Texte intégral
J.-J. Bourdin : Si vous êtes réélu l'année prochaine, vous effectuerez la totalité de votre mandat ?
P. Mauroy : Bien sûr, bien entendu, parole de Lillois.
J.-J. Bourdin : Est-ce que M. Aubry fera partie de votre équipe ?
P. Mauroy : Je n'en sais rien. M. Aubry a travaillé avec moi lorsque j'étais Premier ministre, elle a contribué à faire des lois sociales, en particulier lorsqu'elle était avec J. Auroux. Elle mène un combat en solitaire, d'ailleurs elle le mène très bien. Mais je crois qu'en politique, il faut être en équipe, alors pourquoi pas être en équipe. Rien n'est décidé, on verra un peu plus tard.
J.-J. Bourdin : Elle pourrait aussi se présenter à Roubaix ?
P. Mauroy : Elle pourrait se présenter à Roubaix ou ailleurs dans le Nord. En tous les cas, le Nord, j'en suis persuadé, serait tout à fait heureux de l'accueillir si elle le désirait.
J.-J. Bourdin : Dans l'un des passages de votre livre, vous parlez des sondages et vous dites qu'actuellement, dans notre vie politique, il y a beaucoup trop de sondages.
P. Mauroy : Oui, je crois. Je ne parle pas spécialement des sondages qui se font sur le plan politique lorsqu'il y a une élection. Sur le plan municipal, il a quelquefois des sondages. On exagère un petit peu. Le sondage pourrait être excellent pour l'action municipale, pour savoir ce que la population souhaite, demande, mais on les utilise à d'autres fins et sur ce plan-là, c'est un petit peu dommage.
J.-J. Bourdin : Moralement, vous êtes toujours resté intransigeant. N'êtes-vous pas navré parfois par le spectacle politique, n'en a-t-on pas assez des promesses inconsidérées ?
P. Mauroy : Je rêve toujours d'une période où les idées, où la politique, les militants, les partis politiques contribuaient tous à la construction d'une société nouvelle et peut-être idéale. On est manifestement en basses eaux, en ce moment. Et ça manque un petit peu d'idéal et puis la démagogie prend la place de l'idéal, c'est un peu dommage.
J.-J. Bourdin : Sur la Bosnie, êtes-vous, comme M. Rocard, favorable à la levée de l'embargo sur les armes en Bosnie ?
P. Mauroy : Je soutiens M. Rocard mais je me suis exprimé au bureau exécutif. Je lui ai dit que, sans doute, il était allé trop loin sur ce plan-là. Je suis pour une organisation mondiale, je soutiens l'ONU. Je sais bien que l'ONU n'est pas assez rapide mais je sais aussi que les États ne l'aident pas suffisamment, qu'elle n'a pas suffisamment de crédits. Par ailleurs, l'Europe n'a pas non plus été suffisamment rapide, elle n'a pas été suffisamment courageuse mais l'Europe n'existe pas encore sur le plan d'une politique étrangère commune. Alors, il nous faut davantage d'Europe, davantage d'organisation mondiale et le monde sera meilleur. Il faut soutenir les efforts de l'ONU, il ne faut pas les compromettre.
J.-J. Bourdin : Dans ce livre, vous conversez avec votre ville et ses habitants, d'une manière complice.
P. Mauroy : Bien sûr. Je suis un villageois, j'étais un fils d'instituteur mais au fond, j'ai toujours rêvé à la ville et l'appel de la ville a toujours été, pour moi, très tort, tout en gardant, quelque part dans la tête, la mémoire du village perdu. Entre le village et la ville, il faut une nécessaire complémentarité.
J.-J. Bourdin : Vous parlez avec tendresse des Lillois ?
P. Mauroy : Oui, c'est vrai. J'en parle avec tendresse et au-delà des Lillois, de l'ensemble des Ch'tis, de cette région. Premier ministre, j'ai fermé les puits de mines, les hauts fourneaux qui ne fonctionnaient plus ou qui n'étaient plus rentables. Si bien que je me suis jeté dans la conversion, dans la métamorphose de Lille. Mais c'est un symbole, je voudrais la métamorphose de toute ma région. Et lorsque nous avons pu lancer le Tunnel sous la Manche, j'ai rêvé à cela. C'est maintenant une réalité. Ensuite, les TGV, ensuite le croisement des TGV à Lille et puis cette grosse turbine tertiaire que j'ai lancée sur Lille. J'ai l'impression de participer, avec les Lillois, à une sorte d'épopée. Quelquefois, j'ai croisé mes doigts mais je crois que nous allons vers le succès. Je voudrais tellement que le succès de Lille soit le succès de toute ma métropole et au-delà, le succès de toute la région. Je crois que les gens du Nord le méritent bien.
