Interview de M. Bernard Bosson, ministre de l'équipement des transports et du tourisme, dans "Le Parisien" du 17 novembre 1994, sur les mesures de renforcement de la sécurité routière.

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Intervenant(s) : 
  • Bernard Bosson - Ministre de l'équipement, des transports et du tourisme

Média : Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien : Monsieur le ministre, pouvez-vous nous présenter un pré-bilan ?

Bernard Bosson : Sur les douze derniers mois nous enregistrons en matière de sécurité routière, les meilleurs résultats depuis trente-huit ans. Par rapport aux douze mois précédent, on peut dire que 700 vies ont été sauvées et 11 000 blessés évités. C'est un résultat d'autant plus remarquable que sur les six premiers mois de 1993, nous avions assisté à une remontée très nette, permanente, constante du nombre d'accidents, de leur gravité, du nombre de morts puisque les mesures de mon prédécesseur arrivaient à leur usure comme toutes les mesures depuis quarante ans. Par ailleurs, quelles ont été les mesures qui ont permis cette inversion de courbe et ce nouveau progrès en matière de sécurité routière ? Tout d'abord, toute l'action a consisté à privilégier la responsabilisation, l'information, la prévention, la mobilisation. Avec la sensibilisation des scolaires, 1994 a été la première année où la prestation scolaire de deuxième niveau a été généralisée à tous les élèves de troisième, ce qui a permis que 680 000 élèves passent cet examen. Il y a eu la création du brevet de sécurité routière pour les cyclomotoristes; la partie théorique entre en application en septembre 1995 et sa partie pratique à la fin 1996.

Il y a le partenariat avec les assurances, les compagnies et les mutuelles qui va être signé le mois prochain – l'accord est passé – qui, dès le 1er janvier 1995, permettra un engagement financier du monde de l'assurance à hauteur de 180 millions par an pour des actions coordonnées par la délégation à la Sécurité routière qui sert de conseiller technique, mais aussi des actions décentralisées sur l'ensemble du territoire venant appuyer l'action générale notamment sur la jeunesse en difficulté et sur l'apprentissage anticipé de la conduite. Notre deuxième axe d'attaque a été le contrôle de l'aptitude des conducteurs, des véhicules et des infrastructures. Sur les conducteurs, c'est le contrôle de la vue tous las dix ans de manière à ce qu'il soit clair qu'on ne vise pas spécialement tel ou tel âge. Deuxièmement, l'extension des réparations obligatoires de véhicules, à l'éclairage, à la signalisation, aux pneumatiques. Ensuite, l'accélération du contrôle de véhicules de plus de quatre ans. À compter du 1er janvier 1995, Ils seront contrôlés tous les trois ans et, à compter du 1er janvier 1996, tous les deux ans. Il y a le programme autoroutier. Je rappelle qu'il a été décidé d'y mettre soixante-douze milliards dans les cinq années à venir et que le contrat de cinq ans avec les sociétés autoroutières sera signé avant Noël, c'est une accélération formidable du programme. Je rappelle aussi qu'en dix-huit mois, nous avons tracé tellement d'autoroutes que le programme de dix ans des 2 200 kilomètres laissera à mon successeur cent cinquante kilomètres à tracer.

Il y a le volet routier du contrat de plan avec soixante-quinze milliards de francs dans les cinq ans qui permet d'améliorer considérablement le réseau routier et il y a des créations du style « Un monsieur moto » dans chaque DDE de manière à tenir compte de certaines spécificités, notamment au niveau des barrières de sécurité, etc.

Troisième axe d'attaque, c'était des mesures nouvelles mais peu nombreuses : le taux d'alcoolémie a été abaissé à 0,7 comme chacun sait. C'est la perte d'un point pour le non port de ceinture de sécurité par le conducteur ou le non port du casque avec un cyclo ou une moto et c'est l'adaptation intelligente de la vitesse jeune conducteur qui a été étendue à deux ans, mais au lieu d'être un 90 uniforme, c'est la vitesse temps de pluie qui a été prise pour qu'elle soit proportionnée à l'infrastructure.

