, pour les jeunes il n'y a pas de dispositif suffisant, puisque le RMI ne se touche qu'à partir de 25 ans. On disait : il faut faire quelque chose pour les jeunes, qui ne soit pas le RMI, où l'insertion soit plus obligatoire. Et c'est ce que le gouvernement a cherché à faire.
Alors, sur le fond, peut-être n'a-t-on pas suffisamment vu les conséquences de ce contrat d'insertion appliqué aux bacs plus 2, c'est-à-dire ceux ayant une vraie formation professionnelle. Là, il faut dire que c'est un vœu à la fois du parlement et des partenaires sociaux. Donc, il y a eu une inadaptation du texte initiale.
Maintenant, quant à la forme, je suis toujours frappée par les difficultés de faire passer un message et de le faire comprendre.
Quand on ne relit pas plusieurs fois un texte, un message, un discours, on tombe parfois sur une incompréhension très grande. Je crois que cette incompréhension est particulièrement grande aujourd'hui, où les gens sont inquiets. Quand les gens n'ont pas de problèmes, qu'ils soient moins attentifs à un discours, ça glisse. Aujourd'hui, les jeunes particulièrement, mais la population d'une manière générale est inquiète. Ça sent très fort. Elle est inquiète pour le chômage, pour un climat international aussi. On n'en parle pas beaucoup, mais je crois que même la société française qui bouge, les rapports entre les hommes et les femmes, la famille qui éclate, ce sont des facteurs qui préoccupent beaucoup tous les jeunes. C'est tout un environnement. Et je crois que, là aussi, on a encore beaucoup de mal à faire comprendre aux jeunes qu'on ne les agresse pas.
Les jeunes aujourd'hui se sentent agressés. Ils sentent le terrain partir sous leurs pieds, parce qu'il y a le sida…
Q. : Vous comprenez qu'ils se sentent agressés ?
R. : Oui. Ils se sentent agressés par des causes naturelles aussi, ils se sentent agressés de tous côtés. Le sida leur apparaît comme une malédiction. Ils sont à l'âge où ils vont, les lycéens par exemple, certains ont déjà eu des expériences sexuelles, d'autres ont envie d'en avoir, c'est l'âge du désir qui monte, de la tentation : ils se disent : j'ose ou j'ose pas ? Ils ont peur du sida, on leur parle du préservatif en même temps comme seule façon d'aborder l'amour. Je crois que les foyers n'ont plus la même stabilité qu'autrefois, dans ces banlieues où l'environnement matériel est difficile ; ils voient la guerre à la télévision. Ils voient la montée des intégrismes. Tout leur paraît difficile. Et quand les choses sont difficiles, à cet âge-là, on pense que ce sont les autres qui vous veulent du mal. Nous essayons de faire le maximum, mais le maximum ne suffit pas.
Q. : Face à cette inquiétude, le gouvernement a-t-il raison de s'accrocher ?
R. : Je crois qu'après toutes les adaptations qui ont été faites par le gouvernement, qui sont très importantes, notamment en ce qui concerne ceux qui ont une formation professionnelle… Par ailleurs, le Premier ministre aussi parlé, il a dit : faisons une expérience et on la restera. Il y a tout de même 72 ou 75 % des jeunes qui pensent que ce texte est une bonne modalité pour entrer dans l'entreprise. Et c'est ça qui est important, pour les jeunes, entrer dans l'entreprise ! Je crois qu'il serait important de faire cette expérience pendant quelques mois, de la tester, de l'évaluer, comme l'a proposé le Premier ministre. Et qu'on fasse comprendre aux jeunes que ce n'est pas du tout parce qu'on leur en veut, parce qu'on veut dévaloriser leurs diplômes ! C'est au contraire une chance d'entrer dans l'entreprise, de montrer ce qu'ils savent faire et surtout d'avoir cette formation professionnelle complémentaire, sur le tas.
Q. : Pierre Méhaignerie aurait dit qu'on aurait pu tester le CIP dans une région, pour commencer…
R. : C'est ce que nous allons faire pour la dépendance. Au fond, dans cette situation difficile et très diversifiée, c'est sans doute une méthode qui est efficace et qui permet de ne pas trop bousculer, de voir ce qui va bien ou pas. Je crois beaucoup à la voie expérimentale.