J.-J. Bourdin : Vous répétez sans cesse qu'il faut développer la solidarité entre les communes.
P. Mauroy : Mais oui, absolument. Je ne suis pas du tout d'accord avec le projet de M. Pasqua, je crois qu'il y a, dans ce projet, une répugnance pour la ville qui est absolument excessive. Dans le monde entier, les pays deviennent plus urbains, plus industriels. C'est une loi du monde. Alors, essayons d'établir, nous qui sommes restés longtemps un pays rural, une complémentarité qui est absolument indispensable. Je dirige une communauté urbaine de 87 villes pour 1,1 million d'habitants. Faisons en sorte qu'autour d'une petite ville, située dans le Nord ou dans le Sud, on puisse prendre 20 ou 30 villages et faire une communauté rurale. Croyez-le bien, je ne suis pas chinois et je ne propose pas un projet de communauté rurale comme les Chinois. Mais je crois à cela. Ce n'est que par cette complicité, par cette complémentarité entre le village et la ville que l'on pourra résoudre le problème de nos campagnes.
J.-J. Bourdin : Vous n'hésitez pas à évoquer, dans votre livre, le surnom que l'on vous donne dans le Nord : gros Quinquin. C'est familier, affectueux ?
P. Mauroy : Oui, tout à fait. Dans le Nord, pour des gens qui étaient très pauvres, les prolétaires du XIXème siècle, il n'y avait qu'une espérance, qu'une richesse, le gosse, le petit Quinquin. Alors, finalement, gros Quinquin, c'est gentil, c'est affectueux.
15 juin 1994
La Croix
"On ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé"
La Croix : En France après l'échec de la liste conduite par Michel Rocard, vous avez déclaré dans un communiqué : "Rien désormais ne va de soi". Quelle remise en cause souhaitez-vous au PS ?
Pierre Mauroy : Manifestement, on ne peut pas faire comme si rien ne s'était passé et continuer de préparer la présidentielle de la même façon. Dans le contexte d'une gauche très émiettée mais qui progresse, le Parti socialiste n'est pas apparu comme la grande force de rassemblement qu'il doit être. La performance de Bernard Tapie traduit d'abord notre carence. Il est nécessaire que l'on discute d'abord entre nous avant de nous tourner vers nos partenaires. Il faut procéder à une mise au clair.
Pourquoi n'avons-nous pas réussi ? L'une des explications est la combinaison des courants qui a prévalu dans la confection de la liste socialiste. Michel Rocard a déclaré qu'il n'y pouvait rien. Il n'est pas possible que le premier secrétaire du PS dise cela. Il faut créer les conditions pour que les militants désignent les responsables et les candidats du PS.
Une autre explication de notre échec a été l'épisode Bosnie. La question n'a pas été bien dominée et a fait apparaître les divergences entre le PS et François Mitterrand. Tout cela a fait désordre. Enfin, comment proposer quelques jours avant le scrutin une nouvelle alliance à des listes concurrentes ? La réaction des autres formations était normale.
La Croix : Votre jugement est sévère à l'égard de l'action de Michel Rocard...
P. Mauroy : Ce que je dis n'est-il pas vrai ? Michel Rocard a fait des choses très bien mais il ne s'est pas montré adroit cette fois-ci. Il n'y a pas eu de discussion collégiale. Il est indispensable qu'en campagne électorale on apparaisse au cœur de la gauche, des préoccupations, des gens, avec une ardeur chaleureuse. Je souhaite une discussion pour que l'on puisse repartir.
Je n'appelle pas à de nouveaux états généraux ni à un congrès qui aura de toute façon sûrement lieu à la fin de l'année pour désigner notre candidat à l'élection présidentielle. Ce qui compte, ce sont les conditions de notre capacité de rassemblement. Il faut retrouver le secret du rassemblement que détenaient les socialistes dans les années 70 et le sens du mouvement. Mais je n'appelle pas à une Nuit des longs couteaux ou au chambardement.
