Texte intégral
Monsieur le Président Sueur,
Monsieur le Président Rausch,
Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs.
Vous avez peut-être lu récemment dans le journal la Tribune, un article du directeur général d'Arthur D. Little France qui évoquait l'impact des nouvelles technologies de l'information. Il y estimait notamment que ces technologies étaient « en train de tuer l'emploi tel qu'on le conçoit, pense, réaménage, partage et décrit. Mais l'inertie de nos schémas de pensée est telle que cette évolution continue très largement à être décrite à l'aide de paradigmes hérités d'un ordre des choses que n'a plus cours aujourd'hui. »
Il est donc souhaitable que de nombreux débats et de nombreux travaux aient lieu sur les conséquences de l'entrée de la France dans la société de l'information.
Le développement irrésistible du réseau Internet, qui suscite un engouement croissant chez les Français, il bouscule les rapports économiques et sociaux traditionnels contribue à l'épanouissement personnel de nos concitoyens, dans la mesure où ils peuvent désormais accéder aisément à un grand nombre d'informations et de services. Mais cette évolution pourrait être aussi un facteur d'aggravation de l'inégalité sociale et un élément d'une nouvelle forme d'exclusion au détriment, notamment, des habitants des régions ou cités défavorisées.
C'est pourquoi je suis sensible au thème de votre colloque « Tous égaux devant le Net ». C'est assurément un beau slogan !
Il appartient à l'État, garant de la cohésion sociale, de maîtriser les profondes mutations qui affectent notre pays et de faire en sorte que la population dans son ensemble puisse tirer le meilleur parti de la société de l'information et de la civilisation du savoir.
L'État doit en premier lieu organiser les choses, en établissant des règles du jeu, et, tout en ne bridant pas les initiatives spontanées, sauvegarder les intérêts légitimes de la Nation et des citoyens. Ce doit être le cas, en particulier, sur les questions relatives à la morale, la santé publique, la protection des mineurs, la lutte contre la fraude et la fiscalité.
L'État doit également répondre aux nouvelles attentes des usagers, qui souhaitent un fonctionnement plus efficace de l'administration, une meilleure transparence de ses interventions et des décisions, mais aussi un développement des services publics vers plus de qualité et de proximité.
1 - Aussi, afin de maîtriser ces évolutions radicales et d'organiser la transition vers la société de l'information, le Premier Ministre a-t-il engagé résolument le Gouvernement dans une politique de modernisation, inscrite dans un programme d'action, le PAGSI, présenté en janvier 1998. Ce dernier définit un certain nombre de chantiers prioritaires ainsi que les conditions et le calendrier de réalisation de ces divers projets.
Il identifie, par ailleurs, le réseau Internet comme levier de la modernisation de l'administration et préconise l'utilisation intensive de ses technologies afin de remplir deux objectifs : améliorer le service rendu aux usagers et accroître l'efficacité du fonctionnement interne de l'État.
1-1 Parmi les avantages escomptés du recours intensif aux nouvelles technologies, je citerai quelques exemples significatifs.
Tout d'abord, l'utilisation d'Internet permet d'améliorer la communication externe en favorisant l'accès des citoyens à une information administrative exhaustive, sans cesse enrichie et actualisée. De surcroît, par l'interactivité qu'il autorise, Internet offre aux usagers un traitement personnalisé de leurs requêtes et transforme les serveurs grand public de l'administration en lieux de culture partagée.
Bien entendu, dans un souci de garantir l'égalité entre les usagers et de proscrire toute forme d'exclusion, il est indispensable de faire en sorte que tous les citoyens puissent accéder aisément à ces services en ligne. Aussi est-il prévu de doter progressivement les services publics de proximité, comme les bureaux de poste ou les maisons des services publics, d'équipements d'accès en libre-service au réseau Internet. L'administration sera entièrement accessible par voie électronique d'ici l'an 2000 et devra, par conséquent, répondre à toute sollicitation dans un délai plus bref, en faisant preuve de plus d'efficacité et de rigueur. L'usager aura ainsi la garantie que son dossier fera l'objet d'un traitement approprié et il pourra en suivre l'état d'avancement. Le nouveau mode de délivrance du permis de construire illustre parfaitement l'apport des NTIC en la matière.
