Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que je réponds, ce matin, à votre invitation pour participer aux travaux de l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture consacrés au rôle des agriculteurs dans l'aménagement du territoire.
Vous avez souhaité l'intervention de M. le ministre d'État, Charles Pasqua.
Il m'a chargé de l'excuser et de vous faire part des réflexions que nous avons menées ensemble sur le développement rural.
Aujourd'hui, le projet de loi d'orientation pour le développement du territoire est connu. Il sera à l'ordre du jour du Conseil des ministres le 15 juin prochain.
Je sais que la profession agricole s'est beaucoup mobilisée lors du débat et tout particulièrement les chambres d'agriculture.
1° Je voudrais donc, brièvement avant de répondre à vos interrogations, vous faire part de la façon dont le ministre d'État et moi-même voyons l'avenir de l'agriculture.
Vous me permettrez d'abord de revenir sur une affirmation que j'ai souvent entendue lors du grand débat dans nos régions : l'agriculture doit demeurer un métier de pays.
Cela sera vrai si on le veut bien. Mais si on laisse jouer la seule loi du marché, accompagnée des progrès technologiques, des phénomènes de concentration, des délocalisations des productions, l'agriculture ne sera plus un métier de pays. Elle continuera de produire des ressources alimentaires, voire énergétiques ou chimiques, elle le fera près des ports, dans des unités industrielles… mais plus dans des territoires.
Or, le développement de ces territoires ne peut se faire dans un espace en friche, dans des villages où toute population locale aurait disparu et qu'on souhaiterait faire revivre à partir de rien.
Dès lors, notre conviction est la suivante :
– votre métier demeure un métier de producteurs, le premier maillon d'une activité économique essentielle pour notre pays ;
– mais il est nécessaire aujourd'hui que cette première fonction s'enrichisse d'un autre volet à la production de biens doit s'ajouter la production de services.
L'enjeu est de faire entrer dans l'économie marchande les services que l'agriculteur rend à la société, par son activité elle-même, et qui n'étaient jusqu'à présent que des sous-produits gratuits.
De plus en plus, je partage votre analyse sur ce point, les aides publiques à l'agriculture devront aussi devenir des contreparties à ces services. Des contrats entre l'agriculteur et la collectivité devront préciser les engagements des uns et des autres.
Telle est notre conception du rôle futur, mais il s'agit d'un futur proche, de l'agriculture dans notre pays. Elle s'inscrit, en outre, dans une vision globale du monde rural.
2° Or, dès son installation, le Gouvernement a pris un certain nombre de décisions qui sont conformes à cette vision globale et constituent les prémices de la loi d'orientation.
Votre assemblée est pour moi l'occasion d'en faire un bref bilan.
En matière de création d'activités économiques et donc d'emplois, tout d'abord.
Sans être exhaustif, je voudrais rappeler que :
– les mesures concernant la dotation aux jeunes entrepreneurs ruraux sont entrées en application ;
– un fonds d'aide aux PME-PMI, doté de 800 millions de francs en 1994, a été créé ;
– dans le domaine de la pluriactivité, un système destiné à assurer de manière simple la couverture sociale des pluriactifs a été mis en place à titre expérimental dans sept départements. M. Gaymard va très prochainement rendre son rapport dont certaines propositions pourront être retenues lors du prochain CIDAR qui se tiendra le 20 juin prochain.
En matière de maintien des services publics de proximité ensuite :
– les mesures décidées en CIAT à Mende concernant la tarification des communications téléphoniques, et relatives aux zones locales élargies, sont maintenant appliquées ;
– parallèlement au moratoire relatif à la fermeture des services publics, des schémas départementaux de services publics ont été mis au point par les préfets.
En matière de solidarité entre collectivités, enfin.
La réforme de la dotation globale de fonctionnement qui est le concours le plus important de l'État aux communes, est de ce point de vue significatif.
Nous avons en effet créé une dotation de solidarité rurale d'environ 1 milliard de francs en 1994 destinée aux bourgs-centres, aux chefs-lieux de canton et aux petites communes rurales.
Voilà quelques-unes des réformes déjà adoptées et des décisions prises.
3° Aujourd'hui, ces mesures sont confirmées et amplifiées dans le cadre du projet de loi d'orientation pour le développement du territoire.
Vous l'avez noté, monsieur le Président, l'intitulé du projet de loi fait référence au développement et non simplement à l'aménagement du territoire. Par cette formule, le Gouvernement souligne que son projet ne se réduit pas à un simple programme de grands équipements et de redistribution des fruits de la croissance, ce qui serait d'ailleurs stérile.
Il s'agit d'une politique globale que vous avez longtemps appelée de vos vœux et qui consiste d'une part, à donner les moyens de leur développement aux régions déjà bien placées dans la compétition économique et d'autre part, à réduire les disparités, à assurer la cohésion sociale et territoriale du pays, en permettant à chaque territoire de valoriser ses atouts spécifiques.
Ces deux objectifs sont, dans notre esprit, indissociables.
Mais compte tenu de l'ampleur de la réforme envisagée, le projet de loi comporte des dispositions d'application directe et des règles de caractère général qui devront être complétées par des lois ultérieures.
Il s'agit donc bien d'une loi d'orientation qui ne peut être qu'un point de départ.