Je soutiens Michel Rocard. C'est moi-même qui l'avais proposé comme candidat virtuel puis naturel du PS. Il a toutes les capacités pour nous mener au succès à la présidentielle. Mais l'heure n'est pas à confirmer ou infirmer sa candidature. Ce n'est manifestement pas la question du jour.
La Croix : Michel Rocard n'est-il pas apparu comme lassé ou démotivé durant cette campagne ?
S'il a donné cette impression-là, que j'ai ressentie, qu'il nous dise pourquoi et qu'il prenne la résolution de changer ! Ce n'est pas une petite chose que de s'engager dans une campagne présidentielle ! Il faut que Michel Rocard retrouve la forme, une ferveur dans l'analyse. Pour tous ceux qui ont la plus grande estime et de l'amitié pour Michel Rocard – et je suis de ceux-là – il est bien normal après cet échec assez incompréhensible qu'on s'explique.
La Croix : Mais le PS est-il réformable ?
P. Mauroy : Bien sûr que oui. Il faut d'abord mettre fin à la trop grande autorité des courants.
La Croix : Quelle stratégie le PS doit-il maintenant avoir ?
P. Mauroy : La stratégie du PS est enfantine. Il ne faut pas avoir fait l'école de guerre pour comprendre. Le PS est un parti de gauche qui doit rassembler à gauche sans avoir d'attitude hégémonique vis-à-vis de ses partenaires. Les dispositions des assises pour la transformation sociale étaient à cet égard excellentes. Après cette démarche de rassemblement à gauche, il faut s'occuper du centre gauche, largement occupé par les 12 % de Bernard Tapie où se trouvent beaucoup d'électeurs socialistes : il faut aller les rechercher. C'est un problème de présence, d'authenticité, d'imagination, d'ardeur...
La Croix : Exactement ce que Bernard Tapie conseille au PS.
P. Mauroy : Mais si Tapie a pris des voix au PS, c'est aussi qu'il tapait juste ! Il faut avoir le souci d'une représentation plus populaire du PS.
Mercredi 29 juin 1994
Europe 1
F.-O. Giesberg : Avez-vous été étonné d'apprendre l'interpellation de B. Tapie ?
P. Mauroy : Non, compte tenu de toute cette affaire autour de B. Tapie, de la jubilation de la majorité parlementaire de lever son immunité, et du déroulement de toute cette affaire.
F.-O. Giesberg : C'est la faute à la droite ?
P. Mauroy : Je n'accuse personne. Je dis simplement que B. Tapie n'est pas au-dessus des lois, personne n'est au-dessus des lois. Et lui, maintenant qu'il est un parlementaire, moins que jamais. Mais d'un autre côté, il y a une concentration judiciaire, autour de B. Tapie, qui est excessive et qui apparait excessive aux Français.
F.-O. Giesberg : B. Tapie cherche à politiser l'affaire, vous êtes d'accord ?
P. Mauroy : Il ne faut pas généraliser. Mais les affaires de fraude sont nécessairement déclenchées par le pouvoir, ce sont des affaires du gouvernement. Tout ce qui concerne les clubs de football, on sait que ce sont les gouvernements qui ont demandé, à juste titre, qu'il y ait un assainissement du football professionnel. Je dis simplement qu'il y a des affaires judiciaires où le gouvernement n'a vraiment pas à intervenir, et ne doit pas intervenir. Il y a d'autres affaires, au contraire, où le gouvernement intervient. La fraude est d'abord un dossier gouvernemental, c'est à dire un dossier d'administration des douanes qui passe ensuite devant la justice.
F.-O. Giesberg : Il n'est pas normal de chercher à juger les fraudes ?
P. Mauroy : Si, tout à fait.
F.-O. Giesberg : Un article du Canard enchaîné montre, ce matin, que le courant ne passe pas si mal entre E. Balladur et B. Tapie.