1-2 Dans ces conditions, Internet devient un accélérateur de la réforme de l'administration. En effet, pour satisfaire aux nouvelles exigences des citoyens, simplifier leur vie quotidienne, les administrations doivent se moderniser, se réorganiser, devenir plus performantes et plus réactives.
Le développement de la déconcentration, le rapprochement des services et des usagers, ainsi que le caractère de plus en plus transversal des politiques publiques, appellent non seulement de nouvelles modalités d'organisation ou de fonctionnement, mais aussi la constitution de réseaux.
La mise en réseau de l'administration est donc le chantier essentiel des mois à venir. Elle favorisera le décloisonnement des services, permettra l'échange électronique d'informations ainsi que le développement de pratiques de travail en commun par l'utilisation de bases de données partagées ou de la visioconférence.
Les administrations devront profiter de l'introduction des nouvelles technologies pour se réorganiser et, ainsi, améliorer la qualité et la performance du service rendu aux citoyens.
Dans le cadre du PAGSI, il a été demandé à chaque ministre de procéder, pour la fin du premier semestre 1998, à une déclinaison sectorielle de ce programme, en formalisant dans un document les actions entreprises par son administration pour sa mise en oeuvre.
Les contributions des différents ministères sont en cours d'examen mais il est possible d'en tirer d'ores et déjà certains enseignements.
A - L'appropriation, par les ministères, de la démarche « société de l'information » est incontestable. Une dynamique interne est nettement perceptible. Beaucoup de ministères voient dans l'usage des NTIC l'opportunité de renforcer leur efficacité.
B - Les ministères ont entrepris un effort important de mise à disposition d'information abondante via Internet, s'ajoutant à des travaux d'envergure en matière de numérisation des gisements d'informations.
Le passage sur Internet des services Minitel est bien engagée et l'échéance de fin 1999, fixée par le PAGSI, devrait être respectée. En revanche, la mise en ligne des formulaires administratifs et le lancement de nouvelles téléprocédures seront plus progressifs. Un effort tout particulier va devoir être fait dans ce domaine car il s'agit aussi d'un facteur de simplification administrative.
Je suivrai avec attention le chantier ouvert par la préfecture de l'Isère dans ce domaine. Cette dernière proposera, à la fin du mois, sur son site Web, un certain nombre de formulaires, notamment celui de demande de carte grise. En dehors de l'intérêt qu'il y aura de pouvoir remplir à l'écran le dit formulaire avant de l'imprimer et de le transmettre accompagné des pièces nécessaires, le travail de formation fait auprès des emploi-jeunes qui animent les points Cyberposte m'a paru exemplaire. Il témoigne d'un souci pédagogique indispensable au lancement réussi de ces nouveaux supports.
C - Les programmes de modernisation interne sont beaucoup plus avancés et détaillés. De nombreux projets de réseau interne sont présentés.
Les ministères font souvent référence au futur Réseau Inter Administration, RIA, qui permettra une interconnexion entre l'ensemble des services. Les outils de messagerie sont en voie de généralisation dans plusieurs ministères et des projets d'Intranet existent dans tous les ministères, au profit, tout d'abord, de la mise en ligne de l'information interne, notamment par le biais d'une documentation sur la réglementation ou les procédures.
Bien entendu, il s'agit pour l'instant d'un bilan d'étape intervenant neuf mois après le lancement du PAGSI. La situation de chaque ministère mérite un examen approfondi pour s'assurer des cohérences indispensables.
C'est ainsi que je conçois mon rôle interministériel en la matière : impulsion, coordination, évaluation.
Des décisions seront prises par le Gouvernement d'ici la fin de l'année, afin de donner une impulsion nouvelle à ce programme et d'accélérer la modernisation indispensable des services publics.
2 - Si j'ai beaucoup parlé, jusqu'à maintenant, de l'État, je n'en oublie pas pour autant, le rôle des collectivités locales. Nombreuses sont celles qui prennent des initiatives. Vous avez d'ailleurs remis les Trophées Internet qui ont distingué les meilleures réalisations de l'année.
