Interview de M. Bernard Bosson, ministre de l'équipement des transports et du tourisme et secrétaire général du CDS, à France-Inter le 28 septembre 1994, sur la préparation de l'élection présidentielle de 1995 au sein de l'UDF, l'affaire Longuet et la politique des transports.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

M. Denoyan : Bonsoir.

Que ce soit les affaires, les affrontements politiques qui ne sont plus si feutrés qua cela, la montée d'une certaine tension sociale, de toute évidence le bel état d'Édouard Balladur paraît bien terminé. À la chute de 11 points dans le dernier baromètre IFOP – Journal du Dimanche, est venue s'ajouter en début de semaine ce que l'on appelle l'Affaire Longuet. Le ministre de l'Industrie, qui n'exclut plus de démissionner s'il était mis en examen, soutien efficace d'Édouard Balladur, Gérard Longuet semble embarrasser terriblement le Gouvernement et provoquer un malaise dans la Majorité.

Après que la Droite ait longtemps glossé sur les affaires entre l'argent et les Socialistes, la voilà à son tour dans le collimateur de la Justice. De cette situation nouvelle, peut-il sortir une autre donne politique ?

Invité d'Objections ce soir : monsieur Bernard Bosson, ministre de l'Équipement, des Transports, du Tourisme et aussi Secrétaire Général du CDS.

Monsieur Bosson, bonsoir.

M. Bosson : Bonsoir.

M. Denoyan : Merci d'être présent ce soir pour répondre à beaucoup de questions, l'actualité est très riche, aux questions de Pierre Le Marc et Michel Polacco de France Inter, de Fabien Roland-Lévy et de Jean-Michel Aphatie du Parisien-Aujourd'hui.

Vous êtes ministre des Transports, je le citais à l'instant et je pense que le ministre que vous êtes doit être assez bouleversé, comme chacun d'entre nous, après la catastrophe qui s'est déroulé cette nuit dans la Baltique. Ce genre d'accident, de drame, n'est à l'abri de personne ; toute compagnie, quelle que soit sa nationalité, peut avoir à l'affronter ?

Est-ce que c'est une occasion pour le ministre des Transports que vous êtes de réfléchir un peu à ces questions ?

M. Bosson : Je voudrais d'abord m'incliner devant les victimes. C'est évidemment un drame atroce et on se sent directement concerné par ce drame. On se dit évidemment que les mêmes choses peuvent arriver partout, d'autant plus que nous n'avons encore aucun élément, mais la compagnie en question apparaît sérieuse et les pays en question sont réputés pour le sérieux des règles de sécurité et la qualité de leur tradition maritime.

Première chose : nous allons suivre de très près les résultats de l'enquête pour essayer de savoir quelles sont les raisons de ce drame et quelles conséquences on peut en tirer. En 1997, un ferry britannique avait coulé. À la suite de cela, l'Organisation Mondiale, enfin Maritime, avait décidé de mettre en application toute une série de recommandations. Sur les ferries français, ces recommandations sont strictement appliquées, cela depuis des années, à la suite de ce travail de l'OMI après un drame.

Deuxième chose : cela pose tout le problème de l'ultra-libéralisme. Je voudrais en dire un mot et nous faisons un très gros travail à l'intérieur de la Communauté Européenne, et surtout entre les pays du Nord, sur la Manche, Mer du Nord, pour essayer de trouver un équilibre entre des règles européennes trop ultra-libérales et une concurrence maîtrisée dont nous avons besoin.

Les règles européennes autorisent aujourd'hui, en ce qui concerne nos pavillons nationaux, d'aller jusqu'à 100 % de salariés qui ne soient pas Européens et qui n'aient même pas la possibilité de réclamer le salaire minimum ou les couvertures sociales. Or vous voyez bien que, indépendamment de l'aspect social et Dieu sait qu'il est important, le problème de sécurité dépend de la qualité des marins, de l'équipage, des chefs, des cadres, des officiers, des sous-officiers…

M. Denoyan : De la communication entre le commandant et l'équipage…

M. Bosson : De la communication entre eux, qu'ils parlent une même langue en cas de catastrophe et qu'au moins les marins comprennent leur Commandant. Quelquefois, le Commandant est seul à parler une langue différente des marins…

M. Denoyan : Puis-je vous demander si sur les bateaux français, notamment les ferries français, on observe déjà ce que vous êtes en train de… ?

M. Bosson : On observe absolument ces règles, mais j'ai découvert avec un peu d'effarement qu'on a laissé accepter, dans le cadre de la Communauté des Douze, sur des transports maritimes entre pays des Douze, réservés aux pavillons des Douze, la possibilité d'avoir des marins étrangers. Les Britanniques ont mis des marins chinois il y a quelques mois sur des ferries entre la Grande-Bretagne et la France. Les syndicats se sont rebellés, nous avons fortement appuyé et, fort heureusement, après plusieurs actions, les Britanniques ont reculé.

Mais il faut savoir que la "loi" européenne, acceptée par nos douze Gouvernements il y a quelques années, le permettait. Nous devons revenir là-dessus. L'Europe doit être porteuse de valeurs sur le plan humain, sur le plan social, sur le plan de la sécurité, et un certain nombre de règles ultra-libérales ne sont pas acceptables.

M. Denoyan : Nous reviendrons tout à l'heure, notamment avec Michel Polacco, sur les problèmes de transport. Il y a là aussi une actualité très riche. Mais je le disais en commençant, il y a surtout une actualité politique qui vous concerne qui est extrêmement riche. Pierre Le Marc ouvre le feu.

M. Le Marc : Le Garde des Sceaux, Pierre Méhaignerie, avait promis une totale non-intervention du Gouvernement dans le déroulement des affaires. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il a entamé son crédit, et très largement, en accordant un sursis d'un mois à Gérard Longuet, en décrétant une prolongation de l'enquête préliminaire ? Cette décision a été très sévèrement critiquée, y compris même au sein de la Majorité puisque Pierre Mazeaud parle de faute.

M. Bosson : Le Premier ministre est très attaché à l'indépendance et à la liberté d'action de la justice. Il l'a prouvé avec la réforme constitutionnelle, qui met complètement à l'abri des pressions le Conseil Supérieur de la Magistrature. Et le Premier ministre a fixé comme règle au Gouvernement une règle plus contraignante pour les ministres que pour tous les citoyens, règle qui est la suivante : toute personne mise en examen, et pourtant réputée innocente – c'est la loi, c'est cela la garantie des libertés individuelles – doit démissionner du Gouvernement.

Gérard longuet se trouve dans une situation qui peut l'amener à être mis en examen et donc à subir une règle plus contraignante pour lui, comme ministre, que pour tous les autres citoyens français. Il me paraît normal qu'il puisse, puisqu'il s'agit à la fois de son honneur de politique et de son honneur d'homme, bénéficier d'une expertise qui éclaire la décision. Le ministre de la Justice a dit ce soir que cette expertise, comme il l'avait déjà précisé, aura lieu dans le délai d'un mois – ce n'est pas sans délai – et que la justice suivra son cours.

M. Le Marc : Mais il dit aussi qu'en l'état du dossier, Gérard Longuet devait être mis en examen.

M. Bosson : Il me semble normal, puisque Gérard Longuet va subir…

M. Denoyan : Bernard Bosson, puisque vous dites que le ministre, Gérard Longuet en l'occurrence, pourrait subir une situation plus contraignante qu'un Français ordinaire, en reprenant la question que vous pose à l'instant Pierre Le Marc, est-ce qu'un Français ordinaire n'aurait pas déjà été mis en examen sur les recommandations du Juge Van Ruymbeke telles qu'on les connaît ?

M. Bosson : Soyons clairs : il ne pourrait pas subir, il subira, puisque cette règle s'applique aux seuls ministres, a été la volonté du Premier ministre et que Gérard longuet a déclaré, et il a bien fait de le faire, qu'il s'appliquerait cette règle, qui est une règle volontaire, qui est que, même mis en examen et donc réputé innocent, on considère qu'il n'est plus possible de rester ministre.

M. Denoyan : Vous ne pensez pas que le délai qui a été accordé par la Chancellerie à Gérard Longuet ne donne un sentiment de malaise… ?

M. Bosson : Ce n'est pas un délai, c'est une expertise. La question qui est posée est claire : est-ce que Gérard Longuet… ?

M. Denoyan : Un juge s'est exprimé.

M. Bosson : Un juge … et non pas la justice.

M. Aphatie : En général, cela suffit.

M. Denoyan : Oui, en général cela suffît pour un Français ordinaire.

M. Bosson : Vous voulez qu'on revienne un moment après sur l'affaire Longuet ?

M. Denoyan : Oui, oui, parce que c'est important.

M. Bosson : Permettez-moi comme homme politique, comme citoyen et comme avocat, de vous dire que l'on a un vrai problème posé à travers cette affaire, et on y reviendra : c'est le problème de la mise en examen.

Une des garanties fondamentales de chacun d'entre nous, comme citoyen, c'est que la mise en examen ne soit pas une accusation, ne soit pas infamante.

M. Denoyan : Toujours la présomption d'innocence.

M. Bosson : On a changé de mot : autrefois inculpation, on a mis "mise en examen" exprès dans ce but et, tant qu'on n'est pas jugé, on est réputé innocent. C'est cela la garantie des citoyens. Et aujourd'hui, par une certaine lenteur de la Justice, qui doit être sereine, qui doit être indépendante, mais qui ne doit pas être lente, la mise en examen est une condamnation.

Je l'ai vécu comme maire dans ma propre ville. Quelqu'un a été mis en examen il y a quelques mois : le journal a mis sa photo avec monsieur Untel mis en examen.

M. Le Marc : Raison de plus pour accélérer le processus.

M. Bosson : Quelques mois après, le juge a découvert qu'il s'était trompé : cette personne n'a même pas été poursuivie, le dossier a été classé, il n'y a eu ni photo ni une ligne pour annoncer que son honneur lui était rendu. Nous sommes dans une mécanique extrêmement perverse où la loi dit que la mise en examen doit être secrète, que personne ne doit en parler et où depuis des années on en parle. Là il y a un problème entre la liberté de l'information : elle doit être importante, et le fait que la mise en examen ne doit pas être infâmante. Tant que l'on n'est pas jugé, on est innocent.