P. Mauroy : Le Canard fait ses analyses, avec humour et provocation. Mais il donne aussi des informations, et il faut toujours le suivre un petit peu. Je dis simplement, car c'est une affaire sérieuse, qu'un pays a besoin d'une justice qui soit respectée par tout le monde. Et je pense que la justice française est respectée. Mais autour de B. Tapie, il y a de l'exagération dans tous les sens. Alors il est temps, qu'avec une très grande sérénité, on sache où en sont les affaires Tapie, que la justice soit tout à fait sereine, et qu'il n'y ait pas ces emballements et ces comédies. Je me souviens, en août dernier, il y a eu toute une comédie judiciaire autour de Tapie. Tout ça était excessif. Le plus rapidement possible, la plus grande sérénité : c'est absolument nécessaire. Personne n'est au-dessus des lois, mais on n'a pas le droit de faire un acharnement judiciaire autour d'un Français.
F.-O. Giesberg : Mais cet acharnement peut servir B. Tapie. Cela ne risque-t-il pas de le faire devenir un martyr et de le faire encore monter dans les sondages ?
P. Mauroy : Vous voyez que j'ai raison de vous dire que personne n'est au-dessus de la loi, mais il ne peut pas y avoir d'acharnement judiciaire sur un citoyen, quel qu'il soit. Et quand le bon peuple a le sentiment qu'on exagère vis-à-vis de quelqu'un, ça déclenche des réactions qui ne vont pas dans le sens d'une honnête démocratie, telle que moi je la souhaite, en tout cas.
F.-O. Giesberg : B. Tapie, ce n'est pas votre tasse de thé du tout, contrairement à certains socialistes ?
P. Mauroy : Je ne reviens pas sur cette expression. Ça, c'est parce que moi, je n'aime pas tout ça. Il y a certains comportements qui sont personnels. Pour autant, je suis incapable de dire s'il est coupable ou pas, et en tous les cas, je lui donne tout à fait le bénéfice du doute, et même, le bénéfice qu'on doit donner à tout citoyen. Mais, quand je vois la manière dont il se bat, je trouve qu'il a raison, quand même, de se battre. Et quand je vois l'acharnement judiciaire, je trouve que tout ça est excessif. Il faut rapidement mettre fin à ça.
F.-O. Giesberg : Pensez-vous que le phénomène Tapie est un phénomène durable ?
P. Mauroy : Ça peut durer. Tout dépendra de ce que feront le gouvernement et la justice. Si on s'acharne sur lui, et qu'on donne le sentiment qu'on n'est pas juste avec lui, ce phénomène durera, et il aura raison de durer.
F.-O. Giesberg : Il pourra même être candidat à l'élection présidentielle ?
P. Mauroy : Ça, il le décidera.
F.-O. Giesberg : Pour l'élection présidentielle, il faudrait un homme, pour la gauche, qui rassemble. Cet homme existe, et il est là, devant moi : c'est P. Mauroy.
P. Mauroy : Cet homme existe et je l'ai rencontré quelque part. Je suis venu à votre émission, mais pas pour faire un scoop. Par conséquent, je n'ai vraiment pas de réponse à la question que vous posez.
F.-O. Giesberg : Si jamais la direction du PS vous demandait de vous présenter, seriez-vous prêt à vous sacrifier ?
P. Mauroy : On n'en est pas là. Il faut un candidat de grand rassemblement, il faut un candidat qui ait une expérience européenne, qui soit capable de rassembler tout l'électorat socialiste, c'est-à-dire de ceux qui sont désespérés et qui ont voté Tapie, à ceux qui représentent la classe moyenne, les cadres. Ce candidat existe, et je l'ai aussi rencontré quelque part.
F.-O. Giesberg : C'est Delors ?
P. Mauroy : Je n'ai pas lancé de nom.
F.-O. Giesberg : Et si Delors ne veut pas, P. Mauroy ?
P. Mauroy : Je crois qu'il pourrait être un bon candidat. Je n'en dis pas davantage.
F.-O. Giesberg : Quand on lit votre livre, on a l'impression qu'aujourd'hui, il y a surtout une chose qui compte pour vous, c'est Lille, votre ville.
P. Mauroy : Mais ça a toujours compté pour moi. Cela fait 20 ans que je suis maire. J'ai la passion de ma ville, et je crois que ce que j'y ai fait, on s'en aperçoit, on dit que c'est extraordinaire. Je n'ai pas cessé, depuis 20 ans. C'est la passion. Et quelle que soient mes responsabilités, j'ai toujours su remplir mes fonctions nationales et ma fonction locale qui est celle d'administrer ma ville.
