Conférence de presse de M. Alain Lamassoure, ministre chargé des affaires européennes, sur la publication d'un mémorandum français sur les sanctions pour les infractions au droit communautaire, Paris le 20 décembre 1994.

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Je vous ai réunis pour vous annoncer la publication d'un mémorandum français sur les sanctions pour les infractions au droit communautaire. J'avais eu l'occasion déjà de vous en parler et c'est donc aujourd'hui, après une préparation conjointe du ministère de la Justice et du ministère des Affaires étrangères, que la France adresse à la Présidence allemande, à ses partenaires et à la Commission européenne un mémorandum sur les sanctions.

Comment se pose le problème ? Vous savez que la réalisation du grand marché unique européen a nécessité un cadre juridique qui comprend – on dit couramment 300 directives – en fait il y en a pour l'instant 282, ainsi que des centaines de règlements, ayant des applications dans les domaines de l'environnement, de la protection des consommateurs, vétérinaires, alimentaires, etc. Or, c'est une bizarrerie et une lacune grave du cadre juridique communautaire : il n'est pas prévu de système de sanctions pour infractions à ce droit communautaire, le droit européen n'a ni gendarmes ni juges. C'est vrai également pour l'ensemble des dispositions financières et budgétaires de la communauté.

L'Union européenne a amélioré les moyens de détecter la fraude et chaque année le rapport de la Cour des Comptes communautaire donne des exemples de fraudes ainsi détectées mais elle n'a pas mis en place un système de répression. Je rappelle que le budget communautaire est de l'ordre de 80 milliards d'écus, soit 500 milliards de francs. Le principe, qui a été posé depuis le début et j'y reviendrai, c'est que chaque État membre est laissé juges de l'opportunité d'adopter des sanctions nationales et de veiller chez lui à l'application des textes européens. Il n'existe que quelques domaines où la Commission européenne peut édicter, ou proposer d'édicter et de mettre en œuvre des sanctions qui sont exécutées par les États ; c'est le cas de la politique de concurrence contre les ententes et les abus de position dominante où la Commission a le pouvoir de décider des amendes qui sont fixées en proportion du chiffre d'affaires des entreprises concernées. En matière de politique agricole commune, certains règlements communautaires prévoient des sanctions pécuniaires ou juridiques – par exemple le retrait d'agrément pour un exportateur, l'interdiction de commercialisation de certain produits – dans d'autres domaines tels que la contrefaçon, les directives comprennent des orientations générales sur les sanctions à prendre par les États, mais le plus fréquemment, rien n'est prévu en droit communautaire en matière de répression des infractions. En particulier dans des secteurs aussi importants que les règlements douaniers, les directives d'harmonisation des normes techniques, les directives sur la protection des consommateurs, les textes sur les marchés publics, les normes en matière d'environnement, il n'y a pas de système général de sanctions.

