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La Lettre de la Nation Magazine : Vous avez engagé, depuis dix-huit mois, une série de réformes pour renforcer l'indépendance de l'autorité judiciaire : êtes-vous aujourd'hui satisfait du résultat ? Doit-on, selon vous, allez plus loin ?
Pierre Méhaignerie : À mon arrivée place Vendôme, j'ai trouvé une situation très dégradée. Les Français n'avaient plus confiance en leur justice. Ils la trouvaient trop lente, trop complexe, trop coûteuse. Ils avaient en outre le sentiment que la justice n'était pas égale pour tous : la perception commune était que les hommes politiques se protégeaient entre eux. J'ai donné à mon action trois axes fondamentaux : par la réforme du Conseil supérieur de la Magistrature qui a été adoptée par le congrès en juillet 1993, j'ai renforcé très considérablement l'indépendance de la justice. Aujourd'hui, les magistrats, pour leur carrière, dépendent de leurs pairs et non plus du pouvoir exécutif.
Afin de garantir la transparence de l'action publique, j'ai modifié le code de procédure pénale. Dorénavant, les instructions du garde des Sceaux données aux parquets son écrites et versées au dossier.
Il fallait enfin briser la perception d'une justice inégale selon que l'on était homme public ou simple citoyen. C'est pourquoi, à la demande du Premier ministre, j'ai proposé au Parlement la création de la Cour de Justice de la République. Jusqu'à cette réforme, les ministres ne pouvaient pas être sanctionnés pour des fautes commises dans l'exercice de leurs fonctions. Grâce à la mise en place de la Cour de justice de la République, tout citoyen peut saisir cette juridiction, porter plainte contre un ministre, et tout ministre peut se défendre. C'est donc un dispositif qui réhabilite la responsabilité. Je suis profondément convaincu que c'est là une avancée très importante pour notre démocratie.
Aller plus loin signifierait, par exemple, couper le lien entre la Chancellerie et les parquets. Pour ma part, je ne suis pas partisan d'une telle évolution. Dans notre système, le garde des Sceaux a une double mission de cohérence et de responsabilité ; de cohérence car il garantit l'unité de la politique pénale sur tout le territoire ; de responsabilité, car, à la différence des magistrats, le ministre de la Justice est un responsable politique qui rend des comptes à la représentation nationale, et au-delà, au peuple souverain.
Après avoir assuré l'indépendance de la justice, la transparence de son fonctionnement et l'égalité des citoyens devant la loi, je me suis fixé deux objectifs : donner à la justice des moyens financiers plus importants, c'est l'objet du programme pluriannuel pour la justice, et trouver un meilleur équilibre entre deux droits fondamentaux, la présomption d'innocence et le droit à l'information.
La Lettre de la Nation Magazine : Faut-il consolider le secret de l'instruction ? Si oui, comment ?
Pierre Méhaignerie : Le secret de l'instruction a une double fonction : il facilite la progression de l'enquête et il protège les droits de la personne mise en cause. Devant les violations répétées de ce sujet durant les dernières années, avec parfois des conséquences dramatiques – je pense à l'affaire Villemin –, j'ai demandé il y a plusieurs mois à la commission des Lois du Sénat de travailler sur ce sujet difficile. Toutes les parties concernées, magistrats, avocats, journalistes, victimes, ont été entendues.
Les récentes « affaires » concernant des responsables politiques ont démontré la nécessité d'une nouvelle réflexion. Diverses hypothèses de réformes ont été avancées. Pour ma part, je retiens celles-ci : il faut d'abord distinguer le cas des hommes publics de celui des autres citoyens. Dans le cas des autres citoyens, je suis pour le maintien du secret absolu. Quant aux hommes publics, qui sont élus par le peuple, ils ont plus de pouvoir, ils ont aussi plus de devoirs. La liberté de la presse et ses moyens d'investigation empêchent, chacun le sent bien, que le secret soit totalement maintenu quand une instruction met en cause un grand élu. La situation actuelle où des pièces d'instruction sont publiées dans les journaux n'est pas acceptable. D'in autre côté, le droit à l'information doit être garanti. Il y a donc un nouvel équilibre à trouver.
Pourquoi ne pas imaginer un système de fenêtre d'information dans lequel l'institution judiciaire organiserait pendant le déroulement de l'instruction des étapes publiques et contradictoires ? La notion de délai raisonnable de la justice, inscrite dans la Convention européenne des droits de l'homme et reprise par rapport de la commission Rozès, permettrait également, s'il était reconnu par le droit français, de mieux garantir le secret de l'instruction et le droit des personnes.
La Lettre de la Nation Magazine : Pensez-vous qu'il fille assouplir notre législation en matière de détention provisoire ? Si oui, sous quelle forme ?
Pierre Méhaignerie : Je voudrais tout d'abord rappeler deux choses : La première est que l'ordonnance de placement en détention provisoire est motivée et prise dans des conditions très précises, soit pour éviter des pressions sur les témoins, empêcher la destruction des preuves ou la concertation des complices, soit pour mettre un terme à l'infraction ou en prévenir son renouvellement ; enfin il peut s'agir de préserver l'ordre public.
Par ailleurs, j'ai fait voter au mois d'août 1993 le « référé-liberté » qui permet à toute personne mise en cause de faire appel d'une mise en détention provisoire et d'obtenir du président de la chambre d'accusation une décision dans les trois jours. Cette mesure nouvelle n'est pas encore assez utilisée. Je le regrette.
Le débat actuel sur la détention provisoire ne doit pas faire oublier que les chiffres indiquent une diminution du nombre de personnes concernées ces dernières années. Du reste, nous nous situons dans la moyenne européenne. Pour ma part, je pense que le premier souci de la justice doit être la prise en compte des aspirations à la sécurité de nos concitoyens.