M. Denoyan : Très bien, mais pourquoi ne pas avoir permis la mise en examen telle que la réclamait monsieur Van Ruymbeke ?

M. Bosson : Parce que pour les ministres, et eux seuls, la mise en examen oblige à démissionner. Un reporter, un journaliste, un notaire, un enseignant, un avocat, un maire, n'a pas cette règle. Et attention : je ne serais pas d'avis que cette règle s'impose de l'extérieur ; ce serait en contradiction totale avec le fait qu'on est réputé innocent. C'est une règle que, à la demande du Premier ministre, les ministres de ce Gouvernement ont décidé de s'imposer à eux-mêmes, librement, de l'intérieur.

M. Le Marc : Donc pour les ministres, il faudra prendre des suppléments de précautions dans les enquêtes ?

M. Bosson : Non, je pense assez normal qu'il ait la possibilité de demander cette expertise. De deux choses l'une : si cette expertise est favorable, comme je le souhaite comme collègue pour Gérard Longuet, peut-être que les discours tenus aujourd'hui changent ; si cette expertise est défavorable, en quoi ce délai d'un mois vous apparaît-il anormal dans une procédure dont vous savez très bien qu'hélas, avant d'arriver à un jugement, elle sera longue à mes yeux comme toutes les affaires de ce genre, trop longue ? C'est ce qui donne l'impression aux citoyens qu'il n'y a pas de justice parce qu'il faut énormément de temps pour arriver à une décision définitive et personnellement je le regrette.

M. Roland-Levy : monsieur Bosson, vous avez évoqué comme une sorte de catastrophe la démission éventuelle du ministre mis en examen. Mais en matière de démission, vous-même, il y a un an, vous avez avoué publiquement que, au moment de la grève d'Air France, vous avez offert votre démission au Premier ministre. Que pensez-vous alors de l'attitude de Gérard Longuet qui, jusqu'à hier en fait, a refusé de démissionner et a déclaré publiquement qu'il ne démissionnerait pas dans une affaire certes privée, mais enfin une affaire très embarrassante ?

M. Denoyan : Et qu'il n'en avait rien à cirer…

M. Bosson : Cela n'a rien à voir.

M. Roland-Levy : Je parle de la démission que vous avez présentée comme une sorte de drame humain. Certes, c'est ennuyeux pour un ministre, mais…

M. Bosson : Dans l'Affaire d'Air France, je considérais que n'ayant pas réalisé suffisamment tôt qu'il fallait, pour sauver la Compagnie, changer son Président et ses cadres, qui n'étaient plus crédibles dans la Compagnie pour des tas de raisons que je ne leur reproche pas, y compris d'usure du temps, étant le ministre responsable du secteur, je suis responsable. Donc je dis au Premier ministre : "J'assume le départ, le remplacement, le choix de Christian Blanc que je crois capable de sauver l'entreprise, et je m'en vais". Cela me paraît normal. Si le Premier ministre ne m'avait pas retenu, et j'ai même hésité à rester après qu'il m'ait retenu, je partais ; c'est une responsabilité politique. Mais mon honneur n'était pas en jeu.

M. Roland-Levy : Certes.

M. Bosson : Par contre, dans une affaire comme l'Affaire de Gérard Longuet, son honneur est concerné. Qu'il ait la possibilité, puisqu'il va subir une contrainte supérieure à celle des autres citoyens, d'avoir droit à cette expertise, en quoi cela vous choque-t-il ? Si c'était un délai, je ne le comprendrais pas ; ce n'est pas un délai, c'est le temps nécessaire à une expertise. Encore une fois, si cette expertise démontre, ce que je ne souhaite pas, que la maison a une valeur supérieure au prix d'achat, en quoi cette expertise est-elle, comment dire ? une sorte de soutien à Gérard Longuet ? Expliquez-moi, je ne comprends pas…

M. Denoyan : Jean-Michel Aphatie va essayer d'y voir plus clair.

M. Aphatie : Parce que, dans le propos, on oublie peut-être que l'expertise viendrait contrarier ou infirmer des évaluations faites par la police judiciaire. Ce n'est pas du tout une base politique qui fait que Gérard Longuet aujourd'hui est suspecté de… C'est la marche de la justice elle-même qui vient surajouter un étage et on se demande quelle est la légitimité. Jean-Louis Debré ou Pierre Mazeaud, qui n'ont pas de raison…

M. Denoyan : Qui sont membres de votre Majorité.

M. Aphatie : … de vous attaquer politiquement, eux-mêmes ont du mal à comprendre la procédure.

M. Bosson : Encore une fois, on retombe sur le problème de savoir si quelqu'un qui est mis en examen est ou non réputé innocent.

M. Aphatie : Oui, il l'est.

M. Bosson : Il l'est ?

M. Aphatie : Bien sûr.

M. Bosson : Donc il est clair pour vous qu'aujourd'hui la loi française et le respect des libertés font que Gérard Longuet est innocent.

M. Aphatie : Oui, a priori oui, bien sûr.

M. Bosson : On lui accorde une expertise qui va soit le décharger, soit le charger et au nom de votre notion de la justice, cela vous choque ? Moi, comme avocat, cela ne me choque pas.

M. Aphatie : monsieur Bosson, je ne sais pas quel sera le résultat de l'expertise, mais s'il est mis en examen, de toutes les façons il sera innocent ; même après l'expertise, il peut très bien être innocent.

M. Bosson : Je sais bien. C'est bien pour cela que l'expertise est à double tranchant : elle peut soit l'aider, soit au contraire aggraver sa situation. C'est la raison pour laquelle je ne comprends pas en quoi le principe d'avoir droit à une expertise est un cadeau.

M. Le Marc : Si Gérard Longuet avait été un ministre ordinaire, un ministre lambda, s'il n'avait pas été Président d'une formation…

M. Denoyan : S'il n'était pas une pièce maîtresse du dispositif d'Édouard Balladur…

M. Le Marc : … qui est utile au candidat Édouard Balladur, est-ce que vous pensez que la décision aurait été la même, franchement ?

M. Denoyan : Vous lisez la presse quand même, Bernard Bosson…

M. Le Marc : Il y a eu des négociations à Matignon, vous le savez très bien.

M. Bosson : Encore une fois, qu'il puisse y avoir discussion… Quand il s'agit de l'honneur d'un homme qui dit : "Je considère que j'ai payé ma maison, à ce que je sais, au bon prix et avant d'être mis en accusation c'est bien une mise en accusation en quelque sorte qui se passe, dans l'opinion publique en tous cas, à travers la mise en examen – je demande à avoir une expertise par quelqu'un d'indiscutable, qui permette d'avoir des données"…

M. Denoyan : Cela veut dire que vous induisez que monsieur Van Ruymbeke n'est pas indiscutable ?

M. Bosson : Je m'excuse, mais comme avocat j'ai vu de nombreux juges d'instruction poursuivre des clients dont j'ai obtenu personnellement qu'ils ne soient pas condamnés. Ce n'est pas parce qu'un juge d'instruction s'est prononcé que le jugement est rendu.

M. Denoyan : Vous pensez qu'il y a de l'acharnement de la part de monsieur Van Ruymbeke sur Gérard Longuet ?

M. Bosson : Pas du tout. Je pense que monsieur Van Ruymbeke fait son travail. Je dis simplement que quand un juge d'instruction s'est prononcé, cela n'a pas de valeur. J'ai vu plus d'une affaire où un juge d'instruction a poursuivi quelqu'un qui n'a pas été condamné, et vous aussi. Cela veut donc bien dire qu'un juge d'instruction de la meilleure qualité peut être entraîné ou se tromper, sinon il n'y a pas besoin de passer devant un tribunal. Il suffit que le juge d'instruction se prononce.

M. Denoyan : D'accord. On va attendre l'expertise parce que je pense que sur l'affaire judiciaire vous ne pourrez guère plus loin.

M. Bosson : Non, mais je veux quand même rappeler une chose…

M. Denoyan : Mais on peut passer maintenant à son versant politique. On voit bien que la Majorité est troublée. Est-ce que ce n'est pas finalement un des premiers grands faux-pas du Gouvernement Balladur, cette affaire ?

M. Bosson : Ce qui me choquerait comme membre du Gouvernement, c'est que les affaires ne sortent pas, j'allais dire comme trop souvent, sans rien préciser, mais comme cela arrive dans certains pays ou autrefois. Ce que je constate, c'est que les affaires sortent. D'autre part, dans le cadre de cette affaire qui sort, que quelqu'un qui joue son honneur ait le droit à une expertise dans un délai limité, personnellement, ne me choque pas et peut jouer pour lui ou contre lui suivant le résultat, avec quelqu'un qui là prend son risque.

Et je suis un peu étonné d'une sorte d'acharnement médiatique. On dirait qu'on donne un délai, on dirait qu'on donne trois mois, on donne six mois, on ne sait pas…

M. Denoyan : Rappelez-vous les affaires Tapie… La presse a fait son travail à Gauche comme à Droite…

M. Bosson : Tout à fait, mais l'affaire suivra, ce n'est pas cela que je dis. Je dis que je suis un peu étonné que le fait d'avoir droit à une expertise alors que, parce qu'on est ministre, on va avoir une conséquence qui est beaucoup plus grave que pour tout autre citoyen…

M. Denoyan : On doit peut-être être un peu plus exemplaire si on est ministre, vous ne croyez pas ?

M. Bosson : Bien sûr, mais quand on est enseignant, quand on est journaliste, quand on est notaire, quand on est assermenté aussi on doit être exemplaire…

M. Denoyan : Mais bien sûr…

M. Denoyan : Et pourtant on n'est pas obligé de démissionner.

M. Le Marc : Vous plaidez donc pour une super protection des ministres parce qu'ils vont devoir démissionner, il leur faut des égards supplémentaires, c'est ce que vous venez de dire.

M. Denoyan : En quoi c'est un égard supplémentaire d'avoir droit à une expertise ? L'expertise, vous ne doutez tout de même pas de son honnêteté ?