On aboutit ainsi à des situations très variables selon les sujets et selon le pays puisque c'est laissé à l'initiative des pays membres. Je vous cite quelques exemples : en matière de blanchiment des capitaux, il y a une directive qui, bien entendu, interdit ce blanchiment ; dans certains États des peines de prison sont prévues avec un maximum de 20 ans au Luxembourg, ailleurs, en Belgique, il n'y a aucune peine pénale. L'Irlande et la Grèce n'ont pas encore adopté de dispositif, la France a des sanctions pénales et administratives pour l'application de cette directive mais ces sanctions ne prévoient pas la peine de prison. De même, en ce qui concerne, dans un domaine complètement différent, la qualité de l'eau potable, certains pays ont défini des sanctions qui sont mises en œuvre par les agences du bassin – comme en France – ou d'autres organisations de surveillance – c'est le cas des pays du Benelux – ; dans d'autres pays comme l'Irlande ou la Grèce, aucune sanction n'est prévue. En ce qui concerne les procédures de recours en matière de marchés – instance nationale de contrôle –. Nous avons ensuite un dispositif très rigoureux : la loi de 1992 offre à toute personne qui s'estimait lésée la possibilité de saisir le juge administratif ou judiciaire selon les cas pour obtenir dans un délai de 20 jours des mesures provisoires pouvant aller jusqu'à la suppression de la procédure de passation du contrat, ou des mesures définitives telles que l'annulation de décisions d'exécution ou de modification des clauses du contrat. En revanche, dans d'autres pays et notamment les pays du nord, il n'y a aucune instance nationale comparable à notre Commission centrale des marchés, ni compétence spécifique du juge de droit commun, ni dispositif spécifique de sanction en dehors du droit administratif général. Autre exemple, en matière douanière nous avons un certain nombre de règles communautaires, mais ces règles donnent lieu à des applications très différentes selon les pays. La France applique l'article 426 du Code des Douanes, ce qui conduit même certains pays du nord de la Communauté à vanter l'esprit commercial de leurs autorités douanières ce qui en réalité traduit un certain laxisme. Par exemple, nous avons constaté il y a quelques mois, pendant le conflit de la pêche, au moment où nous avons été amenés à renforcer les contrôles vétérinaires dans l'ensemble de la Communauté et particulièrement en France, à Dunkerque, que certains exportateurs créaient les sociétés écran hors de France où la marchandise était expédiée, contrôlée selon les méthodes habituelles, disons non renforcées, avant d'être introduite en France sans la rigueur des contrôles qui avaient été décidés au niveau communautaire et au niveau national. Il faut savoir que la France importe de pays tiers 70 milliards de francs de marchandises par l'intermédiaire de ses partenaires et notamment des principaux ports maritimes de ses partenaires. Or, à l'inverse, transitent à travers la France des importations venues de pays tiers vers nos partenaires pour un montant de 3 milliards de francs. On constate donc qu'il y a des trafics compliqués – je ne dis pas de détournements de trafics, ce qui serait une fraude – mais des trafics, des circulations de marchandises un peu complexes qui s'expliquent pour des raisons liées à la compétitivité des ports et des aéroports mais qui peuvent s'expliquer aussi, en partie, par des pratiques administratives différentes qui font qu'il est peut-être plus facile de faire entrer des marchandises dans tel ou tel pays plutôt qu'en France. En matière de règles techniques, sanitaire, agricoles et alimentaires, l'application, l'interprétation des règlements, notamment pour l'importation, donnent lieu à des différences d'approche selon les administrations nationales ou des différences de méthodologies qui sont préjudiciables à l'homogénéité du marché ou à la loyauté de la concurrence. On a constaté ce genre de problème pour l'évaluation de la qualité de produits aussi différents que les crevettes ou les kiwis.

Pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Jusqu'à présent, il faut bien reconnaître que la Commission européenne et nos partenaires ont sous-estimé l'importance du problème et ont même considéré que cette question était une question taboue. D'une part, du côté de la Commission on s'est surtout attaché depuis l'acte unique de 1986, à supprimer les entraves aux échanges qui résultaient des différences de législation, et à mettre au point un cadre juridique global en se concentrant sur le problème de la transposition de ces normes européennes en droit interne à travers des lois nationales qui sont nécessaires pour la transposition de ces normes européennes en droit interne à travers des lois nationales qui sont nécessaires pour la transposition en droit interne. De ce point de vue, on est parvenu à un résultat d'ailleurs assez satisfaisant puisque le taux de transposition de ces 282 directives est supérieur à 90 % et que la France est d'ailleurs en tête, à la veille de sa présidence, dans la proportion des directives européennes dûment transposées en droit interne. En revanche, les questions liées à l'application effective des textes et à la sanction de non application n'ont pas été correctement traitées parce qu'on s'est heurté à des problèmes de principe. Les États membres sont très jaloux de leurs compétences en matière pénale et les diverses administrations nationales n'ont pas considéré comme prioritaire la constitution d'un véritable espace judiciaire européen. Or notre sentiment c'est que, sauf à admettre des distorsions de concurrence au profit des entreprises des pays laxistes et sauf à prendre le risque à terme de voir tout le droit européen perde sa crédibilité, nous devons surmonter les problèmes de principe qui existent de manière à avoir un véritable système de sanctions à des infractions au droit communautaire.

Fort de ce diagnostic, que proposons-nous ? Nous proposons d'utiliser toutes les ressources du Traité de Maastricht : d'une part, les dispositions du premier pilier du droit communautaire, le marché intérieur ; d'autre part, les dispositions du 3e pilier qui prévoient une coopération judiciaire au titre du conseil « affaires intérieures et justice » de manière à comble cette lacune. Nous saisissons donc la Commission et nos partenaires par un mémorandum étant donné que, bien entendu, c'est à la Commission européenne de faire juridiquement des propositions puisqu'elle en a le monopole selon les institutions au titre du premier pilier.

