Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur le projet de loi relatif à la Sécurité sociale, à l'Assemblée nationale le 27 juin 1994.

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Intervenant(s) : 
  • Simone Veil - Ministre des affaires sociales de la santé et de la ville

Circonstance : Présentation du projet de loi relatif à la Sécurité sociale, à l'Assemblée nationale le 27 juin 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames, Messieurs les Députés,

Après les projets de loi sur la bioéthique, les institutions de prévoyance, la famille, le texte que j'ai l'honneur de présenter devant vous aujourd'hui est le quatrième, dans le domaine de compétence qui est le mien, inscrit à l'ordre du jour de cette session parlementaire.

Trois de ces textes touchent à la protection sociale et poursuivent le même objectif : améliorer notre dispositif de protection sociale pour le rendre plus efficace, mieux adapté aux besoins de la société actuelle, et assurer sa pérennité.

Ce texte que je vous présente aujourd'hui vous paraîtra peut-être un peu austère, voire technique mais je le crois essentiel au bon fonctionnement, à l'avenir de la gestion de la sécurité sociale.

Je tiens à remercier monsieur Accoyer et monsieur Gaymard dont les rapports respectifs permettent, par leur rigueur et leur clarté, de comprendre les enjeux de ce texte et contribueront sans nul doute à la qualité de nos débats.

Ce projet vise en effet à améliorer la gestion de la Sécurité Sociale dans la fidélité aux principes fondamentaux de la Sécurité Sociale définis depuis 50 ans.

La Sécurité Sociale Française est un héritage issu de la résistance et dont la construction a été mise en œuvre par le gouvernement du général de Gaulle, notamment à travers l'ordonnance fondatrice du 4 octobre 1945.

Il s'agissait de prévoir, prévenir et faire face aux événements susceptibles d'affecter les revenus liés au travail : accidents du travail, maladie, maternité vieillesse et de permettre aux salariés d'affronter les conséquences de ces événements. Il s'agissait aussi d'aider les familles à faire face aux charges liées aux enfants et de donner à chacun les moyens de se soigner.

L'ordonnance du 4 octobre 1945 a profondément marqué le développement de la société française pendant ces 50 dernières années : aujourd'hui 14 millions de personnes se voient verser leurs pensions de retraite par la sécurité sociale, la quasi-totalité des Français bénéficient du remboursement de leurs soins par les caisses d'assurance-maladie, 3 millions six cent mille familles reçoivent des prestations familiales.

Tout ceci se traduit, comme tout le monde le sait, par des masses financières considérables, supérieures au budget de l'État : plus de 1 400 milliards de francs pour l'ensemble des régimes de sécurité sociale. Mais cette dimension financière occulte parfois la dimension véritable de la sécurité sociale ; celle que lui avait assignée ceux qui, dans la clandestinité, avaient imaginé sa miss en œuvre ; celle qui lui vaut encore aujourd'hui l'attachement de la quasi-totalité des Français.

La sécurité sociale c'est d'abord et avant tout une grande organisation, destinée à apporter à nos concitoyens la garantie de la solidarité nationale dans un certain nombre de circonstances de leur vie. Comment s'étonner de leur attachement a cette institution, alors qu'ils ressentent si lourdement aujourd'hui les incertitudes de leur avenir professionnel et familial, dans une société fragilisée par la crise ?

Les facteurs d'insécurité initiaux existent toujours : on ne les perçoit plus avec la même acuité car la sécurité sociale est là, qui fait son office, et l'on oublie ce qu'elle a apporté, en quoi elle a radicalement modifié la situation des personnes âgées, des femmes seules, des malades, des handicapés, des familles ; et l'on voit surtout son coût ; on voit aussi – et comment s'en étonner – les nouveaux facteurs d'insécurité et de fragilisation du corps social : le chômage et le processus d'exclusion sociale et professionnelle ainsi que le nombre de plus en plus grand de personnes isolées. Ces situations constituent bien évidemment notre priorité et j'y consacre toutes mes forces, en tant que ministre chargé de l'action sociale et de la ville ; mais je voulais vous dire avant d'en venir au corps même le texte que je vous présente : gardons nous d'oublier notre bien commun qu'est la sécurité sociale, gardons nous de l'appréhender seulement sous l'angle des charges et des déficits, rappelons-nous ce qu'était la société française auparavant. La sécurité sociale ce n'est pas seulement un problème financier, c'est d'abord un immense progrès social et le plus puissant facteur de cohésion sociale qui existes en France, que nous avons le devoir de préserver pour les générations futures.

