Déclaration de M. Daniel Hoeffel, ministre délégué à l'aménagement du territoire et aux collectivités locales, sur le principe d'intercommunalité mis en oeuvre dans le projet de loi d'orientation pour le développement du territoire, Barneville-Carteret (Manche) le 2 juillet 1994.

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Intervenant(s) : 
  • Daniel Hoeffel - Ministre délégué à l'aménagement du territoire et aux collectivités locales

Circonstance : Assemblée générale de l'association des maires de la Manche, à Barneville-Carteret (Manche) le 2 juillet 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Sénateur,
Mesdames et Messieurs les Maires, Monsieur le Préfet,

Permettez-moi de vous dire combien je suis heureux de me trouver avec vous aujourd'hui, à l'invitation de l'Association des Maires de la Manche, pour évoquer la place de la coopération intercommunale dans la politique de développement du territoire que le Gouvernement a lancée.

Notre pays a connu ces dernières années de profondes mutations tant économiques que sociales, dues pour l'essentiel au développement de la concurrence internationale et à la persistance de la crise.

Ces mutations, vous les connaissez bien ici dans la Manche où les difficultés tenant au maintien de la population en milieu rural, conjuguées à celles structurelles de l'agriculture, sont aiguës.

De surcroît, renforcée par la décentralisation des compétences, la tendance naturelle des territoires a été souvent de s'organiser de façon autonome, cloisonnée. Il s'agit pour les uns de conforter leur avance économique et pour les autres de préserver ce qui peut l'être.

Refusant tout fatalisme, vous avez pris des initiatives courageuses pour mettre en œuvre, très concrètement, le développement local et la solidarité entre les collectivités.

Au centre de votre politique se trouvent les groupements de coopération intercommunale. Mais je sais que beaucoup d'entre vous continuent de s'interroger sur l'évolution de ces structures.

Aussi, permettez-moi de dégager les grandes lignes de la politique de coopération intercommunale poursuivies par le Gouvernement et, dans le même temps, d'en dresser les perspectives au travers du projet de d'orientation pour le développement du territoire qui sera examiné à l'Assemblée Nationale dès jeudi prochain.

Au préalable, je voudrais vous rappeler les deux principes qui dirigent notre action en cette matière :

D'une part, l'intercommunalité ne sera pas coulée dans un moule unique et obligatoire. Les élus doivent en effet pouvoir faire leur choix à partir de règles stables et en toute liberté, afin de trouver la forme de groupement la plus apte à répondre à leurs besoins et à leur volonté réelle de coopération ;

D'autre part, quelle que soit la forme de coopération retenue, le Gouvernement est convaincu que la préservation de l'autonomie communale passe aujourd'hui par une intensification de la coopération intercommunale, et il entend favoriser cette évolution.

Je sais qu'ici, dans la Manche, ce message est depuis longtemps devenu une réalité : 395 communes appartiennent à une structure de coopération à fiscalité propre, soit 66 % des communes du département, regroupant 72 % de la population.

En outre, dans les prochains jours, seront examinées, par votre commission départementale, les réponses faites par les collectivités aux propositions figurant au projet de schéma de coopération intercommunale.

Ce sont autant de signes d'une coopération forte et vivante.

Pour autant, la réussite de la coopération ne se réduit pas à un nombre de structures territoriales supplémentaires. Il s'agit véritablement d'un nouveau mode de gestion et de développement des territoires, qui pour être efficace et durable, doit répondre à trois conditions.

La première est l'existence d'un projet commun de développement.

Bien entendu, la commune est la collectivité de base irremplaçable pour la gestion des services publics de proximité, et le lieu privilégié de la démocratie. Mais limitée par son propre territoire, même si elle a une compétence générale, elle ne peut pas le plus souvent apporter des solutions durables aux problèmes du développement local.

Étant moi-même maire d'une commune rurale en Alsace, je partage votre inquiétude de voir des territoires trop petits échouer dans leurs projets parce qu'ils n'ont ni la taille suffisante, ni les moyens de mener à bien des actions sur le long terme.

C'est particulièrement vrai en matière de développement économique, de tourisme, d'urbanisme, d'environnement ou encore pour la réalisation d'équipements lourds.

C'est l'émergence de ces problèmes qui nécessite la recherche d'objectifs communs, mais aussi d'une dimension géographique adaptée et d'une capacité fiscale et financière suffisante.

Mais il est vrai aussi que les contraintes budgétaires ne permettent plus aujourd'hui les concurrences entre communes, pour ne pas parler de rivalités néfastes à une bonne gestion des finances publiques ou, plus simplement, à l'intérêt général.

La deuxième condition tient au choix du champ d'intervention et à la taille du groupement en fonction des besoins réels de la population.

Il existe des structures intercommunales anciennes d'aménagement et d'équipement à vocation ciblée, de type SIVOM, qui ont rempli et rempliront encore de nombreuses fonctions ; mais elles ne sont pas en mesure de répondre aux problèmes du développement local qui est global.

En revanche, les districts comme les communautés de communes, beaucoup plus intégrés, répondent bien à la nécessité d'élaborer un projet de développement.

Bien évidemment, leur taille qui ne saurait être figée, doit être appréciée en fonction des compétences transférées. Pour autant, il est souhaitable que ces groupements prennent en compte les besoins de la vie quotidienne ou les déplacements domicile-travail pour déterminer leur dimension.