Voilà les axes de la politique menée et les résultats, Je disais il y a un instant, qu'on ne peut pas se contenter des résultats obtenus car malgré ces résultats exceptionnels, cela revient à un accident corporel toutes les quatre minutes jour et nuit, à un blessé grave toutes les douze minutes, et à un mort toutes les soixante-deux minutes et à accepter 8 400 morts par an. Il faut donc aller plus loin.

Quelles sont les nouvelles mesures envisagées ou en cours ? Sur l'alcoolémie, la décision sera prise en juillet d'abaisser ou non à 0,5 % le taux. Il paraît absurde maintenant de s'arrêter en route à 0,6. C'est ou 0,7 ou 0,5 !

Deuxièmement, c'est le délit de très grand excès de vitesse, c'est-à-dire le dépassement de plus de 50 kilomètres à l'heure de la limite autorisée qui vient en discussion au Parlement aujourd'hui 17 novembre.

Troisièmement, c'est l'élévation au rang de délit et avec l'aggravation des peines de la manipulation du chronotachygraphe ou de la manipulation du limiteur de vitesse, ceci à la demande unanime de l'ensemble des responsables des entreprises routières, qu'il s'agisse des responsables patronaux, syndicaux ou de salariés.

Quatrièmement, c'est l'ouverture du débat sur la vitesse à la Sécurité routière, du lien vitesse-accident, sur le problème de la réglementation de la vitesse et sur le problème du contrôle et de l'éventualité de passer, comme en Angleterre, en Espagne, en Suisse, en Allemagne, à la responsabilisation du propriétaire du véhicule. C'est un débat très important.

Ensuite, discuter très sérieusement sur la philosophie des contrôles, sur les méthodes de contrôles, puis sur les résultats des contrôles. Il est évident que s'il y a un endroit où l'on prend 50 % des automobilistes en tort, c'est que quelque chose ne va pas dans la réglementation. C'est la dernière mission. Il nous reste en gros six mois. En ce qui concerne la vitesse c'est le dernier grand combat.

Le Parisien : M. le ministre, un mort toutes les cinquante-huit minutes en France, de jour comme de nuit, c'est un constat lourd. Alors y a-t-il des solutions autres que la répression ? Nous savons que la répression pure et simple, ce n'est pas pour vous la solution finale…

Bernard Bosson : Sur la prévention, il est clair que tout ce qui est fait en matière de formation en direction des scolaires, avec un formidable appui de l'Éducation nationale, donne des résultats. D'abord, parce qu'il faut recommencer à différents âges la formation en matière de sécurité routière et, qu'ensuite, les jeunes ont une influence considérable sur leurs aînés quand ils sont dans un véhicule. Deuxièmement, je suis très attaché à l'apprentissage anticipé de la conduite. Pour l'instant, on ne voit pas de différence dans le taux d'accidents entre ceux qui ont subi un apprentissage anticipé de la conduite et ceux qui ne l'ont pas fait. Néanmoins, je suis persuadé qu'on doit pouvoir arriver à de bons résultats. L'une des actions prioritaires que l'on espère voir soutenue par les compagnies d'assurances et les mutuelles, c'est ce genre de travail, notamment sur les quartiers ou les milieux défavorisés, pour abaisser le coût de cette formation et permettre l'accompagnement.

Bref, tout mettre sur la formation, la responsabilisation. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la commission Namias, j'ai demandé qu'ils réfléchissent entre autres à tout ce qui permet des commissions locales, une responsabilisation, un dialogue avec l'ensemble des motards, des cyclistes, des automobiles-clubs, des chauffeurs-routiers, des auto-écoles, des gendarmes, de la justice. Nous ne craignons pas du tout l'obligation d'aller à la répression, mais Il ne faut passer à la répression que lorsqu'on ne peut pas faire autrement. Tout démontre que celui qui est sanctionné se venge ensuite de la sanction qu'il a eue en se rattrapant soit sur la vitesse, soit sur autre chose.

Le Parisien : M. le ministre, vous avez insisté sur le rôle prépondérant des infrastructures en liaison avec la Sécurité routière. Vous avez développé le volet autoroutier. Qu'en est-il de l'amélioration des infrastructures pour le réseau secondaire, voles départementales, nationales qui, on le sait, sont beaucoup moins sûres que les autoroutes ?