Or la sécurité sociale traverse une crise profonde. Si les objectifs qui ont conduit à son institution demeurent, l'environnement économique et démographique a considérablement évolué depuis un demi-siècle, et surtout dans les 20 dernières années. Faute de s'être adaptée à temps, la sécurité sociale connaît des problèmes considérables, accentués par la récession économique qui a marqué le début des années 90.

Depuis un an nous avons fait beaucoup pour rénover la sécurité sociale : mesures de sauvegarde du printemps 1993, réforme des retraites, création du fonds de solidarité vieillesse, politique de maîtrise médicalisée des dépenses, nouvel élan donne à la politique familiale.

Il s'agit une action de long terme : compte tenu de la situation financière très dégradée, que nous avons trouvé et de la complexité d'un système dont les enjeux financiers dépassent mille milliards de francs et touchent à la vie quotidienne de la quasi-totalité des Français, l'œuvre de redressement ne peut porter réellement ses fruits que progressivement.

J'aurai l'occasion lors de la commission des comptes de la sécurité sociale, qui se tiendra le 5 juillet prochain, détailler les nouvelles prévisions financières.

Il faut savoir que si en début d'année l'écart entre le volume des recettes et le volume des dépenses est de 60 milliards de francs, si on ne fait rien, s'ajoute à ce « trou » initial la dérive propre à l'année considérée. Si le rythme d'évolution des dépenses et des recettes continue à diverger de 5 a 6 points, s'ajoutent 60 milliards de francs supplémentaires et le déficit de l'année s'élève environ 120 milliards de francs.

C'est ce processus que le gouvernement a entendu rompre : fin 1993 le déficit cumulé était supérieur à 100 milliards de francs. Si rien n'avait été fait, le déficit, compte tenu du « trou » fin 1993 et de l'évolution propre à 1994, aurait été supérieur à 120 milliards de francs pour la seule année 1994, et à 220 milliards de francs en déficit cumulé.

C'est à cette année qu'il faudra juger les nouvelles prévisions 1994 et en considérant que l'évolution des recettes reste ralentie, comma celle des autres régimes sociaux. Mon objectif pour cette année était de ramener le rythme de progression des dépenses a un rythme voisin de celui des recettes, et ce pari qui était loin d'être évident, est pour le moment tenu. En effet, bien qu'il s'agisse de résultats encore fragiles, provisoires, qu'il est nécessaire de consolider par un effort sans relâche, les premiers mois de 1994 montrent, pour la première fois depuis des années, une inflexion très nette de l'évolution des dépenses et assurance maladie, et notamment des dépenses liées aux honoraires et aux prescriptions.

Cependant, de toute évidence, ces résultats, même s'ils sont confirmés, seront insuffisants, pour assurer l'avenir de la Sécurité sociale.

Vous le savez, des travaux auxquels j'attache beaucoup d'importance ont été engagés, sous l'égide du commissariat au Plan, sur le financement de la sécurité sociale. Par ailleurs la rédaction d'un livre blanc sur l'assurance maladie faisant la synthèse de toutes les propositions qui ont pu être faites et explorant les diverses pistes envisagées a été confiée à un groupe de travail de trois personnalités indépendantes, monsieur Soubie, monsieur Prieur et le professeur Portos. Cette étape de réflexion et de maturation des idées est absolument indispensable avant de mettre en œuvre de grands chantiers dans cos domaines.

Mais ces études ne nous dissuadent pas de continuer à agir pour maîtriser la croissance des dépenses et sans attendre améliorer le cadre de gestion de la Sécurité sociale. Tel est l'objet du projet de loi que vous allez examiner après qu'il ait été adopté par le Sénat.

La plupart des articles du projet de loi sur la sécurité sociale convergent vers un même but : conforter la pérennité de la Sécurité sociale par des réformes assurant une meilleure gestion de cette grande institution. Je l'ai dit tout à l'heure : la situation présente de la sécurité sociale s'explique pour partie par la dilution des responsabilités que favorisent l'opacité et la complexité de son système.

