Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur le projet de réforme de la loi sur les sociétés d'économie mixte (SEM), leur rôle pour le développement local, leur financement et sur leurs relations contractuelles et financières avec les collectivités locales, Toulouse le 17 septembre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Émile Zuccarelli - ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation

Circonstance : Congrès de la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte locales (FNSEM) à Toulouse le 17 septembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président Vallin,
Mesdames, Messieurs.


Je voudrais tout d'abord vous remercier de m'avoir invité à m'exprimer devant vous cet après-midi et vous féliciter pour le succès de ce Congrès attesté par le nombre de ses participants. Dans votre propos introductif, Monsieur le Président, vous avez abordé essentiellement deux sujets : la décentralisation en général et l'économie mixte au sein de la décentralisation. Si vous m'y autorisez je vais reprendre successivement ces deux points tout en vous disant sans plus attendre que je suis bien évidemment favorable au pacte de confiance entre l'économie mixte locale et les pouvoirs publics, pacte que vous appelez de vos vœux.

1 - LA DECENTRALISATION SERAIT-ELLE EN CAUSE ?

J'entends des élus s'inquiéter de l'évolution de la décentralisation. Vous-même, Monsieur le Président Vallin, vous m'avez fait part de vos interrogations.

Permettez moi de vous rassurer. Ne doutez pas de la volonté du Gouvernement et donc de la volonté du ministre de la décentralisation de se placer dans le droit fil du mouvement initié par la loi du 2 mars 1982.

D'ailleurs dans ce domaine, le Gouvernement prépare un ensemble de réformes cohérentes contenues dans des textes complémentaires, chacun placé sous la responsabilité d'un ministre mais qui ont donné lieu à un travail d'élaboration commun : la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire présentée par Madame Dominique Voynet, la loi relative à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale préparée par Monsieur Jean-Pierre Chevènement et, enfin, la loi sur l'intervention économique des collectivités locales que je soumettrai prochainement au conseil des· ministres.

Ces trois textes et les débats qu'ils occasionneront vont permettre de poursuivre, d'amplifier même, la décentralisation.

D'autres textes y concourent également : je pense notamment au projet de loi sur le mode de scrutin pour les élections régionales et sur le cumul des mandats. Chacun sait qu'il faudra en tenir compte pour ce qui est du statut de l'élu.

Ce Gouvernement a par ailleurs décidé de prendre en compte, dans un souci de justice et d'équité, la révision des valeurs locatives pour le calcul de la taxe d'habitation, réforme trop longtemps différée pour des raisons qui m'échappent.

Preuve supplémentaire de l'attachement du Gouvernement à la décentralisation : la présentation du contrat de croissance et de solidarité qui fait suite au défunt pacte de stabilité régissant les relations financières entre l'État et les collectivités locales qui, je pense, ne sera regretté par personne !

L'introduction d'une part de la croissance dans le calcul de l'évolution de ce que les spécialistes appellent l'enveloppe normée atteste de la considération du Gouvernement pour le processus de décentralisation et de sa volonté de contribuer à sa réussite.

Certains ont vu dans le projet de loi de finances une tentative de recentralisation. Qu'en est-il ?

Tout d'abord, chacun a pu noter que les mécanismes de compensation prévus par les lois de décentralisation joueront à plein pour ce qui concerne les décisions d'allégements des droits de mutation prises par le Gouvernement. Les règles retenues sont celles figurant dans les lois de 1982 et 1983.

Pour ce qui est de la taxe professionnelle, Monsieur Christian Sautter a indiqué devant le comité des finances locales, les modalités de compensation pour les collectivités locales. Nul ne doute de la bonne foi du Gouvernement dans cette affaire et l'inscription de la compensation dans la DGF est la meilleure garantie pour les collectivités locales.

Certains regrettent la perte d'autonomie des collectivités locales qui serait provoquée par la diminution de leur autonomie fiscale.

A cela deux réponses. Tout d'abord une étude récemment menée par le Conseil de l'Europe montre que le niveau d'autonomie des collectivités locales françaises est parmi les meilleurs. Ensuite, aux Pays-Bas où les experts s'accordent à dire que les collectivités locales jouent un grand rôle, ces dernières reçoivent la quasi totalité de leurs recettes de l'État. Non, vraiment, rien ne permet de nourrir le procès de recentralisation que d'aucuns veulent faire au Gouvernement.

