Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse, à plusieurs titres, d’être parmi vous pour conclure cette 10ème Journée nationale pour l’enfance maltraitée, dont le thème, cette année, était : « bien évaluer pour bien protéger ».
Permettez-moi tout d’abord de saluer le travail exigeant que vous effectuez, pour beaucoup d’entre vous comme acteurs de terrain confrontés directement au douloureux problème des enfants victimes de mauvais traitements.
En abordant un tel sujet, il convient d’être à la fois profondément humble et résolument volontariste lorsqu’on assume une responsabilité publique.
Humble, du fait de la grande complexité du sujet et surtout de la difficulté à élaborer pour la prévention et la prise en charge des enfants et des familles concernées des réponses qui soient à la hauteur du drame personnel et du traumatisme qui les frappent.
Volontariste pour affronter ce redoutable sujet : l’enfance maltraitée, trop longtemps recouvert d’une intolérable chape de silence, d’indifférence et d’hypocrisie comme le sont encore malheureusement d’autres formes de maltraitance, par exemple celle dont sont victimes les personnes âgées.
Partie tard et timidement, la France, vous le savez, s’est dotée, depuis une dizaine d’années d’une législation et de moyens qui lui ont permis de faire de réels progrès.
Après des décennies où nous sommes restés presque totalement sourds et aveugles à la souffrance des enfants maltraités ou victimes d’abus sexuels, une première campagne de prévention de la maltraitance a été lancée en 1984.
Mais c’est incontestablement, l’adoption, à l’unanimité, par l’Assemblée Nationale, le 10 Juillet 1989 à l’initiative du Gouvernement de Michel ROCARD, de la loi relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance, qui a constitué une avancée capitale.
Cette loi a permis de fédérer les énergies et de développer l’innovation. Elle a, de l’avis général, bouleversé les pratiques, les attitudes et les représentations sur l’enfance maltraitée ainsi que la façon de concevoir les remèdes appliqués à ces situations difficiles entre toutes.
La signature en novembre 1989 de la convention internationale des droits de l’enfant inscrivait celui-ci comme un sujet de droit dans une société de droit. Cette convention fut ratifiée par le Parlement français l’année suivante.
En quelques années nous sommes ainsi passés d’une notion assez restrictive de protection des enfants « battus », à un concept plus large de maltraitance.
En outre, peu à peu nous constatons que la loi du silence s’efface, les tabous tombent.
Il faut dire que ces dernières années l’activité de cette lutte s’est accélérée.
Le Congrès Mondial de Stockholm sur l’exploitation sexuelle des enfants a provoqué un large mouvement de coopération internationale et une harmonisation des législations européennes.
- En 1997, l’enfance maltraitée fut déclarée en France Grande Cause Nationale. De nombreuses actions de sensibilisation de l’opinion publique et des professionnels ont eu lieu ;
- La coordination interministérielle s’est renforcée par l’extension du groupe permanent interministériel pour l’enfance maltraitée (GPIEM) à l’ensemble des ministères concernés et par l’instauration d’un Comité Interministériel ;
- En 1998, pour faire face à l’affluence des appels téléphoniques au Service National d’Accueil Téléphonique pour l’Enfance Maltraitée (SNATEM), 20 postes supplémentaires d’écoutants ont été créés ;
- La loi relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection de mineurs a été votée au mois de juin 1998, prévoyant une répression accrue pour le délit d’atteintes sexuelles à l’encontre d’un mineur de 15 ans mais également améliorant la protection des mineurs victimes d’abus sexuels.
Dans ce cadre, l’assurance maladie viendra prendre en charge à 100 % les soins aux victimes d’abus sexuels.
Malgré cette mobilisation des pouvoirs publics et de l’ensemble de la société française, le phénomène perdure. L’observatoire national de l’action social décentralisé (l’ODAS), recensait en 1996 21 000 enfants maltraités, dont 6 500 victimes d’abus sexuels.
Nous savons que la maltraitance à l’encontre des mineurs est un phénomène complexe que l’on doit envisager dans sa globalité, c'est-à-dire, dans tous les lieux d’accueil et de vie des mineurs. Il reste donc beaucoup à faire.
C’est pourquoi la lutte contre la maltraitance à enfant reste une préoccupation forte du Gouvernement qui en soutient toutes les avancées ; dans la réflexion, témoin cette journée, comme dans l’action.
Notre réflexion doit s’attarder à l’analyse des violences intra-familiales mais également aux violences institutionnelles, dans le cadre de l’école, des institutions de soins ou en d’autres lieux et sous d’autres formes.
En mai dernier, j’ai demandé aux Préfets et aux Directeurs Départementaux des Affaires Sanitaires et Sociales de renforcer leur vigilance afin que les situations de maltraitance à enfants au sein des établissements sociaux et médico-sociaux soient traitées avec la plus grande rigueur.