F.-O. Giesberg : On apprend que vous recevez 20 000 lettres à votre nom, par an : c'est incroyable.
P. Mauroy : Comment, c'est incroyable ? Il faut le dire aux Français. Les parlementaires servent à quelque chose. Les Français ont confiance en leurs parlementaires, et ils écrivent de partout.
1er juillet 1994
Le Quotidien des Régions
Pierre Mauroy, un maire qui a encore de grandes ambitions pour sa ville
Le Quotidien : Lille reçoit déjà le TGV et bénéficiera bientôt des retombées du tunnel sous la Manche, comment comptez-vous capter ces retombées ?
P. Mauroy : Bien des choses se sont faites par anticipation et je constate une montée en puissance de Lille, qui se fait presque naturellement, même si j'organise – ce qui est normal pour un maire – tout ce développement. Le tunnel a été signé en 1982, puis il y a eu la bataille du TGV et Lille va passer de 9 millions de voyageurs à 30 millions. Tout cela a été orchestré gentiment. Puis je suis devenu président de la communauté urbaine, ce qui m'a permis de donner un élan, et j'ai parlé de "métropole européenne". C'est un exemple unique, puisqu'il y a un accord entre les deux États qui permet de travailler par-dessus la frontière. Il s'agit d'un ensemble de 1,6 million d'habitants comprenant la partie belge, c'est-à-dire flamande, autour de Courtrai, et wallonne, autour de Tournai. Puis nous avons lancé le schéma directeur pour les 15 ans afin de nous inscrire dans une perspective. Parallèlement la ville est devenue une cité touristique, sans doute la première dans le Nord, et maintenant nous avons notre Grand-Palais pour les congrès. Et il n'a pas coûté cher.
Le Quotidien : Vous avez aussi un nouveau quartier.
P. Mauroy : C'est un projet audacieux, on en a parlé et cela a permis à la ville de se développer.
Le Quotidien : Pensez-vous que ce quartier sera achevé tel qu'il était conçu à l'origine ?
P. Mauroy : Dans un an, "Euralille" sera terminé. J'aimerais bien, maintenant, avancer dans la commercialisation. Pour les commerces c'est pratiquement fait à 100 %, pour les logements il semble qu'il n'y a aucune difficulté, ce qui montre que Lille attire. Je vais donc accélérer, notamment pour fermer le parc. On commencera aussi les constructions dans le quartier Saint-Maurice, voisin.
Dans le même temps, je vais voir comment se vendent les bureaux et s'il y a une reprise je continuerai les tours. La seule chose qui me parait difficile à réaliser c'est l'hôtel sur la gare. Il faudra sans doute le construire ailleurs mais toujours dans la ZAC d'Euralille. Puis le périphérique sera détourné et, à sa place actuelle, on trouvera un boulevard urbain. Là il faudra faire un très beau quartier de peuplement. Et si le projet d'une plate-forme multimodale à 20 km au sud de Lille se réalise, j'espère pouvoir récupérer 17 hectares occupés actuellement par la SNCF pour le fret, à la gare Saint-Sauveur. Et là aussi on construirait des lotissements.
Le Quotidien : Le développement d'Euralille s'est-il effectué au détriment du centre-ville ?
P. Mauroy : Non, car j'ai refait la place, elle est très belle. Des rues piétonnes ont été aménagées, je vais continuer devant l'Opéra. Et de toute façon j'ai établi des règles avec Euralille si on déménage un magasin du centre. La priorité est pour les commerçants du centre qui veulent ouvrir un 2e magasin à Euralille. Dans cette région, il n'y avait pas de tertiaire, Euralille comble ce vide et je lance un appel aux maires du Nord-Pas-de-Calais pour que nous fassions un véritable réseau de villes. Pour que le développement du tertiaire à Lille puisse se généraliser.
Le Quotidien : Vous avez émis de vives critiques à l'encontre du projet de loi d'aménagement du territoire et notamment sur le découpage.