Q. : Vous croyez donc qu'il aurait fallu commencer d'abord par un test dans une région ?
R. : Oui. Mais, voyez-vous, c'était une mesure qui était très demandée. Alors, on ne comprend pas très bien cette réaction, qui est une réaction très psychologique.
Q. : La majorité UDF RPR n'a-t-elle pas un problème de communication avec la jeunesse ? Et n'y a-t-il pas risque de se retrouver comme en décembre 86 ?
R. : vous savez, tous les gouvernements ont des problèmes avec la jeunesse. La jeunesse n'est plus du tout celle que nous avons connue. Je suis la plus âgée du gouvernement. Il y a des membres du gouvernement qui sont beaucoup plus jeunes. Je crois que leur jeunesse a été très différente de celle d'aujourd'hui. La jeunesse est confrontée à des problèmes qu'aucune génération n'avait connus. Elle réagit différemment. C'est une difficulté pour tous les gouvernements.
Q. : Vous craignez des dérapages ?
R. : Bien sûr, bien sûr, bien sûr ! Nous serions irresponsables si nous n'étions pas obsédés (par ce risque de dérapage – NDLR). Depuis que j'exerce les fonctions de la ville, je me dis, chaque soir quand je me couche, je me dis : il suffit de rien ! Il suffit d'un incident entre des jeunes, maintenant il va faire chaud, un peu chaud, on va vers le printemps, les jeunes sont dans la rue, en bande ; il y a des pétarades de vélomoteurs, il suffit que quelqu'un s'énerve dans les étages, il suffit vraiment de rien !
Donc nous le ressentons parfaitement. Comme, en même temps, les jeunes sont dans la situation psychologique que j'évoquais, immédiatement, ça s'enflamme ! Avec aussi, il faut le dire, de communautés qui vivent ensemble et sont très différentes.
Q. : Comment réagissez-vous aux images qu'ont montrées les têtes de jeunes immobilisés au sol et tabassés par des policiers ?
R. : Je réagis à la fois en disant qu'on ne peut pas accepter les casseurs, on ne peut pas accepter le vandalisme. La police est faite pour mettre obstacle à ces actes. Quand ce sont des casseurs, ils doivent être poursuivis. Mais, en même temps, c'est vrai que de voir des gens à terre, cette confrontation est toujours douloureuse et difficile mais on ne peut pas accepter ces casseurs. Les jeunes eux-mêmes le disent très bien, on leur vole leurs manifestations et leur volonté d'exprimer leurs inquiétudes et le rejet du texte.
Q. : Le problème n° 1 n'est-ce pas le chômage ?
R. : C'est vrai qu'un jeune sur quatre au chômage, c'est beaucoup trop. Il en reste trois sur quatre qui ont fait des études, qui ont une formation qui leur a permis de trouver un travail. Il faut aussi parler d'eux. Mais même ceux-là, qui ont un travail, sont inquiets pour l'avenir. Nous sommes dans une mutation de société telle qu'on ne voit pas très bien l'avenir sur tous les plans.
Ce n'est pas propre à la France, c'est plus particulièrement celui de l'Europe ; L'Europe se trouve au centre des difficultés, d'une mutation énorme. Quand il y a eu l'unification il y a trois ans, on a pensé que cela allait amener une situation extraordinaire, un monde meilleur, un nouvel ordre mondial. Au contraire, nous avons une société en rupture, une société éclatée, qu'il faut repenser. Pour l'instant, je le reconnais, il y a un certain vide. Tous nous devons faire notre mea-culpa, nous sommes pris de cours pour savoir quoi proposer. Il faudrait savoir dépasser certains clivages et se dire : qu'est-ce qu'on fait ?
Q. : Vous avez engagé une négociation-marathon avec quantité de municipalités, est-il vrai que vous ayez des difficultés pour concrétiser ces contrats de ville, et qui l'échéance de juin pose problème ?