A. – S'agissant des mesures concrètes et des dispositions normatives du projet de loi qui intéressent le monde rural.
Tout d'abord, la solidarité trouve sa traduction en termes financiers, par la mise en œuvre d'une péréquation efficace.
Le projet prévoit dès 1995 la création d'un fonds de péréquation doté de trois milliards.
Corollaire de ce nouvel effort de solidarité, après la réforme de la DGF, des mesures sont proposées en faveur du développement du territoire. Il s'agit de la définition d'une fiscalité dérogatoire notamment dans les zones rurales les plus fragiles, à travers une réduction des droits de mutation et des exonérations de taxe professionnelle et de la mise en place du fonds national d'aide à la création d'entreprises.
Certes, les modalités d'intervention de ce fonds sont encore limitées et ses moyens financiers ne sont pas encore arrêtés. Mais le principe de l'intervention directe de l'État dans ce domaine est clairement posé et un cadre est créé. Croyez-moi, c'est déjà un grand pas.
Par ailleurs, la loi insiste sur la nécessité d'un renforcement de la coopération notamment intercommunale, qui est un élément décisif pour le développement local. En effet, trop de petits territoires échouent dans leur effort de développement et d'aménagement parce qu'ils n'ont pas la taille suffisante, ni les moyens de mener à bien des actions sur le long terme.
Le projet de loi accélère la déconcentration par laquelle l'administration de l'État s'adapte à la décentralisation, et qui renforce la cohérence interministérielle de l'action publique à un échelon territorial pertinent.
Ce renforcement de l'autorité déconcentrée répond à une forte demande locale. Ainsi, le Préfet contrôlera étroitement toute décision de suppression d'un service aux usagers, par les établissements, organismes publics et entreprises nationales chargés d'un service public.
La logique interministérielle est renforcée par la création d'un fonds national de développement du territoire dont l'objectif est notamment d'aider aux initiatives locales pour l'emploi, le développement de la montagne et l'aménagement rural. Mais, compte tenu des problèmes spécifiques du monde rural, le projet de loi crée aussi un fonds de gestion de l'espace rural dont il est clair qu'il devra prendre en compte non seulement les projets collectifs mais aussi des projets individuels. Dans un premier temps, ce fonds sera financé sur les crédits budgétaires.
Est-ce une recentralisation ?
Certainement pas.
Simplement, l'État se réforme. Il développe ses moyens, le plus souvent à l'échelon déconcentré, pour l'exercice de ses propres compétences. Le redécoupage des arrondissements en fonction des « pays » participe à cette réorganisation.
Parallèlement, l'État met en place de nombreuses instances de concertation dans le cadre de ce projet de loi auxquelles sont associés les organismes socio-professionnels : observatoire national d'aménagement du territoire, conférence régionale d'aménagement du territoire, commission d'élus consultée sur la réforme des finances locales, recours à la commission départementale de coopération intercommunale pour la délimitation des "pays".
Renforcement de la solidarité, péréquation, développement local, coopération, déconcentration, pour importants qu'ils soient, vous l'aurez compris, ces dispositifs ne sauraient épuiser l'ensemble des réformes que le Gouvernement entend faire aboutir.
B. – Aussi, et cela a été critiqué non sans quelque facilité, le projet de loi renvoie sur certains sujets à des rapports ou des lois ultérieurs.
Il est en effet des domaines où toute précipitation serait dangereuse et remettrait en cause les objectifs poursuivis.
Compte tenu de leurs conséquences et des masses financières en jeu, c'est particulièrement le cas de la clarification des compétences et de la réforme des finances locales.
Sur le premier point, l'exposé des motifs du projet détermine que, dans le délai d'un an, des lois fixeront les conditions d'une clarification des compétences, notamment dans le domaine de l'action économique des collectivités locales.
Mais ces collectivités pourront aussi demander à exercer une compétence dévolue actuellement à l'État.
Sur le plan financier, dans le délai d'un an, un rapport au Parlement présentera des propositions de réforme de la taxe professionnelle, comportant trois options.
L'enjeu financier porte sur 140 milliards de francs, ce qui justifie là encore des expertises et des simulations préalables.
Cette loi d'orientation est un point de départ.
Pour autant, je suis, comme vous, convaincu que la politique de développement du territoire ne peut se substituer à la politique agricole, ni bien entendu se confondre avec elle.
Il y a trente ans, la loi d'orientation agricole a posé le principe de l'exploitation familiale et a jeté les bases de tout un édifice qui subsiste aujourd'hui. À cette politique agricole correspondait une politique d'aménagement du territoire.
Nous sommes aujourd'hui à un nouveau tournant. Il s'agit dès maintenant de réfléchir à ce que sera la future politique agricole en France et en Europe. C'est d'ailleurs l'objet du débat d'orientation agricole qui s'est tenu le mois dernier à l'Assemblée nationale et prochainement au Sénat.
Nous devons définir les règles d'une agriculture plus contractuelle, à la fois productive et gestionnaire de l'espace. Le contrôle des structures, la gestion des droits à prime ou des droits à produire, sont des leviers considérables de développement du territoire.
Aussi, à la suite de la loi d'orientation sur le développement du territoire, il faudra tirer les conséquences de ces principes.