En effet la gestion actuelle de la sécurité sociale pêche moins par son coût – le coût de gestion de la Sécurité sociale ne dépasse pas 5 %, toutes branches confondues – que par la confusion des rôles entre les différents acteurs.

Ce texte vise à clarifier les responsabilités entre les différents acteurs de la sécurité sociale et notamment :

– entre l'État et le régime général de Sécurité sociale ;
– entre les diverses branches du régime général ;
– entre la tutelle et les caisses ;
– entre le Parlement et le Gouvernement.

Je commencerai par les relations entre le budget de l'État et le régime général. Depuis un an je n'ai cesse de plaider la nécessité de règles du jeu plus transparentes et stables entre le budget de l'État et le régime général.

L'État ne peut prétendre jouer un rôle majeur dans la conduite du système de sécurité sociale que s'il est irréprochable dans les relations financières qu'il entretient avec celle-ci. Il en va de la crédibilité de la politique de redressement financier de la Sécurité sociale. Le budget de l'État et le régime général représentant à eux deux plus de 2 500 milliards de francs et ayant de multiples relations financières entrecroisées, il est normal qu'il puisse y avoir entre eux des contentieux, mais encore faut-il que les décisions se prennent dans la transparence et selon des principes clairs et équitables.

Deux principes doivent me semble-t-il être respectés :

Premier principe : la Sécurité sociale ne doit supporter que les charges relevant de la politique de Sécurité sociale ; si d'autres politiques publiques entraînent des charges ou de moindres recettes pour la sécurité sociale, celle-ci doit bénéficier de compensations.

Deuxième principe : l'État cotisant est soumis à des règles de cotisation, auxquelles il ne saurait déroger et qui doivent être contrôlées.

Ce sont ces deux principes qui inspirent les articles 5 et 6 de ce projet de loi qui se proposent d'instituer deux « novations essentielles » : la compensation des mesures générales d'exonération de cotisations, le contrôle de l'État en tant que cotisant, qui sera effectué par la Cour des Comptes. Ceci étant, il ne suffit pas d'affirmer ces principes, il faut veiller à leur respect dans la durée : c'est pourquoi nous avons prévu d'accroître les compétences de la Commission des Comptes de la sécurité sociale à l'ensemble des relations financières entre l'État et le régime général.

J'ajoute que ces dispositions complètent un ensemble de mesures importantes prises depuis un an dans le domaine des relations financières État/régime général : création du fonds de solidarité vieillesse, garantie de maintien des ressources de la branche famille, convention de trésorerie entre l'État et l'ACOSS qui a été signée le 2 mai dernier et est entrée immédiatement en vigueur. Cette convention de trésorerie améliore le solde moyen de trésorerie de l'ACOSS d'environ 8 milliards de francs.

Deuxième domaine de clarification : les relations entre branches de la Sécurité sociale.

Les quatre premiers articles de ce texte organisent l'autonomie financière des quatre branches qui composent le régime général : l'assurance vieillesse, l'assurance-maladie, l'assurance accidents du travail, les prestations familiales.

De quoi s'agit-t-il ? Je crois nécessaire d'être un peu longue sur ce point, tant cet article donne lieu à des présentations déformées et de polémiques injustifiées. Il ne s'agit nullement de porter atteinte à l'unicité du régime général : si tel était le cas le Gouvernement proposerait non pas l'autonomie financière des branches au sein du régime général mais la création de quatre régimes de sécurité sociale distincts, ce qui n'était pas du tout l'esprit de notre proposition. L'unicité du régime général réside notamment dans les règles régissant l'affiliation d'un salarié au régime général : lorsque celui-ci adhère au régime général, il bénéficie automatiquement des quatre protections : vieillesse, maladie, accidents du travail, famille. Ceci n'est pas modifié. Il s'agit donc bien d'une protection globale et unique.

L'autonomie financière ne signifie pas non plus la fin de la trésorerie commune : l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) continuera à gérer une trésorerie commune.

En effet les dates de piment des pensions de vieillesse, des prestations familiales, de la dotation globale hospitalière ne sont pas identiques : la gestion commune permet de lisser les pointes et les creux de trésorerie, et donc d'économiser des frais financiers importants au régime général.