R. : Non, non, sauf peut-être deux ou trois exceptions l'échéance du mois de juin sera absolument tenue. Les contrats de ville se signent maintenant rapidement à un rythme tout à fait accéléré, mais c'est vrai que c'est compliqué. C'est compliqué puisqu'au fond c'est une perspective, c'est une politique globale, et que le contrat de ville intègre tous les aspects de l'urbanisme, de remise en état de la voirie, d'environnement, et en même temps des aspects qui sont de plus en plus importants. Et je crois que je vais dans les quartiers, plus je parle avec les maires, plus je parle avec toutes les associations qui s'occupent beaucoup de la ville et qui jouent un rôle très important, au fond on a peut-être trop pensé urbanisme, voirie, bâtiment, et qu'aujourd'hui ce sont les problèmes humains. Et ces problèmes humains ils se traduisent très largement par les difficultés liées à l'emploi, ou même à l'activité. Et c'est ça maintenant notre priorité, c'est aider les maires qui s'en préoccupent eux-mêmes à susciter de l'activité quand ça ne peut pas être de vrais emplois. C'est d'essayer de développer un éventail d'activités, de possibilités d'insertion économique ou d'occupations dans les quartiers. Je crois que c'est ça qui doit nous mobiliser, et c'est la raison aussi pour laquelle actuellement dans mes crédits nous avons fait un petit redéploiement pour permettre aux maires, qui craignaient de ne pas avoir la possibilité de soutenir toutes les associations comme ils le souhaitent, de pouvoir le faire parce que ça nous paraît un travail tout à fait essentiel que de soutenir tout ceux qui participent avec énormément de solidarité, de générosité, d'imagination aussi, a une politique dans les quartiers, quand il y a un incident qui commence, qu'on ne pourra pas éviter, jamais, il y en aura toujours dans la vie, même en ville ordinaire dans les quartiers favorisés ça existe, ceux qui arrivent à éviter que l'incident ne dégénère, c'est quand il y a un maire, quand il y a des associations, quand il y a des familles qui ont la confiance des jeunes et qui savent immédiatement intervenir et résoudre et recoudre ce tissu social qui, à un moment, subit un choc et créée un effet d'entraînement et de violence.
Q. : Vive le travail des associations ?
R. : Oui, mais des maires aussi, toutes tendances confondues, les maires aussi par que c'est un travail difficile qu'ils font sur le terrain, et grâce à eux nous essayons d'avoir le plus de dialogue possible avec eux et beaucoup d'élus, parce que ce sont eux qui peuvent jouer un rôle. Et puis certaines failles, même les familles des victimes quelquefois, elles ont joué un rôle très apaisant dans certains cas, essayant de calmer les jeunes qui s'enflamment et on le comprend.
Q. : Régulièrement, la proposition de créer un ministère délégué qui serait en charge des problèmes de la ville ; après un an d'expérience, cette idée vous paraît-elle saugrenue ?
R. : Plus je travaille avec les maires, plus ce dossier de la politique de la ville que j'ai en charge me parait infiniment lié aux questions sociales. Ça n'était peut-être pas vrai il y a quelques années, parce que on voyait de manque d'esthétique de la ville, ces villes qui ne sont pas adaptées à la population, où en plus il y a des quartiers qui avaient été conçus je dirais pour les classes moyennes, pour un certain aménagement, pour un certain entretien, et comme ils ont changé de population ils sont devenus des quartiers éloignés alors que les gens n'ont pas de voiture, sans transport, tout le social y a disparu, tout ce qui était activité en tout genre, y compris les commissariats de police, y compris la poste, les activités commerciales. D'ailleurs à cet égard, avec tous ceux qui cherchent à restaurer la ville, nous essayons de leur apporter certaines garanties. Mais ce sont essentiellement des questions humaines qui passent par les autres compétences de mon ministère, qui sont les questions sociales, très profondément.
Q. : Et pas par un ministère délégué ?
R. : Vous savez, quelquefois, les ministères délégués, on ne sait plus très bien qui fait quoi, ça ne simplifie pas nécessairement les choses.