Bernard Bosson : Sur la voirie nationale, nous faisons un gros effort de redressement des crédits d'entretien routier, je reconnais bien volontiers qu'ils sont insuffisants et que l'effort consenti n'est pas à la hauteur des besoins. Sur l'ensemble de la voirie départementale, nous avons une influence par le réseau de la DDE, mais nous ne pouvons guère aller au-delà. Je crois qu'il existe un seul département où il y a des financements croisés État et collectivités locales en matière de voirie départementale. Nous avons donc une influence très relative.

Le Parisien : Lorsque nous parlions d'abord des mesures pour permettre la prévention, nous avons aussi parlé des mesures de sanctions alourdies, notamment en délits de vitesse, grands délits de vitesse. Mais alors pourquoi construisons-nous des voitures rapides ? C'est une question qui s'adresse à vous en même temps qu'à l'ensemble des constructeurs.

Bernard Bosson : La première partie de la question devrait être posée à l'industrie allemande et aux hommes politiques allemands : pourquoi est-ce que 1 000 kilomètres d'autoroutes en Allemagne sont sans limitation de vitesse ? Deuxième question qu'on peut leur poser, c'est pourquoi nous refuser de nous communiquer les statistiques d'accidents sur ces 1 000 kilomètres d'autoroutes, séparément des autres kilomètres d'autoroutes, ce qui serait intéressant.

J'ajouterai que chacun de nous a besoin d'avoir une voiture puissante pour doubler. Rien n'est plus dangereux que de mettre une heure à doubler ! Tout le monde a connu le danger de la 2 CV au moment du doublement. De toute manière, même si la voilure ne va pas extraordinairement vite, elle ira toujours plus vite que le 50 à l'heure en ville. On ne résous pas grand-chose du problème.

Le vrai problème, c'est de savoir s'il faut une réglementation ou non sur la vitesse. Permettez-moi de rappeler l'expérience française des années 73-74. Je rappelle trois choses simples en dehors des fameux 1 000 kilomètres allemands, aucune autoroute d'un pays développé n'a d'autorisation de rouler à plus de 130. Aucune ! Deuxièmement, en 1973, n'y avait pas de limitation de vitesse sur les autoroutes françaises. On a donc créé une limitation à 120 à l'heure : le nombre de morts a baissé de moitié. C'était spectaculaire ! On s'est dit : on est allé trop loin. Au début 74, on est remonté à 140 à l'heure. La courbe des morts est remontée dans une proportion telle qu'en fin d'année, on est redescendu à 130. C'est ainsi que le 130 à l'heure a été fixé dans notre pays. 

Robert Laffont, département Sécurité de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes : Est-ce que vous ne pensez pas qu'il serait possible d'augmenter – je parle des autoroutes mais, après tout, ce pourrait être le cas aussi ailleurs – la présence des forces de police, notamment sur les autoroutes?

Bernard Bosson : Je constate avec satisfaction que vous avez envie d'avoir moins de clients mais en ce qui concerne le problème des gendarmes, la difficulté que nous avons est claire : le système français de contrôle conduit, au lieu de montrer le gendarme et à ce que la présence du gendarme soit un appel au calme et à la responsabilité, à le cacher derrière un arbre de manière à ce qu'il surprenne le conducteur et à le placer à un endroit tel qu'il soit près d'une sortie d'autoroute ou on puisse arrêter le conducteur sans trop de danger pour les autres. C'est ça le système français ! Tout vient du fait qu'il faut identifier le conducteur. Ce qui fait, d'ailleurs, qu'on ne contrôle pas les motos. Il suffit de voir circuler le grand jeu nocturne parisien qui consiste à avoir le record de vitesse sur le périphérique la nuit avec un casque intégral car même en ayant le numéro de la moto on ne peut rien faire !