Il ne s'agit pas, enfin, de mettre en cause les mécanismes de solidarité qui existent entre régimes de sécurité sociale depuis 1974 sous le terme de « compensations ». Il existe deux sortes de compensations : des compensations – dites généralisées – entre régimes de salariés et de non salariés qui tiennent compte de la situation démographique respective des régimes et des compensations au sein des régimes de salariés – dites bilatérales – qui tiennent compte des capacités contributives des cotisants. Ces compensations demeurent.

En revanche l'autonomie financière apporte la garantie que chaque branche conservera ses excédents. Dès lors qu'un excédent permanent de trésorerie sera constaté, le conseil d'administration d'une branche pourra décider de sortir celui-ci de la trésorerie commune et de le garder pour ses propres besoins. Ceci est fondamental : jusqu'ici les excédents d'une branche étaient automatiquement utilisés à résorber le déficit des autres branches, ce dont a notamment souffert durant 30 ans la branche famille et l'on sait combien cela a donné lieu à critique et à juste titre. Désormais cela ne sera plus possible.

Chaque branche devra donc gérer son propre équilibre en sachant que si sa gestion dégage des excédents, elle en conservera le bénéfice : comment responsabiliser les gestionnaires s'ils ne sont pas assurés d'être bénéficiaires du produit de leur bonne gestion, où, à l'inverse, s'ils pensent que tout déficit sera couvert par les résultats des autres branches ?

Il s'agit aussi d'une mesure d'honnêteté vis-à-vis des cotisants : lorsqu'est prélevée une cotisation d'allocations familiales celle-ci doit aller à la famille et non à la vieillesse ou à la maladie. On ne doit pas tricher avec les cotisations des Français.

Il s'agit donc d'une mesure de bon sens, qui rompt avec une politique de facilité, et qui constitue un élément indispensable d'une gestion modernisée de la Sécurité sociale. J'ajoute que cette réforme va dans le sens ce que beaucoup d'entre vous réclament depuis longtemps, et pas seulement sur les bancs de la majorité !

Par ailleurs au titre de l'autonomie des branches il est apparu souhaitable de doter la branche accidents du travail d'une instance de décision spécifique, au sein de la CNAMTS, laquelle l'État transfère des pouvoirs importants en matière de prévention et de tarification.

Enfin un dernier mot sur ce sujet concernant les veuves. Certains auraient voulu créer une branche « veuvage » autonome. Ce serait à mon sens une erreur :

L'allocation veuvage ne représente qu'une infime partie des prestations de retraite servies aux veufs et aux veuves. Ce sont les pensions de réversion qui en constituent l'essentiel. Pourquoi dès lors isoler dans une gestion autonome une branche qui ne servirait qu'une infime partie des prestations ?

S'il s'agissait en revanche d'isoler les pensions de réversion des pensions de droit direct ce serait également une erreur, qui serait d'ailleurs préjudiciable aux veuves : l'assurance vieillesse constitue un tout indissociable, les pensions de réversion sont le prolongement indivisible des pensions de droit direct.

Le sort des veuves ne serait en rien améliore par des réformes institutionnelles de ce type. En revanche le Gouvernement a décide des mesures concrètes en majorant immédiatement de deux points, de 52 à 54 %, le taux des pensions de réversion et en prévoyant de porter ce taux progressivement à 60 %.

Troisième domaine de clarification : les relations entre la tutelle et les caisses de sécurité sociale. Jusqu'ici le rôle de la tutelle était, dans les textes, orienté vers un contrôle a priori, précis voire tatillon, du budget de fonctionnement de la caisse, notamment quant au respect des normes juridiques et comptables.

Cette tutelle traditionnelle n'est plus satisfaisante : excessivement interventionniste dans le fonctionnement quotidien des caisses, elles déresponsabilise les gestionnaires qui sont pourtant des professionnels compétents. En revanche elle ne permet pas d'évaluer sérieusement la capacité de la caisse à mettre en œuvre, au plan local, les orientations définies au plan national sur la maîtrise des dépenses, les relations avec les usagers, et même une politique de contrôle, bref ce qu'on appelle dans le langage des spécialistes « la gestion du risque ».