Ce dernier souhaite au contraire approfondir la décentralisation et cela passe aussi par une adaptation de l'État. C'est ce que je m'applique à faire, patiemment, mais de manière déterminée et méthodique, dans le cadre de la réforme de l'État :

- en prenant appui sur les principes énoncés dès ma communication du 5 novembre 1997 en conseil des ministres,
- en s'intéressant en priorité aux relations entre l'administration et les citoyens, ce qui concerne notamment les services publics locaux, c'est l'objet du projet de loi DCRA,
- en demandant à chaque ministère de préparer son programme pluriannuel de 2 modernisations,
- et surtout, en assurant la poursuite de la déconcentration, condition sine qua non de la réussite de la décentralisation. Tous les élus locaux m'ont exprimé maintes fois leurs attentes et je partage leur avis.

2 - JE REVIENS MAINTENANT AU SUJET QUI VOUS INTERESSE TOUT PARTICULIEREMENT, CELUI DE LA REFORME DE LA LOI DE 1983 SUR LES SEM LOCALES.

Ce n'est pas à vous, élus locaux, présidents et directeurs de sociétés d'économie mixte locales que je démontrerai la nécessité de cette réforme. Depuis plusieurs mois, une réflexion approfondie et sans a priori a été engagée avec votre fédération. Elle a permis de mettre en lumière les préoccupations et les difficultés que vous rencontrez dans la gestion quotidienne des projets dont vous avez la responsabilité.

Depuis leur création, les sociétés d'économie mixte locales constituent un instrument d'intervention privilégié pour les collectivités territoriales dans de nombreux secteurs : aménagement, logement, tourisme, transport, etc.

Elles apportent, dans le respect du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, une contribution importante au développement local en autorisant d'utiles synergies entre les projets et les moyens des collectivités locales et le secteur privé.

Sous l'effet conjugué du régime défini par la loi du 7 juillet 1983 aligné pour une large part sur le droit des sociétés commerciales et de l'intervention croissante des collectivités dans le domaine économique et de l'aménagement, l'économie mixte a connu un essor considérable.

Au cours de la dernière décennie, le nombre des sociétés d'économie mixte locales a été multiplié par deux. Aujourd'hui, selon vos propres chiffres, plus de 1 300 sociétés représentant 56 000 emplois, témoignent ainsi du succès de cette formule.

Le thème de votre congrès, cette année, « Région, agglomération, pays : les SEML artisans du développement des territoires » ainsi que les débats qui ne sont tenus ont permis, s'il en était besoin, de mettre en évidence l'action d'accompagnement exercée par les SEML dans la mise en œuvre des projets de développement et d'aménagement local initiés par les élus locaux.

Pour autant, l'expérience de ces dernières années, pour des raisons tant juridiques que financières, justifie que le cadre d'action des SEM soit précisé et que les relations entre les collectivités locales et leurs SEM soient sécurisées.

Vous le savez, le droit applicable aux sociétés d'économie mixte locales présente des éléments d'incertitude juridique que la jurisprudence récente n'a pas entièrement permis de combler.

La nécessité d'une clarification des rôles et des responsabilités respectifs des partenaires publics et privés s'impose également afin d'assurer aux collectivités territoriales les sûretés nécessaires.

Ainsi est né un projet de réforme qui vise deux objectifs :

- le premier est de consacrer la place des sociétés d'économie mixte locales dans le développement local en renforçant le rôle des collectivités actionnaires ;
- le second est de déterminer, dans un souci de protection des finances locales, un régime de relations clarifiées et mieux maîtrisées entre les collectivités et ces sociétés.

2-1 Des moyens nouveaux pour les collectivités afin de promouvoir le développement local.

Le futur projet de loi dotera les collectivités territoriales de moyens nouveaux liés à leur qualité d'actionnaires, avec l'autorisation des avances en compte courant d'associés, et de moyens liés à leur qualité d'opérateur, combien nécessaire, dans le secteur du logement social et intermédiaire.

2-1-1 Les collectivités territoriales deviendront des actionnaires à part entière avec l'autorisation des avances en compte courant d'associés.