Par ailleurs, on ne contrôle pas les camions puisque les appareils sont mis sur la vitesse du véhicule et que, par conséquent, on ne contrôle qu'une partie des usagers de la route. Est-ce qu'on peut créer une responsabilisation du propriétaire ? À ce moment-là, l'appareil automatique prend le numéro de la voiture et c'est fini. Mais dans ce cas il y a le risque de l'obligation de délation. On ne peut se sortir de cette responsabilisation qu'en disant : j'ai prêté la voiture à ma femme, à mon fils, je l'ai donnée à mon frère.

Que tous ceux qui prêtent régulièrement leur moto lèvent le doigt et qu'on parle sincèrement. Ce n'est pas l'objet que l'on prête le plus souvent. Pour les camions non plus. Deuxièmement, personne n'est choqué lorsqu'on flashe de telle sorte que l'on puisse reconnaître le conducteur, le passager ou la passagère et que tous les services de police puissent avoir les photos de qui se trouve dans la voiture. Cela paraît être une absence totale d'atteinte à la liberté individuelle…

La commission entre autres, si elle considère que la vitesse est grave, qu'on peut avoir une réglementation intelligente, doit travailler sur le contrôle automatique. À ce moment-là les gendarmes n'ont plus à se cacher, n'ont plus à contrôler, en tout cas pas la vitesse, et peuvent donc être montrés et mis au service des citoyens.

Le Parisien : Une autre question au sujet justement de la construction de voitures qui sont rapides face à une réglementation qui finalement contrôle la vitesse. C'est un sujet sur lequel nous aimerions entendre des constructeurs.

Un constructeur : Je crois que la réponse est très simple. Les constructeurs construisent les voitures que le public demande.

Le Parisien : Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

Bernard Bosson : Je pense que les constructeurs ont très largement raison, c'est aux hommes politiques à être courageux et à créer un cadre dans lequel les constructeurs soient à égalité. Aujourd'hui le problème des 1 000 km d'autoroute allemande libres, c'est que si nos constructeurs font des voitures uniquement par rapport à la réglementation française, ils se trouvent avec un handicap considérable à la vente.

Le Parisien : Vous croyez que l'ensemble des Européens va courir sur les 1 000 km allemands ?

Bernard Bosson : Non, ce que je crois, c'est que tant que les 1 000 km allemands sont libres les voitures seront surpuissantes.

Encore une fois tout le problème n'est pas là. L'autre jour, au salon de l'auto, je regardais un célèbre carrossier qui avait inventé pour jeunes une voiture qui ne dépasse pas le 160 km/h, mais qui par contre a des reprises jusqu'à 160 km/h extraordinairement efficaces. Cela fait partie des possibilités de dialogue avec l'ensemble de l'opinion.

Il faut que la population soutienne à un moment donné, au moins majoritairement. Le problème est d'arriver à faire accepter que la vitesse est dangereuse et qu'il faut une réglementation collective parce qu'on ne prend pas la route, on la partage avec les autres.

Geneviève Jurgensen (Ligue contre la violence routière) : Je note que pour la plus meurtrière des délinquances, on prend vraiment des gants en ce qui concerne la répression. Si les œuvres de la drogue et la revente de la drogue provoquaient 8 500 morts par an, je pense que le langage serait moins prudent que le vôtre, Monsieur le Ministre.

Par ailleurs, vous avez évoqué le danger des 2 CV d'autrefois et la sécurité de la réserve de puissance. Si les assureurs étaient représentés ici, ils vous diraient que les plus puissantes, et donc apparemment les plus sûres des voitures sont celles qui leur causent en coût les plus fortes sommes de dommages au tiers.

Troisième remarque, vous parliez d'obligation de délation. La délation est le fait de dénoncer pour des motifs méprisables. Donc je pense que vous voulez dire obligation de dénonciation. Quel usage allez-vous faire du rapport que va vous rendre la commission qui siège actuellement, puisqu'elle doit vous le rendre après le vote qui doit intervenir au Parlement ?

Bernard Bosson : Plusieurs points :

1) Je suis d'une prudence telle que je rappelle quand même que depuis que la statistique existe nous n'avons jamais obtenu des résultats pareils. Donc cela me semble relativement efficace comme politique menée. Sinon depuis 38 ans on aurait sans doute eu les mêmes résultats.