Depuis plusieurs années une évolution est en cours que ce texte formalise et approfondit. La tutelle a priori est supprimée sur nombre d'actes comme les schémas informatiques, les budgets administratifs ou ceux d'action sociale. L'État négocie avec les caisses nationales des budgets pluriannuels pour l'ensemble de la branche : c'est une démarche de partenariat et non plus de contrainte. Il revient ensuite aux caisses nationales de répartir le budget de fonctionnement entre les caisses locales, selon des normes claires et objectives, qui visent à rapprocher leur coût de gestion. Déchargée de ces tâches, la tutelle pourra se consacrer à l'évaluation des caisses. On sait bien qu'une caisse primaire, imaginative et volontariste, peut agir sur l'évolution des dépenses en mettant fin à certains abus ou gaspillages. Il s'agit d'encourager ces initiatives en évaluant l'efficacité des caisses dans la mise en œuvre de ce type d'actions, et pas seulement sur la régularité formelle de leurs actes. Soyons-en convaincus : de plus en plus la maîtrise des dépenses se jouera au niveau local, et notamment dans une relation renouvelée entre les caisses et les directions régionales des affaires sanitaires et sociales.

Quatrième et dernier domaine de clarification, et non le moindre : celui des relations entre le Gouvernement et Parlement dans le domaine de la sécurité sociale.

Quel est le constat ? La Constitution donne au Parlement de multiples occasions d'intervenir dans le domaine de la Sécurité sociale. Il vote l'impôt, et donc les impôts affectés à la Sécurité sociale, comme la CSG. Il vote les transferts financiers du budget de l'État aux régimes de sécurité sociale. Il vote l'instauration de toute nouvelle prestation et en fixe les modalités fondamentales. Il arrête le cadre légal des conventions passées entre les caisses et les professions de santé. Il détermine les règles de revalorisation des prestations.

D'ores et déjà le pouvoir du Parlement est donc loin d'être négligeable. D'où vient alors l'insatisfaction légitime de nombre de parlementaires ?

C'est, il me semble que ces décisions ne sont précédées d'aucune information régulière, exhaustive, cohérente. Des choix sont demandes alors que le législateur n'a pas une vue globale des problèmes. Il n'existe aucun rendez-vous régulier entre le Gouvernement et le Parlement permettant à celui-ci d'exercer son rôle d'orientation et de contrôle de la politique du Gouvernement et d'être en mesure, par la suite, d'approuver en toute connaissance de cause les choix qui lui sont proposés.

C'est ce que permettra ce projet de loi.

Organiser un débat annuel devant le Parlement sur la sécurité sociale c'est faire le choix d'une gestion prévisionnelle et cohérente contre une évolution financière fragmentaire.

C'est faire des choix entre des impératifs qui sont parfois difficilement conciliables comme l'allégement des charges, l'équilibre des comptes publics, l'accroissement de l'effort en faveur de telle ou telle catégorie de la population.

Cette intervention du Parlement doit naturellement respecter le cadre juridique de l'organisation des pouvoirs publics tel qu'il est fixé par la Constitution de 1958. Vous n'ignorez pas que celui-ci est strict, notamment ce qui concerne l'intervention du législateur dans le domaine de la Sécurité sociale.

C'est sur ce point que nous avons eu une divergence avec le Sénat, non sur l'objectif mais sur les modalités pour y parvenir.

En effet j'ai cru devoir mettre en garde le Sénat contre les risques d'inconstitutionnalité de sa proposition consistant à soumettre au vote du Parlement un projet de loi portant approbation du rapport. J'ai noté qu'à l'Assemblée Nationale le rapporteur de la Commission des Affaires Sociales était pour le moins perplexe, et que la Commission des Finances, partageant l'opinion du Gouvernement, avait déposé des amendements modificatifs. Je peux d'ores et déjà vous dire que le Gouvernement soutiendra ces amendement.

Je ne cherche nullement à restreindre l'intervention du Parlement en matière de Sécurité Sociale que je juge souhaitable, mais bien au contraire à éviter que ce progrès incontestable ne soit réduit à néant pour des motifs d'inconstitutionnalité.

Ce texte comprend bien d'autres dispositions, dont je ne citerai que les plus importantes :

1. Le cadre légal donné à la convention passée entre les caisses et les représentants des masseurs kinésithérapeutes complète et renforce le dispositif de maîtrise négociée et médicalisée des dépenses de santé.