Q. : Le projet de loi sur la famille que vous avez présenté récemment comporte des propositions qui sont vraiment très concrètes, puisqu'on parle d'allocation parentale d'éducation, d'extension du congé de maternité, de l'aide à la garde d'enfants à domicile, etc… Néanmoins ce projet est accueilli avec quelques réserves, on parle de « mesurettes », pensez-vous que les français ne sont jamais contents ?
R. : Non, je ne dirais pas ça. Je dirai que dans l'ensemble ce texte a été très bien accueilli dans sa conception justement, parce qu'il laissait tous les dogmes de côté, et ne s'enfermait pas dans telle ou telle position, pour ou contre la mère qui travaillent, qui ne travaille pas, contre tel ou tel modèle, je crois que nous avons eu une approche qui était une approche d'aider les femmes dans leur réalité, dans leur vécu. C'est donc une approche très pragmatique qui a été approuvée par tout le monde, et je dirai que je trouve que texte a été bien accueilli. Mais on est dans une phase dans laquelle le parlement a encore à se prononcer. Alors un certain nombre d'organismes se disent « ne disons pas tout de suite qu'on trouve que c'est très bien, on connaît bien la situation, et peut-être essayons d'obtenir plus ». Parce que les familles, ce qui est normal, cherchent à obtenir plus.
Q. : Les femmes françaises ont leur premier enfant de plus en plus tard, ce qui pose problème car du coup le deuxième enfant n'arrive pas toujours, ou en tous cas arrive tardivement ce qui pose tout une série de problèmes. Or les femmes souhaitent garder leur emploi, et on a l'impression avec cet ensemble de mesures, que le gouvernement se serait arrêté en chemin. Pourquoi ne pas avoir pris comme modèle ce qui se passe dans les pays scandinaves, avec le salaire versé pendant 9 mois, un an, est-ce uniquement pour des raisons financières ?
R. : 9 mois, un an, c'est une charge financière que nous ne pouvons pas accepter actuellement, d'autant que si nous avions pris uniquement cette mesure on aurait été extrêmement critiqués par toutes les femmes qui nous disent « mais comment, c'est le salaire maternel, vous voulez obliger les femmes à arrêter, vous ne prévoyez rien pour aider quand elles sont obligées de continuer à travailler pour des raisons financières puisque de toute façon on ne pourra pas compenser ». (…) Ce que nous favorisons beaucoup c'est le temps partiel et je crois que c'est ça qui correspond le plus au souhait des femmes qui ont de jeunes enfants, 70 % estiment que c'est le temps partiel qui convient le mieux. Dès le deuxième enfant elles pourront faire du temps partiel pendant les trois ans de l'allocation parentale, le père éventuellement aussi, et ce qui n'était pas possible pour l'allocation pour le troisième enfant sera également possible en matière de temps partiel. Et que je crois que là, garantie de retrouver le contrat de travail, aide pour éventuellement s'arrêter à temps partiel ou temps plein, ou aide pour la garde des jeunes enfants, c'est un dispositif très complet qui devrait inciter les femmes à avoir leurs enfants plus jeunes.
Q. : Les personnes âgées dépendantes posent un problème de solitude ; vous aviez l'idée de déposer un projet de loi sur l'allocation-dépendance, il semble que ce projet ait du plomb dans l'aile actuellement : ne risque-t-on pas une fois de plus de l'abandonner un peu vite, parce que les personnes âgées ne descendront pas dans la rue ?