Premier problème à traiter : la lutte contre la fraude au budget communautaire, la protection des intérêts financiers de la Communauté. Il y a actuellement, à l'initiative notamment de la France, deux textes qui sont sur la table du Conseil des ministres, un projet de règlement sur les sanctions administratives et un projet de convention sur les sanctions pénales. Vous connaissez la différence juridique entre les deux : le règlement, c'est du droit communautaire proprement dit et ceci peut donc être décidé selon les cas à la majorité qualifiée dans le cadre du droit communautaire ; la convention est un traité international qui nécessite l'unanimité et qui est nécessaire lorsqu'il s'agit de sanction pénale puisque le droit pénal reste de compétence nationale.

Ces textes permettront de sanctionner la fraude au budget de manière plus homogène et faciliteront la lutte contre les fraudes transnationales du type de celles que la Cour des Comptes européenne met à jour chaque année. Nous souhaitons donc pouvoir faire adopter ces textes pendant la présidence française.

Au-delà du problème spécifique du droit financier, nous souhaitons poser le problème du volet « sanctions » du marché unique et nous proposons que dorénavant tous les textes prévoient une clause standard, une obligation pour les États d'adopter des sanctions ayant un caractère dissuasif, de montants proportionnés aux infractions commises et qui soient équivalentes aux sanctions adoptées pour des lois nationales prises dans des domaines équivalents. Le cas échéant, il y aura des orientations plus précises et dans certains cas une définition commune par les États membres du niveau de la sanction. Nous allons également proposer soit de réviser les principales directives existantes, de les compléter par un volet « sanctions », soit de mettre en place un texte cadre qui puisse s'appliquer aussi au stock de directives existantes dont les 283 directives.

En outre pour vérifier la bonne application du droit communautaire, nous allons proposer que dans chaque texte communautaire figure un engagement des États et de la Commission de mettre en place les moyens nécessaires pour veiller à la bonne application du droit. Il existe déjà un Comité consultatif du marché intérieur placé auprès de la Commission et qui comprend des représentants des administrations nationales, et nous proposons de donner plus de poids et d'influence à ce Comité consultatif. En outre, pour à la fois donner des exemples concrets et sélectionner les secteurs, les domaines dans lesquels le problème est le plus aigu de façon à aider la Commission à préparer ces propositions, le Premier ministre a chargé, il y a deux mois, un parlementaire, M. Forissier, député de l'Indre, fondateur d'une PME, d'une mission sur les problèmes d'information des entreprises au regard de l'application du droit communautaire de façon à pouvoir nourrir des propositions de la Commission.

L'esprit général du mémorandum consiste non pas à aboutir à la création d'une justice parallèle communautaire, mais à obliger les États à agir de manière à ce que nous ayons dans l'ensemble de l'Union européenne des dispositions nationales répressives garantissant une véritable répression des infractions et en même temps une certaine homogénéité dans la façon de contrôler la bonne application du droit communautaire et de réprimer les infractions constatées. Nous sommes persuadés que le principe de subsidiarité, appliqué notamment en matière pénale, ne doit pas nous empêcher, au contraire, d'aboutir à ce que nous recherchons. Cette démarche va donc être proposée à nos partenaires de façon à pouvoir aboutir, ou avancer le plus possible, pendant la présidence française et nous avons prévu, d'ores et déjà, d'en discuter, voire de prendre les premières décisions, à un conseil « Marché intérieur » informel prévu les 10 et 11 mars ainsi que lors des conseils ECOFIN, « affaires intérieures-justice » en vue de déboucher pour le Conseil européen de Cannes. C'est un sujet dont nous avons déjà entretenu nos partenaires, notamment au conseil « Marché intérieur » et au conseil « Affaires générales », et qui a suscité un très grand intérêt chez eux. Nous en avons parlé en particulier à nos partenaires britanniques à l'occasion du sommet de Chartres et nous avons vu combien les problèmes de fraudes au droit communautaire sont importants pour la Chambre des Communes. Nous en avons parlé également la semaine dernière au sommet franco-italien et nos partenaires italiens nous ont indiqué qu'ils étaient tout à fait disposés à faire des propositions communes avec nous pendant la présidence française.