À cet égard, beaucoup de propositions formulées lors du grand débat sur l'aménagement du territoire mettent en évidence l'intérêt des notions de bassins de vie et de pays, ceux-ci étant définis comme des unités géographiques plus ou moins étendues, des espaces de solidarité, dans lesquels s'organisent les services et le développement économique.

Le Gouvernement a repris cette idée dans son projet de loi d'orientation pour réorganiser son administration territoriale afin qu'elle soit au plus proche du terrain. À terme, les arrondissements pourraient être ainsi redécoupés, si nécessaire, pour tenir compte des pays.

Mais, à l'avenir, il est souhaitable que les bassins de vie et les pays deviennent les dimensions optimales vers lesquelles les structures de coopération intercommunale tendent.

Enfin, la dernière condition nécessaire à la réussite de la coopération intercommunale est l'intégration fiscale qui est révélatrice d'une véritable intercommunalité de projet.

C'est cette forme de coopération que le Gouvernement a entendu soutenir par la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

La loi du 31 décembre 1993 a ainsi engagé la réorientation de cette dotation malgré un contexte budgétaire particulièrement difficile. Elle a notamment permis la création d'une dotation d'aménagement qui regroupe la DGF des groupements de communes à fiscalité propre, la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale.

Le rapport sur l'application de ce nouveau dispositif qui doit être déposé en avril 1995 comportera, des propositions tendant à conforter ce rôle de la DGF dans le soutien à l'intercommunalité de projet, mais aussi dans la réduction des écarts de ressources entre collectivités locales.

Par ailleurs, la réforme de la taxe professionnelle constitue un enjeu majeur pour la politique de développement local.

Sous sa forme actuelle, la taxe professionnelle a, entre autres défauts, celui de pénaliser à la fois les industries de main d'œuvre et les communes les plus pauvres, en dissuadant les entreprises de s'y installer, parce qu'elles y trouveront souvent les taux les plus élevés.

Ce sujet est d'une grande difficulté technique. C'est la raison pour laquelle le projet de loi d'orientation pour le développement du territoire propose de se donner le temps de la réflexion pour que soient faites toutes les simulations indispensables à une réforme ambitieuse.

Trois pistes de réforme sont actuellement envisagées :

a) Un développement de la taxe professionnelle intercommunale, dans le prolongement du régime de la taxe professionnelle d'agglomération prévue pour les communautés de ville ;

b) Une évolution progressive sur une longue période vers un taux unique fixé au plan national, avec péréquation ;

c) Une transformation de la taxe professionnelle en une imposition à deux niveaux, une tranche nationale assortie d'un taux tenant compte de critères tels que la densité démographique et dont le produit fera l'objet d'une péréquation, une seconde tranche pour laquelle le taux restera fixé par les collectivités territoriales.

Ces trois options de réforme, dont la première a ma faveur et qui correspond à la logique de coopération intercommunale, seront examinées de pair avec d'éventuelles modifications des bases de la taxe professionnelle, par exemple en prenant en compte la valeur ajoutée.

L'enjeu financier porte sur 130 milliards de francs, ce qui justifie que les simulations soient parfaites. L'expérience de remplacement de la patente par la taxe professionnelle en 1975 est encore dans toutes les mémoires.

S'agissant plus généralement de l'esprit dans lequel a été préparé le projet de loi d'orientation pour le développement du territoire et du schéma national, je voudrais rappeler que la tentation des redécoupages territoriaux et des fusions de communes autoritaires, ou encore des suppressions de niveau de collectivités, était forte dans l'esprit de certains. Mais ces réformes auraient certainement conduit à des créations artificielles génératrices de blocages et d'échecs.

Notre démarche a au contraire consisté à prendre en compte les réalités locales, au premier rang desquelles la volonté des collectivités d'établir une coopération vivante autour de projets, et à leur fournir des instruments renouvelés du développement économique.

Ce n'est qu'au terme d'un processus de développement local, qui peut être plus ou moins long, qu'il conviendra de tirer toutes les conséquences juridiques de l'évolution de nos structures et notamment en termes de représentation.

Mais d'ores et déjà, le projet de loi prévoit les conditions dans lesquelles l'organisation et le fonctionnement des groupements de communes à fiscalité propre, ainsi que l'élection des représentants des communes qui en sont membres, pourront être adaptés en privilégiant la présence au Conseil de groupements de membres élus au suffrage universel.

Parallèlement, l'État doit montrer le chemin en se réformant et en se déconcentrant davantage. Tout ce qui au niveau des administrations de l'État peut être décidé dans la région ou dans le département au lieu de l'être au niveau national doit être encouragé.

Et cet effort de déconcentration doit aller de pair avec la décentralisation qui est un acquis irréversible. Le renforcement du rôle de réducteur des inégalités de l'État que prévoit le projet de loi sur le développement du territoire ne se fera pas au détriment de la décentralisation, c'est-à-dire du rôle des régions, des départements et des communes. Et la place des communes dans ce dispositif sera d'autant plus importante qu'elles s'engageront résolument sur la voie de la coopération intercommunale librement consentie, mais forte. À cet égard, la Manche est un département qui a su prévoir, qui a mené une action exemplaire et qui saura de ce fait tenir toute sa place dans notre pays et en Europe.