Si la loi du 7 juillet 1983 a permis aux collectivités territoriales de créer librement des sociétés d'économie mixte et de participer à des augmentations de capital, elle ne leur a pas accordé toutes les facultés liées à leur qualité d'actionnaires et notamment la possibilité de consentir des avances en compte courant d'associés prévues par le droit des sociétés.

Ces avances destinées à pourvoir aux besoins de trésorerie momentanés de la société sans procéder à une augmentation de capital, constituent, dans le droit commun des sociétés, une modalité complémentaire et habituelle de financement.

Il est important de permettre aux sociétés d'économie mixte de disposer de cette faculté de financement. Il ne serait, pour autant, pas souhaitable que, par ce biais, les collectivités territoriales actionnaires ne soient progressivement amenées à assumer seules la charge et donc le risque du financement de ces sociétés.

Aussi, nous est-il apparu nécessaire d'accompagner cette faculté nouvelle offerte aux sociétés d'économie mixte de mesures propres à assurer le maintien d'un partage du risque entre financeurs publics et privés, sinon on ne pourrait plus parler d'économie mixte !

Le projet de loi prévoit donc de fixer l'engagement des collectivités sous forme de participation au capital et d'avances à 80 % de l'engagement sous ces deux formes, de la totalité des actionnaires. Les avances seront par ailleurs accordées pour une période de deux ans renouvelable une fois. A l'issue de cette période, elles seront remboursées ou transformées en augmentation de capital.

2-1-2 L'accompagnement par les collectivités territoriales des programmes de logements sociaux et intermédiaires réalisés par les SEML.

Pour les sociétés d'économie mixte locales immobilières qui ne peuvent prétendre, comme les organismes d'habitations à loyers modérés, à des aides de la part des départements et des communes, un régime particulier de subventions d'investissement est prévu. Le régime ainsi envisagé devrait faciliter la réalisation par les sociétés d'économie mixte de programmes immobiliers à caractère social, ce qui me semble un sujet essentiel.

L'expérience a montré que ces programmes pouvaient générer des déséquilibres graves et durables. Pour permettre aux collectivités locales de participer aux mesures de redressement de leur équilibre financier, le projet de loi autorise les collectivités, à titre exceptionnel et dans le cadre d'une procédure contractuelle assurant leur complète information, à accorder des subventions aux sociétés d'économie mixte qui construisent ou gèrent des logements sociaux.

2-2 Des relations clarifiées dans un souci de protection des finances locales.

Ces moyens d'intervention nouveaux doivent s'accompagner de la clarification du régime juridique applicable aux relations contractuelles et financières entre les collectivités et les sociétés d'économie mixte locales dans l'intérêt des partenaires de l'économie mixte et parmi eux, les élus.

2-2-1 Une rationalisation des relations contractuelles et financières entre les collectivités territoriales et les SEML est nécessaire.

Les relations contractuelles entre les collectivités et les sociétés d'économie mixte locales font l'objet de dispositions spécifiques prévues par la loi de 1983. Par ailleurs, d'autres textes plus récents et de portée générale organisent également les modes de gestion ou de délégation de certains services ou de certaines opérations. Il s'agit, notamment, de la règle d'équilibre des services publics industriels et commerciaux, de la loi « Sapin » du 29 janvier 1993 relative aux délégations de service public et de la loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d'ouvrage publique pour les conventions de délégation de maîtrise d'ouvrage.

L'application de ces textes aux sociétés d'économie mixte locales a été source de confusions ou d'interrogations. Aussi doit-il être clairement précisé dans quelles conditions que ces différents textes leur sont applicables.

Je voudrais évoquer d'un mot les difficultés liées à l'application de la loi Sapin. A l'origine, cette dernière excluait les SEM, le conseil constitutionnel a décidé d'intégrer ces dernières au droit commun.

Nous nous trouvons donc face à un principe de valeur quasi constitutionnelle et rien ne permet de penser que le Conseil pourrait avoir changé d'avis sur ce sujet.

De plus, politiquement, on peut s'interroger sur la faisabilité d'une « exonération » des obligations de transparence pour les seules SEM. Nous avons activement cherché une solution pour sortir de ce qu'il faut bien appeler une impasse, sans succès jusqu'à aujourd'hui. Mais je suis prêt à entendre toute proposition qui serait politiquement et juridiquement viable.