2) Je ne crois pas du tout à la répression pour la répression. Elle doit être réservée à une catégorie minoritaire de citoyens, ceux qui sont irréductibles, les autres doivent être convaincus. Sur l'alcool, c'est avec un mélange de persuasion et de répression qu'on est arrivé aujourd'hui à un résultat tel que tous les citoyens sont convaincus.

Sur l'obligation de délation, je m'en excuse, des milliers de tracts avec obligation de délation et « Pétain = Bosson » ont été imprimés. La meilleure preuve que je ne le pense pas, c'est que je propose cette mesure et je la soumets à la commission.

3) En ce qui concerne la loi devant le Parlement, je suis allé défendre devant les commissions le délit très grand excès de vitesse, je le propose au Parlement qui est souverain et je me battrai sur cette mesure.

Alexander Perk (Président d'Opel France) : Je voudrais réagir d'abord à un certain nombre de choses qui viennent d'être exprimées. Mais en tant que représentant d'un constructeur allemand – et c'est là une première observation – ce qui me gêne un peu c'est tout cet intérêt pour ces 1 000 km d'autoroute en Allemagne où on peut rouler encore beaucoup plus vite. Cette situation prouve au moins une chose que l'industrie allemande automobile aujourd'hui a une politique qui vise un équipement de sécurité de base – et pas uniquement sur les voitures haut de gamme – nettement supérieur à tous les autres produits vendus dans le monde entier. C'est un point vraiment très important. Le contrôle technique en France, si on compare aux autres pays européens, a commencé avec un certain retard. J'invite tout le monde à regarder ce que nous appelons les « Balladurettes », c'est-à-dire les voitures de plus de dix ans que nous reprenons dans nos concessions, toutes marques confondues, cela représente au moins deux millions de voitures qui roulent tous les jours sur les routes françaises et sont extrêmement dangereuses.

Bernard Bosson : Sur les deux points, le premier, je ne peux que remercier le sacrifice allemand qui consiste à permettre un taux d'accidents sans doute très élevé sur les 1 000 km pour permettre que les autres, dans les autres pays, aient des voitures plus confortables. Je m'incline bien volontiers devant le sacrifice. Deuxièmement, sur le contrôle technique vous avez raison, nous avons été en retard. Sur l'accentuation du contrôle technique dans les années qui viennent, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous allons aller très vite puisque maintenant au bout de quatre, six, huit ans, les voitures devront être contrôlées avec un nombre de points de réparation obligatoire élevé.

François Leclèch (Directeur commercial Mercedes Benz France) : Une réflexion sur la sécurité concernant les progrès considérables qu'ont faits les voitures, notamment les marques qui sont considérées comme des voitures puissantes.

Je crois que les sommes mises en cause dans le développement, dans la recherche, pour la sécurité, tout ce qu'on a pu constater depuis quelques années, les inventions formidables comme l'ABS, comme l'Airbag, sort quand même à la disposition aujourd'hui d'abord des voitures puissantes, mais en même temps de toutes les voitures. Une réflexion sur le 50 km/h. Nous voyons tous en périphérie urbaine – je ne parle pas forcément des villes – que c'est complètement inappliqué et inapplicable. Même si on a de la bonne volonté, le 50 km/h ne reflète aucune considération de sécurité. Comment pouvez-vous aujourd'hui, alors qu'on met un radar et on prend tout le monde, différencier mieux ce qui est l'application d'une loi, et les endroits où c'est valable ou pas ?

Bernard Bosson : Si je réponds franchement à votre question, les services du ministère ne me parleront plus pendant longtemps ! Elle est très simple: est-ce que la réglementation peut être adaptée partout, être intelligente partout, et par conséquent acceptée partout ? La réponse est : hélas c'est difficile.

1) Il faudrait que la vitesse change suivant la saison, le temps de pluie, le brouillard, l'heure de la journée, etc. Il est clair qu'à tel ou tel endroit – je prends des exemples, si vous le permettez, vécus chez moi – au bord du lac d'Annecy au mois d'août, à 4 heures de l'après-midi la vitesse ne peut pas être la même qu'à 7 heures du matin en hiver.