P. Mauroy : Moi je suis pour de grandes régions. Réunissons le Nord-Pas-de-Calais avec la Somme et l'Aisne. Nous sommes des picards. Les Nordistes "chti" c'est une apparition du XIXe siècle, et de la grande industrialisation. C'est vrai qu'historiquement la Flandre a une histoire plus flamboyante. En dessous c'est le Hainaut, l'Avesnois, et tout l'Artois, qui n'est pas flamand. Au Moyen-Age c'était une région qui n'était pas riche mais au XIXe siècle elle a été chaulée et elle est devenu riche On y parlait picard. Lille est une ville flamande d'expression picarde. C'est le parler du nord de Paris, du royaume de France avant même qu'on soit français. C'est dire que nous formons une région. Quand j'étais Premier ministre, j'avais fait faire des sondages, 80 % des gens de la Somme voulaient être rattachés au Nord-Pas-de-Calais. Les gens de Laon (Aisne), eux-mêmes, voulaient être rattachés au Nord-Pas-de-Calais.
Le Quotidien : Dans la nouvelle construction européenne, il apparait cependant que, tout naturellement, le Nord-Pas-de-Calais se tourne vers la Belgique.
P. Mauroy : C'est vrai. Mais les divisions administratives françaises ne peuvent pas aller plus loin, c'est comme ci on voulait rattacher la Corse à l'Italie. La carte de la DATAR, qui voudrait nous repousser en Belgique, est une idée saugrenue qui soulève le tollé.
Cela nous rappelle de mauvais souvenirs. Entre 1940 et 1945 les Allemands nous avaient rattachés à la Belgique. Pourquoi y aurait-il sept grandes régions françaises et deux départements septentrionaux que l'on laisserait à deux parce qu'ils ont vocation à travailler avec la Belgique ? Et qu'est-ce que c'est que cette grande région du Bassin parisien avec huit régions on refait le royaume de Valois !
Jeudi 7 juillet 1994
RMC
P. Lapousterle : On prononce le nom de Watergate. Est-ce le nom qui convient ?
P. Mauroy : Non. Le Watergate était une affaire autrement plus importante. Mais cela prouve un état d'esprit. Que venait faire ce fonctionnaire à ce Conseil national ? C'était d'autant plus ridicule que l'on se demande : pour quelle information ? Ce que nous avons dit, pratiquement tous les journaux de 20 heures l'ont répété ! Est en avance de 2 heures sur l'information, je ne vois pas l'intérêt pour le ministère de l'Intérieur. Cela dénote un état d'esprit, une police qui veut être présente partout. C'est inacceptable. Il faut vraiment que tout le monde fasse un effort pour tout le monde, au niveau des mœurs et de la morale, arrive à se respecter les uns les autres.
P. Lapousterle : Que faut-il faire ?
P. Mauroy : Il faut riposter. Le premier secrétaire a porté plainte. C'est très bien.
P. Lapousterle : Le fait que B. Tapie ait été écouté à son domicile en discussion avec le président de son parti, n'est-ce pas aussi une entorse aux règles démocratiques ?
P. Mauroy : Sur le cas B. Tapie j'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises. Je n'ai pas envie de m'étendre sur ce sujet. Personne n'est au-dessus des lois et les lois sont faites pour tout le monde. Dans ce cas précis, les écoutes sont fortement réglementées. Les députés de la majorité ont protesté. Ils ont eu raison de protester et je proteste avec eux. Il faut la justice, toute la justice, mais rien que la justice. Mais, quelquefois, il y a des formes qui ne sont pas respectées et c'est toujours préjudiciable.
P. Lapousterle : Vous avez du mérite de défendre B. Tapie car il n'a jamais été très gentil avec vous !
P. Mauroy : Je ne défends pas M. Tapie. En ce qui concerne Tapie je me suis exprimé sur ce sujet. Ce n'est pas ma tasse de thé. Ceux qui me connaissent savent que je suis d'une autre planète. Mais certainement pas la sienne. Par contre, Tapie sur le plan social a fait un certain nombre de voix. Le MRG a fait un certain nombre de voix avec lui. Ceux qui ont voté pour lui, ça c'est la morale politique, sont meurtris par le chômage, par la drogue dans les villes, par les grandes difficultés de la vie. Ils sont tellement meurtris que 20 ans de crise économique les a amenés à tantôt être communiste, socialiste, pour les écolos, dernièrement à être pour Tapie. Ce qui est très important pour les socialistes, c'est que cet électorat-là puisse être repris. Je crois que ce qui est plus important encore, c'est qu'on fasse une politique qui soit adaptée pour les sortir des difficultés qu'ils connaissent.