M. Denoyan : Vous mettez en cause le travail de monsieur Van Ruymbeke ; c'est la question qu'on vous pose.

M. Bosson : Mais encore une fois, avec votre raisonnement, il n'y a plus besoin de justice. Le juge d'instruction a fait son travail, pourquoi est-ce qu'on irait plus loin ? Et vous savez bien qu'il y a des affaires où les juges d'instruction peuvent se tromper. Je ne connais pas monsieur Van Ruymbeke, il fait son métier et il a bien raison de le faire, ce n'est pas du tout le problème.

M. Roland-Levy : monsieur Bosson, vous allez penser que je suis obsédé par la démission, mais prenons l'autre aspect de la démission est-ce que cette démission ne serait pas très gênante, politiquement, pour le Premier ministre et pour le Gouvernement ? On peut peut-être essayer de parler des conséquences politiques.

M. Denoyan : C'est ce que j'aimerais bien qu'on aborde maintenant.

M. Bosson : Je pense que c'est peut-être un peu prématuré puisqu'il va bien falloir voir comment se poursuit cette affaire et que la Justice suivra son cours. Si Gérard Longuet…

M. Denoyan : Que pensez-vous de la petite phrase de votre collègue du Gouvernement, monsieur Pierre Méhaignerie, que vous avez entendue tout à l'heure, dans le Journal de Patrice Bertin, qui laisse penser quand même que, finalement…

M. Bosson : Il a dit que la justice suivrait son cours. J'imagine que ce qu'il veut dire … Sauf si par extraordinaire l'expertise était telle qu'elle démontre absolument qu'il n'y a aucun problème, auquel cas j'imagine qu'il y aurait des contre-expertises, etc.

M. Denoyan : On n'en sortirait donc plus…

M. Bosson : On n'en est pas là. Encore une fois, ce que j'essaie d'expliquer, qui me paraît simple, et c'est grave ce qu'il y a derrière, c'est : "ne mettons pas en péril entre nous ce qui est la garantie des libertés des citoyens ; il ne suffit pas qu'un juge d'instruction vous accuse pour que vous ne soyez pas un innocent".

M. Denoyan : Tout le monde est d'accord là-dessus…

M. Bosson : Ah bon…

M. Denoyan : … mais qu'il n'y ait pas de traitement différent entre un ministre et un citoyen français ordinaire.

M. Bosson : Donc il ne faut pas qu'il démissionne, si je suis votre raisonnement, monsieur Denoyan. Nous nous sommes mis cette règle supplémentaire.

M. Denoyan : C'est monsieur Balladur qui l'avait dit…

M. Bosson : Bien sûr.

M. Denoyan : C'est votre Gouvernement qui l'a exprimé, monsieur Bosson.

M. Bosson : Et c'est parce que monsieur Balladur – il a eu raison – a fixé pour les ministres de ce Gouvernement une règle qui n'existe pour aucun autre citoyen et qui est plus contraignante pour les ministres que pour les citoyens, que je trouve normal qu'une expertise puisse avoir lieu avant qu'éventuellement l'irrémédiable ne se produise pour un collègue. C'est parce que la règle qu'impose monsieur Balladur n'existe que pour les ministres.

M. Aphatie : Restons sur le versant politique, parce que le versant technique, on l'a probablement épuisé. Quand vous voyez le flot des commentaires négatifs qui accueilli la décision du ministre de la Justice, vous dites quoi : "Décidément on est incompris" ou bien "On risque de le payer cher dans quelques mois" ?

M. Bosson : Je pense que la transparence dans l'expertise et la clarté de la décision qui suivra règleront l'intégralité du problème, qui va donc se poursuivre pendant un mois, pour ceux qui sont choqués par une expertise qui, personnellement, ne me choque pas.

M. Le Marc : Est-ce qu'il faut aller plus loin dans la lutte contre la corruption et dans la règlementation du financement de la vie politique ? Est-ce que vous êtes d'accord, par exemple, sur un certain nombre de propositions qui ont été faites concernant la publicité du patrimoine des élus et de leurs proches, sur l'interdiction du financement de la vie politique par les personnes morales, c'est-à-dire les entreprises et les associations ? Est-ce que vous êtes d'accord avec tout cela ?

M. Bosson : Je considère qu'il faut que l'on arrête un certain pourrissement qui existe dans ce pays.

M. Le Marc : Et qui continue à votre avis ?

M. Bosson : Et qui à mon avis continue.

M. Le Marc : Malgré les lois qui ont été votées ?

M. Bosson : Et qui à mon avis continue. D'abord, il atteint les responsables locaux : personne ne s'achète un parlementaire, un parlementaire n'a pas assez de pouvoir. Il atteint ceux qui, ayant un carnet de chèques et des marchés – maires, présidents de Conseils généraux, présidents de Conseils généraux – peuvent avoir une puissance, c'est-à-dire ceux qui vivent la démocratie au quotidien, ceux en qui le peuple croit le plus, et c'est notre démocratie qui est profondément en péril. Il faut donc arrêter cela.

Ensuite, comme maire et comme ministre de l'architecture et de l'urbanisme, je suis frappé de voir…

M. Denoyan : Maire d'Annecy, je le signale pour nos auditeurs.

M. Bosson : Maire d'Annecy … Je suis frappé de voir notamment des architectes qui disent : "Je ne concours plus dans tel ou tel endroit puisque le promoteur me dit : “Ne faites pas trop de recherches, j'ai déjà le permis de construire”". Or l'élu est l'allié naturel du créateur, pour la beauté du cadre, pour la qualité de vie, pour l'insonorisation, pour la taille des pièces, pour l'accueil de la famille, de l'enfant, pour l'ensoleillement, et l'élu ne peut pas être l'allié du promoteur. Le promoteur est là pour rappeler les obligations en matière de prix, de tarifs…

M. Denoyan : Il va falloir que vous arriviez à convaincre beaucoup de monde, monsieur Bosson, il y a du travail.

M. Bosson : Par exemple, j'ai réformé les jurys d'architecture en imposant un tiers de professionnels dans les jurys et l'obligation, pour l'élu qui ne suit pas le jury, d'assumer la décision politique. Il est donc normal qu'il soit libre, d'être obligé d'expliquer pourquoi il ne suit pas le jury.

Deuxièmement, je travaille avec une Commission sur les marchés publics pour essayer d'aller vers le mieux-disant avec un éclairage précis, une présence plus grande de l'opposition obligatoire dans tous les jurys parce que vous savez bien que c'est toujours là où on prend le moins-disant qu'il y a quelquefois combine.

M. Denoyan : Mieux-disant, ça peut aussi arriver.

M. Bosson : Dernier point, je suis pour une autorité d'éthique. Je vais prendre un exemple très simple, je suis avocat. Depuis que je suis élu, parlementaire et ministre, je ne touche plus d'honoraires, j'ai droit de retour dans mon ancien Cabinet avec mon associé et mon frère mais j'aurais parfaitement le droit, tout-à-fait légal, de toucher de toutes les entreprises des contrats d'honoraires de conseils en permanence. Donc, vous voyez bien que cela va au-delà d'un cadre légal. Il nous faut une autorité d'éthique où les revenus des hommes politiques et de leurs conjoints sont annoncés, déclarés et où il peut y avoir des questions, voire des remontrances et des demandes d'arrêt de tel ou tel point.

Je suis au surplus dans le cadre de décisions de justice dépassant tel ou tel degré de peine pour une interdiction à vie d'exercer des mandats. Il faut absolument expurger dans notre démocratie ces problèmes. Par contre, je suis pour le financement des partis politiques et des campagnes électorales, en partie pour les entreprises, à deux conditions :

1. Que l'on baisse le montant autorisé des dépenses de campagne et notamment des élections présidentielles que l'on sait mal gérées.

2. Que l'enveloppe financière autorisée de financement des entreprises, par an, soit très faible. Aujourd'hui, c'est 500 000 francs, je pense qu'il faut descendre vers les 20 ou 25 000 francs, compte tenu du fait que les groupes ont de nombreuses filiales et que 500 000 francs par filiale finissent par faire une force de pression beaucoup trop élevée.

Objections

M. Denoyan : Objections de monsieur Yves Cochet, porte-parole des Verts.

Bonsoir, monsieur Cochet.

M. Cochet : Bonsoir.

M. Denoyan : Dans les propos que nous tient depuis une vingtaine de minutes, monsieur Bosson, avez-vous matière à critique et à objecter ?

M. Cochet : Oh, j'ai matière à m'interroger, d'une part, sur la défense de monsieur Bosson qui, pourtant en tant qu'avocat, connaît son affaire et, d'autre part, sur l'image…

M. Denoyan : … La défense de monsieur Longuet, vous voulez dire ?

M. Cochet : Oui, la défense de monsieur Longuet par monsieur Bosson. D'autre part, par monsieur Balladur qui semble avoir perdu un peu de son image d'arbitre au-dessus de la mêlée et qui semble apparemment, en tout cas c'est la perception qu'on en a de l'extérieur, maintenant plus protecteur de monsieur Longuet que protecteur des Français.

La question que je voudrais poser à monsieur Bosson est la suivante : ne croit-il pas, puisqu'il semble faire preuve de vertu, qu'il devrait y avoir en France, comme il y a eu en Italie de la part du juge Di Pietro, – je ne veux pas comparer monsieur Van Ruymbeke que je connais, puisque je suis de Rennes, au juge Di Pietro –, une espèce d'opération "mains propres", c'est-à-dire que, bien sûr, on doit renforcer le cadre légal mais également il faut peut-être essayer de nettoyer un petit peu aussi bien les affaires politiques que les affaires des entreprises car cela touche aussi les entreprises.

M. Bosson : En ce qui concerne monsieur Balladur, dire qu'il est plus protecteur de monsieur Longuet que des Français, alors que c'est par son exigence que les ministres sont obligés de démissionner s'ils sont mis en examen, ce qui n'est le cas de personne, cela m'apparaît curieux.

Sur les problèmes de vertu, vous savez, moi, je n'aime pas beaucoup donner des leçons aux autres, donner des leçons de vertu, j'essaie d'être un homme politique honnête. Je dis simplement qu'il est temps d'arrêter et que ce n'est pas forcément en fouillant dans les poubelles du passé qu'on règle les problèmes. Je suis tout-à-fait d'accord, bien sûr, pour que la justice fasse son travail, elle est là pour ça, par son indépendance, par contre, nous, hommes politiques, nous devons régler le problème de l'avenir.