Donc nous devons en permanence essayer d'adapter la réglementation aux infrastructures. Et je crois qu'on ne le fera intelligemment que localement. Il ne faut pas non plus multiplier le nombre de vitesses. Et dans le cadre de la commission Namias une réflexion est portée là-dessus. Plus le contrôle sera décentralisé, plus il sera surveillé par l'ensemble des associations de gens qui prennent la route, de victimes, etc., plus il sera accepté et plus nous progresserons.

Jean Fournier-Périlhoud (Directeur général, Automobile Club National). Si les résultats de la sécurité routière se sont améliorés, c'est aussi à cause et grâce aux automobilistes. On a trop souvent tendance, à mettre en accusation les automobilistes quand les résultats sont mauvais, et à les oublier quand ils sont bons. Il est évident qu'il faut une répression. Mais depuis deux ou trois ans, on peut dire que l'arsenal répressif s'est largement accru. Il y a le permis à points qui est en phase de croissance et puis il y a le nouveau code pénal et notamment le délit de mise en danger de la vie d'autrui.

Ne pensez-vous pas qu'avant de songer à mettre en œuvre de nouvelles mesures répressives, il faudrait donner le temps au temps ?

Bernard Bosson : Sur le problème de répression, je vous rappelle que malgré le permis à points et malgré l'ensemble des mesures, les six premiers mois de l'année 1993 ont été une montée constante du nombre d'accidents, de leur gravité, des blessés et des tués. Le permis à points avait déjà épuisé ses effets de l'année précédente, comme toutes les mesures depuis quarante ans.

Alors on dit « c'est affreux, maintenant on va commettre un délit quand on roule en ville à 105 km/h ». C'est bien ça la vérité : 105 à la place de 50 à l'heure… Deuxièmement, sur l'autoroute, on va être pris à 193. C'est quand même abominable de ne pas pouvoir rouler à 193. Sur 1 400 000 contrôles par an, un peu moins de 3 % dos personnes commettent ce délit.

Christian Bailly, (Directeur général Autosur) : Aujourd'hui encore, trop souvent pour nos clients, le contrôle technique, c'est une taxe supplémentaire pour l'automobiliste. Que comptez-vous faire pour les dissuader de cela ? D'autre part, il y a des véhicules d'occasion de moins de quatre ans, qui sont des dangers pour la sécurité routière. Ne pensez-vous pas que l'on pourrait imposer un contrôle quel que soit l'âge du véhicule en cas de transaction ?

Bernard Bosson : Pour le cas de transaction, on s'est notamment posé la question de savoir s'il fallait, déjà, lorsque le contrôle a lieu, rendre la réparation obligatoire aux frais du propriétaire ou non. La plupart des spécialistes considèrent que cette obligation se retournerait contre la sécurité et que les personnes se débrouilleraient d'une manière quelconque pour ne pas avoir à faire face à la réparation. Ce qui fait que ce n'est pas simple. Je me suis posé la question à plusieurs reprises.

Pour la première partie de votre question, ce que je fais surtout c'est de surveiller les prix des ventes, en essayant de regarder quel est le coût et de le limiter. Car le coût n'est pas identique d'un centre à l'autre pour les mêmes contrôles ou les mêmes réparations, comme vous le savez. Il faut arriver à maintenir des coûts qui soient acceptables. 

Le Parisien : Pour revenir sur le thème du permis à points, cela fait deux ans que cette mesure existe au moins sous sa forme actuelle avec quelques aménagements. L'heure des bilans n'est-elle pas venue? Ce dispositif peut-il être amélioré salon vous et, si oui, dans quel sens ? 

Bernard Bosson : Nous avons essayé de le suivre de près puisque, comme vous le savez, il ne commence qu'avec des condamnations définitives; la mise en route du permis à points est en réalité lente. On arrive maintenant à peu près à la vitesse non plus de croissance mais, heureusement, de croisière. On va pouvoir en tirer les leçons en comité de suivi et voir quelles sont les adaptations éventuelles. Il faut le faire avec le maximum d'intelligence. C'est surtout sur les méthodes pour reconquérir des points, méthodes la plus intelligente, la plus intéressante et qui doit être accentuée. Encore une fois, il faut avoir une politique de main tendue et la répression doit intervenir que lorsqu'elle est obligatoire ou vis-à-vis du récidiviste.