J'ai pris connaissance avec attention de votre étude sur les initiatives des villes dans les domaines des télécommunications et du multimédia. J'avoue avoir été impressionné par le niveau de sensibilisation déjà atteint et le nombre des initiatives prises dans ce domaine.
2-1 J'ai souhaité que les collectivités locales soient intégrées à la réflexion de l'État sur les nouvelles technologies. Ce n'est bien entendu pas dans un souci de contrôler mais bien d'assurer une démarche lisible par nos concitoyens pour tous les services publics, locaux et nationaux.
Tout d'abord, en se plaçant du côté des citoyens qui ne distinguent pas toujours clairement ce qui est du ressort des administrations d'État ou des collectivités locales, il faut faire en sorte que leurs démarches soient simplifiées
et transparentes. Cela nécessitera un effort de coordination auquel les différentes parties ne sont pas toujours habituées.
Et puis, il faudra faire progresser la dématérialisation des échanges entre les collectivités locales et l'État.
Les courriers ou la transmission obligatoire de documents se font uniquement actuellement sur support papier. Lorsqu'une collectivité locale a investi dans son système d'information en rationalisant les processus de conception, d'élaboration et de traitement, en les numérisant et en travaillant en réseau grâce à un intranet municipal ou un réseau local, elle trouve un retour sur investissement dans ses temps de traitement des dossiers et dans la fiabilité des informations.
Dès lors, lorsque la transmission des documents à l'administration est obligatoire, le seul support écrit apparaît non seulement désuet mais surtout comme un goulet d'étranglement. La transmission en réseau des informations sur supports numérisés, conjointement au support écrit compte tenu du droit actuel, permettrait des gains de temps appréciables. Certes, de telles transmissions ne peuvent se faire sans une réflexion préalable sur la nature des documents concernés, leur normalisation et les éléments de sécurité indispensables pour identifier les auteurs et garantir l'intégrité des informations.
Puis, si le principe de transmission de documents numérisés est admis et intégré dans les relations entre collectivités locales et administration, il est logique de poursuivre la réflexion et d'imaginer :
- que les contrôles budgétaires ou de légalité effectués par l'administration soient faits sur les supports numérisés,
- que le compte-rendu de ces contrôles soit lui aussi fait sur supports 4 numérisés,
- et, que le retour d'information auprès des collectivités locales émettrices soit lui aussi transmis via les nouvelles technologies de la communication.
Si le papier reste encore le principal support légal de communication car il garantit des principes essentiels comme celui de l'égalité ou de la fiabilité, il apparaît néanmoins que les textes devraient évoluer et intégrer le fait que les communications peuvent aussi se faire sur supports numériques ou sur réseaux.
Ainsi, au-delà des rapports avec l'État, lorsqu'une commune a décidé de mettre sur le WEB des informations essentielles à la vie de la commune, qui doivent être obligatoirement publiées ou affichées comme les arrêtés du maire, les comptes-rendus du conseil municipal ou les appels d'offres, l'accessibilité directe à l'information offerte par ce média peut-elle être considérée comme un mode de communication suffisant à l'égard des administrés ?
Concernant la mise à disposition des documents administratifs, l'accessibilité via le Web offre-t-elle toutes les garanties de fiabilité et de confidentialité auprès des citoyens ?
La réflexion entamée pour ce qui est de l'État, qui sera largement inspirée par l'excellent rapport du Conseil d'État remis récemment, permettra d'orienter les travaux des collectivités locales dans le domaine.
2-2 Mais, je ne saurais oublier le sujet de l'intervention des collectivités locales en matière de télécommunications. Vous avez, d'ailleurs, débattu de ce point.
Au carrefour des réglementations sur les télécoms, sur les interventions économiques des collectivités locales et sur le droit de la concurrence, il s'agit d'un sujet que le Gouvernement s'efforce, en ce moment même, de baliser. Il faut que, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, les élus disposent de textes aussi clairs que possible.