Aujourd'hui, chacun sait que l'élection présidentielle, notamment, est mal réglée sur le plan financier, il faut le régler. Aujourd'hui, on peut faire des campagnes électorales locales ou nationales honnêtes, on peut faire fonctionner parfaitement légalement les partis politiques, il nous reste à régler ceci. C'est la raison pour laquelle je faisais, il y a quelques instants, des propositions.

Je rappelle que le groupe de travail sur les marchés publics, je l'ai mis en place depuis des mois, et que la réforme, par exemple, des jurys d'architecture, je l'ai faite dans les mois qui ont suivi mon arrivée. On n'a pas attendu pour prendre ces décisions.

M. Denoyan : Merci, monsieur Cochet.

On évoque depuis quelques instants les passe-droits réels ou supposés, tout à l'heure, on écoutait dans le journal de Patrice Bertin que Patrick Bruel avait été pris sur une route à 219 kms/heure. Si un Français ordinaire était pris à 219 kms/heure, après les réglementations que vous avez mises en vigueur, je pense qu'il aurait quelques soucis. Est-ce que monsieur Bruel va être un citoyen ordinaire ?

M. Bosson : Je viens d'entendre ce qui vient d'être dit et je ne doute pas que, pour la justice, tous les citoyens sont égaux, par conséquent, la justice devra passer.

Vous me permettez un mot sur la sécurité…

M. Denoyan : … Oui. On va parler d'ailleurs des problèmes de sécurité et de transport avec Michel Polacco.

M. Polacco : L'été a été meurtrier en politique, sur les routes, a-t-il aussi meurtrier ?

M. Bosson : Justement non et je suis à la fois heureux et en même temps angoissé. Heureux parce que le nombre de tués, le nombre de blessés graves, au cours des 12 derniers mois, à la suite de toutes les décisions que nous avons prises, est le plus faible en France depuis 37 ans, depuis que la statistique routière existe et malgré la multiplication du nombre de véhicules. C'est un formidable succès des Françaises et des Français qui se sont pris en main et Dieu sait que nous ne sommes pas allés vers la répression, nous sommes allés vers la formation, l'accompagnement, notamment avec l'attestation scolaire pour 700 000 jeunes, etc. par un travail de main tendue et vraiment d'appel à la responsabilisation.

M. Denoyan : Votre prédécesseur avait fait beaucoup aussi.

M. Bosson : Je rends hommage à l'ensemble de mes prédécesseurs, il n'empêche que c'est la première fois que, sur 12 mois, nous sommes en-dessous du seuil de 8 500 morts et en même temps, je vous pose la question : est-il admissible qu'il y ait un accident toutes les quatre minutes, un blessé toutes les trois minutes, un blessé grave, très grave toutes les 12 minutes et un mort toutes les 62 minutes, jour et nuit ?

M. Denoyan : On connaît la publicité, monsieur Bosson …

M. Bosson : … Oui, mais il est bon de le rappeler.

M. Denoyan : D'accord, et alors ?

M. Bosson : Cela veut dire qu'il faut se responsabiliser. Autrefois, quand on a lutté, quand mes prédécesseurs ont lutté contre l'alcool au volant, ils ont eu du mal, aujourd'hui, c'est entré…

M. Denoyan : … La limitation de vitesse aussi, je me souviens des difficultés de monsieur Sarre. Il n'a pas toujours été aidé par ceux de vos amis qui sont au Pouvoir aujourd'hui.

M. Bosson : Mais je vis les mêmes difficultés que monsieur Sarre dans certains aspects. J'ai assez été interrogé, bousculé sur les mesures que j'ai prises pour être heureux des résultats même si j'aimerais qu'on aille plus loin.

Je dis aujourd'hui que, dans ce pays, on croit que la vitesse n'est pas dangereuse. Je me permets un simple rappel, c'est très important. En 1974, il n'y avait pas de limitation sur les autoroutes, on a amené la vitesse à 120, on a réduit le nombre de morts de moitié. On s'est dit "On est allé trop loin", on l'a mise à 140, il y a eu une telle explosion de nombre de morts qu'on ait redescendu à 130. On a fait l'expérience.

Aux États-Unis où on roule à 88 à l'heure sur les autoroutes…

M. Denoyan : … Et on a intérêt d'ailleurs à y rouler, autrement l'amende est très élevée.

M. Bosson : Dans 40 États, on est monté à 104 à l'heure et, en montant à 104 à l'heure, on a augmenté le nombre de morts de 18 %. D'ailleurs, dans la délibération de la Chambre des représentants, il était dit : "En prenant cette décision, on accepte une augmentation du nombre de morts de 20 %".

M. Bosson : En France, on roule à 130…

M. Denoyan : … C'est trop, vous êtes en train de nous dire que c'est trop et que vous allez sans doute œuvrer pour baisser ?

M. Bosson : Non, mais au moins qu'on ne prenne pas des gens à 210 puisqu'on roule à 130 et que c'est déjà le pays où on roule le plus vite. Il n'y a pas de limitation autre, sauf les 1 000 kilomètres allemands. Il n'y a pas de pays développés où l'on peut rouler à plus de 130.

M. Denoyan : Vous allez le laisser faire, alors ?

M. Bosson : Non. Nous luttons contre la vitesse, les propositions viennent devant le Parlement, j'espère qu'il me suivra, et j'ai créé une Commission pour étudier, en liaison avec tous ceux qui s'intéressent à la mute, les auto-écoles, les motards, les conducteurs de poids lourds, etc. les problèmes de la vitesse. Mais il faut se mettre dans la tête que la vitesse qui est vécue comme une liberté en France est en réalité un permis de tuer.

M. Polacco : En matière de sécurité des transports, votre prédécesseur, Jean-Louis Bianco, avait demandé à Claude Abraham de préparer un rapport sur la création d'un Organisme Rational de la sécurité dans les transports, – comme cela existe aux États-Unis et au Canada –. Il faut reconnaître que cela apporterait peut-être un peu de crédibilité aux enquêtes qui sont faites quand il y a des accidents de trains, des accidents d'avions, des accidents d'autocars et cela permettrait peut-être aussi de suivre les recommandations qui sont faites par les spécialistes et les commissions d'enquête. Pourquoi, depuis 18 mois que ce rapport est sorti, n'a-t-on pas avancé ?

M. Bosson : Premièrement, je n'ai plus en mémoire ce qui se faisait en avant. Toutes les enquêtes qui ont été conclues depuis que je suis au Gouvernement ont toutes été rendues publiques et l'enquêteur a donné, dans les locaux du ministère, librement et seul, une conférence de presse en remettant à la presse l'ensemble des documents, que ce soit dans l'aérien, le maritime et le routier.

Deuxièmement, nous continuons à travailler sur ce système de sécurité dans les transports uniques, indépendants. Il est assez complexe compte tenu de la différence fondamentale qu'il y a entre les types de transports.

Aujourd'hui, les enquêtes qui ont été faites, par exemple, dans l'aérien et dans le cas de l'Airbus du Mont-Saint-Odile, ont donné lieu à toute une série de recommandations qui, vous le savez bien, ont été appliquées. J'ai moi-même rendu compte précisément…

M. Polacco : … Ce n'est pas sûr, on n'a pas d'informations sur le suivi des recommandations après ?

M. Bosson : Nous pouvons le faire quand vous voulez, je l'ai fait moi-même et je le fais régulièrement une fois par an.

M. Polacco : Nous somme dans le cadre de l'ouverture du ciel européen, le 28 octobre, il y a peut-être quelques compagnies privées, comme Air Liberté, AOM, TAT, qui vont essayer de desservir Toulouse, Marseille. Votre position, semble-t-il, est celle du ministre d'Air France ou d'Air Inter, elle n'est pas tout-à-fait celle du ministre des Transports français puisque, manifestement, vous prenez des mesures pour empêcher ces compagnies françaises…

M. Denoyan : … Et un des ministres de la Communauté des Douze.

M. Polacco : … De venir concurrencer des compagnies nationales françaises. Vous êtes dans une situation un peu ambiguë, pouvez-vous nous expliquer cela ?

M. Denoyan : Vous êtes très protectionniste, finalement.

M. Bosson : Pas du tout ambiguë. Ce pays souffre dans le domaine aérien de 50 ans de protectionnisme qui nous ont conduits là où nous sommes. Les gouvernements précédents ont accepté l'ultra-libéralisme le plus total à Bruxelles, le gouvernement précédent a signé l'ouverture totale du ciel à la concurrence la plus sauvage sans même que les salaires minimum soient respectés, vous le savez très bien et cela s'applique.

J'essaie à Bruxelles de mener un combat pour une concurrence maîtrisée, loyale, saine, humaine, sociale et qui permet la sécurité, et en même temps j'essaie d'ouvrir le ciel français. J'ai décidé l'année dernière d'ouvrir Orly-Londres, Orly-Marseille, Orly-Toulouse mais, progressivement, dans une concurrence maîtrisée, j'ai eu des grèves contre ces décisions, on me traitait d'ultra-libéral.

M. Polacco : L'Europe vous dit de le faire le 28 octobre.

M. Bosson : L'Europe me dit de le faire d'une manière trop brutale qui met en danger, vous le savez très bien, les équilibres financiers notamment d'Air Inter, c'est la raison pour laquelle…

M. Polacco : … Mais l'équilibre financier d'Air Liberté ou d'AOM ne vous intéresse pas ?

M. Bosson : Ce qui m'intéresse, c'est d'aller vers une concurrence maîtrisée et d'y aller progressivement. Ce que je reproche, c'est d'avoir signé à Bruxelles l'ultra-libéralisme et d'avoir tenu un discours protectionniste dans nos Compagnies. J'essaie à la fois d'ouvrir ces Compagnies à la concurrence et de leur donner leurs chances, c'est l'intérêt national et l'intérêt de l'aménagement du territoire.

M. Denoyan : Êtes-vous content de monsieur Christian Blanc à la tête d'Air France parce qu'il commence à y avoir, semble-t-il, quelques mouvements d'humeur à l'intérieur du personnel ?