Par ailleurs, nous ne devons plus au motif que notre réglementation en la matière est stricte, nous détourner de la violence particulière que représente le travail des enfants. Le travail des enfants en France est encore une réalité. Dans un rapport sur la mise en œuvre en France de la convention internationale que je présenterai le 20 novembre prochain à l’occasion de la journée nationale des droits de l’enfant, j’insisterai tout particulièrement sur ce point.
De même la recrudescence des actes de violences de mineurs à l’encontre d’autres mineurs nécessite une prise en charge et surtout une réponse claire du monde des adultes.
Face à ces violences faites aux mineurs, de multiples niveaux d’interventions doivent être mobilisés. En premier lieu, les parents qui doivent rester les protecteurs naturels de leurs enfants. La conférence de la famille nous a confortés dans notre volonté de renforcer toutes les actions qui permettent aux parents de jouer leur rôle primordial de guide et de protecteur.
Dans certains cas, lorsque la relation parent enfant semble difficile, un soutien précoce auprès des parents doit être initié pour permettre l’amélioration de cette relation. Cet accompagnement de la parentalité peut s’organiser auprès des institutions concernées. (Ecoles, Services du Conseil Général, Hôpitaux, CAF, Communes, Justice) en leur permettant de devenir de véritables partenaires entendus et écoutés, mais également interpellés dans leurs responsabilités de parents.
La création d’un réseau d’appui, d’écoute et de soutien aux parents, comme cela a été décidé lors de la conférence de la famille, va dans ce sens.
Dans les situations de maltraitances parentales, la protection de l’enfant s’accompagne souvent d’une remise en cause de cette fonction parentale. Il convient alors d’estimer la place que les parents peuvent garder auprès de leurs enfants. Dans ce domaine, gardons-nous des présupposés de toutes natures, qu’il s’agisse du maintien des liens à tout prix ou de la disqualification absolue comme bourreau des parents maltraitants.
Il vous appartient d’évaluer la situation aussi finement que possible, tant au niveau des causes que des conséquences de cette maltraitance. Votre évaluation déterminera les réponses souhaitables et plus particulièrement la possibilité d’un travail de réparation avec les parents.
Cette réflexion singulière autour de la situation, pourquoi, par qui, comment l’enfant a été maltraité, a fait l’objet de vos travaux d’aujourd’hui. La difficulté de cette tâche et l’implication personnelle qu’elle suppose, nécessitent une réflexion collective pluripartenariale. La complexité des situations familiales, les multiples interactions des composantes de la famille et de celle-ci avec les différents milieux extérieurs justifie un travail rigoureux d’analyse qui s’appuie sur une méthodologie éprouvée.
Il nous faut par ailleurs prévenir et réprimer les violences institutionnelles.
Sur ce point, je resterai particulièrement vigilante. Les services déconcentrés du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité doivent mobiliser les institutions accueillant des enfants afin que leurs projets éducatifs garantissent pleinement la qualité de la prise en charge. De plus les missions d’inspection et de contrôle des DDASS devront porter plus systématiquement sur l’appréhension et la régulation de la violence au sein de ces établissements.
Il faut enfin se doter d’outils statistiques et épidémiologies pertinents.
Affirmer nos connaissances statistiques en matière de maltraitance, permettra en effet une meilleure évaluation du phénomène et des politiques mises en œuvre.
Ainsi en 1999, deux études importantes seront mises en œuvre :
- Une étude sur plusieurs sites destinée à analyser et comptabiliser les signalements reçus par les parquets ;
Une étude épidémiologique sur la mortalité et les handicaps consécutifs à des actes de maltraitance.
Ces actions concertées tant au niveau local qu’au niveau national permettront une meilleure prise en charge des enfants victimes de maltraitance et à terme une prévention plus efficace.
Je sais que vos travaux d’aujourd’hui ont été fructueux et qu’ils contribueront une nouvelle fois à l’évolution de notre réflexion. J’en prendrai connaissance avec la plus grande attention car s’il vous revient la tâche exigeante d’être confrontés à ces problèmes quotidiennement, il me revient, et soyez en assurés avec un égal niveau d’exigence, de vous donner les moyens de pouvoir mieux agir contre ce fléau malheureusement toujours aussi présent dans nos sociétés modernes.
Au-delà de l’émotion légitime que provoquent certaines affaires chez nos concitoyens, il relève de notre dignité de femmes et d’hommes d’y consacrer le maximum de notre intelligence et de notre énergie. Une journée nationale comme celle-ci doit nous permettre de repartir de pied ferme et c’est pourquoi j’ai tenu à y assister, pour vous remercier et pour rendre hommage à votre action qui nous honore.