Déclaration de M. Laurent Fabius, Président de l'Assemblée nationale, sur les valeurs de la mutualité, la contribution du mouvement mutualiste à l'édification de l'Europe sociale et sur la nécessité de faire reconnaître par la Commission européenne la spécificité de la mutualité, à l'Assemblée nationale le 24 septembre 1998.

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Circonstance : Colloque intitulé "Centenaire de la loi du 1er avril 1898 sur la Mutualité" à l'Assemblée nationale le 24 septembre 1998

Texte intégral

Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir dans cette assemblée. La représentation nationale est sensible au fait que ce soit dans ses murs que vous vous réunissiez, alors qu’il s’agit, à l’occasion du centenaire de la loi du 1er avril 1898 de revenir sur un siècle d’existence de votre organisation. C’est ce que fera avec talent, je le sais, le président Jean-Pierre Davant en reprenant l’historique de ce texte. Je chercherai donc à éviter les doublons.

L’occasion est propice aussi pour s’interroger, fût-ce brièvement, sur ce que sont et seront certains aspects de l’avenir de notre pays, de son système sanitaire, de sa protection sociale, et d’envisager le rôle – central je l’espère – qu’y jouera la mutualité française.

Je salue avec chaleur Jean-Pierre Davant, le président de la Mutualité française, et le professeur Agulhon qui préside vos travaux et qui accepta, voici quelques mois, de veiller aux destinées d’une exposition sur « 1848 et le printemps des peuples » que 50 000 visiteurs ont découvert ici.

Parmi les raisons qui me poussent à me réjouir de votre présence j’en citerai trois.

1. Il y a, entre la Mutualité française et tous les républicains, une proximité évidente qui rend votre présence naturelle dans cette salle. « Liberté, égalité, fraternité » est la devise de notre République laïque, démocratique et sociale. « Solidarité, mutualité, fraternité » est la devise que l’on pourrait vous appliquer. Il y a cent ans, d’autres batailles, contemporaines de celles qui ont accompagné l’enracinement de la démocratie et des libertés dans notre pays, d’autres affrontements l’ont vu naître. Ils ont rythmé les avancées collectives du monde ouvrier de rengagement syndical, du mouvement social. Vous en avez été les héritiers avant d’en être les acteurs.

Dans ces valeurs, dans ces révoltes, je me reconnais pour ma part pleinement et les objectifs de la Mutualité – justice sociale, redistribution, égalité des chances – demeurent intacts. Les valeurs de la Mutualité sont les valeurs de la République.

2. La seconde raison qui me fait ouvrir avec joie vos travaux est celle-ci. Contre l’indifférence et l’égoïsme, la Mutualité est née de la volonté d’entraide et de secours qui animait certaines organisations de salariés. Elle est née parce qu’existaient souffrances, maladies, risques et difficultés et que les puissants, à cette époque, ne voulaient pas les indemniser, les réparer, les assurer. Aujourd’hui ces combats ont en partie changé. Mais la souffrance, la détresse sont toujours là. Vous êtes là pour y répondre et, depuis cent ans, la Mutualité a su le faire en adaptant ses structures et ses domaines d’intervention, pour mieux préserver ses valeurs. Elle a fait ainsi la preuve de sa capacité d’évolution et de son aptitude à prendre en charge les besoins sociaux tels qu’ils apparaissent ou se transforment. C’est à cette capacité d’adaptation au service des mêmes valeurs que je veux rendre hommage. J’ai souvenir qu’en 1985, le gouvernement que je dirigeais proposa l’adoption par le Parlement d’un nouveau code de la mutualité. À travers un nouveau statut juridique, vous avez trouvé la capacité de mener des opérations de prévoyance collective. Vous avez su répondre aux nouveaux enjeux et montrer que la dimension sociale et responsable de votre gestion pouvait contribuer au développement de nouvelles formes d’épargne et au bien-être des sociétaires.

3. La troisième raison de vous accueillir est proprement parlementaire. L’année législative, qui va débuter dans quelques jours, sera à la fois institutionnelle et sociale. Le champ social demeurera un domaine privilégié de l’activité du législateur. Il y aura notamment des passages importants et obligés comme la loi de financement de la Sécurité sociale. Je souhaite, comme pour le budget, que ses conditions d’examen évoluent dans un Parlement revalorisé, pour concourir avec les partenaires sociaux à une dépense plus efficace, à une gestion plus rigoureuse et plus transparente.