M. Bosson : La tâche est extrêmement difficile. Je suis fier et heureux du choix que j'ai fait, que le Premier ministre a bien voulu accepter et le tandem fait entre Christian Blanc, à la tête d'Air France et du Groupe Air France, et Michel Bernard, à la tête d'Air Inter, est une chance pour ces deux Compagnies. Si, avec leur savoir-faire et leur culture, avec les efforts qui leur sont demandés, ces Compagnies arrivent à suivre le plan, comme je le crois, je vous promets que British Airways et d'autres Compagnies auront du fil à retordre au siècle prochain et que l'aviation française sera très présente dans le ciel.

M. Denoyan : On retourne un peu à la politique, Pierre Le Marc.

M. Le Marc : Parlons un peu des Présidentielles.

L'UDF doit-elle avoir un candidat dans cette élection, comme le disent avec beaucoup de force Valéry Giscard d'Estaing et François Bayrou, par exemple ?

M. Bosson : L'UDF, pour moi, devait être, dans les années qui viennent de s'écouler, une UDF renouveau. Elle devait faire arriver aux candidatures une génération nouvelle. Les dirigeants actuels de l'UDF ont préféré une UDF restauration et le résultat est qu'il n'y a pas de candidat, pour l'instant, souhaité par le peuple français, c'est le problème.

L'UDF doit, en tout cas, être présente dans le combat des idées et des exigences et c'est là qu'elle doit aujourd'hui influer. Je suis contre une candidature de témoignage qui ferait que ce soit les autres qui choisissent le candidat du deuxième tour auquel l'UDF serait obligée de se rallier au soir du premier tour à 20 heures 01, ce serait vraiment le ralliement. Je suis pour que nous pesions, nous choisissions, l'esprit de conquête, c'est de gagner et de faire gagner nos idées.

M. Roland-Levy : monsieur Bosson, pouvez-vous traduire ? J'ai compris à peu près…

M. Denoyan : … Moi aussi.

M. Roland-Levy : Mais c'est un peu codé.

M. Denoyan : Soutien à Balladur.

M. Bosson : Vous trouvez que c'est codé ?

M. Roland-Levy : Oui, c'est codé. Oui est ce candidat qui serait UDF, qui serait de témoignage mais qui n'a pas le soutien des Français, dites-nous un nom, allez-y ?

M. Bosson : Je dis simplement que, aujourd'hui…

M. Roland-Levy : … Non, ne dites pas : "simplement, aujourd'hui…", dites-nous le nom ? C'est Giscard, disons-le.

M. Bosson : Je vous dis que, aujourd'hui, il n'y a pas de candidat souhaité.

M. Roland-Levy : Oui, mais enfin on parle de Giscard. Les journaux en sont pleins, lui-même fait campagne, il est le Président de l'UDF, vous êtes membre de la direction du CDS, donc de l'UDF, voulez-vous soutenir Balladur ou Giscard ? C'est simple comme question.

M. Bosson : Il me semble que j'ai été clair, l'UDF a été conduite de telle manière qu'elle n'a pas permis à une nouvelle génération d'émerger et qu'elle n'a pas aujourd'hui de candidats crédibles à l'élection, autres que de témoignage. Comme je préfère gagner que de témoigner…

M. Le Marc : Il y a Raymond Barre peut-être, non ?

M. Denoyan : Vous allez vous faire des amis, là, ce soir.

M. Bosson : Je dis ce que je pense.

M. Denoyan : C'est bien !

M. Bosson : Je pense qu'il n'y a pas de candidats qui puissent faire autre chose que témoigner. Il y a des moments où c'est l'honneur de témoigner mais il y a des moments où être conduit au soir du premier tour, à laisser les autres choisir celui qu'on soutiendra au second n'est pas ma tasse de thé.

M. Denoyan : C'est-à-dire que vous ne voulez pas qu'on choisisse, au soir du premier tour, monsieur Jacques Chirac, c'est cela ?

M. Bosson : Je veux participer au choix et qu'il ne me soit pas imposé à 20 heures 01 sans que je n'ai rien…

M. Denoyan : … C'est dur pour vous faire dire les choses, monsieur Bosson.

M. Roland-Levy : Donc vous voulez vous y prendre dès maintenant et vous avez déjà votre candidat. Vous voulez nous en parler un peu.

M. Bosson : 1. Ce n'est pas l'heure d'en parler ; 2. Tout le monde connaît mes positions ; 3. Nous devons avoir des exigences quant à la conduite du pays sur un certain nombre de points et négocier le candidat le mieux placé.

M. Roland-Levy : Vous voulez négocier le programme de Balladur ?

M. Bosson : Nous voulons peser et donc c'est la période où nous devons peser avant qu'en janvier, lorsque les candidats se révèleront, nous puissions clairement prendre position. Ce que je dis est clair et simple.

M. Roland-Levy : Quand vous voyez s'insinuer un peu le débat, on peut dire le duel, entre Jacques Chirac et Édouard Balladur, vous n'allez pas pouvoir tenir très longtemps ce langage un peu hermétique, extrêmement prudent sur la campagne présidentielle, il va bien falloir que vous vous engagiez. Vous-même, vous êtes Secrétaire général du CDS et vous allez avoir un Congrès dans peu de temps, dans quelques semaines, il va bien falloir que vous preniez vos responsabilités ?

M. Bosson : 1. Mon langage me semble clair…

M. Denoyan : Il est très prudent tout de même.

M. Bosson : Il n'est pas très prudent. Je dis, – cela ne me paraît pas très prudent –, qu'il n'y a pas aujourd'hui…

M. Denoyan : … On a compris qu'il n'y avait pas de candidats à l'UDF capables de s'aligner…

M. Bosson : … Aujourd'hui et en raison d'erreurs dans la direction.

Deuxièmement, je considère que nous avons un choix sur lequel nous devons peser et donc nous devons peser sur des directions très précises auxquelles nous croyons.

M. Le Marc : Vous pensez que les centristes ont vraiment les moyens de peser sur la campagne d'Édouard Balladur ?

M. Bosson : L'UDF a les moyens de peser et les centristes aussi. Je rappelle que si nous voulons gagner les Présidentielles, les voix placées au centre sont sans doute les plus indispensables…

M. Le Marc : … Balladur les a déjà.

M. Bosson : … Sur un certain nombre d'exigences et non pas comme ça acquises par avance.

M. Denoyan : Quelles sont ces exigences, par exemple, monsieur Bosson ? Quels sont les points qui pourraient un peu éclairer l'opinion sur lesquels vous serez très intransigeant, très ferme sur le candidat que vous serez amené à soutenir dont on voit bien qu'il est déjà un peu à la tête du Gouvernement ?

M. Bosson : Ce sont les avancées sur l'Europe qui, pour nous, sont une nécessité absolue, dans une vision communautaire de l'Europe…

M. Denoyan : … Dans les candidats qui sont déjà plus ou moins en piste, il vous paraît le plus proche de vos idées, plus européen ?

M. Le Marc : L'Europe du noyau dur, ça vous plaît ?

M. Bosson : Oui, parce que l'Europe chewing-gum, ultra-libérale, britannique ou menée par la puissance allemande ne me paraît pas une solution et qu'il faudra bien qu'il y ait un noyau dur qui mène l'Europe.

Deuxièmement, nos exigences en matière sociale et en matière de changement des références de notre Société, j'aimerais bien qu'on puisse en parler parce que cela me paraît fondamental.

M. Denoyan : Oui, parlez-en parce que cela a l'air d'être plutôt monsieur Chirac qui se mobilise sur cette question du social plutôt que monsieur Balladur…

M. Bosson : … Ce n'est pas uniquement le social. Je crois que ce que nous vivons comme une terrible crise et que certains de nos concitoyens vivent sans emploi est aussi une libération. Nous ne sommes plus dans le monde capitaliste de l'argent et de la machine et l'homme est devenu la différence. Nous ne pouvons plus avoir de hiérarchie, nous ne pouvons plus avoir de tâches répétitives, nous devons avoir des équipes où la valeur de l'homme, sa valorisation, sa motivation devient l'essentiel. Nous devons plus avoir des bas salaires répétitifs mais des hauts salaires compétitifs et nous devons avoir une Société moderne …

M. Denoyan : … Vous trouverez très peu de personnes contre ces idées-là. Maintenant, il s'agit de savoir comment on met cela en application ?

M. Bosson : Oui, je prends un exemple précis, il n'y a personne contre ces idées-là. Combien avez-vous d'élus qui donnent les primes à l'âge et à l'ancienneté et non pas à la motivation et à l'évaluation, par exemple ? Voilà une question concrète. Il y a des gens qui ne sont pas contre ces idées-là mais combien les applique, d'une manière moderne, non pas de noter son personnel ou ses employés mais de le valoriser, de le servir, de l'évaluer, de permettre un dialogue d'homme à homme, entre son chef et l'homme, où chacun s'explique : "Je travaille mieux, moins bien et, toi, tu me diriges bien ou pas" ?

Nous devons aller vers une Société moderne où les entreprises seront beaucoup plus là pour créer la richesse ou pour créer l'emploi et où nous devons respecter d'autres emplois que les emplois productifs. Retrouver des activités familiales, des activités associatives et leur redonner un statut.

Je prends un exemple très précis : aujourd'hui, une mère de famille qui élève ses enfants n'a droit à rien mais si on élève les enfants du voisin, on a le droit d'être payé, on a le droit d'être payé que si on élève les enfants des autres. Il y a tout de même des choses qui ne vont pas et des blocages mentaux dans notre société…

M. Denoyan : … On aura sans doute l'occasion de revenir sur le programme présidentielle que vous soutiendrez, monsieur Bosson. Encore peut-être quelques petites questions.

M. Aphatie : J'ai une question personnelle mais assez précise : vous avez trois départements ministériels : Transports, Tourisme et Équipement, vous êtes maire d'Annecy, secrétaire-général du CDS…

M. Denoyan : … Bien occupé, monsieur Bosson.

M. Aphatie : Quelle est la fonction qui souffre le plus de cette charge de travail extraordinaire, à votre avis ?

M. Bosson : Je ne sais pas quelle est la fonction qui souffre le plus, ce que je sais…

M. Aphatie : … Il y en a une ?

M. Bosson : Ce que je sais, c'est que dans ma vie quand j'ai besoin de quelqu'un d'efficace, je prends quelqu'un de surchargé, quelqu'un qui n'a pas grand-chose à faire est en général incapable d'avancer vite.