Christiane Cellier (Fondation Anne Cellier) : Je voulais remercier le ministre pour tout ce qui peut être fait en matière de responsabilisation du conducteur. J'ai moi-même une voiture assez puissante mais j'ai une théorie qui n'est pas tout à fait la vôtre, c'est que les voitures puissantes n'hésitent pas à ralentir car elles savent qu'elles vont remonter assez vite. Alors qu'on voit des voitures peu puissantes ne jamais lâcher le 130 et plus. Ceci dit, comme j'ai une voiture puissante, je m'intéresse aussi à l'attitude des hommes qui me voient m'en tenir à 130 sur la file de gauche. Tout ce que je voulais vous dire, c'est que j'ai essayé de réfléchir à la façon dont les hommes et les femmes réagissent vis-à-vis de la vitesse. J'ai gagné quelque chose avec la mort de ma fille, c'est que l'alcool au volant soit réellement devenu un délit dans l'esprit de certains. Alors que la vitesse on est vraiment, nous, face à notre voiture et à la vitesse. Soyez tranquilles, même avec de la répression, ne vous inquiétez pas, les juges sanctionnent à peine. Vous savez pourquoi ils sanctionnent à peine les juges ? Comme nous tous ici, ils savent très bien qu'il y a un seul endroit où ils peuvent être délinquants : c'est derrière le volant en relation avec leur voiture. Je pense qu'on ne peut pas donner toute la responsabilité aux hommes politiques.

Bernard Bosson : Trois petites observations. La première, c'est que j'ai moi-même, à titre personnel, une voiture assez puissante et mon épouse a la même expérience quand elle double que vous, il faut vraiment doubler vite si on ne veut pas que la voiture voyant qu'une femme double et monte immédiatement au-delà de la Imitation de vitesse sur votre droite.

Deuxièmement, en matière de motos comme de voitures, je suis tout à fait partisan de la multiplication des circuits. Il faut pouvoir avoir des endroits où on a le droit d'aller se libérer, d'aller conduire vite. D'ailleurs, on conduira d'autant mieux sur la route qu'on aura pris des réflexes. 

Jean-Yves Lecoz (responsable du laboratoire d'expérientologie de PSA et de Renault) : On a beaucoup parlé déjà ce matin de vitesse et de véhicules puissants. S'il y a bien quelque chose qui est clair pour nous, c'est qu'il faut, à notre sens en tout cas, faire une différence entre sécurité automobile et sécurité routière. Dans notre esprit la sécurité routière est beaucoup plus globalisante que la sécurité automobile. Et lorsqu'on s'intéresse à la sécurité routière, on prend en compte la mortalité ou la gravité des accidents à l'intérieur d'une voiture, mais aussi à l'extérieur. Ce qui nous intéresse, c'est bien le total des deux et non pas simplement la gravité ou la mortalité à l'intérieur de la voiture que l'on construit et que l'on vend. Il est vrai qu'avec les moyens de protection que l'on connaît aujourd'hui – et je rappellerai le plus important d'entre eux qui reste la ceinture de sécurité – on peut arriver à des choses. Dans l'avenir, on va voir se développer probablement des différences particulièrement de masse entre des véhicules, les véhicules puissants dont on parlait tout à l'heure et les petits véhicules à caractéristique urbaine. Comment voyez-vous dans l'avenir la prise en compte de ces problèmes de compatibilité, qu'elle soit de masse ou de raideur ? 

Bernard Bosson : Sur le premier point et la ceinture de sécurité on s'est beaucoup posé de questions avant de prendre les mesures qu'on a mises. Car interdire d'être dangereux pour les autres c'est normal, mais dans un pays de liberté, est-ce qu'on peut enlever un point à un conducteur qui n'est dangereux que par rapport à lui-même en ne mettant pas sa ceinture ?

On a décidé qu'il fallait le faire, parce que quand le conducteur met sa ceinture on a une chance que les autres la mettent.