Ce texte s'inscrit dans la logique de la démarche poursuivie par le Gouvernement en matière de maîtrise médicalisée des dépenses : fixer des objectifs globaux et cohérents aux différentes professions de santé et aux caisses d'assurance-maladie, laisser se développer la négociation conventionnelle, agréer l'accord intervenu lorsque la convention s'inscrit dans le cadre fixé c'est à dire garantit réellement et concrètement une maîtrise des dépenses.

Ce mécanisme a déjà montré sa pertinence pour d'autres professions de santé : cliniques, infirmiers, biologistes.

2. L'amélioration de l'organisation du recouvrement est un objectif majeur et souvent négligé. Les URSSAF recouvrent directement plus de 900 milliards de francs. Les améliorations de leurs performances ont une incidence directe et significative sur les résultats financiers du régime général. L'harmonisation et la coordination de la politique de recouvrement permettront également d'atteindre une plus grande équité entre redevables des cotisations. Je précise que ces améliorations bénéficieront aussi aux personnels du recouvrement, qui exerceront leur métier dans de meilleures conditions. Il n'est naturellement pas question de réduire les effectifs des organismes concernés, ni de délocaliser les implantations actuelles. Bien au contraire nous poursuivons sans relâche les moyens de renforcer la branche, notamment en ce qui concerne le contrôle :

3. Le bénéfice plus rapide des droits à l'assurance maladie est un pas important dans l'accès aux soins des plus démunis. Trop souvent les délais d'affiliation et d'immatriculation, liés à la multiplicité des régimes empochent, pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, ceux qui devraient normalement avoir droit à la sécurité sociale d'en bénéficier effectivement. La déconnexion de l'ouverture des droits et de l'affiliation que nous proposons doit permettre d'améliorer cette situation, sans charges supplémentaires pour les départements, qui pourront au contraire, être soulagés de certaines dépenses d'aide sociale.

4. Le bénéfice des indemnités journalières maladie pour les pluriactifs est un des éléments essentiels de l'amélioration du cadre d'exercice de la pluriactivité. J'ajoute que nous avons lancé une expérimentation de caisses pivots afin de simplifier les formalités demandées aux pluriactifs. J'ai veillé à ce que le cadre social de la pluriactivité soit amélioré car le développement de la pluriactivité est un élément essentiel de la revitalisation des zones rurales et les règles des régimes sociaux ne doivent pas y faire obstacle. Je tiens à remercier à cette occasion M. Gaymard de son excellent rapport sur le sujet.

5. la prorogation du mandat des administrateurs.

En l'état actuel des textes, des élections à la Sécurité sociale devraient être organisés en mars 1995. Tout le monde comprendra qu'étant donné la proximité de cette date avec l'élection présidentielle il n'est guère opportun de s'en tenir à un tel échéancier.

Par ailleurs ce délai doit nous donner le temps de réfléchir sur le mode de désignation et la composition des conseils d'administration.

Toute approche fragmentaire ou hâtive serait inopérante sur un sujet aussi délicat. Au vu des rapports sur le financement et l'assurance maladie que j'ai évoqué tout à l'heure, je souhaite que cette question soit ouverte et discutée dans la sérénité.

En attendant la prorogation des mandats s'impose comme la seule solution réaliste.

Mesdames et messieurs les députés, j'en conviens bien volontiers, ce projet n'apporte pas de solution immédiate et spectaculaire aux problèmes de l'assurance maladie. Comme je l'ai déjà dit nous y travaillons dans un autre cadre. Mais, sur la base d'une analyse approfondie des dysfonctionnements de l'organisation de la sécurité sociale, il apporte des réponses réfléchies et cohérentes ayant fait l'objet d'une large concertation.

Ce texte est un étape du processus d'adaptation de la Sécurité sociale aux réalités de la société et de l'économie contemporaine. C'est une réforme nécessaire et préalable à des reformes ultérieures.

Si je n'avais qu'un message à faire passer en matière de sécurité sociale ce serait le suivant : la plus grande menace pour la sécurité sociale c'est l'inertie. Nous n'avons que trop tardé. Agissons, non dans le souci de détruire, mais celui de construire et rénover, non dans la précipitation et l'urgence mais de façon concertée et cohérente. Seule une action volontariste, dynamique et ambitieuse est de nature à préserver la Sécurité sociale, c'est à dire la capacité de notre collectivité nationale à protéger chacun de ses membres contre les aléas et les blessures de la vie, capacité qui est aujourd'hui une des dimensions essentielles de notre modèle de société.