Deuxièmement, ce que je sais, c'est qu'après avoir eu, – c'est mon troisième poste ministériel –, une certaine expérience ministérielle, je crois que, au niveau de ma ville, je la vois différemment, je travaille différemment, je travaille beaucoup plus en équipe et avec, je crois, une vision de l'intérêt global de la ville plus grand qu'avant. Je crois que les fonctions ministérielles sont, pour un élu, une chance.

M. Le Marc : Pierre Méhaignerie part en décembre, lors du Congrès du CDS, vous le poussez un peu vers la porte d'ailleurs. Un CDS dirigé par Bernard Bosson et un CDS dirigé par François Bayrou, quelle est la différence ?

M. Bosson : C'est difficile de le dire par rapport à François Bayrou, mais vous me parlez du mien : mon Parti, depuis toujours, c'est le CDS, ce n'est pas un autre. Ce Parti a des valeurs auxquelles je crois…

M. Le Marc : … Vous voulez dire que ce n'est pas le cas de monsieur Bayrou ?

M. Bosson : Ce Parti a des valeurs auxquelles je crois, qui me semble plus moderne que jamais, qui est vraiment le personnalisme communautaire, la valeur de l'homme pris en relation dans sa communauté, une vision de l'Europe communautaire et je crois vraiment que ce Parti peut apporter quelque chose. J'ai l'ambition d'en faire un Parti moderne, ouvert, vivant…

M. Denoyan : … C'était la différence…

M. Le Marc : … La différence, c'est que vous êtes un CDS et que François Bayrou n'en est pas un tout-à-fait, c'est ce que vous avez voulu dire ?

M. Bosson : Je n'ai pas dit cela. Je vous ai dit quel était mon projet, c'est un débat interne et serein, il y a un choix, ce n'est pas la même vision du CDS, ce n'est pas la même stratégie.

M. Denoyan : monsieur Bosson, merci.

Mercredi prochain, nous aurons comme invité, monsieur Emmanuelli.

 

mercredi 28 septembre 1994
service presse du Premier ministre

Allocution prononcée par le Premier ministre à l'occasion de l'inauguration du centre d'information scientifique de l'Institut Pasteur, le mercredi 28 septembre 1994

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur Général,
Madame le ministre,
Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,

Une bibliothèque moderne, un centre de conférences et un réseau informatique enfin dignes de sa haute réputation, voilà ce qu'il fallait à l'Institut Pasteur pour entrer avec plus d'atouts encore dans le siècle prochain.

Ce legs de la Duchesse de Windsor permet un progrès réel pour l'ensemble de la communauté scientifique française. Je tiens à féliciter monsieur Marcel Boiteux d'avoir été à l'origine d'une telle décision qui permettra à l'Institut Pasteur d'élever encore le niveau de ses performances scientifiques et techniques. Le projet était ambitieux. Il a été mis en œuvre avec une célérité exemplaire. Il fallait que l'Institut Pasteur pût continuer à rivaliser, dans les meilleures conditions, avec les grands centres internationaux de recherche en biologie.

L'inauguration de ce Centre d'Information Scientifique est le signe d'une prise de conscience d'autant plus louable qu'elle était nécessaire. Je souhaite qu'elle incite l'ensemble des chercheurs français à suivre la voie que vous avez ouverte. Que tous ceux qui ont participé à cette réussite soient ici remerciés, au nom du Gouvernement et du pays tout entier !

La maladie et la souffrance, tel est votre ultime champ d'action. Universel et malheureusement connu de tous les hommes, il ne sera jamais parfaitement maitrisé. Face à cette œuvre immense, la science qui "n'a pas de patrie", comme le rappelait Louis Pasteur lors de l'inauguration de votre Institut, est toujours perfectible. Comme les maux qu'elle combat, elle ne connait de limites que celles qui conditionnent son efficacité et, bien sûr, l'éthique. C'est la meilleure part de l'homme, la plus active, la plus déterminée, qui doit l'emporter sur les vicissitudes de sa condition.

La qualité de la recherche médicale française, et des travaux de l'Institut Pasteur en particulier, est reconnue bien au-delà de nos frontières, grâce à des hommes comme Pasteur. Le fondateur de la microbiologie bouleversa la médecine et la chirurgie de son temps. La réfutation définitive qu'il apporta à la théorie de la génération spontanée, la mise au point de la méthode dite de "pasteurisation", ses recherches sur les maladies infectieuses et contagieuses, ses fameux vaccins ont, selon le mot que vous avez rappelé, monsieur le Directeur général, enrichi le "patrimoine de l'humanité".

C'est une grande source de fierté pour notre pays que d'avoir ainsi contribué au progrès des sciences de la vie. Au nom même de ce passé, nous avons le devoir de poursuivre la tâche, dans un élan toujours renouvelé. C'est la mission quotidienne de l'Institut Pasteur.

La complexité croissante du monde qu'explore la recherche scientifique, des outils dont elle a besoin, exige une modernisation constante des équipements. Le progrès scientifique n'est pas seulement une affaire de génie personnel. Il ne vient pas seulement, comme on l'a trop longtemps cru en France, des découvertes extraordinaires de savants retirés dans la solitude de leurs laboratoires. La science avance aussi, et de plus en plus, grâce au dialogue avec la communauté scientifique internationale.

L'acquisition, la circulation et le traitement de l'information sont inhérents au développement de toutes les disciplines modernes. L'Institut Pasteur doit rester, pour le monde entier, un centre de référence documentaire. Il n'y a pas de science vivante sans une maîtrise et une gestion efficace de l'information. C'est devenu un enjeu stratégique majeur de toute politique scientifique moderne.

Cela est plus vrai que jamais en matière de biologie moléculaire. L'analyse de séquences et la modélisation moléculaire sont des domaines qu'on ne saurait concevoir sans les méthodes et la puissance de calcul qu'offre l'informatique.

L'élément essentiel d'une informatique moderne dans un grand établissement scientifique est la maîtrise des réseaux. Les équipes qui ne la possèdent pas sont condamnées à la marginalisation dans le monde scientifique d'aujourd'hui. Depuis janvier 1993, vous êtes connectés au Réseau national de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, dispositif qui permet aux chercheurs d'accéder au réseau international de la recherche Internet. La reconnaissance mondiale de votre enseignement et de vos travaux n'en dépend pas seulement. C'est aussi le moyen pour vos découvertes de déboucher plus vite sur des applications concrètes, tant attendues, des malades notamment, qui espèrent en vos compétences. Je pense plus particulièrement aux malades du SIDA et à la lutte que vous menez pour combattre son virus, ainsi que celui de l'hépatite B et les grandes maladies parasitaires. Je profite de cette occasion pour rendre hommage à la détermination avec laquelle Madame Simone Veil, ministre d'État, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, mène une politique ambitieuse en faveur de la santé publique, et soutient pleinement votre action. Le gouvernement dans son ensemble a décidé un effort important en faveur de la recherche expérimentale et clinique, l'objectif prioritaire étant la mise au point d'un vaccin. J'ai déjà eu, en décembre dernier, l'occasion de vous le dire.

De façon plus générale, nous nous sommes attachés à définir et à mettre en œuvre une politique favorisant tout à la fois l'accroissement des connaissances et le développement de leurs applications. Le patrimoine scientifique et technique français, sous toutes ses formes, doit être conservé et enrichi, et ses Intérêts culturels, économiques et stratégiques, protégés. Or nous devons veiller à ce que l'effort consenti par la Nation ne profite pas indûment à d'autres.

Cela implique que nous veillions au bon équilibre de la coopération Internationale qui est nécessaire à la recherche française.

Le Gouvernement travaille à cet objectif. La récente consultation nationale sur les priorités de la recherche française, qu'a organisée M. Fillon, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, a ouvert quelques voies et dégagé un certain nombre d'objectifs. Il faut que les différents organismes de la recherche publique et les entreprises se concertent et collaborent davantage ; plus précisément les recherches effectuées dans les entreprises ont besoin d'être développées et encouragées. Fondé sur une recherche fondamentale solide, ce dialogue profitera à tous les acteurs de la vie économique. Le programme Bio-Avenir est un exemple, parmi d'autres, de ce qui peut être fait.

Il importe également d'approfondir la dimension internationale de la recherche. C'est par là, en effet, que le concept de "subsidiarité" en matière de recherche au sein de l'Europe trouvera un sens véritable. La forte compétition économique qui règne entre les grands pays industrialisés, ne nous permet plus d'agir seul. La recherche française ne peut disperser ses efforts et doit au contraire se concentrer dans les domaines où elle excelle. Là encore, dans le respect de nos compétences et de nos intérêts, les chercheurs français doivent savoir tirer parti de l'espace européen. De même, nous avons aussi pour tâche de maintenir dans les pays de l'Est des équipes de qualité, et de favoriser ainsi leur accès au progrès, ce qui est sans doute la meilleure façon de contribuer à l'affermissement de démocraties naissantes.

Les objectifs et plus généralement, la réflexion du Gouvernement seront enrichis, et régulièrement mis à jour, par les conseils et les avis du nouveau Haut Comité pour l'Information Scientifique et Technique qui doit entamer bientôt ses travaux. Sa mission est de travailler au renforcement des positions françaises, notamment en ce qui concerne l'élaboration, la diffusion et l'exploitation de l'information électronique.

Je suis heureux de voir qu'à la veille de la célébration de son centenaire, l'Institut Pasteur se dote des moyens d'accroître encore ses résultats et, par-delà, le rayonnement de notre pays dans le monde. Le potentiel de recherche dont dispose la France est en effet le gage de sa vitalité.


Allocution prononcée par le Premier ministre au lycée Fernand Holweck, le mercredi 28 septembre 1994

Monsieur le Proviseur, Messieurs les Parlementaires, Mesdames, Messieurs,

J'aime me retrouver au lycée Fernand Holweck. Il y a près d'un an, le 12 novembre dernier, nous avions célébré ensemble les mérites de monsieur Gérard Maria, et j'avais eu plaisir â lui exprimer toute notre reconnaissance pour le travail remarquable qu'il accomplit, tous les jours, avec l'aide du corps enseignant et l'ensemble du personnel de cet établissement.