Rendre les citoyens acteurs de la vie sociale, améliorer leurs conditions quotidiennes, les écouter et les respecter, autant d’objectifs que nous partageons. Le mouvement mutualiste, est fort aujourd’hui de 55 000 salariés, de 100 000 élus, de 15 millions d’adhérents et de 30 millions de bénéficiaires. Plus d’un Français sur deux est, d’une façon ou d’une autre, partie de la Mutualité. L’attrait de beaucoup de nos compatriotes pour des formes d’engagement concrètes, proches de leur vie quotidienne, trouve à s’exprimer dans le cadre mutualiste, au service d’une démarche collective et fédérative. Ce que le mouvement mutualiste dans son ensemble a si bien réussi est, sans doute, ce que nous devons méditer pour que notre démocratie politique devienne aussi une démocratie sociale.

D’autant plus qu’aujourd’hui de nouveaux défis se présentent à nous. Évidemment celui de l’Europe. Sur le terrain social et des institutions, l’Union européenne n’avance pas assez vite, tandis que dans le même temps, l’intégration financière et économique avance à grands pas. La géographie précède l’Histoire, les finances précèdent la solidarité. Ce déséquilibre n’est pas sain. C’est pourquoi je crois que nous devons, sans attendre, nous donner les moyens d’aboutir à une véritable convergence sociale entre les États membres. Deux domaines au moins devraient faire l’objet d’une politique commune :
– la reconnaissance de véritables minima sociaux européens. Les Quinze aussi, à leur manière, doivent former une mutualité ;
– chercher d’autre part à compenser les dégâts de l’exclusion par une allocation minimum d’insertion ; veiller à l’universalité de l’accès aux soins ; ne pas aborder en front trop dispersé la question des retraites qui est un problème crucial à l’horizon des dix prochaines années.

À cet égard, il est indispensable que la Commission européenne revienne sur sa position qui assimile l’action de la mutualité à celle des assurances. Il me paraît exister une différence fondamentale entre les sociétés de personnes à but non lucratif comme les mutuelles et les sociétés de capitaux comme les compagnies d’assurance. L’Europe sociale solidaire que nous souhaitons ne doit pas nier la spécificité du mouvement mutualiste, ni les apports à la démocratie sociale qui sont les siens. Elle doit au contraire s’en inspirer.

Parallèlement, l’avenir de notre protection sociale devra être conforté. Davantage de rigueur dans les choix, davantage de responsabilité dans les actions, davantage d’efficacité dans les dépenses. La Mutualité est par nature partie prenante de la nouvelle économie de la protection sociale qui se met progressivement en place. Son rôle sera d’autant plus important qu’elle saura, par une gestion et des pratiques exemplaires, rester fidèle à ses valeurs de solidarité, de démocratie et éviter toute dérive.

Ce que je veux dire, et je terminerai par-là, c’est que nous devons profiter de la croissance économique actuelle pour préparer l’avenir et réduire la vulnérabilité de notre système de santé et de retraite aux aléas de la croissance. Le gouvernement a proposé récemment la constitution d’un fonds de réserves permettant d’amortir le ressaut des années 2005 et suivantes. J’y suis d’autant plus favorable que c’est un projet que nous avions proposé, il y a quelques années, Pierre Bérégovoy et moi-même. Bien sûr, tout dépendra de la façon dont on remplira le fonds et de la hauteur à laquelle on le fera. Cela n’évitera pas de procéder à des efforts, voire à des remises en cause. Mais c’est un premier pas utile. Je souhaite que la mutualité puisse dans ce domaine de la retraite jouer un rôle majeur, comme elle a su le faire dans celui de la prévoyance collective.

De même, en matière de santé publique. Nous devons là aussi également faire mieux. Faire mieux, c’est donner à tous les Français l’accès à une couverture du risque maladie. Dépenser plus efficacement, c’est-à-dire aussi mieux gérer l’offre de soins, en faisant appel à la responsabilité des assurés comme à celle du corps médical, avoir le courage de dire qu’on peut aboutir à une meilleure politique de soins et de meilleures conditions de travail pour les hospitaliers sans multiplier les structures à l’activité trop réduite pour être efficace.

Enfin, le mode de financement de notre système de protection sociale devra évoluer. Je suis de ceux qui considèrent que son coût excessif sur les salariés les moins rémunérés a un effet négatif sur l’emploi, cependant, que sa structure pénalise les entreprises de main d’œuvre. C’est le problème bien connu de l’assiette des cotisations et la nécessité, à mon sens, existe d’alléger le poids de ces cotisations sur les salaires les plus bas et sur le travail le moins qualifié.

Telles sont, Mesdames et Messieurs, alors que vont débuter vos travaux, quelques-unes des réflexions que je voulais partager avec vous à l’occasion du centième anniversaire de la Charte de la Mutualité. Sur tous ces points, diverses approches sont possibles. La Mutualité a le mérite pour sa part d’aborder franchement les questions, d’une façon souvent anticipatrice et toujours responsable, tournée centralement vers la personne humaine. Je souhaite que ce colloque soit fructueux.