R. : Je crois que c'est un texte très important qu'il faut surtout pas abandonner. Il ne faut pas en abandonner l'idée, on parlait des familles, c'est aujourd'hui une grande préoccupation pour les familles. Parce qu'il ne s'agit pas seulement des personnes dépendantes elles-mêmes, très souvent ça s'adressera à des grandes dépendances qui n'ont même plus tellement conscience quelquefois de leur situation, mais de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Il y a une grande solidarité inter-générations qui existe aujourd'hui, une solidarité financière de la part des aînés vers les plus jeunes, la solidarité concrète, matérielle est beaucoup plus grande qu'on ne le pense, il y a beaucoup de maintiens à domicile chez les enfants, et c'est quelquefois vraiment très difficile à assumer pour l'ensemble de la famille. Et je crois donc que ça tranquilliserait tout le monde de savoir que cette prestation-dépendance existe. Donc, nous n'y renoncerons pas du tout mais nous pensons que c'est très complexe. On a beaucoup travaillé depuis plusieurs mois, c'est très complexe parce qu'il existe déjà des prestations qui sont prises en charge par les conseils généraux, les caisses d'allocations familiales vieillesse sont aussi concernées, et pour l'instant il y a des croisements de gestion et de financement pour lesquels nous souhaitons nous concerter davantage avec les différents organismes intéressés. (…) Donc j'ai vu beaucoup les partenaires sociaux pendant une semaine, j'en ai tiré certaines conclusions et je pense qu'il faut prolonger la concertation, et en même temps peut-être songer à une expérience dans une région si les textes permettent de faire une expérience qui soit suffisamment représentative.
Q. : Voilà un an que vous êtes le premier des ministres d'état du gouvernement Balladur. Comment concluez-vous cette année au gouvernement, dans quel état d'esprit, et comment réagissez-vous aux critiques adressées à Édouard Balladur ?
R. : Je dirai tout d'abord que ce qui me paraît tout à fait extraordinaire, c'est que les reproches qui lui sont faits, les critiques quelquefois vives, sont absolument contradictoires, vous me direz que ce n'est pas étonnant, dans un pays les choses sont très diversifiées, mais tout de même à ce point c'est extraordinaire. Elles sont contradictoires par que certains disent « il ne fait pas assez de choses, il va trop lentement, il ne fait rien, il recule », et d'autres au contraire disent « on va trop vite, il n'y a pas suffisamment de concertation, on impose des mesures qui n'ont pas été suffisamment examinées ». Alors je trouve que c'est tout à fait contradictoire. ? Ce que je tiens d'abord à dire, c'est que si on fait le bilan de ce qui a été fait dans un contexte très difficile, où nous avons trouvé une situation tout de même très détériorée sur certains plans, c'est tout à fait considérable, et qu'on a déjà mis de l'ordre dans un certain nombre de situations. Moi je dirais que dans mon ministère, on a eu vraiment à recoudre beaucoup de choses, à remettre sur le chantier, beaucoup de textes qui avaient été pris très vite parce qu'on voulait avoir l‘air dans le début de l'année 93 d'avoir fait beaucoup de choses, et il a fallu reprendre derrière et ça n'était pas toujours facile. Par ailleurs le contexte économique et social est difficile, et la situation budgétaire nous apporte certaines limites dans la capacité innovation et d'action. Lorsqu'on a reproché au Premier ministre d'avoir justement retiré certains textes, ou d'avoir revu, comme c'est le cas pour les décrets sur le CIP, où au fond on a écouté ce qui avait été dit puisqu'on a vraiment modifié profondément certaines des mesures, ça montre bien qu'il y a non seulement un désir d'écoute, mais une volonté et une détérioration qui se traduisent dans les actes. De toute façon, ce qui rend les choses difficiles disent « mais on n'a qu'à tout bousculer, il faut le contraire, il faut aller plus vite », donc nous poussent à allez plus vite, très fort, et ne voient pas que ce tissu social qui est aujourd'hui le nôtre, risquerait de se déchirer davantage encore si on va trop vite. Donc il y a un équilibre, et je crois que cet équilibre, depuis un an, le Premier ministre, peut-être quelquefois en étant prudent, en tâtonnant, et d'autres fois quand ion peut aller vite, en allant vite, donc une démarche qui peut paraître quelquefois un peu rapide, justement elle tient compte de la situation.
Q. : C'est le meilleur des premiers ministres avec lequel vous ayez travaillé ?
R. : Oh, je ne le dirais pas. Je ne veux surtout pas apprécier, j'ai eu des satisfactions tout à fait différentes selon les premiers ministres avec lesquels j'ai travaillé, et je dirai aussi que la situation est tout à fait différente, elle est beaucoup plus difficile.