Aujourd'hui, grâce à la ville de Paris, dont je salue les élus ici présents, le lycée Fernand Holweck s'étend. Aux sites de la rue Falguière et de la rue de Vaugirard, que je connais bien, s'ajoute désormais ce nouveau bâtiment, doté, comme j'ai pu le voir, de salles fonctionnelles et d'installations très modernes, telles qu'en réclame la haute technicité de votre formation.

Je suis heureux de constater que ce lycée d'enseignement industriel, spécialisé dans l'électronique, dispose maintenant des moyens nécessaires à la réalisation de la mission qu'il s'est fixé.

L'enseignement technique et professionnel est encore trop méconnu. C'est pourtant une filière où les aspirations et les aptitudes d'un grand nombre de jeunes Français doivent pouvoir s'exprimer. Il importe que notre enseignement offre un large choix de formations variées. Dans le "nouveau contrat pour l'École" qu'a préparé le ministre de l'Éducation nationale, le souci de la diversité n'est pas synonyme d'une moindre qualité. Les formations technologiques et professionnelles, plus nécessaires que jamais en période de mutations économiques et sociales importantes, sont, également, des voies de succès et d'accomplissement personnel. La présence, parmi nous aujourd'hui, de représentants du monde des entreprises en témoigne. Ils ont éprouvé la qualité des élèves que cet établissement a préparés et aidés à entrer dans la vie professionnelle.

Des liens existent entre l'Éducation nationale et le monde du travail. Il faut les resserrer davantage. C'est un élément important de la lutte que nous menons pour, I' emploi. Les premiers résultats du questionnaire national des jeunes soulignent tine fois de plus le fait que le chômage est une de vos préoccupations premières. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de tout mettre en œuvre pour que vous receviez une formation de qualité et trouviez un emploi.

Le "Nouveau Contrat pour l'École" va dans ce sens. Vous comprenez bien que c'est, pour le chef, du Gouvernement, un réel souci que d'offrir à la jeunesse les moyens de leur réussite. J'entends, par là, de leur offrir la possibilité de mettre leurs talents en valeur dans la voie qui correspond le mieux à leurs aptitudes.

Je sais que ce n'est pas également facile peur tous, qu'un très grand nombre de jeunes rencontrent des obstacles. Je sais que, dans nos villes et dans nos banlieues en particulier, des problèmes aigus se posent en matière d'emploi et de logement, mais aussi de sécurité. Or tous les élèves ont également droit à un environnent qui leur offre les plus grandes chances de réussite.

Grâce à l'énergie inlassable dont monsieur le Proviseur, et son équipe enseignante ont fait preuve, grâce aux compétences et aux dévouements de tous ceux qui ont conçu et réalisé ces équipements, le lycée Holweck sera davantage en mesure de répondre aux attentes et aux besoins des élèves, comme à sa vocation d'établissement d'enseignement professionnel. Les filières techniques et spécialisées doivent faire l'objet d'un choix intéressé, noble et volontaire : celui d'apprendre un métier. En inaugurant ces salles, permettez-moi d'avoir confiance en la réussite qui vous attend, au terme du chemin, qu'est pour chaque adolescent l'histoire de sa formation et de son intégration dans le monde des adultes !

 

30 septembre 1994
Service presse du Premier ministre

Monsieur le Député-Maire,
Cher Jean Falala,
Monsieur le Président du Conseil Régional,
Monsieur le Président du Conseil Général,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,

Reims a une histoire prestigieuse, depuis le baptême de Clovis dans sa cathédrale – dont la France célébrera dans moins de 2 ans le 1 500ème anniversaire – jusqu'à la rencontre du général de Gaule et du Chancelier Adenauer qui scella la réconciliation franco-allemande. Mais Reims a entrepris sous vos deux mandats successifs, monsieur le maire, de se tourner résolument vers l'avenir.

Elle a l'ambition aussi de conforter sa position de métropole régionale à vocation européenne.

Elle s'en donne les moyens.

Aujourd'hui c'est le centre des congrès qui symbolise cette confiance que vous avez, à juste titre, dans l'avenir et dans le rayonnement de votre cité.

Merci, monsieur le maire, de me donner le privilège de l'inaugurer.

Qu'il me soit d'abord permis de féliciter tous ceux qui ont participé à la mise en œuvre de ce projet, et d'abord son architecte, M. Claude Vasconi, les agents de vos services municipaux, et l'équipe du centre, autour de son directeur, M. Crochet.

Je me réjouis de voir que le Conseil régional a soutenu cette initiative, dont les bienfaits se feront sentir au-delà de la ville, dans la région toute entière.

Avec cet outil de communication, à sa mesure, Reims dispose désormais d'un atout supplémentaire dans la compétition économique nationale et internationale. Que le calendrier du centre du Congrès soit déjà aussi chargé [mot illisible] bien du succès qui sera sans aucun doute le sien.

Au cœur de la Champagne Ardenne, Reims jouit d'une situation géographique privilégiée. Les entreprises qui se sont installées dans la ville ont vu quel intérêt tirer d'une implantation que le développement actuel des équipements et des transports rend plus favorable encore. Le trafic de l'aéroport Reims-Prenay a doublé en quelques années. L'aérogare de l'aéroport de Reims sera bientôt agrandie.

L'État prend sa part à cet effort d'équipement.

La mise à deux fois de deux voies de la route nationale 51 vers Charleville-Mézières, inscrite au contrat de Plan État-région, améliorera les liaisons avec les Ardennes et le Nord-Ouest de l'Allemagne. Le futur TGV-EST placera Reims à moins de 45 minutes de Paris, et au carrefour d'un des grands axes européens majeur de circulation.

Lors du Comité interministériel d'aménagement du territoire de Troyes du 20 septembre dernier, j'ai annoncé l'installation de nouveaux services de l'État à Reims : les archives contemporaines du ministère de la culture, ainsi que le magasin central et l'atelier des transmissions du ministère de l'Intérieur.

Ces réalisations, ces transferts d'activités renforceront l'attraction exercée par Reims. La ville doit en effet contribuer à un développement du bassin parisien qui soit géographiquement plus harmonieux.

Mais son avenir économique dépend aussi de la mise en valeur de ses propres ressources. Dans le domaine de l'agriculture cette mise en valeur s'appuie sur un dialogue interprofessionnel constant et sur une longue tradition dont les grandes maisons de Champagne sont le meilleur et le plus illustre exemple. Vous avez fait de l'exploitation industrielle des ressources agricoles de la région une des priorités, avec "Europol Agro" autour duquel se sont fédérés les acteurs politiques, économiques, scientifiques et universitaires régionaux, avec la construction prochaine du Centre de recherche agronomique et de la Maison de la craie sur le pôle technologique Henri Farman.

L'État soutient ces projets, et bien d'autres projets sont prévus encore, qui témoigneront du dynamisme de votre cité.

Ils sont l'un des moyens d'asseoir sur des bases solides l'amélioration progressive de la situation de l'emploi dont le Gouvernement a fait la priorité de toute son action.

L'œuvre que nous avons entreprise il y a dix-huit mois commence à donner, ici comme ailleurs, ses premiers résultats.

Sachez, monsieur le maire, que le Gouvernement souhaite que les constructions de logements sociaux que vous envisagez se fassent vite et sans difficulté. Mais si d'aventure elles apparaissaient compromises, faute de crédits suffisants, je vous prierai de bien vouloir m'en faire part sans tarder.

Je veillerai alors à ce que vous puissiez disposer des crédits nécessaires.

Je suis personnellement très attaché à ce que toute politique locale menée en faveur de la qualité de vie des Français, en faveur d'une plus grande justice sociale, soit soutenue et connaisse le succès qu'elle mérite.

Monsieur le maire, avec vous, Reims s'est donné les moyens de prendre en mains son destin.

Mes propos se sont limités à votre action en faveur de son développement économique et social, mais j'aurai aimé souligner aussi celle que vous menez en faveur de la diffusion du savoir, puisque vous consacrez le quart de votre budget à l'éducation, sans parler de votre action en faveur de ta culture.

J'ajouterai enfin que votre politique apporte la parfaite démonstration qu'un effort public intense en faveur de la modernisation économique et des solidarités sociales peut s'accompagner d'une gestion rigoureuse. Votre ville est l'une des moins endettées en même temps que l'une de celles qui ont connu la plus faible évolution de la pression fiscale.

Monsieur le maire, en acceptant votre invitation c'est à cet exemple que je voulais aujourd'hui rendre hommage.

Monsieur le maire, mesdames messieurs, le pays a devant tu; de longues années de réformes et d'efforts, pour retrouver le progrès, progrès économique, progrès social, progrès national.

Depuis bientôt deux ans il s'est engagé dans cette voie.

Pour poursuivre il nous faut faire preuve d'imagination, de courage et d'union.

Avançons ensemble avec détermination et confiance. C'est aussi ce message que je suis venu vous adresser.

 

30 septembre 1994
Service presse du Premier ministre

Allocution de monsieur le Premier ministre au 50ème anniversaire de la CGC, le 30 septembre 1994

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux d'être des vôtres, aujourd'hui, pour célébrer avec vous le cinquantième anniversaire de la Confédération Générale des Cadres.

Ma présence parmi vous traduit l'attention que, depuis un demi-siècle, les pouvoirs publics portent à la situation et au rôle des cadres, dont vous défendez la cause. Élément central du paysage syndical de notre pays depuis la Libération, la CGC a toujours su faire entendre sa voix, avec les qualités qui sont propres à l'encadrement : réalisme, pragmatisme, sens des responsabilités. De fortes personnalités se sont illustrées à la tête de votre confédération. Je tiens ici à saluer l'action qui a été la leur, au service des cadres et de l'intérêt général.

Ma présence parmi vous témoigne aussi de mon attachement au rôle des partenaires sociaux, dont la reconnaissance pleine et entière est une condition essentielle au fonctionnement de notre démocratie.

La Confédération Générale des Cadres est l'une des organisations où, depuis cinquante ans, s'élabore la réflexion sur l'évolution de notre société. Aussi est-il naturel que vous entendiez contribuer, comme par le passé, à l'approfondissement du dialogue social et au dynamisme de notre pays.