Dans le domaine particulier et si important des concessions d'aménagement, les relations contractuelles entre les collectivités et leurs sociétés d'économie mixte méritent d'être précisées.

A l’heure actuelle, force est de constater que ces opérations ne sont pas toujours réalisées dans des conditions de totale transparence et qu'elles conduisent les collectivités concédantes à supporter des risques financiers qui, parfois, n'ont pas été préalablement évalués et n'ont pas fait l'objet d'un débat au sein des assemblées délibérantes.

Il importe donc de préciser le cadre juridique qui, tout en permettant une participation financière de la collectivité concédante, soumette le principe même de son engagement financier à un vote de son assemblée délibérante, à qui il appartient de fixer le montant total de l'apport qu'elle consent sur la base d'un programme prévisionnel sincère et réaliste.

Ce même principe de réalisme conduit, en outre, à prévoir la possibilité pour la collectivité de réviser le montant de sa participation financière, par avenant au contrat de concession initial, selon une procédure qui assure une complète information de l'assemblée délibérante.

2-2-2 Une responsabilisation des acteurs de l'économie mixte s'impose.

Parmi les obligations prévues par la loi de 1983, deux d'entre elles sont fondamentales.

Il s'agit, en premier lieu, du rapport annuel du représentant de la collectivité locale actionnaire au conseil d'administration - ou de surveillance - de la société. En second lieu, de l'obligation pour les SEML de transmettre au préfet les délibérations du conseil d'administration - ou du conseil de surveillance - et celles assemblées générales. Cette transmission permet au représentant de l'État, s'il estime qu'une décision est de nature à augmenter gravement la charge financière d'une ou plusieurs collectivités actionnaires, de saisir la chambre régionale des comptes.

Il est vrai que l'absence de respect de ces obligations n'est pas sanctionnée par la loi. Il faut cependant garder à l'esprit que l'insuffisance de contrôle de la société par la collectivité ne l'exonère pas de sa responsabilité, notamment en cas de difficultés financières. Par ailleurs, le droit d'information du préfet représente moins un contrôle qu'une protection.

Dans cette optique et afin d'insuffler dans le fonctionnement des sociétés d'économie mixte locales une indispensable logique de transparence, le projet de loi subordonne la possibilité pour la société de percevoir des avances en compte courant d'associés au respect de ces obligations.

Enfin, il est nécessaire de prévoir également des dispositions permettant de préciser le statut des mandataires des collectivités auprès des sociétés d'économie mixte locales.

Il s'agit là d'une question sensible qui a pu, dans quelques cas, être source de réelles difficultés.

En effet, les risques d'inéligibilité et de prise illégale d'intérêt sont inhérents à la double qualité d'élus et de dirigeants - ou de membres des instances dirigeantes - des sociétés commerciales que sont les sociétés d'économie mixte locales. Dans le cas de filiales de celles-ci, les risques, pour moi, sont certains.

Pour éviter que des élus ne soient confrontés à des situations de conflits d'intérêts, le projet de loi prévoit que les représentants d'une collectivité au sein du conseil d'administration d'une société d'économie mixte locale ne pourront prendre part au vote de l'assemblée délibérante de la collectivité lorsqu'il porte sur les relations entre la collectivité et la société d'économie mixte locale.

Vous le savez, animé du même souci de protection des élus locaux présidents de société d'économie mixte, j'avais également envisagé de transférer par dérogation à la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, les fonction dévolues par le droit commun au président du conseil d'administration au directeur général de la société. Les réserves dont vous m'avez fait part à ce sujet et que j'ai bien comprises m'ont conduit à abandonner cette idée.


En conclusion, s'il me fallait résumer d'un mot l'économie générale du texte que je me propose de présenter au Parlement au cours du premier semestre 1999, je dirais qu'il s'efforce d'atteindre un équilibre, jugé souhaitable par tous les partenaires de l'économie mixte, entre les besoins de ces sociétés pour servir les objectifs de développement local que les collectivités leur assignent et la protection de ces mêmes collectivités locales sans laquelle aucun développement n'est possible.

Je considère que la loi de 1983 est un acquis de la décentralisation et que sa consolidation suppose que ce droit des collectivités locales à créer des sociétés d'économie mixte s'exerce... dans le respect de l'intérêt général que les élus, de par le suffrage universel, incarnent.