En ce qui concerne votre réflexion sur petites et grandes voitures, si j'ai bien compris, adaptées ou pas, celles qui ne seront que pour la ville et qu'on retrouvera en fait sur l'autoroute ou sur la grande route, je ne vois pas de solution. On ne peut pas faire autre chose qu'avoir hélas une sorte de réglementation moyenne sur la vitesse. Et je ne vois pas tellement ce qui peut être fait, on ne va tout de même pas mettre des catégories de véhicules avec interdiction d'aller ici ou là.

Deuxièmement, est-ce qu'il est possible d'avoir pendant les premières années de conduite des véhicules plus ou moins bridés ou des véhicules moins rapides, etc. ? Il y a des effets pervers redoutables. Sur la moto j'ai été obligé d'interpréter la réglementation européenne, sinon on va bientôt nous inventer une moto où le rapport poids-puissance fera qu'elle sera plus dangereuse pour le jeune conducteur qu'une autre, avec un effet pervers parfait, contraire au but de la réglementation. Donc dans tous ces domaines-là je suis très circonspect.

Patrick Jacquot (Fédération française des motards en colore bureau Ile-de-France) : Monsieur le ministre, lors de votre intervention tout à l'heure j'ai été choqué – et c'est un euphémisme – de l'image très négative des motards dont vous vous faites le relais, alors que vous parlez de demeurés qui la nuit roulaient à 220 sur le périphérique.

Si vous lisez le dernier édito de ce même « Moto Magazine ». Vous verrez qu'il porte sur le comportement très irrévérencieux dénonçable des motards qui ont la fâcheuse habitude de s'en prendre aux rétroviseurs des « caisseux », comme on les appelle dans le jargon motard, sur le périphérique.

Cela m'amène à faire le rapprochement avec ce que vous avez signalé, à savoir la nomination de « M. Moto» dans chaque DDE.

Est-ce ces M. Moto dans les DDE ont la même image que vous des motards ? Et là je commence à être inquiet. Ces « M. Moto » des DDE, qui sont-ils, est-ce que ce sont des motards eux-mêmes ? Et est-ce que vous avez pensé à nommer un « M. Moto » à la DSCR ou au ministère ? Si oui, nous souhaitons vivement le rencontrer pour lui montrer, en discutant avec lui, que les motards sont des gens très responsables. 

Bernard Bosson : Plusieurs points. Premièrement, je n'ai pas du tout une image négative des motards, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai reçu l'ensemble des organisations, y compris la vôtre de « Motards en colère » pendant plus de quatre heures, sur un dialogue qui était quelquefois musclé, mais très direct.

Deuxièmement, c'est en grande partie à la suite de la réflexion sur la moto – je suis sensible à l'idée, je l'ai appelée moi-même le délit de dénonciation en quelque sorte – que nous avons créé cette grande commission de réflexion dans laquelle votre propre association est présente. Elle a bien voulu accepter et je l'en remercie, ce qui prouve un esprit de responsabilité.

Troisièmement, sur la nuit, je tiens à votre disposition les photos à 230, 240, 250 km/h qui se passent sur le périphérique quand vous voulez, j'en ai toute une série, je ne les ai jamais données à personne.

Bernard Bosson : Vous avez une moto, vous la prêtez souvent... 

Le même participant : Oui.

Bernard Bosson : Souvent ? Vous êtes un cas particulier parce que je peux vous dire que l'engin le moins prêté, en dehors du camion ou poids lourd, c'est la moto.

Deuxièmement, en ce qui concerne le respect des motards, ceux-ci doivent être absolument respectés.

En ce qui concerne la DSCR, il y a M. Claverie qui est le « M. Moto » depuis des années, il avait été nommé par mes prédécesseurs. De plus, sur le M. Moto DDE, si possible, quand il y en a un, c'est un motard, parce que quelqu'un qui fait de la moto comprend. Je vous signale que dans le dialogue avec vous, j'ai arrêté des normes pour les gendarmes couchés, véritables pièges, notamment par temps de pluie ou en cas de neige, pour les motos, les cycles, les vélocyclistes, etc.