En amont du débat juridique, n'oublions pas que l'investissement dans des réseaux de télécommunications peut se révéler très onéreux et, parfois, ne pas s'avérer rentable. Dans un domaine où les évolutions technologiques sont particulièrement rapides, il faut se méfier des mirages. Certaines expériences malheureuses du passé doivent nous inciter à la vigilance.
Pour revenir au droit, un réseau est considéré comme indépendant lorsqu'il est créé et exploité pour les seuls besoins d'un utilisateur ou d'un groupe fermé d'utilisateurs définis et identifiés. Un groupe fermé d'utilisateurs est entendu comme un groupe qui repose sur une communauté d'intérêt suffisamment stable pour être identifié et préexistante à l'établissement du réseau.
Les collectivités locales ont la possibilité d'exploiter des réseaux indépendants de télécommunications définis à l'article L 32,4 du code des postes et télécommunications, qu'il s'agisse de réseaux constitués par une seule collectivité pour ses propres besoins ou de réseaux indépendants partagés entre plusieurs utilisateurs, personnes publiques constituant un groupe fermé d'utilisateurs.
En revanche, en l'absence de compétence reconnue par la loi aux collectivités locales en matière de télécommunications, et compte tenu du caractère concurrentiel de ces activités, l'éventuelle intervention des collectivités locales en tant qu'opérateur de télécommunications ne peut être aujourd'hui envisagée que dans le cas d'une carence de l'initiative privée.
Cette carence semble a priori exclue compte tenu de l'obligation faite à l'opérateur public en charge du service universel, France Telecom, de desservir les usagers en tout point du territoire et d'assurer une gamme étendue de services.
Un point important reste à l'étude. Il concerne les conditions dans lesquelles les collectivités locales pourraient être amenées à installer des infrastructures de télécommunications en vue de la mise à disposition des opérateurs souhaitant s'implanter sur leur territoire, qu'il s'agisse d'ouvrages de génie civil dédiés ou de fibres préinstallées et non activées.
En effet, cette mise à disposition ne constitue pas, en tant que telle, une activité soumise au régime d'autorisation propre aux opérateurs de télécommunications, mais peut être regardée comme un prolongement des pouvoirs de gestion du domaine public relevant des collectivités locales.
Le caractère onéreux de telles mises à disposition soulève également la question de la reconnaissance éventuelle d'un service public et du respect du droit de la concurrence.
Compte tenu de ces difficultés juridiques, le Gouvernement a décidé de soumettre cette question au Conseil d'État et au conseil de la concurrence qui viennent d'être saisis. Le Gouvernement donnera prochainement des orientations claires et assurant le meilleur équilibre entre intervention publique et initiative privée.
Mesdames, Messieurs, l'année écoulée a été fort passionnante et riche d'enseignements pour l'administration qui a fait ses premiers pas vers la société de l'information.
Un travail important a été réalisé. Si une étape a certes été franchie, l'histoire des grandes idées. e .t la sociologie administrative nous invitent à rester vigilant et à nous concentrer sur nos prochains pas pour :
- développer des contenus pertinents,
- organiser la généralisation de cette culture de « réseau », culture de modernisation,
- réfléchir aux moyens humains, budgétaires et techniques à mobiliser, à adapter, à inventer.
Le Premier Ministre a chargé le commissariat au Plan d'une mission sur les transformations profondes que les nouvelles technologies auront sur l'efficacité de l'État et la qualité des services qu'il rend aux citoyens. J'ai installé le groupe de travail qui travaillera sur ces sujets. Présidé par Monsieur Bruno Lasserre, il devra rendre ses travaux d'ici à la fin de 1999.
Une réelle dynamique existe aujourd'hui. Il faut l'entretenir afin que la passion, l'enthousiasme des premiers pionniers du Net se diffusent rapidement.
Fondamentalement, mon département ministériel s'attache à favoriser l'existence d'un service public de qualité, adapté aux besoins économiques et sociaux de nos concitoyens. Le service public est un élément de la cohésion de notre République : c'est dans ce cadre que doit se préparer et se mettre en oeuvre la réforme de l'État. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication doivent y contribuer.
Merci à toutes et à tous de continuer à faire progresser la réflexion pour aborder avec confiance le XXIe siècle.