P. Lapousterle : Vous avez le programme qu'il faut aujourd'hui ?
P. Mauroy : Ceux dont je parle sont toujours restés à gauche. Ils ont montré une certaine désespérance, parce qu'on n'arrive pas à résoudre le problème du chômage. Parce que le problème du chômage entraîne des problèmes d'insécurité et parce qu'il y a ce problème de la drogue dans les villes. C'est une espèce de triptyque infernal dont ils doivent et ne peuvent sortir.
P. Lapousterle : Le PS leur propose vraiment les choses ? On n'a pas vraiment cette impression, notamment au niveau du chômage.
P. Mauroy : Non. Nous allons avoir notre congrès. Je suis persuadé qu'au niveau de ce congrès des propositions seront faites. Pour les présidentielles, je suis persuadé qu'il y aura des propositions. Sur le plan municipal, si vous regardez de près ce qui se fait, c'est considérable. Mais on ne s'intéresse pas à cela. Il y a des villes qui font un effort considérable. En ce qui concerne les problèmes d'insertion dans ma ville, j'ai un programme d'insertion très important. Il ne permet pas de résoudre l'ensemble des problèmes, mais il permet à 1 000 jeunes de trouver un emploi. C'est important.
P. Lapousterle : La TVA sociale est-elle possible, intéressante ?
P. Mauroy : Il y a beaucoup de choses à dire sur cette TVA sociale. Le gouvernement doit savoir ce qu'il veut. Il nous a dit "il est absolument essentiel qu'il n'y ait plus de trou en ce qui concerne la Sécurité sociale". Il a pris des mesures. Il a augmenté la CSG, pris des mesures pour comprimer les dépenses. Finalement, il y a toujours un trou. Il est donc obligé de reprendre la question et il lance l'idée d'augmenter la TVA, qu'il ajoute "sociale". Le discours est imprécis car on ne sait pas si cette augmentation de la TVA ira pour la protection sociale ou sera au contraire utilisée pour réduire les charges sur les bas salaires. Il faut choisir. En ce qui concerne la TVA sociale affectée à la protection sociale je crois que c'est très mauvais. Il est essentiel que le financement de la Sécurité sociale ne soit pas opaque. Il faut que les Français comprennent bien pourquoi ils font un effort pour leur santé. Il y a déjà la CSG, les impôts, on veut ajouter la TVA qui est la plus injuste de tous. Il y a une progressivité dans les impôts. Pour la CSG, elle frappe tous les revenus. La TVA, elle, frappe tous les consommateurs. À un moment où l'on se plaint que les Français ne consomment pas assez je ne comprends pas qu'on puisse vouloir augmenter la TVA.
P. Lapousterle : Il faut bien boucher le trou !
P. Mauroy : Il appartient au gouvernement de faire des propositions qui soient justes, qui motivent davantage les Français pour défendre leur système de protection sociale.
P. Lapousterle : Un sondage BVA donne peu de chances à la gauche pour les présidentielles. En cas d'affrontement entre deux candidats de droite, la gauche ne serait même pas présente au second tour.
P. Mauroy : Des sondages, il y a en a presque tous les jours ! Il y en a qui sont bons et qui datent d'une semaine. Attendons les prochains. De toute façon, c'est vrai que les socialistes ont en ce moment des difficultés. Il doit y avoir des conséquences en ce qui concerne ces sondages pour les présidentielles. Je crois que nous aurons notre congrès. Ensuite nous choisirons notre candidat. J'imagine facilement que notre candidat aux présidentielles aura ses chances. Je suis persuadé que c'est une situation qui reste très ouverte. J'en suis persuadé. À nous de mener ce combat. D'abord de réussir notre prochain congrès et ensuite de choisir notre bon candidat.
P. Lapousterle : Vous trouvez normal qu'à 10 mois des présidentielles il n'y ait pas de candidat pour la gauche ?
P. Mauroy : Le système français n'est pas d'avoir un candidat en permanence. C'est de choisir un candidat dans les 6 mois qui précèdent l'élection. Les partis qui en ont plusieurs, cela ne les arrange pas. Cela fait une très longue bataille. Ils n'auront pas décidé avant nous leur candidat.