À l'heure où la croissance économique est de retour, les cadres, comme beaucoup de Français, s'interrogent sur leur place dans notre société. Du fait des responsabilités qu'ils exercent, de leur niveau de formation, ils ont un rôle éminent à jouer dans l'évolution de notre société. La Confédération Générale des Cadres est bien placée pour exprimer ces réflexions, pour favoriser l'émergence de solutions consensuelles, aussi bien dans les débats qui animent la vie publique qu'au sein des institutions où elle est représentée.

C'est pourquoi je souhaite vous faire part des commentaires que m'inspire l'amélioration de la situation de notre économie. Je voudrais également saisir cette occasion pour préciser le rôle que, à mes yeux, les partenaires sociaux peuvent jouer dans cette phase décisive de l'histoire de notre pays.

La situation de la France commence à être meilleure.

Vous me permettrez de rappeler qu'elle était cette situation en 1993. Elle était la pire que nous ayons connue depuis la dernière guerre, Le déficit du budget de l'État était supérieur à 340 milliards de francs. Les déficits sociaux étaient d'une ampleur telle qu'une menace grave et immédiate pesait sur notre système de protection sociale. Le paiement des retraites n'était plus garanti. L'assurance-chômage n'était plus financée. Les dépenses d'assurance-maladie échappaient à tout contrôle. Le chômage s'aggravait à un rythme sans précédent, frappant des catégories sociales jusqu'alors épargnées, en particulier les cadres. Enfin, la position de notre pays dans le monde était mal assurée et ses intérêts mal défendus dans les négociations commerciales.

Le Gouvernement n'a ménagé aucun effort pour mettre en œuvre la politique de réforme que, face à de tels périls, nos compatriotes appelaient clairement de leurs vœux.

Il s'agissait d'abord de relancer l'économie en mettant un terme à la dérive des finances publiques, en consolidant la monnaie et en jetant les bases d'une politique d'aménagement du territoire digne de ce nom.

Il s'agissait aussi de sauver notre système de protection sociale, auquel tous les Français sont à juste titre attachés et qui constitue l'un des fondements essentiels de notre société.

Toutes les réformes rendues nécessaires par la poursuite de ces objectifs ont été engagées et, pour la plupart, menées à bien.

Dans le domaine économique, personne ne conteste aujourd'hui que la récession est derrière nous et que la France est entrée dans une période de croissance vigoureuse, saine et durable.

Dans le domaine de l'emploi, 120 000 postes de travail ont été créés depuis le mois de janvier. C'est la première fois depuis quatre ans que notre pays est redevenu créateur net d'emplois. Dans le même temps, le chômage a commencé à reculer. Et même si nous ne sommes pas à l'abri de déconvenues passagères, la tendance qui s'amorce est nettement dessinée. Elle est positive. L'emploi se redresse, en particulier celui des jeunes.

En matière sociale, des décisions difficiles ont été prises, avec le concours actif des partenaires sociaux et grâce à l'adhésion de nos compatriotes et des professionnels concernés. Notre système de protection sociale, dans son ensemble, a été sauvé de la banqueroute et il s'est engagé sur la voie des réformes.

Le résultat est que notre pays a aujourd'hui franchi une étape importante vers son redressement.

Ce résultat a été atteint grâce à l'adhésion du plus grand nombre possible de nos compatriotes, conscients que l'action de réforme engagée par le Gouvernement s'inscrit dans la durée et vise à entrainer le pays tout entier vers la construction d'un nouvel exemple français.

Votre confédération, monsieur le Président, mesdames, messieurs, le sait mieux que quiconque, elle qui a fait corps avec la reconstruction puis l'expansion de notre pays depuis la Libération : nous devons inventer aujourd'hui une autre société, qui ne soit ni la répétition de la société des "trente glorieuses" ni la continuation de la société de plus en plus dure et de moins en moins fraternelle dans laquelle nous vivons depuis une vingtaine d'années.

Comment concilier nos valeurs sociales, issues de l'idéal républicain de justice et de fraternité, avec la concurrence chaque jour plus vive du reste du monde ? Telle est la question à laquelle notre pays doit apporter une réponse conforme à ses traditions et à son rang.

Cette réponse passe d'abord par la reconstruction d'une économie forte, dynamique et créatrice d'emplois. Je récuse le débat qui, de temps à autre, ici ou là, s'instaure entre la priorité économique et la priorité sociale. L'histoire de la Vème République montre à l'évidence qu'il n'y a pas de progrès économique durable s'il ne profite pas à tous et qu'il n'y a pas de progrès social qui ne repose sur une économie forte.

C'est pourquoi le redressement économique restera, jusqu'au terme de son action, la priorité du Gouvernement que j'ai l'honneur de conduire.

De même qu'entre 1987 et 1989, le retour de la croissance avait permis la création de plus de 900 000 emplois, de même, tout doit être fait aujourd'hui pour que la croissance avec laquelle notre pays est en train de renouer permette d'obtenir une diminution forte et durable du nombre des chômeurs.

Les mesures prises l'an passé, qu'il s'agisse des mesures d'urgence arrêtées dès l'été 1993 ou de la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, commencent à porter leurs fruits. Celles contenues dans le projet de loi de finances pour 1995 visent le même objectif. Je pense en particulier à la poursuite du processus d'allègement des cotisations familiales, au mécanisme fiscal d'aide aux emplois familiaux et à l'aide à l'embauche des allocataires du RMI privés d'emploi depuis plus de deux ans.

Naturellement, le retour de la croissance ne suffira pas à résoudre tous les problèmes dont la crise a accentué l'ampleur, en particulier l'exclusion, qui menace l'équilibre de la société française. C'est pourquoi le Gouvernement prépare, en complément aux mesures pour l'emploi que je viens d'évoquer, un ensemble de dispositions qui seront rendues publiques dans les prochains jours et qui apporteront, je l'espère, des réponses concrètes aux situations de détresse que connaissent un trop grand nombre de nos concitoyens.

Il n'en reste pas moins que le développement de l'emploi doit être la priorité de l'action publique. La dignité du travail est le ressort de toute société organisée, de tout homme responsable de lui-même.

C'est la raison pour laquelle j'ai proposé que notre pays se fixe collectivement pour objectif de réduire d'un million le nombre des chômeurs. Cette ambition est nécessaire. Elle est à la mesure de l'enjeu. Nous ne devons pas nous résigner. Je forme le vœu que les partenaires sociaux apportent leur concours à cette entreprise, pour la part qui leur revient et sans qu'il soit évidemment question dans mon esprit de porter la moindre atteinte à leur indépendance.

Je suis personnellement attaché, vous le savez, au rôle des partenaires sociaux dans le fonctionnement de notre société. J'y suis même tellement attaché que, parfois, cela m'est reproché. Ma conviction est cependant que le nouvel exemple français que j'appelle de mes vœux ne verra le jour ni contre ni sans les organisations représentatives des salariés et des employeurs.

Ai-je pour autant l'ambition de lier ces organisations par je ne sais quel "pacte social" inspiré de ce qui se fait à l'étranger ? Assurément non. L'exercice serait dénué de toute portée pratique et vous refuseriez, non sans raison, de vous y plier.

En revanche, je crois utile pour tous qu'à intervalles réguliers, les organisations syndicales et patronales soient amenées à s'exprimer sur l'efficacité des mesures prises par le Gouvernement dans la lutte pour l'emploi.

Les confédérations syndicales ont apporté la preuve, dans la gestion des organismes de protection sociale, du sens des responsabilités qui les anime, Je discerne mal pour quelles raisons elles ne pourraient pas faire part, dans les instances appropriées, des remarques qu'elles ont à formuler dans le domaine de l'emploi, qui commande tout le reste.

Depuis dix-huit mois, le Gouvernement s'est efforcé, plus qu'aucun de ses prédécesseurs, d'associer les partenaires sociaux à la marche des affaires publiques. Votre confédération a toujours apporté une contribution de qualité aux réflexions et aux travaux engagés à chacune de ces occasions. Vous avez pris vos responsabilités lorsqu'il s'est agi de réformer le régime général d'assurance-vieillesse, de remettre sur pied l'assurance-chômage, de sauver l'assurance-maladie ou les retraites complémentaires. J'estime donc que le Gouvernement ne fait pas fausse route en souhaitant renouer l'ensemble des fils du dialogue social.

Le temps des décisions venues d'en haut, imposées sans concertation ni débat est révolu. Il n'est à mes yeux qu'une seule méthode efficace de gouvernement, celle qui consiste à écouter et à dialoguer avant de décider. C'est la seule qui soit de nature à permettre à notre pays de faire face aux problèmes qui l'assaillent, en l'entraînant tout entier, au-delà des clivages traditionnels et dans le respect des convictions de chacun.

Naturellement, cela suppose que les pouvoirs publics disposent d'interlocuteurs solides et responsables, aptes à exercer la plénitude de leurs attributions. C'est la raison pour laquelle, conformément aux souhaits que vous aviez exprimés le 10 février dernier, j'ai demandé à monsieur le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle de mettre en place dans les meilleurs délais un groupe de travail chargé de formuler des propositions en ce sens. Je souhaite que cette instance examine plus particulièrement les questions que pose la mise en place de passerelles entre la vie professionnelle et la vie syndicale. J'attends également des propositions sur le rôle de conseil que les organisations syndicales peuvent jouer auprès des salariés.

Soucieux de redonner toute sa place au dialogue social, le Gouvernement s'attachera, j'en prends l'engagement devant vous, à ce que ces propositions se traduisent rapidement dans les faits.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, c'est un message d'espoir pour l'avenir que je voudrais vous adresser aujourd'hui.

La proportion des cadres dans la population active s'est fortement accrue, au cours des cinquante dernières années. C'est l'une des modifications les plus importantes de notre société. Ce mouvement se poursuivra.

Seule l'acquisition d'une qualification permet l'accès à un emploi durable et c'est le sens des efforts déployés par le Gouvernement en faveur de la formation professionnelle.

Vos responsabilités sont à la mesuré du rôle qui est le vôtre dans le dynamisme de l'économie et la cohésion sociale de notre pays.

Je souhaite que votre confédération trouve dans la célébration de son cinquantenaire des raisons supplémentaires d'apporter son concours au redressement national.